CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC                                    TRIBUNAL D'ARBITRAGE

                                                                                 

N o de dépôt : 2013-4665

Griefs n° 2013-01

                                                                                 

DEVANT :

 

Me JEAN-PIERRE VILLAGGI

ARBITRE

 

                                                         

 

 

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SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 4979

 

                                                                      

Ci-après «le Syndicat»

 

 

et

 

 

MUNICIPALITÉ DE LA PAROISSE DE SAINT-CÔME

 

 

Ci-après «l'Employeur»

 

 

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Procureur du Syndicat : Me Normand Léonard

Procureur de l'Employeur : Me Raynald Mercille

 

 

 

 

 

DÉCISION ARBITRALE

( Code du travail , L.R.Q., c. C-27)

 

 

Préalable et Conférence préparatoire

 

[1] Le 10 janvier 2013, le Syndicat déposait un grief (pièce S-1). On y lit : « Nous contestons la décision de la Municipalité de St-Côme à l'effet de la lettre de décembre 2012 qui met un terme à l'emploi à titre de mécanicien-opérateur de Monsieur Venne et qui stipule une  acceptation de ce dernier à cette décision. Cette mesure est non conforme à l'esprit de la convention collective». En conséquence, le Syndicat demandait que « soit retiré cette lettre de démission y rétablir l'ancienneté de l'employé, le tout sans perte de droits et avantages que nous accorde la convention collective ».

 

[2] Ce grief  faisait suite à une lettre datée du 6 décembre 2012. Elle s’adresse à Patrice Venne (pièce S-4) : « Pour donner à votre décision de quitter le poste de mécanicien et de votre nouvelle embauche à titre d'opérateur-déneigeur avec l'équipe de déneigement qui a débuté le 15 novembre dernier jusqu'au 15 avril 2013, je vous informe qu’en date d'aujourd'hui je prends en considération la fin de votre période d'essai. Je vous souligne que ces dispositions sont conformes à l'article 19.03 du présent contrat de travail des employés de la municipalité de la Paroisse de St-Côme.» Cette lettre est signée par Alice Riopel, directrice générale.

 

[3] Le soussigné a été nommé par les parties pour agir comme arbitre. L'audience du grief a été fixée au jeudi 4 avril 2013.

 

[4] Le jeudi 4 avril 2013, une conférence préparatoire a été tenue. Les parties se sont entendues sur l'objet du grief et la preuve à être faite. Pour l'essentiel, la prétention du Syndicat est que l'Employeur a agi de mauvaise foi et que, ce faisant, la décision mentionnée dans la lettre du 6 décembre 2012 (pièce S-4) doit être révisée. En conséquence, Patrice Venne doit se voir reconnaître le droit de récupérer l’emploi de mécanicien-opérateur à l’expiration de son contrat saisonnier d’opérateur-déneigeur. Au contraire, l'Employeur prétend avoir respecté intégralement les dispositions de la convention collective en vigueur et n'avoir agi de quelque façon qui permettrait de remettre en cause la décision (pièce S-4) qui fut communiquée à Patrice Venne.

 

[5] Les parties ont produit de consentement les pièces suivantes :

 

- Pièce S-1 : Le grief du 10 janvier 2013 ;

- Pièce S-2 : La convention collective en vigueur ;

- Pièce S-3 : La lettre d’entente du 30 octobre 2012 qui modifie la convention collective ;

- Pièce S-4 : La lettre datée du 6 décembre 2012 avisant Patrice Venne de son embauche à titre d’opérateur-déneigeur ;

- Pièce S-5 : Le relevé de paie  de Patrice Venne daté du 12 décembre 2012.

 

 

Preuve du Syndicat

 

 

Serge Mc Cabe, secrétaire trésorier du Syndicat

 

[6] Serge Mc Cabe est secrétaire trésorier du Syndicat. À ce titre, il participe aux réunions du comité des relations de travail (ci-après : «CRT»). En septembre 2012, un poste saisonnier d’opérateur-déneigeur a été affiché. Patrice Venne qui occupait le poste de mécanicien-opérateur entendait appliquer. Le 27 septembre 2012, le CRT s'est réuni et a notamment abordé la question du statut de Patrice Venne. [L’Employeur s’est opposé à ce que Serge Mc Cabe fasse état des propos tenus lors du Comité des relations de travail du 27 septembre 2012. Cette objection a été prise sous réserve. Il en sera disposé lors de l’analyse]. La question de savoir si Patrice Venne pourrait revenir à son poste de mécanicien-opérateur aux termes d’un contrat saisonnier, soit le 15 avril 2013, fut donc discutée. Il soutient que le Syndicat est demeuré dans l’attente d’obtenir une réponse à cette question.

 

[7] Serge Mc Cabe produit les notes personnelles qu’il a prises à cette occasion (pièce S-6).

 

[8] En contre-interrogatoire, Serge Mc Cabe soutient que, dans le passé, une personne pouvait occuper un poste de déneigeur et revenir par la suite au poste qu’elle détenait. Dans son esprit, la municipalité changeait cette règle. Il rappelle qu'il avait entendu dire que la Municipalité ne voulait pas que Patrice Venne revienne à son poste. Appelé à préciser cette assertion, Serge Mc Cabe souligne que c'est au cours d’une rencontre tenue le 26 septembre 2012 que Louise Sisla Héroux, directrice générale adjointe de la Municipalité, lui a fait cette affirmation. Elle aurait souligné que Patrice Venne pouvait « aller sur la neige » mais qu’il ne pourrait revenir par la suite à son emploi de mécanicien-opérateur. Patrice Venne et Alice Riopel, directrice générale, étaient aussi présents lors de cette rencontre. Il admet que sur cette question la municipalité avait une position qui était claire. Ce n'était pas cependant celle que soutenait le Syndicat. Il affirme aussi qu'il fut convenu que la question serait abordée lors de la rencontre du CRT du 27 septembre 2012.

 

[9] Serge Mc Cabe confirme que les propos que l'on retrouve à la page 2 de ses notes (pièce S-6) représentent bien la position que chaque partie a soutenue lors de la réunion du CRT du 27 septembre. La position du Syndicat est que (transcription intégrale): « toute personne qui sont journaliers opérateurs peut pour déneigeur et revenir à son emploi après ». Par ailleurs, la position de l'employeur, tel que transcrite par Serge Mc Cabe, est que « le conseil peut afficher ou fermer le poste après le 15 novembre - conseil décide.» Ce sont les seules notes sur la question en cause.

 

[10] En réinterrogatoire, le témoin affirme que, lors de la réunion du CRT du 27 septembre 2012, Louise Sisla Héroux a souligné que l'on pouvait «revenir ».

