TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
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Date : |
10 mai 2013 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
M e SUZANNE MORO |
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SYNDICAT QUÉBÉCOIS DES EMPLOYÉS DE TELUS, SECTION LOCALE 5044, SCFP |
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Association accréditée |
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Et |
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TELUS |
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Employeur |
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Et
SYLVIE MILOT
Intervenante
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Plaignant : |
Steeven St-Laurent |
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Griefs de l’association accréditée : |
11-00-01 et 11-00-06 : harcèlement |
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Grief de l’employeur : |
12-01 |
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SA/13/038
2011-062-PF
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Représentante de l’association accréditée : |
Mme Madeleine B. Hudon
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Représentant de l’employeur : |
M e Jean-François Dolbec (HEENAN BLAIKIE) |
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Dates des audiences : |
1 et 2 mars, 26 octobre, 3 et 17 décembre 2012, 11 mars 2013 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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[1] Par griefs respectivement datés des 22 mars et 16 septembre 2011, le Syndicat québécois des employés de Telus, section locale 5044, SCFP (le syndicat) allègue que, par son comportement, Telus (l’employeur) porte atteinte à la dignité et à l’intégrité physique et psychologique de Steeven St-Laurent (le plaignant).
[2] Dans son grief 11-00-01 du 22 mars 2011, le syndicat relate les propos du plaignant, selon lesquels l’employeur a une conduite vexatoire et hostile à mon égard. Par une surveillance exagérée, omniprésente, oppressive et abusive, mon milieu de travail est devenu néfaste et malsain. L’acharnement administratif de l’employeur et ses réactions démesurées à toutes situations ont affecté ma santé et ont contribué à diminuer mes facultés de concentration et de réflexion.
[3] Le grief 11-00-06 du 16 septembre 2011 mentionne quant à lui que le plaignant reproche à l’employeur d’avoir une conduite vexatoire et hostile à mon égard. Mon milieu de travail est devenu néfaste et malsain pour ma santé physique et mentale. L’acharnement administratif de l’employeur et ses réactions démesurées à toutes situations ont affecté ma santé et ont contribué à diminuer mes facultés de concentration et de réflexion, ce qui a provoqué un arrêt de travail pour maladie.
[4] Le syndicat réclame que l’employeur cesse cette attitude dévastatrice à l’égard du plaignant et qu’il prenne les mesures pour modifier sa conduite. Pour le second grief (11-00-06), il demande de plus que l’employeur fasse en sorte que le plaignant puisse effectuer son travail sans pression inutile.
[5] Les parties consentent les admissions d’usage, reconnaissant ainsi que la procédure prévue à la convention collective pour le dépôt des griefs a été respectée, que le tribunal en est valablement saisi et qu’il a compétence pour trancher le litige.
[6] Le syndicat reconnaît le statut d’intervenante à madame Sylvie Milot, directrice Exploitation et chef d’équipe du plaignant à compter de mars 2010.
[7] Après les deux premières journées d’audition, au cours desquelles le plaignant a complété son témoignage dans le cadre de la preuve du syndicat, ce dernier est placé en absence autorisée, sans rémunération, en raison de la suspension de son permis de conduire. Suivant en cela la procédure en vigueur, l’employeur reprend son ordinateur et chiffre son contenu.
[8] Bien que son témoignage dans le cadre de la preuve du syndicat soit terminé, le plaignant insiste pour avoir accès à ses courriels et au contenu de son ordinateur afin de s’assurer qu’il n’a rien oublié de mettre en preuve. À l’issue d’une conférence téléphonique tenue le 17 octobre 2012 avec les représentants des parties, le tribunal décide que le plaignant se rendra au bureau de l’employeur pour y consulter sa boîte courriel. En ce qui concerne les autres documents qui ne font pas partie de sa boîte courriel, l’employeur apportera son ordinateur à la prochaine audience. Si le tribunal décide qu’il est nécessaire pour le plaignant de consulter des documents, il y aura alors accès.
[9] À l’audience du 26 octobre 2012, la représentante du syndicat informe le tribunal qu’elle veut produire certains courriels du plaignant en réponse à des courriels déposés en preuve par l’employeur (notamment E-7, E-11, E-12, E-19, E-20, E-21 et E-26), mais qu’elle ne peut les imprimer à partir de l’ordinateur du plaignant parce qu’ils sont chiffrés. Le tribunal ordonne alors à l’employeur de déchiffrer le contenu de l’ordinateur du plaignant, en présence des représentants du syndicat. Le directeur principal des relations de travail, Gilles Lavoie, conservera l’ordinateur et l’apportera à l’audience du 3 décembre 2012 afin qu’il soit consulté devant le tribunal, en présence de toutes les parties.
