Comité exécutif du Collège des médecins du Québec c. Pilorgé

2013 QCCA 869

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022578-124

(500-17-066564-116)

 

DATE :

 LE 13 MAI 2013

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

CLÉMENT GASCON, J.C.A.

 

 

COMITÉ EXÉCUTIF DU COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC

APPELANT - Défendeur

et

COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC

CHRISTIAN GAUVIN

APPELANTS - Mis en cause

c.

ROBERT PILORGÉ

INTIMÉ - Demandeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]            Les appelants se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Michael Stober), rendu le 9 mars 2012. Ce jugement accueille la requête en révision judiciaire de l'intimé, annule une décision du Comité exécutif du Collège des médecins du Québec rendue le 26 mai 2011 à son endroit, ordonne que le Comité d'inspection professionnelle du Collège des médecins soit ressaisi de son dossier et ordonne qu'advenant le cas où le Comité exécutif s'en ressaisisse par après, des membres différents le composent.

[2]            Pour les motifs du juge Gascon, auxquels souscrivent les juges Morissette et Bich, LA COUR :

[3]            ACCUEILLE l'appel pour partie seulement;

[4]            INFIRME le jugement de première instance à la seule fin de substituer aux paragraphes [62] et [63] le paragraphe suivant :

[62]       RENVOIE le dossier au Comité exécutif du Collège des médecins du Québec afin que soit repris le processus décisionnel concernant la recommandation du Comité d'inspection professionnelle (CIP-11-01-42) relative au Dr Robert Pilorgé (72613);

[5]            SANS FRAIS .

 

 

 

YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

CLÉMENT GASCON, J.C.A.

 

Me Denis Cloutier

Me Caroline Briand

CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS

Pour les appelants

 

Me Pascal Alexandre Pelletier

Pour l'intimé

 

Date d’audience :

10 avril 2013


 

 

MOTIFS DU JUGE GASCON

 

 

[6]            Les appelants, le Collège des médecins du Québec, son Comité exécutif et Me Christian Gauvin, son secrétaire adjoint, se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Michael Stober), rendu le 9 mars 2012 [1] .

[7]            Ce jugement accueille la requête en révision judiciaire de l'intimé, le Dr Robert Pilorgé, annule une décision du Comité exécutif rendue le 26 mai 2011 à son endroit, ordonne que le Comité d'inspection professionnelle du Collège des médecins soit ressaisi de son dossier pour examiner le rapport de son expert, le Dr François Beaudoin, daté du 20 mai 2011, et ordonne qu'advenant le cas où le Comité exécutif se ressaisisse du dossier, des membres différents le composent.

[8]            Le juge se dit d'avis que les motifs lacunaires du Comité exécutif à l'appui de sa décision du 26 mai 2011 sont déficients. Selon lui, la déficience des motifs constitue un manquement au devoir d'agir équitablement, ce qui nécessite l'intervention du tribunal. En raison de cette conclusion, il ne se prononce pas sur l'autre motif de révision judiciaire invoqué, soit le caractère déraisonnable de la sanction imposée à l'intimé.

[9]            Les appelants soulèvent trois moyens d'appel.

[10]         Premièrement, ils estiment que la décision du Comité exécutif est adéquatement motivée. Selon eux, ce dernier a bien considéré le rapport du Dr  Beaudoin, l'expert de l'intimé. La décision était justifiée, transparente et intelligible pour l'intimé.

[11]         Deuxièmement, les appelants reprochent au juge de ne pas avoir accordé le poids nécessaire au fait que l'intimé a lui-même reconnu devoir faire un stage de perfectionnement de deux mois à temps partiel, dans un contexte où la sanction imposée en est une de quatre mois, à temps plein. Le caractère inapproprié de la sanction ne résisterait donc pas à l'analyse. En outre, son caractère raisonnable ferait échec à toute faiblesse alléguée des motifs énoncés.

[12]         Troisièmement, les appelants considèrent le dispositif du jugement entrepris erroné. Selon eux, le premier juge ne pouvait retourner le dossier devant le Comité d'inspection professionnelle, ni imposer que le Comité exécutif soit composé de membres différents de ceux qui ont rendu la décision contestée du 26 mai 2011.