 

Patrice Venne, plaignant

 

[11] Patrice Venne occupe actuellement un emploi saisonnier d'opérateur-déneigeur pour la municipalité de St-Côme. Il est à l'emploi de la Municipalité depuis le mois de mars 2011. À cette époque, il occupait un emploi de mécanicien dans une entreprise privée. Il fut approché par un conseiller municipal, Alain Bordeleau, qui voulait sonder son intérêt à venir travailler pour la Municipalité comme mécanicien. Il a subséquemment appliqué et sa candidature fut retenue.

 

[12] Au cours de l'été 2012, un employé de la ville, Dominique Morin, lui a parlé de la possibilité qu'un poste de déneigeur s’ouvre au cours de la saison à venir. Il a manifesté son intérêt auprès de son contremaître,  Ghislain Langlois. Ce dernier lui a mentionné que pour devenir déneigeur, il devait laisser son emploi de mécanicien.

 

[13] Le poste de déneigeur a été subséquemment affiché et il a postulé. Il souligne qu'il n'a pas consulté le Syndicat avant de déposer sa candidature.

 

[14] Le 26 septembre 2012, il a été convoqué à la Municipalité. II était accompagné de Serge Mc Cabe. On lui a mentionné qu'il avait les qualifications pour obtenir le poste saisonnier d’opérateur-déneigeur. On lui a toutefois rappelé qu’il quittait un poste année pour un poste saisonnier. Louise Sisla Héroux, directrice générale adjointe, a précisé à cette occasion que le Conseil de ville allait décider et qu'on allait en parler à la rencontre du CRT qui se tenait le lendemain. Subséquemment, il fut informé par son représentant syndical que la question n'avait pas été réglée à cette occasion mais qu'on devait en discuter au prochain CRT.

 

[15] Le 15 novembre 2012, il a débuté son emploi d’opérateur-déneigeur. Le 6 décembre 2012, il a reçu une lettre (pièce S-2) l'informant de la fin de sa période d'essai et du fait que la Municipalité comprenait qu'il avait démissionné. Il ne s’attendait pas à ce qu'on prétende qu'il avait démissionné. Dans son esprit, il reprenait son emploi de mécanicien à compter du 15 avril 2013, soit à l'expiration de son contrat saisonnier.

 

[16] Le 12 décembre 2012, il a reçu son relevé de paie (pièce S-5) et a constaté que l'employeur lui versait le montant qui lui était dû à titre de vacances annuelles et d'indemnité de départ. Il comprenait donc qu’il ne pouvait revenir à son poste de mécanicien. Il en a discuté avec ses représentants syndicaux et un grief fut déposé. Dans son esprit, comme le CRT n'avait pas fait connaître sa décision, il présumait qu'il pouvait revenir à son emploi original.

 

Contre-interrogatoire

 

[17] Patrice Venne a été embauché le 21 mars 2011 (pièce E-1, résolution d’embauche du Conseil municipal). Lors de son embauche, on lui a dit qu'il ferait davantage de mécanique l’hiver et qui serait appelé à travailler sur la niveleuse au cours de l'été. Il reconnaît qu'il y a davantage de bris mécanique durant la saison d’hiver. Au cours de la saison hiver 2011-2012, il a été occasionnellement appelé à intervenir comme opérateur. Sans prétendre que son temps se répartissait également entre la mécanique et les activités d'opération, il établit cette proportion à 60-40. 

 

[18] Le 17 septembre 2012, il a déposé sa candidature au poste d'opérateur-déneigeur qu'affichait la Municipalité (pièce E-2). À la fin du mois d'août 2012, il avait d'ailleurs dit à son contremaître qu’il préférait être opérateur. Lorsqu'il a pris connaissance de l'offre d'emploi de la Municipalité de St-Côme (pièce E-3), il a constaté qu'il s'agissait d'un poste saisonnier régulier s'étalant du 15 novembre au 15 avril de chaque année. Cela ne l'a pas inquiété car, dans son esprit il pouvait revenir à son emploi de mécanicien. Ceci s'appuyait sur le fait que d'autres salariés revenaient à leur emploi antérieur après avoir occupé un emploi de déneigeur.

 

[19] Le 26 septembre 2012, lors de sa rencontre avec Alice Riopel et Louise Sisla Héroux, il fut avisé par cette dernière qu'il quittait un emploi annuel pour un emploi saisonnier. Il a demandé s'il aurait son emploi l'année suivante. Il a obtenu comme réponse que cette question serait discutée au CRT. Il était conscient qu'il y avait un risque. Toutefois, il ne voyait pas pourquoi il serait pénalisé du fait qu'il avait deux métiers soit ceux d'opérateur et de mécanicien.

 

[20] Il est exact d'affirmer qu'il a dit à son contremaître, Ghislain Langlois, qu’il voulait revenir comme opérateur à la fin de son contrat saisonnier. Toutefois, il souligne qu'il était prêt à revenir comme mécanicien, si telle était la situation.

 

[21] Le 15 novembre 2012, il a débuté son emploi d’opérateur-déneigeur (pièce E-4, résolution d’embauche adoptée par le Conseil de ville à la séance du 12 novembre 2012). Il savait qu’en vertu de la clause 19.03 mentionnée dans la lettre du 6 décembre 2012 (pièce S-4), il avait une période de vingt (20) jours pour exercer un droit de retour dans son emploi de mécanicien.

 

[22] Interrogé de nouveau, il rappelle que même si son but est d’être opérateur, il n’aurait pas sacrifié un emploi annuel pour un emploi saisonnier. Son objectif était de reprendre son emploi à l’expiration de son contrat saisonnier.

 

Dominique Morin, Président par intérim du Syndicat

 

[23] Dominique Morin, président par intérim du Syndicat, était présent à la rencontre du CRT du 27 septembre 2012. Il rappelle que Patrice Venne ne voulait pas perdre son poste. Cette question a donc été abordée lors du CRT. Lors de ce CRT, aucune réponse formelle ne fut fournie. On devait revenir sur cette question à un prochain CRT. Cette question ne fut jamais abordée ultérieurement.

 

[24] En contre-interrogatoire, Dominique Morin reconnaît que Patrice Venne était conscient du risque qu'il prenait. Il était aussi conscient de ce risque. Cependant, dans sa perspective, le Syndicat attendait d'obtenir une réponse de la municipalité, réponse qui n’est pas venue. Il reconnaît que la position de la Municipalité, manifestée lors du CRT du 27 septembre 2012, est  bien exprimée dans les notes personnelles dont a fait état Serge Mc Cabe lors de son témoignage.