[10] Le 6 novembre 2012, au cours d’une conférence téléphonique avec les représentants des parties, le représentant de l’employeur informe le tribunal qu’une copie intégrale de l’ordinateur du plaignant lui sera remise.
[11] À l’audience du 3 décembre 2012, la représentante du syndicat informe le tribunal que certains fichiers sont toujours chiffrés. Le directeur principal des relations du travail explique que cette situation est due au refus du plaignant d’allumer son ordinateur comme lui demandait le technicien, au motif que cela laisserait des traces. Il l’a donc allumé pour lui et le technicien a fait des tests. Mais le plaignant a aussi refusé de fournir son mot de passe.
[12] Le représentant de l’employeur explique que le vice-président du syndicat a pourtant confirmé, le 15 novembre 2012, que tous les documents demandés par le plaignant ont été déchiffrés et lui ont été remis. Mais le 26 novembre suivant, le plaignant réclame à nouveau une copie du contenu de son ordinateur. Le 28 novembre 2012, le technicien de Telus répond qu’il a fourni tout ce qui concerne le travail du plaignant et confirme que les DVD remis contiennent le profil demandé. Le plaignant refuse d’indiquer au technicien de Telus ce qu’il recherche de plus, d’allumer son ordinateur comme il le lui demande, au motif que cela laisserait des traces et de lui fournir son mot de passe. Le représentant de l’employeur allègue que les demandes du plaignant ont l’apparence d’une partie de pêche.
[13] Le tribunal décide qu’il y a lieu de procéder au réinterrogatoire du plaignant concernant les pièces déposées par l’employeur afin de constater si ce qu’il affirme qu’il y manque. Le plaignant explique alors qu’il aurait été intéressant d’avoir accès aux fichiers temporaires, car ils indiquent quand un programme est consulté.
[14] À l’audience du 17 décembre 2012, à l’étape de la contre-preuve, le tribunal refuse que le plaignant dépose l’enregistrement de conversations intervenues avec madame Milot et le directeur Lapointe en 2010 et en 2011. Le tribunal explique qu’il n’en a jamais été fait mention précédemment et que rien ne justifie de permettre un tel dépôt à cette étape.
[15] Le 17 décembre 2012, après avoir entendu l’ensemble de la preuve syndicale, l’employeur dépose un grief concernant les griefs syndicaux. Il y allègue notamment qu’il est manifeste que le dépôt et le maintien des deux griefs syndicaux constituent un abus de droit et entraînent des dommages importants à l’employeur. (…) les divers volets de ces griefs sont manifestement mal fondés et il apparaît clairement que le syndicat utilise cette procédure de manière excessive, déraisonnable et de manière à nuire (…) . Il réclame au syndicat la somme symbolique de 1 $ à titre de dommages.
[16] Le plaignant est détenteur d’un D.E.C. en génie électrique et informatique et de deux D.E.P. relatifs aux équipements de bureautique, ordinateurs et informatique.
[17] Le 25 juillet 2005, le plaignant commence à travailler sous la supervision de Sylvio Cormier à titre de technicien Télécom, réseau et réseautique à l’établissement de St-Georges-de-Beauce de Telus, une entreprise spécialisée dans le domaine des télécommunications. Il lui arrive de se déplacer pour travailler dans la région de la Beauce, à Québec, Chicoutimi et Sherbrooke. Ses principales tâches consistent à mettre en service des équipements informatiques de réseautique et de télécommunications dans les centraux et chez les clients et à en faire le diagnostic et la réparation. Il travaille alors environ 70 % du temps au niveau des centraux et 30 % auprès de clients.
[18] Denis Lapointe, directeur général Exploitation pour le Québec, explique que jusqu’en mars 2010, les divisions affaires et consommateurs de Telus au Québec sont structurées par territoires, dont Montréal, Québec, Bas St-Laurent et Côte-Nord. Sylvio Cormier est alors sous sa responsabilité, comme le sont indirectement le plaignant, qui fait partie de l’équipe de ce dernier, et Sylvie Milot.
