Lavigne c. Heppell |
2013 QCCQ 4177 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
HULL |
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LOCALITÉ DE |
GATINEAU |
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« Chambre civile » |
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N° : |
550-32-019966-123 |
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DATE : |
1 er mai 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GATIEN FOURNIER, J.C.Q. |
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PATRICK LAVIGNE […] Plaisance (QC) […]
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Partie demanderesse |
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c.
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JOHANNE HEPPELL […] Plaisance (QC) […]
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Partie défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur ( Lavigne ) réclame à la défenderesse ( Heppell ) la somme de 7 000 $ pour des dommages que cette dernière lui aurait causés alors qu'elle aurait coupé sa haie de cèdres.
[2] Heppell allègue n'avoir procédé qu'à la taille de la haie de cèdres à une hauteur de 6 pieds, conformément à la réglementation municipale. Elle ajoute que la taille de la haie n'a résulté en aucun dommage pour Lavigne .
Les faits
[3] Lavigne et Heppell sont voisins depuis plusieurs années.
[4] La propriété de Lavigne a une superficie de 1 1/4 acres.
[5] La haie de cèdres qui a fait l'objet de la taille est située sur la propriété de Lavigne . Celle-ci se situe, en partie, en bordure de la propriété de Heppell .
[6] Lavigne indique dans sa demande que Heppell a procédé à la coupe des cèdres le 1 er mai 2011.
[7] Lavigne admet cependant n'avoir constaté la coupe des cèdres qu'à l'automne 2011. Il indique qu'il ne va pas souvent dans cette partie de sa propriété. Il dit que c'est un champ et la seule raison pour laquelle il s'y rend, c'est pour couper le gazon. S'il n'avait pas à couper le gazon pour respecter la réglementation municipale, il n'irait pas. Il ajoute que les aires de vie se situent dans un rayon de 150 pieds de la maison. La maison se situe plutôt au nord de la propriété. Il indique que l'aménagement paysager se situe dans ce rayon et que tout est là.
[8] Lavigne soutient que Heppell a coupé les cèdres de 8 à 12 pouces selon le cas. Il dit qu'au moment de la coupe les cèdres avaient de 6 ½ à 8 pieds de haut.
[9] Lavigne confirme que les cèdres ne sont pas morts mais tous n'ont pas ré-atteint la hauteur qu'ils avaient avant la coupe.
[10] 115 cèdres auraient été coupés ce qui représente de 25 à 30 % de la haie de cèdres. Un hêtre aurait également été coupé. La portion des cèdres coupés se situe dans la partie sud du terrain de Lavigne en bordure de la propriété de Heppell . Il dit que sa haie de cèdres a désormais deux niveaux et qu'il devra éventuellement intervenir pour la ramener au même niveau. Cela n'a cependant pas encore été fait.
[11] Lavigne réclame notamment à titre de dommages la somme de 30 $ par cèdre coupé. Il dit qu'il s'agit du coût d'un cèdre d'une hauteur approximative de 12 à 18 pouces.
[12] Le 10 novembre 2011, Lavigne achemine une mise en demeure à Heppell , laquelle se lit comme suit :
« Plaisance, Québec, Canada
10 novembre, 2010
SOUS TOUTES RÉSERVES
Madame,
La présente est pour vous informer que je vous réclame la somme de 7000$ pour les raisons suivantes :
Vous avez coupé 115 cèdres sur mon terrain. Les arbres m'appartiennent et vous n'avez aucun droit de les couper sans ma permission (référez vous à l'article 985 du c.C.Q). Je réclame donc la somme de 30$ par arbre endommagé. Vous avez également coupé un hêtre qui poussait à proximité de cette haie. Je réclame 100$ pour les dommages à l'hêtre. Je réclame également 1500$ en perte de jouissance. Ma vie privée a été violée et se voit maintenant plus exposée dû à la coupe des cèdres et la tranquillité de mon terrain privé se voit dérangée (référez vous au point 1 de l'article 36 du c.C.Q). Finalement, je réclame 1900$ en des dommages exemplaires. Ce n'est pas première fois que vous tentez de vous appropriez mes arbres ou que vous empiétez sur mon terrain privé.