 

[25] Appelé à préciser sa pensée au moment où il fut réinterrogé, Dominique Morin souligne que lorsqu'il mentionne qu'on attendait la réponse de la Municipalité, il signifie qu'on attendait de savoir si on allait garder ou non Patrice Venne.

 

Preuve de l’Employeur

 

Ghislain Langlois, contremaître

 

[26] Ghislain Langlois est contremaître pour la Municipalité de St-Côme. Il exerce cette fonction depuis 3 ans. Jusqu'en mars 2011, la municipalité avait recours à un sous-contractant pour l'entretien de sa machinerie. Le fait que l'on désirait un meilleur service a été à l'origine de cette décision.  La décision d'embaucher un mécanicien fut donc prise par le conseil municipal (pièce E-5) et le poste fut affiché (pièce E-3). La candidature de Patrice Venne s'est avérée la meilleure. Ce dernier avait à la fois des compétences comme mécanicien et comme opérateur. De plus, il possédait les qualifications pour faire des inspections préventives. Patrice Venne fut un bon choix. Sa compétence tant comme mécanicien que comme opérateur ne font pas de doute.

 

[27] À la mi-août 2012, il fut informé que Dominique Morin démissionnait de son poste de journalier déneigeur. Patrice Venne lui a alors manifesté son intérêt. Il lui mentionnait qu'il préférait le travail d'opérateur. Patrice Venne soulignait qu’il aimerait revenir au printemps comme opérateur. Il lui a mentionné que cela ne serait possible que dans la mesure où il aurait besoin de quelqu'un.

 

[28] Le 18 septembre 2012, il a reçu la candidature de Patrice Venne (pièce E-2). Cette candidature a été retenue.

 

[29] Il souligne que le mécanicien de la Municipalité est davantage sollicité durant la période d’hiver. La machinerie doit être en mesure de fonctionner en tout temps ce qui exige une présence plus grande. De plus, le fait que l’équipement est utilisé davantage entraîne plus de bris. L'été, la demande pour le travail de mécanicien est moins grande. Elle varie selon les besoins. Toutefois, le travail de mécanicien-opérateur demeure pour l’essentiel un travail de mécanicien.

 

[30] Le 15 novembre 2012, Patrice Venne a débuté sa fonction d’opérateur-déneigeur. Il n'a pas eu de discussions avec ce dernier concernant son droit de retour.

 

[31] L’absence du seul mécanicien à l’emploi de la Municipalité a été une préoccupation compte tenu des besoins de la Municipalité durant la saison hivernale. Elle a conduit la Municipalité à adopter, le 10 décembre 2012, une résolution par laquelle on décidait de procéder par « sous-traitance » pour effectuer les travaux d’entretien mécanique de ses véhicules (pièce E-6).

 

[32] Enfin, il souligne que Patrice Venne est compétent comme opérateur. Toutefois la Municipalité n'a pas de travail suffisant pour créer un nouveau poste d'opérateur à l'année.

 

Louise Sisla Héroux, directrice générale adjointe

 

[32] Louise Sisla Héroux est directrice générale adjointe pour la municipalité. Elle dépose un document qu'elle a préparé (pièce E-7) et qui fait la chronologie des événements pour la période du 17 au 26 septembre 2012. Elle y a joint aussi ses notes personnelles de la rencontre du 26 septembre 2012.

 

[33] le 26 septembre 2012, elle a convoqué Patrice Venne pour s'assurer qu'il acceptait le poste d’opérateur-déneigeur. Patrice Venne voulait que son représentant syndical soit présent lors de cette rencontre. Cette pratique n'est pas habituelle mais ni elle ni Alice Riopel, directrice générale, ne s'y sont opposées.

 

[34] lors de cette rencontre, elle a demandé à deux reprises à Patrice Venne s'il était bien conscient qu'il quittait un poste régulier pour accepter un poste saisonnier. Elle lui a rappelé que les avantages des deux postes n'étaient pas les mêmes au sens de la convention collective. Elle souligne que le représentant syndical a terminé la discussion en disant à Patrice Venne de prendre le poste et que le Syndicat allait déposer un grief sur cette question.

 

[35] Les notes produites par Louise Sisla Héroux (pièce E-7) résument ainsi cette rencontre :

[...]

Le 26 septembre 2012, Mme Alice Riopel et moi avons effectué une rencontre avec le  candidat (Patrice Venne) afin de procéder à son embauche à titre de journalier opérateur déneigeur.

 

Monsieur Venne a insisté afin que son représentant syndical assiste à cette entrevue.

 

Lors de la rencontre, j'ai expliqué à M. Patrice Venne le profil d'employé recherché et la nature de ce poste, qui consiste à un poste saisonnier régulier, d'une durée de 22 semaines, pour la période du 15 novembre 2012 au 15 avril 2013.

 

Je lui ai fait part qu'advenant que celui-ci décide de quitter son poste actuel (mécanicien), poste régulier de 52 semaines pour travailler à titre de journalier opérateur-déneigeur, qui consiste à un poste saisonnier régulier, que celui-ci devenait assujetti qu'aux dispositions de l'article 2.

 

Je lui ai dit à nouveau: « Vous êtes conscient que vous quittez un poste régulier permanent de  52 semaines par année pour aller travailler sur un poste saisonnier régulier de 22 semaines? »

 

Monsieur Patrice Venne a haussé le ton et mentionné « vous le faisiez avant pour les autres ... Dominic Morin lui l'hiver il travaille sur la neige puis l'été il travaille au garage??? »

 

Je lui ai répété à nouveau: « Vous êtes conscient que nous avons affiché un poste saisonnier régulier ...  ».

 

Monsieur Mc Serge Cabe a répliqué en disant: «  Prends lé le poste puis on verra après avec le Syndicat. On va faire un grief là-dessus. »

 

Je vous informe également qu'en vertu de la convention collective, vous avez droit à une période d'essai de vingt (20) jours et qu'advenant que vous ne désirez plus conserver ce nouveau poste, vous pourrez réintégrer votre ancien poste.

 

M. Serge Mc Cabe réplique: Ben voyons Y va aller sa neige puis au mois d'avril il va revenir au garage.

 

 

[36] Le 27 septembre 2012, elle était présente à la réunion du CRT. Elle souligne ne pas avoir d'autres souvenirs de la discussion concernant le poste de Patrice Venne que ce qui est rapporté dans les notes personnelles de Serge Mc Cabe (pièce S-6).

 

[37] En contre-interrogatoire, Louise Sisla Héroux souligne que ses notes (pièce E-7) ont été prises de façon concomitante aux événements rapportés.