[19] À compter de mars 2010, la division par territoire disparaît et l’entreprise est structurée uniquement en divisions affaires et consommateurs. Monsieur Lapointe assume la responsabilité de la clientèle affaires uniquement pour le Québec, une partie du Labrador et des Maritimes. Sylvio Cormier cesse de relever de lui et passe à la division des centraux, placée sous la responsabilité de Mark McCluskey dont le bureau est situé à Toronto.
[20] À l’occasion de cette réorganisation, les directeurs régionaux dont fait partie Sylvio Cormier, doivent décider de la répartition des employés en se souciant d’équilibrer les groupes. À la suite de cet exercice, le plaignant est orienté vers les clients (DMO3 data), parce qu’il en faisait déjà partie et aussi parce qu’il avait acquis une expertise antérieure dans ce domaine lorsqu’il travaillait pour Hydro-Québec. Sylvie Milot, qui travaille pour l’employeur depuis 26 ans et dont le bureau est situé à Québec, devient directrice Exploitation et responsable d’une quinzaine de techniciens qui assurent le service aux clients de la région de Québec et de la Beauce, dont le plaignant.
[21] Le plaignant apprend son changement d’affectation lors d’une rencontre qui se tient le 16 février 2010. Il est déçu de cette décision et la ressent comme un manque de reconnaissance de la part de son employeur. Il aurait voulu être consulté par Sylvio Cormier. Il précise que sa déception n’a rien à voir avec le fait de se déplacer chez les clients, mais plutôt parce qu’il n’est pas à l’aise dans ce travail, la téléphonie n’étant pas sa force. De plus, il n’accepte pas d’être déplacé du central (CO) vers la clientèle alors que Maxime Therrien, qui travaillait déjà à l’extérieur, y est affecté avec Michel Morin. Il rencontre Sylvio Cormier pour lui demander de revenir sur sa décision, mais ce dernier refuse.
[22] Dans un courriel daté du 11 mars 2010 où on peut notamment lire qu’il a l’impression de ne pas avoir eu de reconnaissance pour le travail effectué durant 4 ans et demi, le plaignant demande à nouveau à monsieur Cormier de lui expliquer son choix et de retourner travailler au central. Ce dernier lui répond ce même jour qu’il croit avoir été assez clair lors de la rencontre et qu’il n’a pas l’intention de modifier la composition du groupe du central de St-Georges-de-Beauce.
[23] Lorsque Sylvie Milot rencontre le plaignant en mars 2010, elle constate qu’il est fâché contre monsieur Cormier. Il lui dit que s’il le croise avec son camion, il va lui passer dessus . Il perçoit son transfert à la clientèle comme un manque de reconnaissance de l’entreprise. Comme il n’est pas bien et parce qu’il a tellement de haine en lui , elle lui recommande de recourir au programme d’aide aux employés (PAE) afin de passer à travers cette période difficile. Elle lui recommande d’être positif et l’assure qu’elle va l’aider à aller là où il veut.
[24] Le 9 avril 2010, jour où son transfert vers les clients entre en vigueur, le plaignant adresse un courriel à Sylvio Cormier au sujet de la réorganisation, avec copie à sa nouvelle chef d’équipe, Sylvie Milot, au directeur général Lapointe et au vice-président de ce dernier, Gerry Steiner, au directeur général Mark McCluskey et au vice-président de celui-ci, Fraser Pajak, au vice-président senior des vice-présidents, Tony Geheran, au vice-président exécutif, Kevin Salvadori, et au grand patron de Telus, le chef de la direction, Darren Entwistle. La lettre suivante est jointe à son courriel :
Bonjour,
Je suis à l'emploi de TELUS depuis bientôt cinq ans et j'ai toujours apprécié mon travail jusqu'à ce jour. Je m'explique, j'ai été engagé en juillet 2005 à titre de technicien réseau et je travaillais à 70 % du temps sur le réseau intérieur central (Projet PTQ, routine de central, OFFI, SPEC) et le reste du data affaires.
Chaque année, j'ai rencontré mon superviseur et mes évaluations étaient bonnes. Pendant ces évaluations, j'ai discuté avec lui de mon perfectionnement professionnel et de mes perspectives futures dans l'entreprise. À chaque rencontre, je lui faisais part de mes ambitions de travailler comme technicien de transport (backbone) et de réseau en fonction de mon DEC en réseautique. Il m’ a inscrit à plusieurs formations nécessaires pour ce type de tâches. De plus, il m’ a fait prendre de l'expérience avec mes collègues dans ce domaine.
