COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division de la construction et de la qualification professionnelle)

 

Dossier :

101224

Cas :

CM-2012-5750

 

Référence :

2013 QCCRT 0222

 

Montréal, le

9 mai 2013

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Sophie Mireault, juge administrative

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Sylvain Gerbeau

 

Requérant

c.

 

Commission de la construction du Québec

Intimée

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 16 novembre 2012, Sylvain Gerbeau exerce un recours auprès de la  Commission à l’encontre d’une décision de la Commission de la construction du Québec (la CCQ ) rendue le 5 novembre 2012.

[2]            Par sa décision, la CCQ lui refuse l’admission à l’examen de qualification du métier de charpentier-menuisier au motif que :

Veuillez nous fournir pour les donneurs d’ouvrages suivants une lettre indiquant les tâches effectuées dans le cadre de votre travail ainsi que le secteur d’activité où les travaux ont été fait (résidentiel neuf ou occupé, commercial, industriel, etc.) R.A. Renov Action. 

(Reproduit tel quel)

[3]            Le 7 janvier 2013, la CCQ avise qu’elle ne sera pas présente à l’audience et elle fait parvenir ses prétentions par écrit.

LES FAITS

[4]            Au soutien de sa demande, Sylvain Gerbeau dépose les documents suivants tels que décrits à la lettre du 7 janvier 2013 de la CCQ :

·          Déclaration de revenus pour les années 2007, 2008, 2010 et 2011;

·          Factures à la compagnie R.A. Renov-Action inc. pour les années 2007, 2008, 2010 et 2011 par la compagnie Sylvain Gerbeau pour des services de menuiserie générale;

·          Formulaires remplis par monsieur Gerbeau pour la compagnie R.A. Renov-Action inc. : description des tâches (majoritairement décrit par : « genéral work ») et heures effectuées (années 2008, 2010 et 2011).

(Reproduit tel quel)   

[5]            Au cours de l’audience, Sylvain Gerbeau déclare qu’il a travaillé à titre de charpentier-menuisier, 40 heures par semaine, pendant plusieurs années, à l’Hôpital général juif de Montréal. Il travaillait alors pour R.A. Rénov-Action inc. qui exigeait qu’il lui fournisse des factures. À l’hôpital, il recevait ses ordres du chargé de projet, Jeffrey Field, ou d’autres ingénieurs et il «  dispatchait  » le travail aux membres de son équipe. Roberto Astorga Araya faisait partie de son équipe et Sylvain Gerbeau lui confiait des travaux de peinture.

[6]            Il explique qu’il effectuait notamment des travaux de démolition, d’érection de murs, d’installation de comptoirs et de portes, etc. L’hôpital a refait des étages et remis à neuf des départements. Il a participé à ces travaux.

[7]            Roberto Astorga Araya, engagé à titre de peintre pour R.A. Rénov-Action inc., a vu Sylvian Gerbeau effectuer des travaux à titre de charpentier-menuisier pendant quatre ans. Malgré le fait que Sylvain Gerbeau gérait une équipe, il l’a vu lui-même, notamment, installer des portes en métal, refaire des encadrements, ériger des murs et construire des planchers. Selon lui, il a fait facilement au-delà de 6 000 heures à titre de charpentier menuisier.      

[8]            Frédéric Pesant a travaillé pour diverses compagnies chapeautées par R.A. Rénov-Action inc. Il a travaillé à l’Hôpital général juif et il y effectuait des travaux à titre de charpentier-menuisier. Il a travaillé à quelques reprises avec Sylvain Gerbeau et il déclare qu’il effectuait le même type de travail.  

les prétentions

[9]            Quant au motif de la CCQ dans sa décision du 5 novembre 2012, Sylvain Gerbeau déclare que R.A. Rénov-Action inc. ne veut pas fournir de lettre à la CCQ parce que son dirigeant ne veut pas s’incriminer. Il soutient que les documents qu’il a déposés démontrent qu’il a effectué les 6 000 heures requises par la réglementation pour être admis à l’examen de qualification.

[10]         Il soumet qu’il a perdu son travail parce qu’il ne détenait pas de certificat de compétence, mais que d’un autre côté, il ne peut obtenir son certificat parce qu’il ne peut pas faire de travaux de construction. Son employeur, R.A. Rénov-Action inc., s’est fait prendre par la CCQ. Il n’a jamais reçu de document lui expliquant la raison pour laquelle il ne travaillait plus.

[11]         Dans sa lettre du 7 janvier 2013, la CCQ écrit :

(...)

Les informations fournies ne nous permettent pas d’évaluer si monsieur a exercé l’ensemble des tâches effectuées par un charpentier-menuisier pendant le nombre d’heures requis. Le terme de menuiserie générale n’est pas suffisant à notre évaluation.

