RH Management 2011 inc. c. Burtney

2013 QCCQ 4155

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d’appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

« Chambre civile  »

N° :

500-80-023785-125

 

 

 

DATE :

3 mai 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GATIEN FOURNIER, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

RH MANAGEMENT 2011 INC.

Partie demanderesse - intimée

c.

SHELLEY ANN BURTNEY

Partie défenderesse

ET

 

L'OFFICE MUNICIPAL D'HABITATION DE MONTRÉAL

            Partie défenderesse - appelante

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

INTRODUCTION

[1]           Le Tribunal est saisi d'un appel d'une décision [1] de la Régie du Logement (la Régie ) rendue le 3 octobre 2012 dans le dossier 31 120808 002 G. Au terme de cette décision, le régisseur a déclaré l' Office municipal d'habitation de Montréal (l' OMHM ) locataire et partie défenderesse et a notamment condamné celle-ci à payer au locateur ( RH Management ) la somme de 942 $ avec les intérêts et les frais judiciaires au montant de 76 $.

[2]           Cette décision a fait l'objet d'une requête pour permission d'en appeler qui a été accueillie par cette Cour le 27 novembre 2012.

 

[3]           Le Tribunal autorisait alors l'appel afin de répondre aux questions suivantes:

a)    Le juge administratif a-t-il excédé sa juridiction et celle de la Régie du logement, en considérant l'absence de bail et de lien locateur-locataire entre RH Management Inc. et l'Office municipal d'habitation de Montréal, et ce, considérant l'article 28 paragraphe 1 de la Loi de la Régie du logement et l'article 1892 du Code civil du Québec ?

b)    Le juge administratif, François Leblanc, a-t-il erré en droit en accordant le statut de locataire-défenderesse à l'Office municipal d'habitation de Montréal?

c)   Le juge administratif a-t-il erré en droit dans les conclusions de sa décision en condamnant l'Office municipal d'habitation de Montréal à titre de locataire de payer au locateur la somme de 942,00$ pour loyers impayés plus les frais judiciaires de 76,00$.

[4]           Seul l'avocat de l' OMHM était présent le jour de l'audition de l'appel de la décision de la Régie , et ce, malgré que les autres parties aient été dûment avisées.

 

[5]           L'avocat de l' OMHM explique que les autres parties, RH Management et la locataire ( Burtney ), n'ont aucun intérêt dans le présent litige compte tenu des conclusions que l' OMHM recherche. Il ajoute, par ailleurs, qu'une entente est intervenue entre eux relativement aux conclusions de la décision de la Régie qui les concernent.

LES FAITS PERTINENTS

[6]           Le régisseur a été appelé à se prononcer sur une demande présentée par le locateur, RH Management , en résiliation d'un bail, en expulsion des locataires et en recouvrement de loyer.

 

[7]           Le régisseur a identifié le bail faisant l'objet de la demande présentée devant lui et il en fait état au paragraphe 2 de sa décision.

 

[8]           Ce bail ne fait aucunement mention de l' OMHM à titre de locataire ou autre.

 

[9]           Dans sa décision, le régisseur a statué que l' OMHM était locataire-partie défenderesse et qu'elle devait faire l'objet, au même titre que Burtney , d'une ordonnance d'expulsion et d'une condamnation à payer au locateur, RH Management , la somme de 942 $ avec intérêts et les frais judiciaires au montant de 76 $.


MOTIFS ALLÉGUÉS PAR L' OMHM

[10]        Les motifs allégués par l' OMHM au soutien de sa requête vont comme suit :

[3]  Le juge administratif, François Leblanc, a erré dans sa décision, tel que plus amplement décrit ci-après et ladite décision de la Régie du logement peut faire l'objet d'un appel sur permission d'un juge de la Cour du Québec, puisque la question en jeu en est une qui devait être soumise à la Cour du Québec, et ce, conformément à l'article 91 de la Loi sur la Régie du logement ;

[4]  Le juge administratif, François Leblanc, a erré en droit en accordant le statut de locataire-défenderesse à l'Office municipal d'habitation de Montréal;

[5]  Le juge administratif, François Leblanc, a manifestement erré en droit dans les conclusions de sa décision en condamnant l'Office municipal d'habitation de Montréal à titre de partie défenderesse-locataire puisque l'Office n'est pas signataire du bail qui lie la locataire Shelley Ann Burtney et le locateur RH Management Inc., et ce tel qu'il appert du bail coté P-2;

[6]  L'Office municipal d'habitation de Montréal n'agit aucunement à titre de locataire envers le locateur RH Management Inc.;

[7]  Dans ce type de location, la locataire, dans notre cas, Shelley Ann Burtney, bénéficie du Service des programmes de supplément au loyer. L'Office verse une subvention au locateur afin d'opérer compensation entre le montant réel du loyer, soit 753.00$ par mois et le montant payé par la locataire soit la somme de 189.00$ par mois, et ce tel qu'il appert de l'addendum A et B coté P-3 en liasse;