[13]         À mon avis, le juge n'a pas commis d'erreur en annulant la décision du Comité exécutif du 26 mai 2011 dans les circonstances. La motivation insuffisante de la décision sur un élément déterminant des représentations de l'intimé ne laisse pas d'autre choix en l'espèce. Mis à part certains ajustements au dispositif du jugement qui sont nécessaires afin de mieux cibler la problématique réelle soulevée, je considère qu'il n'y a donc pas lieu d'intervenir.

[14]         Avant d'analyser les moyens d'appel soulevés, je résume le contexte pertinent à cette décision.

LA DÉCISION DU COMITÉ EXÉCUTIF

[15]         La décision contestée impose à l'intimé, obstétricien-gynécologue, un stage de perfectionnement à temps plein de trois mois en gynécologie médicale et d'un mois en suivi obstétrical. Elle fait suite à une recommandation du Comité d'inspection professionnelle du Collège qui suggère un stage de perfectionnement à temps plein d'une durée totale de quatre mois, avec limitation de l'exercice de la profession de l'intimé. Cette recommandation s'appuie sur un résumé du dossier du Dr Jean-Yves Dansereau, médecin généraliste, et sur un rapport du Dr Stéphane Ouellet, obstétricien-gynécologue, à la suite d'une visite d'inspection professionnelle effectuée au bureau de l'intimé.

[16]         Préalablement à la décision du 26 mai 2011, le Comité exécutif invite l'intimé à transmettre ses représentations. En réponse, ses avocats envoient au secrétaire adjoint du Collège des médecins une lettre datée du 20 mai 2011 commentant les recommandations du Comité d'inspection professionnelle.

[17]         La lettre des avocats de l'intimé inclut l'opinion d'un expert indépendant, le Dr Beaudoin, obstétricien-gynécologue et chef du service de gynécologie de l'hôpital Ste-justine. Il appert de cette lettre et de ce rapport que le Dr Beaudoin est en désaccord avec plusieurs des reproches énumérés par le Dr Ouellet dans le rapport qui forme l'assise de la recommandation du Comité d'inspection professionnelle. Il est acquis au débat que ni le Dr Ouellet ni le Comité d'inspection professionnelle n'ont vu ou commenté l'opinion du Dr Beaudoin avant la décision contestée du Comité exécutif.

[18]         Lors de sa séance du 26 mai 2011, le Comité exécutif entend les représentations de l'intimé et de ses avocats. Le même jour, il rend sa décision qui se compose de 22 attendus suivis de sa résolution. Il convient d'en reproduire l'intégralité pour bien saisir la teneur des griefs de l'intimé :

CE -11-149

·          Docteur Robert PILORGÉ (72613)

ATTENDU QUE la compétence du docteur Robert Pilorgé (72613) a été évaluée lors d'une visite d'inspection professionnelle réalisée avec la collaboration d'un médecin expert en obstétrique et gynécologie;

ATTENDU QUE la visite d'inspection a mis en évidence des déficiences dans la tenue du cabinet du docteur Pilorgé;

ATTENDU QUE la visite d'inspection a mis en évidence des déficiences dans la lisibilité et la tenue des dossiers du docteur Pilorgé;

ATTENDU QUE la visite d'inspection a mis en évidence des déficiences dans la qualité de l'exercice du docteur Pilorgé à l'investigation clinique et paraclinique et au traitement et suivi;

ATTENDU QUE la visite d'inspection n'a pas permis l'évaluation de la justesse du diagnostic dû à la pauvreté des informations au dossier;

ATTENDU QUE le comité d'inspection professionnelle a pris connaissance du rapport d'évaluation de l'exercice professionnel du docteur Pilorgé (CIP-11-01-42), compte tenu de ses fonctions édictées aux articles 112 et 113 du Code des professions et du Règlement sur le comité d'inspection professionnelle du Collège des médecins du Québec , et a résolu:

1)     d'accepter le rapport et de faire parvenir au docteur Robert Pilorgé (72613) la liste des problèmes identifiés;