De plus, sur le formulaire de demande d’admission, monsieur écrit qu’il a exercé le métier de charpentier-menuisier dans le secteur institutionnel.

À cet effet, le règlement sur la formation professionnelle de l’industrie de la construction découle de la loi R-20, les heures travaillées reconnues doivent être en règle avec la loi (L.R.Q., c. R-20). Selon l’article 119.1 alinéa 1, commet une infraction :

« quiconque exécute lui-même des travaux de construction sans être titulaire soit d'un certificat de compétence-compagnon, soit d'un certificat de compétence-occupation, soit d'un certificat de compétence-apprenti, délivré par la Commission, ou sans bénéficier d'une exemption ou sans avoir en sa possession ce certificat ou une preuve d'exemption »


Nous ne pourrions reconnaître des heures que le demandeur n’avait pas le droit de comptabiliser. On ne peut tenter de déjouer les règles tout en voulant s’y intégrer.

En conclusion, les 6000 heures de travail requises aux fins de l’admission à l’examen de qualification du métier de charpentier-menuisier sont manquantes. 

LES MOTIFS

[12]         L’article 27 du Règlement sur la formation professionnelle de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, RLRQ, c. R-20, r.8. (le Règlement r.8 ) édicte :

27. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission dans la mise en application du présent règlement, peut en interjeter appel par écrit devant la Commission des relations du travail, dont la décision est finale.

[13]        Selon le paragraphe 3° de l’article 4 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction , RLRQ, c. R-20 (la Loi R-20 ), la CCQ a, notamment, pour fonction de s’assurer de la compétence de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction. Le paragraphe 5° de l’article 123.1 de la Loi R-20 permet à la CCQ de déterminer par règlement les conditions d’admission à l’apprentissage et aux examens pour l’exercice d’un métier.

[14]         Les conditions pour être admissible à l'examen de qualification d'un métier sont prévues au Règlement r.8. Son article 5 édicte ce qui suit :

5. Est admissible à l'examen de qualification :

1° l'apprenti qui a complété son apprentissage conformément au présent règlement, compte tenu des crédits de formation applicables et des heures d'exercice visées à l'article 15;

la personne qui démontre au moyen de pièces justificatives, qu'elle a exercé un métier ou une spécialité et a acquis une expérience en heures de travail et, s'il y a lieu, en crédits de formation applicables, au moins égale au nombre de périodes prévu à l'annexe B ;

(…)

(Soulignement ajouté)

[15]         L’annexe B du Règlement r.8 indique que la période d’apprentissage du métier de charpentier-menuisier est d’une durée de 6 000 heures.

[16]         La définition du métier de charpentier-menuisier apparaît à l’article 1 de l’annexe A de ce règlement et se lit comme suit :

1. Charpentier-menuisier : Le terme « charpentier-menuisier » désigne toute personne qui exécute des travaux de charpente de bois, des travaux de menuiserie, des travaux d'assemblage, d'érection et de réparation des pièces de bois ou de métal, telles que :

a) les coffrages à béton incluant les coffrages pour empattements, murs, piliers, colonnes, poutres, dalles, escaliers, chaussées, trottoirs et bordures sur le sol et les dispositifs de rétention des coffrages;

b) les moustiquaires, cadres de portes et de châssis, portes, fenêtres, seuils, coupe-froid, murs-rideaux et déclins de bois, d'aluminium ou autre composition;

c) les cloisons métalliques;

d) les bardeaux, la tôle non soudée et non agrafée qui s'y rapporte, les tuiles de grès;

e) les isolants en nattes, en rouleaux ou en panneaux fixés à l'aide de clous, d'agrafes ou de colle;

f) les panneaux muraux;

g) les lattis de bois ou d'autre composition;

h) les colombages (tournisses) d'acier;

i) le clouage des coins de fer et des moulures métalliques;

j) les armoires, comptoirs et tablettes amovibles ou fixes incluant l'applicage de feuilles de plastique lamellé ou autre revêtement analogue;

k) le carrelage acoustique, y compris les moulures;

l) les allées de quilles et leurs accessoires;

m) les parquets incluant le ponçage et la finition;

n) le gazon synthétique;

o) la mise en place, le levage et la manutention des pièces suivantes: palplanches en acier, pieux d'étançonnement, moises, entretoises, étrésillons, pieux de support et étais temporaires en acier ou en bois de charpente lourd enfoncé dans le sol.