 

Jocelyn Breault, maire de la Municipalité de St-Côme

 

[38] Jocelyn Breault, maire de la Municipalité de St-Côme, a rappelé que la Municipalité avait procédé à la création d'un poste de mécanicien pour pallier aux problèmes de disponibilité que causait le recours à la « sous-traitance ». La candidature de Patrice Venne s'est avérée fort intéressante du fait qu'il combinait une formation comme opérateur et comme mécanicien en plus d'avoir la qualification pour faire l'inspection des camions. Il souligne qu’il est dans la politique de la Municipalité de favoriser la création d’emploi. Il rappelle que depuis son entrée en fonction en 1999, la Municipalité est passée de cinq (5) à dix-neuf (19) employés.

 

[39] Le poste affiché en 2011 par la Municipalité en était un de mécanicien et accessoirement d'opérateur. Lorsque le poste d’opérateur-déneigeur s’est libéré, la Municipalité a respecté les dispositions de la convention collective et l’a affiché.

 

[40] La décision de Patrice Venne d’appliquer sur le poste d’opérateur-déneigeur a fait que la Municipalité s’est retrouvée sans mécanicien. La Municipalité ne pouvait alors envisager payer Patrice Venne en surtemps pour qu'il exerce aussi des fonctions de mécanicien. Il fut alors décidé d’abolir le poste et de recourir à la « sous-traitance » (pièce E-6).

 

Alice Riopel, directrice générale

 

[41] Alice Riopel, directrice générale, était présente à la rencontre du 26 septembre 2012. Cette rencontre avait pour objet de s'assurer que Patrice Venne voulait bien le poste d’opérateur-déneigeur qui avait été affiché. Elle fut surprise de la présence du représentant syndical dans la mesure où cette rencontre n'avait aucun objet de nature syndicale. Lors de cette rencontre, Louise Sisla Héroux a informé Patrice Venne qu’il quittait un poste régulier de 52 semaines pour un poste saisonnier. Elle a souvenir que Serge Mc Cabe a invité Patrice Venne à accepter le poste tout en mentionnant que le Syndicat déposerait un grief ultérieurement.

 

Plaidoirie

 

Le Syndicat

 

[42] Selon le Syndicat, il faut analyser la situation en la plaçant dans son contexte. La problématique concerne la question voulant qu'il puisse y avoir création d'un poste saisonnier d’opérateur-déneigeur et, à son expiration, la possibilité de revenir à son emploi «régulier». Patrice Venne n'aurait jamais quitté son poste de mécanicien s'il avait su qu'il perdrait cet emploi. Le salarié et le Syndicat étaient donc en attente d'une décision de la Municipalité. À cet égard, la Municipalité n'a jamais fait part d’une position claire.

 

[43] Serge Mc Cabe a témoigné que, lors de la rencontre du CRT du 27 septembre 2012, une représentante de la Municipalité a annoncé qu'on allait revenir sur la question de savoir si Patrice Venne pouvait reprendre son poste de mécanicien à l'expiration de son contrat saisonnier. Dominique Morin, présent lors de cette rencontre, affirme aussi que le Syndicat était en attente d'une décision. Ces propos n’ont pas été contredits par les témoins de l’employeur.

 

[44] Patrice Venne s'est fié à son Syndicat et est demeuré en attente d'une réponse. Aucun avis écrit ne lui a été signifié. Le 6 décembre 2012, il apprenait qu'il était présumé avoir renoncé à son poste de mécanicien. On lui manifestait alors le fait qu'il ne pouvait plus revenir dans son poste.

 

[45] La Municipalité a décidé d'abolir le poste de mécanicien et de recourir à la « sous-traitance ». La Municipalité par la voix de Serge Breault est venue affirmer favoriser l'embauche de salariés. Rien n'empêche donc la municipalité de conserver le poste de Patrice Venne.

 

[46] Le Syndicat soutient donc qu'on a tendu un piège à Patrice Venne. En agissant comme il l'a fait, l'Employeur exerçait son droit de gérance de façon inéquitable et abusait de ses droits. Le fait de ne pas donner de réponse à Patrice Venne n’est pas équitable. Ainsi, il faut se demander pourquoi l’Employeur n’a pas redonné le poste de mécanicien-opérateur à Patrice Venne. Les discussions au Comité des relations de travail n’ont pas été abordées sous l’angle de la convention collective. Le Syndicat était donc en attente. C’est à ce titre qu’il faut apprécier le comportement de l’Employeur. Ce faisant, ce dernier ne respectait pas les obligations que lui impose l'article 6 C.c.Q. Le Tribunal est donc fondé d’intervenir pour corriger la situation et redonner à Patrice Venne son poste de mécanicien-opérateur.

 

[47] Le Syndicat nous réfère aux autorités suivantes :

 

  -  Linda LAVOIE et Anne-Marie BÉCHARD, «L’abus de droit en milieu syndiqué : évolution jurisprudentielle», dans, Développement récents en droit du travail en éducation 2007 , volume 279, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 139 et suiv.

 

  - Fernand MORIN, Rodrigue BLOUIN et al, Droit de l’arbitrage de grief , 6 e édition,  Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 529 et suiv.

 

l’Employeur

 

[48] L’Employeur rappelle sommairement les faits :

- Le 14 mars 2011, le Conseil municipal a adopté une résolution pour embaucher Patrice Venne comme mécanicien-opérateur à temps plein à compter du 21 mars 2011. Jusqu’à cette date, les travaux de mécanique étaient effectués en sous-traitance;

- Durant sa période d’embauche comme mécanicien-opérateur, PatriceVenne se consacrait principalement à des tâches de mécanicien et, accessoirement, à des tâches d'opération de machinerie;

- À la fin de l’été 2012, Patrice Venne a eu des échanges avec le contremaître Ghislain Langlois, l’informant qu’il préférait un travail de journalier-opérateur. Il entendait donc faire une demande pour faire partie de l'équipe de déneigement de l'hiver 2012-2013 et ce suite au départ de Dominique Morin. Il manifestait aussi le désir de revenir à la fin du contrat comme opérateur de machinerie;

- Le 10 septembre 2012, le Conseil municipal a autorisé l'affichage d'un poste de journalier déneigeur saisonnier pour compléter l'équipe de déneigement de la saison 2012-2013;

- L'offre d'emploi précisait qu'il s'agissait d'un poste saisonnier régulier « du 15 novembre au 15 avril de chaque année »;

- le 17 septembre 2012, Patrice Venne a soumis sa candidature au poste de journalier -déneigeur;