2)     d'informer ce médecin de l'intention du comité de recommander au comité exécutif l'imposition de la réussite d'un stage de perfectionnement en gynécologie de cabinet de trois (3) mois à temps plein et un mois en suivi obstétrical ou jusqu'à l'atteinte des objectifs, avec limitation de l'exercice aux seuls actes nécessaires à la poursuite du stage;

3)     d'informer ce médecin qu'il peut faire parvenir ses observations écrites au secrétaire du comité d'inspection une semaine avant la réunion du 18 février 2011;

4)     d'organiser une rencontre avec le secrétaire du comité, un membre de la Direction de l'amélioration de l'exercice (DAE) et le médecin précité afin de l'informer des motifs à l'appui des décisions du comité;

5)     de prévoir une visite de contrôle six mois après la réussite du stage avec la collaboration d'un médecin expert en obstétrique et gynécologie;

ATTENDU QUE le docteur Robert Pilorgé (72613), accompagné de son procureur, Me Simon Chamberland, lors de la rencontre du 9 février 2011 avec le secrétaire du CIP et un membre de la Direction de l'amélioration de l'exercice, a été informé de l'intention du comité d'inspection de recommander au comité exécutif de lui imposer la réussite d'un stage de perfectionnement en gynécologie médicale de trois (3) mois à temps plein et un mois en suivi obstétrical, avec limitation de son exercice, et de la possibilité de présenter ses observations écrites à la réunion du comité d'inspection professionnelle du 18 février 2011;

ATTENDU QUE le docteur Pilorgé a présenté ses observations écrites au comité;

ATTENDU QUE le docteur Pilorgé a fait l'objet d'une visite d'inspection professionnelle le 23 mars 1999;

ATTENDU QU'à la suite de cette visite le docteur Pilorgé a confirmé avoir pris note des recommandations, notamment en tenue des dossiers et qu'il s'efforcerait de corriger les lacunes observées;

ATTENDU QUE le syndic soulignait, le 8 mai 2002, les lacunes en tenue des dossier dans sa conclusion d'une plainte envers le docteur Pilorgé;

ATTENDU QUE le docteur Pilorgé a participé à l'atelier sur la tenue des dossiers le 7 mai 2008;

ATTENDU QUE le syndic soulignait, le 15 avril 2009, les lacunes en tenue des dossiers dans sa conclusion d'une plainte envers le docteur Pilorgé;

ATTENDU QUE le syndic soulignait, le 29 juillet 2010, les lacunes dans le suivi d'examens complémentaires dans sa conclusion d'une plainte envers le docteur Pilorgé;

ATTENDU QUE le procureur du docteur Pilorgé reconnaît que sa tenue de dossier ne l'assiste pas au niveau de l'évaluation de ses compétences;

ATTENDU QUE la très grande majorité des lacunes observées lors de la visite d'inspection touchent des consultations des deux dernières années;

ATTENDU QUE le comité d'inspection professionnel reste très inquiet pour plusieurs consultations où la conduite du docteur Pilorgé a été jugée non sécuritaire;

ATTENDU les représentations écrites du 20 mai 2010 (sic) du docteur Robert Pilorgé transmises au comité exécutif;

ATTENDU les représentations du docteur Pilorgé, effectuées le 26 mai 2011, lors de la séance du comité exécutif, ainsi que celles de son conseiller juridique, maître David E. Platts;

ATTENDU QUE le comité exécutif doit, dans le présent dossier, et ce, à l'instar de l'étude de tous les autres dossiers lui étant soumis, exercer son pouvoir discrétionnaire fondé sur la recommandation lui étant soumise;

ATTENDU QUE le comité exécutif estime la présente décision raisonnable et conforme aux dispositions législatives applicables;

ATTENDU le mandat du Collège des médecins du Québec, édicté à l'article 23 du Code des professions , à savoir la protection du public;

Il est résolu,

CE-11-149    d'imposer au docteur Robert Pilorgé (72613) la réussite d'un stage de perfectionnement à temps plein de trois (3) mois en gynécologie médicale et de un (1) mois en suivi obstétrical, ou jusqu'à l'atteinte des objectifs, sans limitation de l'exercice.