Je vous mets donc en demeure de me payer la somme de 7000$ dans un délai de 10 jours. Dans le cas contraire, des procédures judiciaires pourront être intentées contre vous sans autre avis ni délai.
Veuillez agir en conséquence.
Patrick Lavigne » (sic)
[13] Suite à l'envoi de cette mise en demeure, Heppell aurait déposé une plainte à la municipalité soutenant que la haie de cèdres était trop haute. La municipalité aurait émis un avis d'infraction pour éventuellement suspendre les procédures le temps de revoir la réglementation municipale concernant les haies de cèdres.
[14] Lavigne réclame également à Heppell la somme de 1 500 $ pour perte de jouissance. Il dit que la coupe des cèdres a violé « sa vie privée qui est maintenant plus exposée et la tranquillité de son terrain privé plus dérangée ».
[15] Lavigne réclame enfin à Heppell la somme de 1 900 $ en dommages exemplaires. Il dit que Heppell a un historique de « trespassing » sur sa propriété. Il dit que, dès les premiers jours où il a acheté sa propriété en mai 2003, le conjoint de Heppell coupait le gazon sur son terrain. Il dit qu'il a arrêté après plusieurs avertissements. Lavigne admet cependant qu'il avait été question d'échange de terrain mais que, deux ou trois ans plus tard, Heppell aurait refusé de procéder à l'échange. À partir de ce moment, la relation entre eux aurait dégénéré. Il ajoute que Heppell , depuis mai 2011, fait des plaintes pour tout et pour rien et que ces plaintes à la municipalité atteignent sa réputation puisqu'il est pompier volontaire pour celle-ci.
[16] Lavigne admet que, lors d'un incident avec le sapin non loin de la propriété de Heppell en 2006, la police a dû intervenir à cause d'un excès de langage de sa part.
[17] Lavigne ajoute que la seule autre conversation qu'il a eue avec Heppell est en octobre 2011. Il dit que les enfants ont cependant continué à se parler malgré le différend des parents.
[18] L'inspecteur de la municipalité a témoigné. Il confirme que la plainte concernant la haie de cèdres de Lavigne est suspendue le temps que le Conseil municipal décide d'un nouveau règlement. Il indique cependant que celui-ci doit être adopté de façon imminente. La hauteur des cèdres ne sera réglementée que dans la mesure où la haie se situe à moins de 6 mètres de la ligne avant de la propriété. Dans ce cas, la hauteur maximale sera de 1 mètre.
[19] L'inspecteur de la municipalité confirme qu'il n'y a qu'une seule plainte dont fait l'objet Lavigne .
[20] Heppell admet avoir taillé la haie de cèdres en ramenant la partie de celle-ci qui longeait sa propriété à 6 pieds. Elle s'était informée à la municipalité une ou deux années auparavant et on lui aurait dit que la hauteur maximale était de 6 pieds ou 2 mètres. Elle n'a pas porté plainte car elle ne voulait pas que Lavigne ait à tailler la totalité de sa haie de cèdres.
[21] Heppell dit qu'elle est propriétaire de sa maison depuis 2001/2002 et qu'il n'a jamais été question d'échange de terrain.
[22] Heppell mentionne qu'elle a été surprise lorsque Lavigne a installé la haie de cèdres entre chez elle et un sapin qu'elle croyait le sien. Heppell confirme avoir dû déjà appeler les policiers vu les écarts de langage de Lavigne .
[23] Daniel Bertrand ( Bertrand ) aurait été témoin d'un événement où Heppell a tenté de parler à Lavigne . Bertrand dit que Lavigne se serait mis à injurier Heppell .
[24] Heppell dit être épuisée par ce climat d'hostilité.
Analyse
[25]
L'article
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
[26] Heppell a reconnu ici avoir taillé une partie de la haie de cèdres de Lavigne , et ce, sans son consentement. Heppell a ainsi reconnu qu'elle a commis une faute.