- le 26 septembre 2012, Patrice Venne a été rencontré par Alice Riopel, directrice générale et Louise Sisla Héroux, directrice générale adjointe. Lors de cette rencontre, Patrice Venne a été informé que le poste sur lequel il postulait avait une durée saisonnière de 22 semaines et qu’il se terminait le 15 avril 2013 ;

- Le 12 novembre, le Conseil municipal a adopté une résolution unanime pour embaucher Patrice Venne  «comme opérateur de nos camions de déneigement qui débutera le 15 novembre 2012 jusqu’au 15 avril 2013» ;

- le 6 décembre 2012, la directrice générale confirmait à Patrice Venne que sa période d’essai au poste de journalier -déneigeur était terminée ;

- le 10 décembre 2012, le conseil municipal a adopté une résolution unanime pour fermer le poste de mécanicien en régie interne et « dorénavant ... procédera par sous-traitance pour effectuer les travaux d'entretien mécanique de leurs véhicules »;

- le 10 janvier 2013, le Syndicat a logé un grief sans préciser quel article la Municipalité avait enfreint en invoquant que « cette mesure est non conforme à l'esprit de la convention collective ».

 

Ces faits, selon ses prétentions, ne donnent pas ouverture à la revendication du Syndicat.  À cet égard, l’Employeur invoque trois arguments de droit .

 

[49] En premier lieu, il appartient au Syndicat de faire la démonstration que la convention collective n’a pas été respectée. Dans les notes et autorités déposées par l’Employeur, on lit : « Dans son grief 2013-01, le Syndicat invoque que la Municipalité n'a pas agi d'une façon qui soit « conforme à l'esprit de la convention collective» : le Syndicat assume le fardeau de prouver cette affirmation qu’il y a eu une violation spécifique des articles de la convention collective. Le conseil municipal a exercé son droit de gérance de fermer le poste de mécanicien laissé vacant par une décision libre et éclairée de Patrice Venne de postuler à la fonction saisonnière de journalier-déneigeur. Le conseil municipal possède seul le droit de gérance de créer un nouveau poste à temps complet de journalier-opérateur. Le Syndicat ne peut pas forcer la Municipalité à créer une fonction à temps complet de journalier opérateur pour accommoder les préférences personnelles de Patrice Venne. Il appartient au Syndicat d'identifier quel article de la convention collective imposée par l’arbitre André Matteau a été enfreint par la municipalité.»

 

[50] En second lieu, l’Employeur soutient que la Municipalité avait le droit de fermer le poste de mécanicien à temps complet laissé libre à la suite de l’obtention par Patrice Venne  du poste de journalier-déneigeur. À ce titre, la Municipalité n’avait pas davantage d’obligation de créer une nouvelle fonction de journalier-opérateur à temps complet. L’Employeur réfère à l’article 4.01 de la convention qui précise que ses droits et privilèges d’administrer efficacement ses activités ne sont limités que par les dispositions de la convention collective. On y lit : « L’employeur conserve tous les droits et privilèges lui permettant d'administrer efficacement ses activités conformément à ses obligations. Les seules considérations qui limitent ses droits sont les dispositions de la présente convention ». À cet égard, il rappelle aussi que la convention ne contient aucune disposition sur la sécurité d’emploi ou sur un quelconque plancher d’emplois. Au soutien de cet argument, l’Employeur nous réfère aux autorités suivantes :

 

- Cie minière I.0.C . c. Dulude ,   [1984] C.A. 575 , D.T.E. 84T-722 (C.A.) ;

- Hôpital Santa Cabrini et L'Union des employés de service, local 298 (F.T.Q.) , René Huppé, 1987-04-08, T.A. ;

- Syndicat des employés du Centre des services sociaux du centre du Québec et Centre de protection de l’enfance et de la jeunesse Mauricie Bois-Francs , André Truchon, 1995-03-22, T.A. ;

- Centre Hospitalier de Val-d’Or et Syndicat des employés d’hôpitaux Val-d’Or (C.S.N.) , (Denis Laberge, 2005-05-02), AZ-50336511 (T.A.) ;

- Syndicat des employées et employés en soins infirmiers et cardiorespiratoires et  Centre de santé et de services sociaux des Sommets , (Jean-Louis Dubé, 2008-11-13) AZ-50523574 (T.A.).

 

 

[51] En troisième lieu, le texte de l’article 4.01 de la convention collective a déjà été l’objet d’interprétation qui confirme que la Municipalité peut abolir un poste et que l’arbitre ne saurait intervenir à moins de la preuve que ce droit a été exercé de façon abusive, arbitraire ou discriminatoire. À ce sujet, il nous réfère aux décisions suivantes où l’arbitre a eu à interpréter un texte semblable à l’article 4.01 :

 

- Syndicat des employés et employées de la recherche de l'Université de Montréal (SERUM-AFPC-FTQ) et Université de Montréal Alexie Tétreault) , (Nathalie Faucher, 2012-06-06), D.T.E. 2012T-457 (T.A.) ;

- Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4787 c. Ville d'Estérel , Nathalie Faucher, 2012-10-10, T.A.

 

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

 [52] Il y a trois questions auxquelles il nous faut répondre. La première est préliminaire : le Syndicat est-il en droit de faire la preuve des propos tenus lors de la rencontre du CRT du 27 septembre 2012 ?  Les deux autres concernent le nœud du problème : L’Employeur a-t-il respecté les dispositions de la convention collective en concluant que Patrice Venne avait abandonné son emploi de mécanicien-opérateur et en abolissant ce poste ? Dans l’affirmative, est-ce que l’Employeur a eu un comportement arbitraire, déraisonnable ou qui s’apparente à de la mauvaise foi, de telle façon que le Tribunal serait en doit d’intervenir ?

 

[53] D’emblée, l’Employeur s’est opposé à ce que le Syndicat fasse la preuve de propos tenus lors de la réunion du CRT du 27 septembre 2012. Tel que nous comprenons l’objection, les propos tenus lors de cette rencontre s’inscriraient implicitement dans le cadre d’une négociation entre les parties et, à ce titre, seraient de nature confidentielle. Il est important de préciser qu’il n’est pas question ici d’interpréter une clause de la convention collective, ni de s’immiscer dans l’environnement dans lequel la convention collective a été conclue. Après avoir pris connaissance de la preuve qu’entendait faire le Syndicat, l’Employeur n’a pas étayé davantage ses prétentions. Essentiellement,  le Syndicat nous a soumis qu’il entendait faire la preuve de certains propos tenus par l’Employeur lors de cette rencontre pour montrer que le comportement de ce dernier est empreint de mauvaise foi. La question telle qu’elle est présentée en est une d’équité. Empêcher cette preuve serait priver le Syndicat de faire la démonstration d’un comportement qui ne saurait être admis.