En 2009 avec WFM, notre gestionnaire, a déterminé que Michel Morin (20 ans d'expériences) Martin Maheu (35 ans d'expériences) et moi-même (4 ans) serions technicien de central. Il a fait travailler Maxime dans le domaine résidentiel (Drop, nouvelle installation, trouble Term et Glob).
Lors de la rencontre pour la restructuration, le 16 février 2010, j'ai été placé dans le domaine DM03 (data) et Maxime dans le domaine CO (technicien de central). Suite à la rencontre, j'ai demandé à mon gestionnaire pourquoi j'étais placé dans le groupe DM03. Celui-ci m'a répondu que c'était comme ça et « tu n'as qu'à t'investir dans ton nouveau domaine ou bien de me donner les clefs de ton camion ».
J'ai du mal à comprendre sa décision. J'ai pris l'information auprès du syndicat et de mes autres collègues extérieurs et dans la plus part des cas, les gestionnaires ont respecté la majorité du travail effectué par les techniciens et en respectant leur compétences dans un profil de technicien réseau. Présentement on me place avec un des techniciens de trois autres districts pour former les nouveaux. J'ai beaucoup de questions sans réponses. J'aimerais bien que quelqu'un me fournisse une réponse à ces questions.
1. Pourquoi avoir investi dans un technicien, comme moi, en formations et en apprentissages de toute sorte, durant 4 ans pour me faire effectuer du DM03. Je considère que c'est toute une débarque pour moi.
2. Comment comprendre et adhéré à certaines valeurs de TELUS avec ce genre de décision?
3. Qu'est-ce que ça veut dire pour vous? http://habitat.tmi.telus.com/collaborate/display/engage/Home « J'aimerais croire que mon opinion compte dans les décisions prises qui me concernent. Je veux mener des activités gui augmentent véritablement la valeur de TELUS et être reconnu pour mes contributions à l'entreprise . »
4. Lorsque j'ai rencontré ma nouvelle directrice, celle-ci m'a dit « n'hésite pas si tu veux de la formation je pourrai t'en donner » . Est ce que je dois dire oui et me donner au delà de mes objectifs pour plus tard, lorsqu'il y aura une nouvelle réorganisation, me faire changer mes tâches encore une fois?
5. J'ai toujours traité mes collègues avec respect, j'ai toujours donné un service de qualité aux clients et rien ne va changer de ce coté. Par contre, j'aurai toujours un doute, sur les valeurs que TELUS a, envers ses employés
Je vous remercie de l'attention que vous porterez à la présente et de bien vouloir y donner suite.
(Reproduit tel quel.)
À l’audience, lorsque le représentant de l’employeur lui montre cette lettre, le plaignant répond ne pas être certain qu’il s’agit bien de la lettre qu’il a écrite et qu’il doit voir le document original qui se trouve dans son ordinateur. Lors de son réinterrogatoire, il affirme que son courriel était sous un autre format que celui qui a été déposé par l’employeur.
[25] Le plaignant explique avoir transmis copie de sa lettre à toute la hiérarchie de l’entreprise en espérant que le supérieur de monsieur Cormier demande de lui accorder la reconnaissance qu’il mérite et de le replacer dans le central.
[26] Par courriel daté du 10 avril 2010, dont copie est transmise uniquement à Sylvie Milot, Denis Lapointe et Mark McCluskey, monsieur Cormier répond au plaignant :
Steeven,
Comme tu le sais surement, je part en vacance dans quelques heures et que lorsque j'ai lu ta lettre je voulais apporter quelques précisions afin que les personnes que tu as mis en copie comprennent bien la situation. Je croyais que suite à la rencontre que nous avons eu face à face sur la réorganisation j'avais répondu à la majorité de tes questions, je vais les réitérer encore une fois.
Le choix des techniciens lors de la réorganisation à été fait en tenant compte de plusieurs facteurs afin d'atteindre l'objectif suivant; Continuer à bien livrer les services à nos clients avec un réseau robuste et performant , dans cette même rencontre j'ai mentionné que tu avais du talent spécialement du coté data et informatique et d'ailleurs tu avais été la personne identifié pour la formation CPE du coté des systèmes évolués (Cisco Call Manager). Lors de cette rencontre nous avons aussi discuté de ton Évaluation de Performance autant au niveau de tes compétence techniques que de tes compétences transversales. J'ai aussi mentionner que qu'il est important d'être heureux dans son travail et que si tu ne l'était pas tu pouvais regarder pour appliquer sur d'autres postes à TELUS et que si tu croyais que tu ne pouvais te réaliser chez TELUS tu pouvais toujours chercher dans une autre Entreprise afin de pouvoir te réaliser entièrement, de là l'expression de remettre tes clés et chercher un autre emplois ailleurs, ce qui serait malheureux pour TELUS.