[17]         Pour être admissible à l’examen de qualification du métier de charpentier-menuisier, Sylvain Gerbeau devait démontrer à la CCQ qu’il a exercé ce métier et qu’il a acquis une expérience en heures de travail et, s’il y a lieu, en crédits de formation d’au moins 6 000 heures.  

l’exercice du métier et le nombre d’heures

[18]         Dans sa lettre du 7 janvier 2013, la CCQ écrit :

Les informations fournies ne nous permettent pas d’évaluer si monsieur a exercé l’ensemble des tâches effectuées par un charpentier-menuisier pendant le nombre d’heures requis. Le terme de menuiserie générale n’est pas suffisant à notre évaluation.

[19]         La jurisprudence constante de la Commission reconnaît que l’exercice d’une partie des tâches d’un métier suffit aux fins de l’admission à l’examen de qualification.

[20]         Sylvain Gerbeau a déposé ses déclarations de revenus, des factures et des formulaires qu’il a remplis pour R.A. Rénov-Action inc .   pour les années 2007, 2008, 2010 et 2011 qui corroborent le fait qu’il a effectué des travaux à titre de charpentier menuisier durant ces années. Il a expliqué le fonctionnement de l’entreprise pour laquelle il travaillait, décrit les travaux qu’il effectuait et déclaré qu’il a exercé le métier de charpentier-menuisier durant toutes ces années. Sylvain Gerbeau déclare qu’il a travaillé 40 heures par semaine de 2007 à 2011.

[21]         Roberto Astorga Araya et Frédéric Pesant ont corroboré son témoignage. Cette preuve n’est pas contredite.

[22]         Sur de nombreuses factures, déposées par Sylvain Gerbeau, il est inscrit  «  menuiserie générale  » et sur les formulaires, il est écrit «  general work  ».  Ces inscriptions ne viennent pas contredire les témoignages entendus.

[23]         La prépondérance de la preuve milite en faveur du fait qu’il a effectué majoritairement des travaux à titre de charpentier menuisier et qu’il a cumulé les 6 000 heures requises par la réglementation pour être admissible à l’examen de charpentier-menuisier. 

 les travaux assujettis à la Loi R-20

[24]         Dans sa lettre du 7 janvier 2013, la CCQ soutient qu’elle ne peut reconnaître les heures effectuées dans le secteur institutionnel parce que les travaux exécutés dans ce secteur sont assujettis à la Loi R-20 et aucun rapport mensuel n’a été produit à la CCQ.

 

[25]         En vertu de l’article 11 du Règlement sur le registre, le rapport mensuel, les avis des employeurs et la désignation d’un représentant , RLRQ, c. R-20, r. 11, l’obligation de déclarer dans un rapport mensuel les heures travaillées à la CCQ relève de l’employeur et non du salarié.

[26]         En refusant de reconnaître les heures assujetties à la Loi R-20 pour l’admission à l’examen de qualification, la CCQ ajoute des conditions aux exigences réglementaires.

[27]         Une abondante jurisprudence de la Commission a déterminé que pour être admis à l’examen de qualification d’un métier, la personne doit uniquement démontrer qu’elle a exercé le métier et qu’elle a acquis une expérience en heures de travail et, s’il y a lieu, en crédits de formation applicables, au moins égale au nombre de périodes prévu à l’annexe B du Règlement r.8 (voir, notamment, Mathieu Paré c. Commission de la construction du Québec , 2013 QCCRT 0042 ).

[28]          Dans sa lettre du 8 février 2013, la CCQ réfère au paragraphe 1° de l’article 119.1 de la Loi R-20 selon lequel une personne commet une infraction et est passible d’une amende lorsqu’elle exécute des travaux de construction sans être titulaire d'un certificat de compétence.

[29]         À ce sujet, notons qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le fait qu’une plainte pénale puisse être déposée contre une personne qui exerce un métier réglementé sans être détenteur d’un certificat de compétence et le fait que lui soit reconnue l’expérience acquise aux fins de l’admission à l’examen de qualification. La plainte pénale cherche à punir un geste fautif alors que l’exercice de reconnaissance de l’expérience acquise cherche à permettre à une personne de travailler en toute légalité ou de déterminer ce qu’il lui reste à faire pour exercer le métier en conformité avec la réglementation (voir, notamment, A.S. c. Commission de la construction du Québec, 2013 QCCRT 0137 ).

[30]         Les pièces justificatives déposées à la CCQ en plus des témoignages établissent que Sylvain Gerbeau  a effectué au-delà des 6 000 heures requises pour être admis à l’examen du métier de charpentier-menuisier. 

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                   le recours;

ORDONNE                    à la Commission de la construction du Québec d’admettre Sylvain Gerbeau à l’examen de qualification du métier de charpentier-menuisier.

 

 

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Sophie Mireault

 

 

M me Kathy Nadeau

Représentante de l’intimée

 

 

Date de l’audience :

11 février 2013

/sc