Le secrétaire adjoint,

Christian Gauvin, avocat

L'ANALYSE

[19]         Les appelants font valoir que cette décision est adéquatement motivée et suffisamment justifiée, transparente et intelligible pour l'intimé. Selon eux, le juge a erré en l'annulant. Je suis d'avis qu'ils ont tort.

[20]         L'essentiel de la position exprimée par l'intimé devant le Comité exécutif se retrouve à la lettre de ses avocats du 20 mai 2011 et au rapport du Dr Beaudoin qui y est joint. Or, seuls deux « attendus » laconiques de la décision y réfèrent, et ce, en des termes qui se bornent à énoncer que le comité en a pris connaissance, sans faire part de son analyse ou de ce qu'il en retient.

[21]         Comme le souligne le premier juge, la décision est muette sur les raisons pour lesquelles les arguments de fond soumis par l'intimé sont écartés. De fait, la décision se limite à dresser une chronologie des faits, rencontres, visites et représentations du processus. Bien qu'elle comporte 22 attendus répartis sur deux pages, on n'y retrouve aucune analyse. Il n'y a aucune indication d'un minimum de réflexion intellectuelle indépendante. Le Comité exécutif semble avoir avalisé la recommandation du Comité d'inspection professionnelle, sans plus. Au premier chef, la décision n'explique pas comment elle résout les conclusions divergentes sur plusieurs aspects entre le rapport du Dr Ouellet, à la source de la recommandation du Comité d'inspection professionnelle, et l'opinion subséquente de l'expert de l'intimé.

[22]         Contrairement à ce qu'affirment les appelants, le premier juge ne pouvait présumer que les arguments soulevés devant le Comité exécutif avaient été dûment soupesés et considérés. En effet, les motifs de la décision ne lui permettaient pas de l'inférer ni d'en apprécier l'étendue.

[23]         En concluant comme il l'a fait, le juge a correctement appliqué les enseignements de la Cour dans deux arrêts récents [2] . À la décharge du Comité exécutif, la Cour a rendu ces arrêts après sa décision du 26 mai 2011.

[24]         Dans un premier arrêt, Comité exécutif de l'Ordre des ingénieurs du Québec c. Roy [3] [ Roy ], la Cour souligne qu'un comité exécutif siégeant en matière de compétence professionnelle exerce un pouvoir administratif soumis à un devoir d'équité procédurale. Partant, son obligation de motiver une décision lui impose de livrer, ne serait-ce que succinctement, des raisons intelligibles au soutien de la conclusion tirée [4] . Selon cet arrêt, cela est particulièrement vrai lorsque la décision comporte des conséquences sérieuses pour le professionnel, telles que l'imposition de mesures de mise à niveau de sa compétence. Dans un tel cas, le décideur doit expliquer son point de vue, entre autres sur les arguments de fond que soulève le professionnel.

[25]         Dans cet arrêt, le juge Morissette rappelle au nom de la Cour que, par la sévérité de ses conséquences, une décision comme celle rendue en l'espèce requiert plus que quelques attendus sous forme de pétitions de principe. Le professionnel est en droit de savoir pourquoi il doit réformer en profondeur ses façons de faire et se soumettre en conséquence à des cours de perfectionnement [5] .

[26]         Dans un second arrêt, Mastrocola c. Autorité des marchés financiers [6] [ Mastrocola ], la juge Bich, toujours au nom de la Cour, considère minimaliste une décision qui se limite à certains considérants généraux, sans énoncer les raisons expliquant pourquoi le décideur n'a pas retenu les observations présentées par le professionnel visé, ni les raisons justifiant le choix d'imposer la mesure choisie [7] . Dans cet arrêt, la juge Bich reproche à l'intimée de n'avoir que renvoyé sommairement à l'existence des observations du professionnel, sans en dire plus. Elle souligne que l'on ne peut, de ce fait, connaître les raisons du scepticisme présumé à son endroit. La décision ne permet pas de comprendre en quoi la version fournie par le professionnel est insatisfaisante. Bref, on ne comprend pas le pourquoi de la décision.

[27]         Ces enseignements se transposent en l'espèce.