J'espère avoir été mesure de mettre çette situation dans un contexte de changement.
(…)
(Reproduit tel quel.)
[27] Le directeur Lapointe téléphone au plaignant pour discuter de sa lettre du 9 avril 2010. D’entrée de jeu, il lui mentionne que ce n’est pas très habile de sa part d’en envoyer copie au président. Le plaignant insiste pour travailler au central. Il lui explique que ce n’est que partie remise, que des gens vont quitter et que des postes seront à nouveau disponibles. Mais le plaignant demeure intransigeant. Il dit qu’il hait Sylvio Cormier, se réveille la nuit pour le haïr, que ce dernier le lui rend bien, qu’il le frapperait avec son camion s’il le voyait sur la rue. Monsieur Lapointe recommande au plaignant de faire appel au PAE. Après environ 45 minutes, afin de le calmer, monsieur Lapointe lui dit qu’il va parler avec monsieur Cormier et qu’il lui reviendra.
[28] Le plaignant déclare ne pas se souvenir avoir tenu de tels propos et n’avoir jamais souhaité la mort de monsieur Cormier.
[29] Par courriel daté du 21 avril 2010, le plaignant demande aux directeurs Denis Lapointe et Mark McCluskey de rencontrer l’un d’eux afin de discuter de quelques pratiques douteuses de Sylvio Cormier. Monsieur Lapointe est surpris à la fois de la teneur de ce courriel et du fait que le plaignant en envoie copie au directeur McCluskey, puisqu’il lui a dit qu’il lui reviendrait après avoir parlé avec monsieur Cormier. Comme le plaignant ne veut pas attendre le retour de monsieur Cormier, ni la prochaine visite de monsieur Lapointe à St-Georges pour en discuter, ce dernier entreprend de communiquer avec lui par webcam, au moyen du logiciel Communicator. Il est alors à nouveau question du mode de sélection des employés pour le central. Après trois discussions par webcam, le plaignant finit par se plier avec réticence à la réorganisation.
[30]
[31] Le 3 mai 2010, Sylvie Milot transmet un courriel aux techniciens qui se trouvent maintenant dans son équipe afin qu’ils lui confirment avoir complété l’inventaire des compétences. Le 18 mai suivant, à la suite d’une rencontre survenue la veille, elle écrit un courriel au plaignant pour lui indiquer les choix qu’il doit faire afin de compléter cet inventaire. Le 25 mai, elle lui rappelle par courriel qu’il doit compléter cet inventaire. À nouveau, par courriel daté du 16 juin 2010, madame Milot lui demande de collaborer et de compléter l’inventaire des compétences. À l’audience, elle explique qu’elle doit insister auprès du plaignant puisque son propre supérieur lui envoie aussi des rappels à ce sujet.
[32] Le plaignant déclare que s’il tarde à compléter cet inventaire, ce n’est pas parce qu’il veut faire sa tête croche , mais parce qu’il attend de rencontrer le directeur Lapointe. Il a répondu au courriel de madame Milot du 25 mai qu’il allait lui revenir après cette rencontre. Il ne se rappelle pas s’il a répondu à son courriel du 16 juin et précise qu’il ne se sent pas menacé par son contenu. Lors de son réinterrogatoire, il déclare que s’il avait pu avoir accès au contenu intégral de son ordinateur, il aurait pu démontrer qu’il répond toujours à ses courriels. Il complète le document seulement au mois d‘août suivant, après sa rencontre avec le directeur Lapointe, rencontre au cours de laquelle il dit ce qu’il pense de la réorganisation. Il est le dernier technicien à remplir cet inventaire.
[33] Sans en parler d’abord avec sa supérieure et alors que celle-ci est en vacances, le plaignant fais parvenir un courriel au service des événements, avec copie à madame Milot, monsieur Lapointe et au président Entwistle, pour se plaindre de la façon dont les billets pour La Ronde ont été distribués par le bureau de Vancouver. On y lit :
Je voudrais dire que je suis profondément déçu de la façon dont les billets ont été distrlbués. Car Je viens de recevoir un email qui disait que tous les invitations complètes alors que je n'ai jamais eu d'invitations cette années. De plus, à chaque années Je me faisais plaisir d'acepter l'invitation et d'y aller avec ma famille. J'aimerais bien que les personnes qui ont fait les invitations, disent à mes deux enfants que vous ne pourrez aller à la ronde cette année, car on vous a oublier!!!!!!. Sommes nous entrains de croire que certaines personnes ou certains groupes ont des prévillèges ? Ou sont passé les regeles d'ethiques et nos bonnes valeurs de Telus ? Jamais je ne croirai a un oublie, car, nous sommes plusieurs à jamais avoir reçu cette invitation.