[8]  L'Office municipal d'habitation de Montréal ne peut en aucun cas être considéré comme locataire et ne peut donc être condamné à titre de locataire à payer quelque somme que ce soit au locateur RH Management Inc. L'Office peut être considéré comme partie intéressée mais aucunement à titre de locataire-partie défenderesse;

[9]  Le juge administratif, François Leblanc, a excédé la juridiction de la Régie du logement, et ce considérant l'article 28 paragraphe 1 de la Loi sur la régie du logement et l'article 1892 du Code civil du Québec ;

[10]  La Cour du Québec a déterminé clairement que l'Office municipal d'habitation de Montréal est sans doute une partie à une convention de subvention conclue avec le locataire mais n'est pas partie au bail;

[11]  Le juge administratif, François Leblanc, a erré dans sa décision puisque l'Office municipal d'habitation de Montréal a payé la subvention au locateur RH Management Inc., tel qu'il appert du relevé de la liste des versements du 1 er février 2012 au 1 er novembre 2012 coté P-4;

[12]  Dans l'éventualité où l'Office municipal d'habitation de Montréal n'aurait pas versé la subvention au locateur RH Management Inc., la Régie du logement n'aurait tout de même pas eu juridiction considérant l'absence de relation locateur-locataire entre la partie demanderesse-INTIMÉE et la partie défenderesse-REQUÉRANTE, tel qu'il appert de l'entente cadre entre l'Office et Gittel Lebron et Thomas Klein, représentés par RH Management Inc., coté P-5;

NORME D'INTERVENTION APPLICABLE

[11]        Il y a lieu ici de reprendre les propos du juge Patrick Théroux, j.c.Q., tenus dans l'affaire Camping Normand Inc. c. Lacoste [2] sur la question de la norme de contrôle applicable dans le cas où le tribunal administratif statue sur sa propre compétence, à savoir :

 

[13]  La compétence d'un tribunal administratif relève de l'ordre public. Lorsqu'il statue sur l'étendue de sa propre compétence, il traite d'une question de droit pur dont la révision, par voie d'appel ou autrement, est soumise à l'application de la norme de contrôle appropriée.

 

[14]  Dans l'arrêt Dunsmuir [3] , la Cour suprême du Canada indique que la norme de la décision correcte s'applique d'emblée aux questions de compétence. On peut y lire ceci:

 

« [50]   S'il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d'une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s'appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l'application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n'acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d'accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s'impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne. »

 

[…]

 

« [59]   [...] La « compétence » s'entend au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question. Autrement dit, une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l'a investi l'autorisent à trancher une question. L'interprétation de ces pouvoirs doit être juste sinon les actes seront tenus pour ultra vires ou assimilés à un refus injustifié d'exercer sa compétence: [...] »

 

[15]  Il ne peut y avoir deux réponses valables à la question visant la compétence de la Régie à statuer sur une demande de jugement déclaratoire. La norme de la décision correcte s'impose donc ici.

 

[12]        À l'instar de cette affaire, c'est aussi la norme de la décision correcte qui s'applique ici.

ANALYSE ET DISCUSSION

[13]        L' OMHM est partie à un programme de supplément de loyer intervenu avec le locateur, RH Management . Burtney en est bénéficiaire à titre de locataire. Dans le cas qui nous occupe, l' OHMH paie mensuellement à RH Management un supplément de loyer au montant de 753 $ concernant le logis de Burtney .

 

[14]        La question qui se pose ici consiste à savoir si, de ce fait, l' OMHM est locataire, et ce, au même titre que Burtney ?

 

[15]     Le juge François Godbout, j.c.Q., a eu à se prononcer sur le statut de l'Office municipal d'habitation (OMH) en tant que partie à un programme de supplément de loyer. La question devant le juge Godbout consistait à savoir si l' OMH pouvait prétendre au statut de locateur :

 

«  5- Boardwalk est propriétaire de l'immeuble à logements où habite la requérante Viviane Croteau et dans le cadre de l'entente que cette compagnie a signée avec l'OMH, elle touche mensuellement, et à l'avance, le supplément au loyer qui fut établi concernant le loyer occupé par madame Croteau, laquelle s'est qualifiée pour l'obtention dudit supplément. Il avait été fixé par l'OMH le 12 juin 2006 à la somme de 385,00 $ par mois, montant ajusté à 402,00 $ par mois au moment de l'audition devant la Régie.

6- L'OMH a demandé à la Régie la résiliation du bail entre madame Croteau et son propriétaire recevant un supplément de sa part, Boardwalk, au motif qu'il y avait fraude par madame Croteau quant à sa déclaration de statut personnel, eu égard particulièrement à monsieur Serge Couturier, qui habiterait chez elle.

(…)

24- La Cour est d'avis que l'OMH n'a pas un statut qui lui permet de requérir elle-même la radiation d'un bail de logement devant la Régie, lorsqu'elle n'est pas elle-même propriétaire ou mandataire de l'immeuble ou se trouve le logement concerné. Elle ne peut prétendre au statut de locateur, au sens large des règles du louage. Certes, l'OMH contribue, par le supplément au loyer qu'elle verse à Boardwalk, a une partie majoritaire du paiement convenu, mais ce n'est pas elle qui s'est engagée à procurer à madame Viviane Croteau la jouissance paisible des lieux loués.