[28]         Malgré le fait que le Comité exécutif impose à l'intimé une sanction importante qui affecte de façon significative sa vie professionnelle, la décision ne comporte pas d'analyse ni ne fournit quelque explication permettant de saisir en quoi, par exemple, l'opinion du Dr Beaudoin, contraire sur plusieurs points essentiels au rapport sur lequel s'est appuyé le Comité d'inspection professionnelle, est écartée.

[29]         À cet égard, l'assertion des appelants voulant que le Comité exécutif aurait bien considéré le rapport du Dr Beaudoin ne suffit pas.  Même si c'était le cas,  la lecture de la décision ne permet pas de savoir en quoi. Le seul renvoi à la lettre ou aux représentations de l'avocat de l'intimé est insuffisant à ce chapitre. La mention voulant que le Comité d'inspection professionnelle « reste inquiet » dans les circonstances réfère à une inquiétude qui n'est pas celle du Comité exécutif. L'on sait que ce comité d'inspection n'a pas vu le rapport du Dr Beaudoin.

[30]         Devant ce constat, il importe peu que l'intimé ait fait valoir qu'un stage de perfectionnement à temps partiel de deux mois eût été suffisant dans les circonstances. En l'absence de motivation de la décision du Comité exécutif, l'on ignore la considération, le cas échéant, donnée à cette représentation.

[31]         À tous égards, cette suggestion de l'intimé est sensiblement différente de la sanction imposée par le Comité exécutif. Dans un cas, il s'agit de l'imposition d'un stage de perfectionnement à temps plein de quatre mois, ce qui, à l'évidence, constitue une limite importante à l'exercice de la profession. Dans l'autre, il s'agit d'une recommandation d'un stage de perfectionnement de deux mois à temps partiel, à raison de 2½ jours par semaine. Bref, d'une mesure sensiblement moins contraignante que celle imposée et qui ne constitue pas une limite aussi draconienne à l'exercice de la profession de l'intimé.

[32]         À l'audience, l'avocat des appelants plaide que la conclusion du Comité exécutif sur la sanction imposée constitue un résultat raisonnable en l'espèce. Par conséquent, selon lui, ce résultat pallie la déficience ou le laconisme des motifs. À l'appui, il insiste sur les enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor) [8] .

[33]         J'estime que cet arrêt n'est d'aucun secours aux appelants en l'espèce. En premier lieu, l'avocat des appelants lit dans cet arrêt plus que ce qu'il n'énonce.  En second lieu, sa proposition mène, à la limite, à un résultat absurde.

[34]         Il est vrai que, dans cet arrêt, la Cour suprême indique que l'insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision et que les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat (paragr. [14]). Toutefois, la Cour précise entre autres que « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal […] » (paragr. [16]). Elle réitère en outre qu'en l'absence de motifs dans des circonstances où ils s'imposent, il y a un manquement à une obligation d'équité procédurale, ce qui constitue une erreur de droit (paragr. [22]).

[35]         Or, c'est précisément la situation dans le présent dossier. Les motifs fournis ne permettent pas de comprendre le fondement de la décision, alors que les circonstances imposaient d'expliquer pourquoi les représentations formulées par l'intimé n'étaient pas retenues. Par conséquent, sans motifs adéquats, l'on ne peut savoir si la décision ultime est, de fait, raisonnable.

[36]         De même, si l'on s'en tient à la proposition qu'avancent les appelants, il suffirait que le Comité exécutif dise simplement « Vu la preuve et les arguments, il est résolu d'imposer […] » pour qu'un résultat par ailleurs raisonnable pallie le laconisme déficient des motifs qui le sous-tendent.

[37]         Je ne crois pas que ce soient là les enseignements de la Cour suprême sur le sujet. À l'évidence, il faut généralement plus pour justifier un résultat, tout aussi raisonnable qu'il soit.

[38]         Cela dit, si le juge a eu raison d'annuler la décision du Comité exécutif pour manquement au devoir d'agir équitablement, les reproches des appelants au reste du dispositif du jugement entrepris sont par contre justifiés.

[39]         Les conclusions du juge sur le renvoi du dossier au Comité d'inspection professionnelle et sur l'étude de celui-ci par un comité exécutif composé de membres différents  commandent, selon moi, une intervention de la Cour.

[40]         D'une part, seule la décision du Comité exécutif est visée par la requête en révision judiciaire de l'intimé. La recommandation du Comité d'inspection professionnelle ne l'est pas.