Merci bye
(Reproduit tel quel.)
Monsieur Lapointe indique au plaignant qu’il aurait dû lui parler avant d’envoyer son courriel.
[34] Le plaignant affirme que la responsable l’informe qu’il ne s’agit pas d’un oubli et que les villes ont reçu des billets, mais pas les petites municipalités qui y sont rattachées. À la suite de son courriel, il obtient des billets pour La Ronde.
[35] Le plaignant et madame Milot se rencontrent le 14 juillet 2010 pour discuter de son Profil d’occupation et faire le point sur son évaluation. Bien que Sylvie Milot l’affirme, le plaignant ne se souvient pas être revenu sur la réorganisation à cette occasion, ni lui avoir dit qu’il était mécontent de monsieur Cormier. Il se rappelle que madame Milot lui mentionne qu’il devrait avoir une attitude positive et précise n’avoir jamais eu une attitude négative à l’égard de son nouveau travail.
[36] Le 3 décembre 2010, le plaignant emboutit l’arrière d’un véhicule alors qu’il est au volant du camion de l’employeur. Puis, le 9 décembre suivant, il est en route pour effectuer une installation à St-Côme lorsque son camion est frappé par un véhicule qui traverse la route sans s’arrêter, ce qui lui cause une perte de contrôle. Il se rend à la clinique et s’absente du travail le lendemain. Le médecin lui prescrit une médication et il doit suivre des traitements de physiothérapie trois fois par semaine.
[37] La présidente du syndicat, Diane Gagné, déclare que le plaignant lui téléphone à la suite de son accident de la route afin qu’on lui explique la procédure au niveau de la CSST. Elle lui dit de remplir le formulaire et de l’envoyer au service de santé.
[38] Le plaignant affirme d’abord qu’il rencontre madame Milot deux fois entre mars et décembre 2010, soit lors de l’annonce de la réorganisation et le 14 juillet 2010. Ils se parlent aussi à quelques reprises au téléphone. Lorsque le représentant de l’employeur lui fait remarquer qu’il déclare aussi qu’une rencontre s’est tenue en mai et qu’ils se sont donc rencontrés trois fois et non deux, le plaignant répond avoir dit que deux rencontres complètes ont eu lieu avec madame Milot. Le tribunal intervient pour lui souligner que tel n’est pas le cas.
[39] Le 14 décembre 2010, Sylvie Milot rencontre le plaignant au bureau de St-Georges afin de discuter des objectifs et du formulaire ECI. On peut lire au formulaire qu’elle éprouve des difficultés dans ses relations avec le plaignant. Elle explique à l’audience qu’il ne la regarde pas et ne la salue pas quand ils se croisent. Quand ils se parlent, il revient toujours sur la réorganisation. Il est sur la défensive, prompt, se sent surveillé. Elle mentionne aussi au formulaire que le plaignant donne difficilement suite à ses demandes et en donne les exemples suivants :
· Communicator :
Bien qu’elle lui demande d’installer le logiciel Communicator sur son ordinateur et de s’y brancher, comme le font tous les autres employés, afin qu’elle puisse le joindre, il a toujours une bonne raison de ne pas le faire : son ordinateur est brisé, ou encore son ordinateur neuf ne fonctionne pas. Il n’est donc jamais branché et elle doit lui téléphoner;
Selon le plaignant, il n’est pas obligatoire de se brancher sur Communicator et il n’est pas exact que les autres techniciens le font. Il reconnaît que Sylvie Milot lui demande à deux ou trois reprises, entre juillet et décembre 2010, de se brancher sur Communicator afin de pouvoir clavarder dans un cadre professionnel. Il lui répond qu’il hait le chat et qu’elle peut l’appeler sur son cellulaire. Lors de l’évaluation, elle lui demande de faire un effort et d’installer Communicator sur son ordinateur. Il ajoute qu’en 2010, avec son ancien ordinateur, il ne peut naviguer sur internet ou installer des logiciels. Quand il obtient un nouvel ordinateur, vers le début de l’année 2011, Communicator est déjà installé et les autres techniciens l’utilisent;
· Stationnement à Sherbrooke :
Lorsque le département des ventes met fin à la location du stationnement à Sherbrooke, madame Milot demande au plaignant d’avoir de la monnaie avec lui et d’utiliser les parcomètres, comme le font les autres techniciens. Mais le plaignant refuse et utilise un stationnement au coût de 8 $;
Le plaignant déclare qu’il utilise les parcomètres quand il se rend au Central, puisqu’il n’a qu’une petite valise avec lui. Mais les parcomètres sont situés trois coins de rue plus loin que son client du […] (il dira plus tard deux feux de circulation, puis un kilomètre plus loin). Comme il doit porter du matériel qui pèse environ 60 lb, il continue à utiliser le stationnement à 8 $.