 

[54] Au soutien de ses prétentions, le Syndicat nous a référé  à la décision Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 4446 (FTQ) et Municipalité de Saint-Félix-de-Valois , Denis Provençal, 2005-06-12, p. 34, où l’arbitre traite de la question de l’admissibilité en preuve du contenu des négociations. Le Syndicat nous réfère notamment à l’extrait suivant où l’arbitre fait sien les propos selon lesquels les règles de l’ estoppel par représentation font « [qu’une] partie qui a fait des représentations à une autre partie en regard d’un droit qu’elle possède ne peut demander l’application stricte de son droit si par son comportement ou ses représentations, elle a fait croire à l’autre partie que l’application stricte de ses droits ne serait pas recherchée et que l’application stricte desdits droits jouerait maintenant au détriment de la partie qui s’est fiée auxdites représentations pour s’engager. En d’autres termes, il ne serait pas équitable qu’une partie possédant certains droits représente à l’autre partie qu’elle n’entend pas exercer ses droits et qu’elle laisse entendre à l’autre partie que l’interprétation d’une clause est à tel effet pour ensuite, une fois que l’autre partie ne se soit commise irrémédiablement, rechercher une interprétation différente. » L’arbitre réfère ici aux propos tenus par Claude Foisy dans l’affaire S.T.C.P., section locale 2995 et C.I.P. Inc. [1989] T.A. 218 (confirmé par Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 2995 c. C.I.P. inc., division forestière Maniwaki , [1995] R.D.J. 165 (C.A.)). L’arbitre réfère aussi à l’article 1426 du Code civil du Québec qui énonce que l’on doit tenir compte de l’environnement dans lequel le contrat est conclu.

 

[55] Dans notre situation, la question ne concerne pas des discussions quant à la négociation d’une disposition d’une clause de la convention collective. De plus, aucun article de la  convention dont l’interprétation serait litigieuse ou sur lequel une partie aurait induit en erreur l’autre partie n’a été invoqué. La question porte essentiellement sur le caractère privilégié ou non des propos tenus  dans le cadre des rencontres du Comité des relations du travail. Dans l’affaire Union internationale des travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 1991-P, FAT-COI-CTC-TUAC Canada et Agropur, coopérative agro-alimentaire, division fromages fins, fromagerie de Corneville (Robert Plante) , D.T.E. 2005T-1037 (T.A.), l’arbitre Lyse Tousignant s’exprimait ainsi :

 

[22]      La preuve dont l’admissibilité est contestée porte sur les échanges tenus au cours de quatre rencontres du CRT.  […]

[...]

[25]      Même si, a priori , toute preuve pertinente est recevable, il existe certaines règles d’exclusion, dont celle fondée sur le caractère privilégié des communications visant à régler un litige.  Ce privilège est non seulement essentiel à l’administration du système judiciaire, mais indispensable à la dynamique des rapports collectifs du travail, bâtie sur une relation de continuité entre les parties.  En effet, il est souhaitable que celles-ci soient incitées à proposer des solutions en vue de réduire le nombre de litiges, sans être désavantagées par la suite, en cas d’échec des pourparlers.

[26]      Cependant, pour qu’une communication revête un caractère privilégié, certaines conditions doivent êtres respectées, comme le rappelle l’auteur Jean-Claude Royer :

«  Trois conditions sont nécessaires à l’existence de ce privilège, soit un litige réel ou éventuel, une communication écrite ou verbale transmise dans le but de le régler et l’intention expresse ou présumée que cette communication ne soit pas divulguée sans le consentement des parties, si celles-ci ne parviennent pas à s’entendre. »

[27]      En arbitrage, ces conditions doivent recevoir une application suffisamment souple pour que la finalité de la procédure de règlement de griefs soit respectée.  Comme l’arbitre Marc Boisvert l’a déjà souligné:

« En somme, la procédure de règlement de griefs a pour but d’encourager le dialogue entre un employeur et ses salariés, de façon à ce qu’ils parviennent dans la mesure du possible, à un compromis honorable et raisonnable dans le règlement des litiges qui les opposent, et ce sans recourir à l’arbitrage .  Compte tenu du caractère non formaliste des discussions, il m’apparaît nécessaire de ne pas limiter le privilège de la communication privilégiée, aux seuls faits dévoilés par les parties et reliés aux tentatives de régler un grief , si on veut que la procédure de grief atteigne le but que lui a fixé le législateur, en obligeant le parties à y recourir en cas de conflit.

Il y a lieu de reconnaître ce privilège à tout le moins à toute conversation intervenue entre les parties, et qui a généralement rapport à l’objet du grief, puisque le règlement d’un grief n’est souvent possible qu’après la tenue d’une discussion libre et sans contrainte sur tous les aspects du grief.  Or une telle discussion nécessaire à la paix sociale d’une entreprise, risquerait de ne pas avoir lieu si tout ce que dit une partie relativement à un grief, risquait de se retourner contre elle. » [souligné de l’arbitre] .

[28]       Toutefois, en certaines circonstances exceptionnelles, des communications  répondant aux conditions ci-haut mentionnées peuvent néanmoins perdre leur caractère privilégié.  Cela tient à la nature spécifique des faits qu’elles tendent à démontrer.  Il s’agit d’identifier la question à l’égard de laquelle ces communications sont pertinentes. 

[29]      Si elles ne servent qu’à évaluer le mérite du grief, elles demeureront privilégiées et inadmissibles, car c’est justement ce type de pertinence qui rend leur divulgation préjudiciable. 

[30]      En revanche, certaines communications répondant aux trois conditions décrites plus haut pourront néanmoins être admises en preuve, exceptionnellement, si elles servent à clarifier des questions étrangères au mérite du grief.  Il en sera ainsi, notamment, des communications permettant d’établir l’existence d’une transaction ou encore, d’un motif qui entraîne l’irrecevabilité du recours, telle la prescription.