[27]
Au terme de l'article
[28] En matière de réparation de préjudice cependant, « seule peut être accordée une indemnité égale au dommage réellement subi [1] ».
[29] En ce qui concerne le préjudice matériel, Lavigne réclame à Heppell la somme de 3 450 $ soutenant que des cèdres de 12 à 18 pouces coûtent 30 $ chacun. La question qui se pose ici consiste donc à savoir si Lavigne a réellement subi un dommage s'élevant à ce montant de 3 450 $. Le Tribunal conclut que non. Lavigne n'a pas déboursé cette somme et, selon la preuve soumise, il ne sera pas appelé à le faire dans le futur. Les cèdres ne sont pas morts, ils ne doivent pas être remplacés et dans bien des cas ils ont ré-atteint la hauteur qu'ils avaient avant la taille.
[30] Au mieux, Lavigne devra faire tailler à nouveau l'ensemble de sa haie pour qu'elle soit égale. Cet élément n'a cependant pas été allégué dans la demande de Lavigne et il n'a pas quantifié le coût d'une telle opération, pas plus qu'il n'en a fait la preuve. En l'absence d'allégations et de preuve à cet égard, le Tribunal ne peut se prononcer sur la valeur d'une telle indemnité.
[31] En ce qui concerne le préjudice moral, Lavigne réclame 1 500 $ en soutenant que « la coupe des cèdres expose plus au public son terrain et sa vie privée ».
[32] Jean-Louis Beaudoin dans son ouvrage, La Responsabilité civile, 7e édition [2] , explique les difficultés que l'on rencontre lorsque vient le temps de chiffrer le préjudice moral.
« 1-361 - Dommages nominaux - Le préjudice moral ou extrapatrimonial est souvent difficile à chiffrer d'une manière exacte ou même approximative. Combien, par exemple, vaut la peine ressentie suite à l'intervention de la dépouille d'un proche avec celle d'un autre défunt ? À combien peut-on chiffrer l'humiliation de la victime d'une diffamation d'un acte de discrimination raciale, d'une personne internée abusivement, d'une personne exposée au ridicule public, d'une personne abonnée malgré elle à quelque 134 revues, le dérangement causé à un individu harcelé par des appels téléphoniques, l'humiliation à la suite d'une arrestation ou d'une détention arbitraire ou d'une agression sexuelle? Dans tous ces cas cependant, le préjudice est direct, certain et réel et doit donc être compensé, même s'il n'existe pas de base scientifique permettant de l'évaluer précisément. Cette difficulté fait que parfois la jurisprudence accorde sous le nom de dommage nominal une indemnité forfaitaire dont le montant, en général peu élevé, est laissé à l'appréciation souveraine du tribunal ».
[33] Il ressort de ces propos que le seul préjudice qui doit être compensé est celui qui est direct, certain et réel.
[34] Or, Lavigne n'a pas décrit en quoi le fait d'accroître l'exposition du terrain au public lui occasionne un préjudice. Au contraire, il a été très candide et clair. Il ne va pratiquement pas dans la partie du terrain où les cèdres ont été taillés. Lorsqu'il y va, c'est par obligation pour y couper le gazon. Autrement il n'irait pas. Par ailleurs, le terrain dans sa limite sud est déjà pleinement exposé au public puisqu'il n'y a pas de cèdres sur cette ligne de la propriété.
[35] Lavigne a également indiqué que les aires de vie se situent aux environs de la maison qui se trouvent plutôt au nord de la propriété et non pas où les cèdres ont été taillés. Là où les cèdres on été taillés, c'est un champ et il n'y va que par obligation pour couper le gazon. Dans ce contexte, il est difficile de concevoir en quoi cela nuit à la vie privée de Lavigne . Il est d'autant plus difficile de conclure qu'il en résulte un préjudice direct, certain et réel. Le Tribunal est ainsi d'avis que Lavigne n'a pas subi de préjudice moral tel qu'il le soutient.