[40] Cette rencontre dure environ une heure et se déroule bien, selon madame Milot.
[41] Lors de cette rencontre d’évaluation du 14 décembre 2010, madame Milot remplit pour le plaignant son formulaire de Réclamation du travailleur qu’elle est allée chercher sur internet, pour les accidents des 3 et 9 décembre précédents. Par la suite, elle le numérise et le transmet au service de santé, car elle veut s’assurer que le plaignant soit payé.
[42] Le plaignant explique ne pas avoir rempli le formulaire avant parce qu’il ne sait trop quoi faire. On lui a bien dit d’aller le chercher en ligne, mais il ne l’a pas fait. C’est la première fois qu’il a un tel accident. Mais il a déjà eu des accidents de travail et il a rempli lui-même les documents requis. Il ne demande pas à Sylvie Milot de remplir son formulaire. Mais comme elle insiste pour le faire, il lui fournit les informations, tout en lui demandant pourquoi elle le remplit alors que c’est lui qui devrait le faire. Le plaignant affirme être un grand garçon et c’est pourquoi il reproche à madame Milot de ne pas l’avoir laissé remplir seul le formulaire. Il précise n’avoir jamais éprouvé de problème dans ses relations avec Sylvie Milot avant cet accident.
[43] Des échanges courriel ont cours entre le plaignant et le service de santé à la suite de son accident. Le plaignant est au courant que Sylvie Milot reçoit aussi des demandes du service de santé à son sujet :
· le 24 janvier 2011, le service de santé demande au plaignant un document Réclamation du travailleur lisible. Le 7 février suivant, le service demande à Sylvie Milot d’aviser rapidement ce dernier que les Rapports CSST reçus le 2 février précédent sont illisibles. Le plaignant ne se souvient pas que sa supérieure l’ait contacté à ce sujet. Subséquemment, le plaignant doit transmettre au service de santé les dates de ses rencontres avec le médecin;
· le 2 février 2011, Sylvie Milot demande à Carolle Cloutier du service de santé où le médecin a écrit travaux légers et cette dernière fait suivre le courriel au plaignant en lui demandant d’y répondre. Le plaignant précise à l’audience que c’est la seule discussion qu’il a avec sa gestionnaire à ce sujet. Il n’a pas à lui lire le document si elle est incapable de le faire, ni à lui dire où il en est. Il s’agit d’informations personnelles qu’il fournit au service de santé. Il dit qu’il envoie copie de ses échanges avec le service de santé à Sylvie Milot, à sa demande et parce qu’elle lui dit qu’il a des comptes à lui rendre, étant sa gestionnaire. Il ajoute que les discussions avec madame Milot accrochent beaucoup . La présidente du syndicat précise que le plaignant lui téléphone à plusieurs reprises parce que sa gestionnaire veut obtenir copie des rapports médicaux. Après avoir vérifié auprès des relations du travail, on lui répond que ces rapports doivent plutôt être acheminés au service de santé ;
· le 9 mars 2011, Sylvie Milot informe le plaignant qu’elle vient de discuter avec le service de santé et qu’il doit communiquer avec madame Desjardins concernant son dossier médical. Le plaignant déclare à l’audience qu’il ignorait pourquoi il devait communiquer avec cette dernière. Toutefois, ce même jour, il fournit un formulaire d’autorisation et les noms des cliniques où il a consulté un médecin afin qu’ils puissent obtenir les notes cliniques de son suivi médical;
· malgré des documents à cet effet, le plaignant nie avoir eu des échanges avec Sylvie Milot sur Communicator concernant son état de santé. Il déclare ne pas connaître le fonctionnement de ce logiciel même s’il y a déjà écrit. Au moment de la contre-preuve, le plaignant produit un document extrait du panneau de configuration de son ordinateur, démontrant qu’il a utilisé fréquemment Communicator. Il ne reconnaît pas la transcription d’une conversation du 23 février 2011, extraite de ce logiciel, et nie l’échange du 25 février 2011 disant que sa douleur n’est pas à l’omoplate, comme il en est fait mention. Lors de son réinterrogatoire, il déclare ne pas avoir retrouvé ces échanges parce que les fichiers étaient chiffrés. Il aurait dû les retrouver puisqu’il avait coché l’option enregistrer dans Communicator.