[56] En l’espèce, bien que selon nous la prudence s’impose, l’élément que veut mettre en preuve le Syndicat, est recevable. Au moment des discussions, on peut penser qu’il existait «un litige réel ou éventuel» à savoir si au sens de la convention collective Patrice Venne avait un doit de rappel dans son ancien poste, et ce, bien que chacun n’ait fait qu’énoncer son point de vue sans véritable négociation. Ces discussions étaient malgré tout de nature à conduire à un règlement. En deuxième lieu, le contexte formel de la rencontre ( CRT ) laisse croire que les membres pouvaient raisonnablement s’attendre  à ce que leurs propos demeurent confidentiels. Cependant, le présent litige porte sur le fait que le comportement de l’Employeur constituerait, dans le cadre de cette discussion, de la mauvaise foi. U ne discussion perd son caractère privilégié si une partie agit de mauvaise foi ou de façon à induire l’autre partie en erreur (voir à titre d’exemple: Bertram c. La Reine , [1996] 1 C.F. 756 , 768; Desjardins c. Domtar Inc ., J.E. 96-2150 , (C.S.) ; on peut lire aussi Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE, La preuve civile , 4 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 1002, (par. 1137)). Dans ce contexte, l’élément que veut mettre en preuve le Syndicat est recevable. Évidemment, il faudra évaluer la force probante de cette preuve.

[57] L’Employeur a-t-il respecté les dispositions de la convention collective en concluant que Patrice Venne avait abandonné son emploi de mécanicien-opérateur et en abolissant ce poste ? L’Employeur a affiché un poste de journalier-déneigeur, conformément à l’article 19.01 de la convention collective (pièce E-3 et E-5). Patrice Venne a postulé (art. 19.02) et s’est vu accorder le poste (pièce E-4). Une fois la période de probation complétée (art. 19.03), l’Employeur a confirmé l’octroi du poste (pièce S-4). Ayant accepté un nouveau poste, il va de soi que l’Employeur devait conclure, une fois la période de probation terminée, que Patrice Venne abandonnait implicitement son ancien poste de mécanicien-opérateur : le salarié ne pouvant occuper deux emplois selon un horaire à temps complet. La convention collective ne prévoit ni plancher d’emplois ni sécurité d’emploi (pièce S-2). l’Employeur n’agissait donc pas illégalement en décidant d’abolir le poste devenu libre et de référer à un sous-traitant (pièce E-6). L’article 4.01 est explicite. La jurisprudence déposée par l’Employeur sur cette question est concluante. De plus, la convention collective ne contient aucune disposition qui prévoit que le salarié peut revenir dans son poste antérieur (mécanicien-opérateur). Ainsi, l’Employeur a respecté toutes les exigences imposées par la convention collective. Aucune clause n’a été transgressée. Il faut se rappeler que la convention collective est la loi des parties et qu’elle régit leurs rapports.

 

[58] Par ailleurs, le litige, tel que l’a bien expliqué le Syndicat, se situe à un autre niveau. En fait, pour reprendre les mots du Syndicat, l’Employeur a-t-il, par son comportement, piégé le salarié ? Il est acquis que la notion d’abus de droit s’applique dans le cadre de la mise en œuvre de la convention collective ( Syndicat de l’enseignement de la Région de Québec c. Ménard , [2005]  R.J.Q. 1025 (C.A.); Isidore Garon c. Tremblay ; Fillion et Frères (1976) inc . c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc .,  [2006] 1 R.C.S. 27 ). La Cour suprême s’exprimait ainsi  sur la notion d’abus de droit dans l’arrêt Houle c. Banque canadienne nationale , [1990] 3 R.C.S. 122 , 155 :

[...] il est maintenant temps d'affirmer que la malice ou encore l'absence de bonne foi ne devrait plus être le critère exclusif pour apprécier s'il y a eu abus d'un droit contractuel. [Il] ne saurait plus faire aucun doute en droit québécois que le critère moins rigoureux de «l'exercice raisonnable» d'un droit, la conduite de l'individu prudent et diligent, par opposition au critère exigeant de la malice et de l'absence de bonne foi, peut également servir de fondement à la responsabilité résultant de l'abus d'un droit contractuel.  [...]  De plus, tout contrat comporte pour les parties l'obligation implicite d'exercer leurs droits conformément aux règles de l'équité et de la loyauté [...]. En conséquence, tout acte accompli en violation de cette obligation implicite est susceptible d'engager la responsabilité.

 

 La Cour ajoutait  (p. 164):

[En résumé, ] [f]ondée au départ sur le critère rigoureux de la malice ou de la mauvaise foi, la norme servant à apprécier l'existence d'un tel abus s'est élargie pour inclure maintenant le critère de l'exercice raisonnable d'un droit, tel qu'il est incarné dans la conduite d'une personne prudente et diligente. Ce critère peut couvrir un grand nombre de situations, y compris l'utilisation d'un contrat à une fin autre que celle envisagée par les parties. On pourrait donc formuler ainsi le critère approprié: tels droits ont-ils été exercés dans un esprit de loyauté?

 

[59] P our constituer un abus de droit, le geste de l’employeur doit donc être «déraisonnable». Déraisonnable s’entend ici d’un geste qui permet au Tribunal de conclure que l’employeur n’a pas agi de façon prudente et diligente, dans un esprit de loyauté, ou, en d’autres termes, qu’il n’a pas fait preuve d’équité ou de « fair play ». Un tel geste constitue alors un abus de droit.  Le détenteur du droit doit alors avoir agi sans prendre les précautions nécessaires à son exercice normal, ou se comporter de façon à excéder la mesure ordinaire de son droit. Cette appréciation doit se faire en tenant compte du contexte particulier du milieu de travail visé par le grief (Voir les propos tenus par Linda LAVOIE et Anne-Marie BÉCHARD, «L’abus de droit en milieu syndiqué : évolution jurisprudentielle», dans, Développement récents en droit du travail en éducation 2007, volume 279, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 139 et suiv. (cité par le Syndicat)).

 

[60] Évidemment, il ne faut pas banaliser la notion d’abus de droit. On peut conclure que la décision d’un employeur est discutable ou sujette à caution sans que cela en fasse une décision «abusive». Cette notion ne remet pas en cause la latitude première dont dispose l’employeur dans son pouvoir de gestion.

 

[61] En l’espèce, est-ce que l’Employeur a eu un comportement de nature à induire le salarié en erreur? En d’autres mots, est-ce que l’Employeur a agi de façon à créer des attentes légitimes chez le salarié ?