[41]         Que le dossier soit retourné au Comité exécutif afin qu'il réexamine la question et motive adéquatement sa décision, cela se justifie en raison de la motivation lacunaire de sa décision. Par contre, cela n'exige pas que le Comité d'inspection professionnelle refasse son exercice. Cela commande plutôt que le Comité exécutif fournisse la motivation requise à sa décision pour que l'intimé comprenne l'analyse faite des représentations de son avocat et de l'expertise du Dr Beaudoin.

[42]         Le cas échéant, il appartiendra au Comité exécutif de déterminer s'il y a lieu de renvoyer la question au Comité d'inspection professionnelle pour un complément d'analyse. Cela relève toutefois de l'exercice de sa compétence par le Comité exécutif. Le juge de première instance n'avait pas à s'y immiscer.

[43]         Dans l'arrêt Roy auquel l'intimé réfère abondamment, la Cour a simplement ordonné le renvoi du dossier au comité exécutif de l'Ordre des ingénieurs du Québec afin qu'il motive sa décision. Dans l'arrêt Mastrocola , la Cour a renvoyé le dossier à l'intimé pour que soit repris le processus décisionnel relatif à la demande. Dans aucun cas, le renvoi du dossier ne s'est fait à une entité autre que celle faisant l'objet de la révision judiciaire demandée. De fait, l'on constate que la lettre des avocats de l'intimé du 20 mai 2011 ne contient aucune demande de cette nature.

[44]         Ici, en l'absence de notes sténographiques de l'audience du 26 mai 2011 devant le Comité exécutif [9] , et vu le délai écoulé depuis, une ordonnance semblable à celle retenue dans l'arrêt Mastrocola apparaît appropriée. Le dossier doit être retourné au Comité exécutif pour qu'il reprenne son processus décisionnel.

[45]         D'autre part, dans sa requête en révision judiciaire, l'intimé ne fait état d'aucun élément ni ne soulève quelque problématique qui justifierait que la question soit réévaluée par un comité exécutif composé de membres différents.

[46]         Le reproche fait à la décision du 26 mai 2011 n'en est pas un de partialité ou de violation des règles de justice naturelle autre que la seule question du défaut de motivation adéquate. Ce reproche ne justifie pas que l'affaire soit retournée à d'autres décideurs, alors que l'intimé n'allègue ni ne démontre un manque d'impartialité ou d'indépendance du Comité exécutif à son endroit.

[47]         De toute manière, comme le notent avec à-propos les appelants, certains des membres du Comité exécutif du Collège des médecins y sont nommés d'office. Il ne s'agit pas d'un comité dont les membres varient selon la décision à être rendue.

[48]         Somme toute, rien ne justifiait le premier juge d'ordonner le renvoi devant un comité exécutif composé de membres différents. En première instance, la conclusion de la requête en révision judiciaire se bornait d'ailleurs à demander l'annulation de la décision du Comité exécutif du 26 mai 2011, sans plus.

[49]         Je propose donc d'accueillir l'appel pour partie seulement, sans frais, et d'infirmer le jugement de première instance à la seule fin de modifier les paragraphes [62] et [63] pour plutôt renvoyer le dossier au Comité exécutif du Collège des médecins afin que soit repris le processus décisionnel concernant la recommandation du Comité d'inspection professionnelle relative à l'intimé.

 

 

 

CLÉMENT GASCON, J.C.A.

 



[1]     Pilorgé c. Comité exécutif du Collège des médecins , 2012 QCCS 1075 .

[2]     Voir les paragraphes [36] à [41], [48], [52] et [53] du jugement entrepris.

[3]     [ 2011] R.J.Q. 1700 (C.A.), 2011 QCCA 1707 .

[4]     Ibid. , paragr. [87].

[5]      Ibid., paragr. [88].

[6]     J.E. 2011-1003 (C.A.), 2011 QCCA 995 .

[7]     Ibid. , paragr. [21] et [22}

[8]     [2011] 3 R.C.S. 708 , 2011 CSC 62 .

[9]      Contrairement à la situation qui prévalait, par exemple, dans l'arrêt Roy .