[36] Quant aux dommages exemplaires ou punitifs réclamés par Lavigne , le Tribunal reprend les propos du juge Goulet de la Cour supérieure qu'il a formulés dans la cause Bourdeau c. Hamel [3] , à savoir:
(iv) dommages punitifs
[190] La défenderesse réclame 10 000$ pour atteinte à ses droits fondamentaux, au respect de sa vie privée et au respect de sa propriété.
[191] En
conformité de l’article
[192] Voilà sans doute pourquoi la défenderesse réfère aux dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne .
[193] Rappelons l’article 1 : «tout être humain a droit (…), à l’intégrité (…) de sa personne», l’article 4 «toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité (…)» et finalement l’article 6 «toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la Loi.»
[194] Notons de plus que l’article 49 prévoit à son deuxième alinéa :
49(2) «En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le Tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs».
[195] Au sujet des dommages punitifs, le juge Jean-Pierre Sénécal résume bien le droit applicable dans l’affaire Markarian [4] . Le Tribunal se permet de citer au long un passage de sa décision sur cet élément.
«Le droit québécois ne permet les dommages punitifs que dans les cas où leur octroi est spécifiquement prévu. C’est le cas de la Charte des droits québécoise. Mais au risque de banaliser les droits protégés par celle-ci, tout ne constitue pas une violation des droits fondamentaux. C’est dire que même en droit québécois, l’octroi de dommages punitifs n’est pas la règle et demeure, tout au moins dans les faits, relativement exceptionnel.
Cela dit, les dommages punitifs n’ont rien d’exceptionnels en eux-mêmes et sont possibles lorsque la loi autorise leur octroi et que les circonstances sont réunies pour qu’ils soient accordés. Par ailleurs, la Charte doit recevoir une interprétation large et libérale visant à assurer que les citoyens bénéficient pleinement de sa protection.
Il ne peut y avoir octroi de dommages punitifs en vertu de la Charte que si l’atteinte aux droits fondamentaux a été «illicite et intentionnelle» . La Cour suprême définit comme suit l’atteinte «illicite et intentionnelle» dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand :
Pour conclure à l’existence d’une atteinte illicite, il doit être démontré qu’un droit protégé par la Charte a été violé et que cette violation résulte d’un comportement fautif. Un comportement sera qualifié de fautif si, ce faisant, son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c’est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte elle-même.
Pour ce qui est du caractère «intentionnel» de l’atteinte, la Cour suprême écrit :
[P]our qu’une atteinte illicite soit qualifiée d’«intentionnelle», l’auteur de cette atteinte doit avoir voulu les conséquences que son comportement fautif produira.
[…][C’]est l’atteinte illicite-et non la faute-qui doit être intentionnelle. En conséquence, bien que certaines analogies soient possibles, je crois qu’il faille néanmoins résister à la tentation d’assimiler la notion d’«atteinte illicite et intentionnelle» propre à la Charte aux concepts traditionnellement reconnus de «faute lourde», «faute dolosive» ou même «faute intentionnelle».»
[I]l y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l’art. 49 de la Charte lorsque l’auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.» Citations omises.
[196] Revenons aux faits de l’espèce. Le Tribunal désire sanctionner le comportement inacceptable du demandeur Bourdeau.
[37] Le Tribunal est ici d'avis que nous sommes dans une situation où il y a eu de la part de Heppell , le 1 er mai 2011, une atteinte illicite et intentionnelle aux droits fondamentaux de Lavigne .
[38] Couper ou tailler la haie de son voisin en toute connaissance de cause sans le consentement de ce dernier constitue un comportement inacceptable qui doit être sanctionné. Heppell doit donc être condamné à des dommages punitifs que le Tribunal établit, puisqu'il s'agit d'un premier événement, à la somme de 250 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
ACCUEILLE en partie la demande du demandeur ;
CONDAMNE
la défenderesse à payer au demandeur
la somme de 250 $, avec intérêt au taux de 5 % l'an, et l'indemnité
additionnelle prévue à l'article
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__________________________________ GATIEN FOURNIER, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
4 février 2013 |
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