 

[62] On est évidemment surpris qu’un salarié dont le travail est apprécié décide de quitter un emploi «annuel» pour un emploi saisonnier. C’est d’ailleurs la réaction qu’a eu l’Employeur. Lors de la rencontre du 26 septembre 2012, l’Employeur a bien pris soin de s’assurer que le salarié était conscient du choix qu’il faisait. Selon le témoignage des deux représentantes de l’Employeur, cet élément a été souligné à deux reprises à Patrice Venne. Ce fait n’est pas contesté. À cette occasion, la question du possible retour de Patrice Venne dans son emploi de mécanicien a été implicitement discutée. Il faut conclure que l’Employeur n’a pris aucun engagement autre que celui de rappeler la nature du poste pour lequel Patrice Venne postulait. Serge Mc Cabe a témoigné que l’Employeur refusait que Patrice Venne revienne dans son poste. Il n’y a aucune ambiguïté sur cette position de l’Employeur. Ceci nous apparaît probant dans la mesure où Serge Mc Cabe qui accompagnait Patrice Venne s’est senti autorisé de dire à ce dernier d’accepter le poste et qu’on verrait éventuellement à déposer un grief. Le salarié, tel qu’il l’a admis, savait qu’il «prenait un risque» en acceptant le poste. On ne peut donc voir un geste de mauvaise foi de la part de l’Employeur. On peut constater une mésentente et une perspective différente quant au «droit» que pouvait revendiquer Patrice Venne, mais rien qui n’aurait volontairement ou implicitement induit le salarié en erreur. Tout au plus, peut-on déduire de cette rencontre, que la question serait discutée à la rencontre du CRT du 27 septembre 2012.

 

[63] Y a-t-il eu une promesse «formelle» lors de la rencontre du CRT du 27 septembre 2012 ? En d’autres mots, l’Employeur a-t-il laissé croire qu’il modifiait sa position ? Il est acquis que lors de cette rencontre la situation de Patrice Venne a été discutée. Le Syndicat soutient qu’il était en attente d’une réponse de l’Employeur. Les notes prises par Serge Mc Cabe font état de la position du Syndicat et de celle de l’Employeur. Selon ces notes (pièce S-6), le Syndicat soutenait que (transcription intégrale): « Toute personne qui sont journalier opérateur peut pour déneigeur et revenir à son emploi après » alors que l’Employeur affirmait que (transcription intégrale) « Le conseil peut afficher ou fermer le poste après le 15 nov. - conseil décide.» Les témoins du Syndicat et de l’Employeur présents à cette rencontre sont venus confirmer que ces propos reflétaient la position des parties. On ne peut déceler dans ces propos une promesse de l’Employeur qui aurait induit le Syndicat en erreur. On informait le Syndicat que l’Employeur pouvait décider soit de fermer le poste de mécanicien, soit de l’afficher pour  rechercher un nouveau mécanicien. Ceci était conforme au pouvoir dont dispose l’Employeur en vertu de la convention collective.

 

[64] Serge Mc Cabe et Dominique Morin, dont nous ne doutons de la bonne foi, ont témoigné que, dans leur esprit, ils demeuraient dans l’attente de connaître la position de l’Employeur quant à la situation de Patrice Venne. La preuve ne permet pas de soutenir que l’Employeur aurait fait naître une telle attente ou qu’il aurait eu un comportement ambigu qui aurait pu faire naître une telle attente. Le seul élément que l’on pourrait questionner est celui qui veut que Louise Sisla Héroux aurait dit lors de la rencontre du CRT du 27 septembre que l’on pouvait «réviser». Mentionnons que Louise Sisla Héroux affirme que le seul souvenir qu’elle a des discussions concernant Patrice Venne, lors de la rencontre du CRT du 27 septembre, sont les propos rapportés dans les notes écrites de Serge Mc Cabe. Même en  tenant cet élément isolé pour acquis, il ne peut permettre de conclure que la position de l’Employeur était modifiée ou qu’il a fait naître une «attente» qui remettait en cause la position qu’il avait déjà clairement exprimée. On ne peut déduire de ce seul élément un engagement formel. Rappelons que les représentants syndicaux étaient bien au fait de la position de l’Employeur qui fut exprimée tant le 26 que le 27 septembre 2012.

 

[65] À la suite de la rencontre du 26 septembre, le représentant syndical connaissait la position de l’Employeur. Il a témoigné à ce sujet. De même, selon la preuve, lors de la rencontre du 27 septembre la position des parties était bien campée. Tant les représentants syndicaux que Patrice Venne connaissaient cette position. Cette position ne leur plaisait pas Évidemment, le Syndicat était en droit de soutenir que l’Employeur devait éventuellement permettre à Patrice Venne de retourner dans son ancien poste de mécanicien. L’Employeur n’a cependant jamais manifesté qu’il adhérait à cette prétention.

 

[66] Par la suite, les parties n’ont eu aucune nouvelle discussion sur cette question. Ceci a évidemment de quoi surprendre, dans la mesure où on « présume » que la question était litigieuse. Mais, telle est la preuve. Le 15 novembre, le salarié a débuté son emploi de journalier opérateur-déneigeur. Il a donc cessé d’occuper son emploi de mécanicien. Le 6 décembre (pièce S-4), l’Employeur informait Patrice Venne que sa période d’essai était terminée, et ce, conformément à l’article 19.03 de la convention collective. On confirmait sa nouvelle embauche à titre de journalier opérateur-déneigeur (pièce S-2).  Comme indiqué ci-dessus, ce processus est conforme aux dispositions de la convention collective. L’Employeur ne pouvait que constater le fait que Patrice Venne occupait, à sa demande, un nouvel emploi.

 

[67] Le 10 décembre 2012, le Conseil de la paroisse de St-Côme décidait à l’unanimité que dorénavant les travaux d’entretien mécanique des véhicules se feraient par «sous-traitance». Cette décision a été motivée par le fait que la Municipalité perdait son seul mécanicien et qu’elle jugeait nécessaire d’assurer l’entretien de ses véhicules. Ce geste est conforme au droit dont dispose l’Employeur. Dans les circonstances, on ne peut voir que l’Employeur en ait fait un exercice abusif.

 

[68] Il est malheureux que le salarié ait cru pouvoir reprendre son emploi de mécanicien à la fin de son travail saisonnier d’opérateur-déneigeur. La convention ne contient aucune disposition à ce sujet. De plus, aucune preuve factuelle ne permet de soutenir ce point de vue. La preuve ne démontre pas que le salarié a été piégé ou induit en erreur. Elle ne démontre pas davantage que l’Employeur ait agi de mauvaise foi. Les propos de l’Employeur n’ont jamais laissé croire à un quelconque engagement voulant que la situation de Patrice Venne ne soit pas traitée conformément aux dispositions de la convention collective. Comme le soulevait le Syndicat, l’Employeur aurait pu consentir à des aménagements. Toutefois, il n’appartient pas au Tribunal dans les circonstances démontrées par la preuve de lui imposer de tels aménagements.

 

 

 

Pour ces motifs, le Tribunal:

 

[69] REJETTE   le grief du Syndicat.

 

 

Longueuil, le 24 avril 2013

 

 

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Jean-Pierre Villaggi

Arbitre de griefs