25- Il faut considérer la notion du locateur qui loue un ou des logements avec toutes les obligations qui en découlent pour lui, comme étant celle qui lui confère le droit de s'adresser à la Régie du logement pour demander la résiliation pour cause d'un bail qui le lie à un ou une locataire. Le seul fait de payer une grande partie du loyer, en lieu et place de la locataire, ne confère pas de statut particulier devant la Régie du logement à l'organisme subventionnaire qui verse ce supplément important. » [4]

[16]        Or, l' OMHM ne peut pas non plus ici être considérée locataire au terme d'un bail de logement au sens de l'article 28 de la Loi sur la Régie du logement (la LRl) .

 

[17]        La Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Gauthier [5] a émis le commentaire suivant quant à l'article 28 de la LRl . On peut y lire ceci:

 

"Puisqu'au Québec, la Cour supérieure est le tribunal de droit commun, l'article 28 L.R.L., qui attribue une compétence exclusive à la Régie du logement, doit s'interpréter restrictivement. Ainsi, les tribunaux ont interprété les mots "toute demande relative à un bail de logement" comme n'incluant que les recours découlant des obligations contractuelles des parties au bail. Il est donc indispensable qu'un bail de logement soit intervenu entre les parties pour que la Régie du logement ait compétence. "

(nos soulignés)

[18]        En l'espèce, aucun bail de logement n'est intervenu entre RH Management , à titre de locateur et l' OMHM , à titre de locataire. En l'absence d'un tel bail de logement, le régisseur ne pouvait s'attribuer la compétence pour entendre une telle affaire et décider comme il l'a fait, puisqu'il n'avait pas devant lui, en ce qui concerne l' OMHM à tout le moins, une demande relative à un bail de logement.

 

[19]        En conséquence, le Tribunal répond par l'affirmative aux trois questions qui lui sont soumises et il donne droit à l'appel de la décision de la Régie du logement présentée par l' OMHM .

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

 

ACCUEILLE l'appel;

 

MODIFIE l'intitulé de la décision rendue le 3 octobre 2012, par le juge administratif, François Leblanc, de la Régie du logement , du district de Montréal, dans le dossier portant le numéro 31 120808 002 G afin de rayer le nom de l'Office municipal d'habitation de Montréal à titre de locataire-partie défenderesse afin que seule Shelley Ann Burtney soit partie à titre de locataire-partie défenderesse;

 

MODIFIE l'intitulé de la décision rendue le 3 octobre 2012, par le juge administratif, François Leblanc, de la Régie du logement , du district de Montréal, dans le dossier portant le numéro 31 120808 002 G afin d'accorder le titre de partie intéressée à l'Office municipal d'habitation de Montréal de sorte que seule Shelley Ann Burtney soit la locataire-partie défenderesse;

 

MODIFIE le paragraphe 4 de la décision rendue le 3 octobre 2012 par le juge administratif, François Leblanc, de la Régie du logement du district de Montréal dans le dossier portant le numéro 31 120808 002 G afin d'y lire:

 

La locataire a fait valoir en défense qu'elle éprouve actuellement des difficultés financières et personnelles et que cela explique son retard à payer le loyer.

 

MODIFIE le paragraphe 5 de la décision rendue le 3 octobre 2012 par le juge administratif, François Leblanc, de la Régie du logement du district de Montréal dans le dossier portant le numéro 31 120808 002 G afin d'y lire:

 

Le Tribunal ne peut retenir cette défense. Les difficultés financières de la locataire sont étrangères au droit du locateur de percevoir le loyer.  Le locateur a des obligations financières à assumer sur son immeuble.

 

MODIFIE les conclusions de la décision rendue le 3 octobre 2012, par le juge administratif, François Leblanc, de la Régie du logement , du district de Montréal, dans le dossier portant le numéro 31 120808 002 G afin de rayer le terme locataires pour le remplacer par locataire, et ce, de manière à ce que l'Office municipal d'habitation de Montréal ne soit pas condamné à titre de locataire à payer au locateur la somme de 942 $ plus les frais judiciaires de 76 $ et de ne pas avoir de résiliation de bail et d'ordonnance d'éviction à l'encontre de l'Office municipal d'habitation de Montréal;

 

LE TOUT avec dépens.

 

 

__________________________________

GATIEN FOURNIER, j.c.Q.

 

Me Éric Martineau

Procureur de la partie défenderesse - appelante

 

Me Nathalie Boyce

Procureure de la partie demanderesse - intimée

 

Madame Shelley Ann Burtney

Se représentait seule

 

Date d’audience :

19 avril 2013

 



[1]     RH Management 2011 inc. c. Burtney, 2012 QCRDL 34287 .

[2]    Camping Normand inc. c. Lacoste, 2010 QCCQ 4063 .

[3]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , [2008] 1 R.C.S. 190 .

[4]     Croteau c. Québec (Office municipal d'habitation de) , 2008 QCCQ 5924 , J.E. 2008-1502 .

[5]    Gauthier c. Société d'habitation du Québec , 2010 QCCA 302 , par. 31.