[44] En 2011, le plaignant devient président de la section locale du syndicat à St-Georges. C’est sa première expérience syndicale.
[45] Du 11 décembre 2010 au 24 février 2011, le plaignant continue à accomplir des tâches reliées à son travail habituel, selon ce qu’il décide être capable de faire. À compter du 25 février 2011, madame Milot s’entend avec Mario Dallaire pour qu’il l’assigne à la coordination de la qualité.
[46] Le plaignant déclare qu’il rencontre Sylvie Milot le 3 mars 2011 afin de discuter des points d’évaluation du 14 décembre précédent. Il s’agit, selon lui, d’une rencontre convoquée par sa supérieure, qui dure environ deux heures. Cette dernière déclare au contraire que la rencontre pour le ECI est fixée au 15 mars 2011, à la demande du plaignant qui veut effectuer un suivi avec elle. Ce dernier l’annule par courriel ce même jour, au motif qu’il est retenu chez un client et une nouvelle rencontre est fixée au 25 mars suivant.
[47] Le plaignant explique que le ECI est barré après sa rencontre pour fixer les objectifs avec sa gestionnaire. Lorsqu’il est débarré, en mars 2011, il est en désaccord avec les commentaires que sa gestionnaire y a inscrits et c’est pourquoi il demande de la rencontrer. Le plaignant rapporte comme suit le déroulement de cette rencontre :
· Madame Milot lui demande comment va son bras. Il répond que ça ne va pas trop mal. Il ne veut pas entrer dans ses affaires personnelles. Elle lui reproche d’être fermé et de ne pas collaborer, car il ne fournit pas les dates de ses rendez-vous médicaux. Il répond qu’il ne les a pas puisque l’horaire des sans rendez-vous n’est pas encore sorti et qu’il lui fournit les dates dès qu’il les a. Madame Milot poursuit en disant qu’il possède un excellent savoir-faire à titre de technicien, mais qu’il ne maîtrise pas le savoir-être, sans lui donner aucun exemple. Elle lui recommande la lecture du livre Aptitude 101 offert par le président aux gestionnaires. Elle ajoute qu’il ne s’adapte pas aux changements. Il répond que, même s’il est en désaccord avec la réorganisation, cela n’a rien changé à son travail;
· Madame Milot a écrit qu’elle ne pouvait noter le plaignant sur le programme 5 étoiles, parce qu’il a reçu une seule carte de satisfaction. Le plaignant lui souligne qu’il remet toujours une carte de satisfaction aux clients et l’informe que Carolle Cloutier lui a dit, en décembre 2010, avoir reçu 19 cartes. Un courriel de cette dernière, daté du 21 février 2011, confirme cette affirmation. Madame Milot répond qu’il est cependant impossible de rouvrir le ECI;
· Concernant les demandes d’entrer son kilométrage, le plaignant explique à madame Milot qu’il a mis un rappel dans son Outlook et lui montre 16 entrées. Elle réplique qu’il est sur la défensive et note que sa réponse signifie qu’il croit qu’elle ment;
· Madame Milot souligne que Sherbrooke ne lui appartient pas et que des collègues sont d’avis qu’il s’en accapare, sans lui fournir les noms de ces derniers. Le plaignant répond que c’est la coordonnatrice qui distribue le travail;
· Lorsqu’elle lui fait remarquer qu’il est impatient et brusque, il reconnaît que ça lui est arrivé à une ou deux reprises concernant un rapport à la CSST et un formulaire à remplir pour une cote de sécurité. Alors qu’il rapporte ces propos à l’audience, le plaignant se met à pleurer : il explique que c’est arrivé alors que ses parents venaient de se séparer, qu’il en a été affecté, car la vie de couple est importante pour lui;
· Sylvie Milot a écrit qu’il est obstiné et elle lui mentionne le problème du stationnement à Sherbrooke;
· Concernant Communicator, il fait état des problèmes qu’il a éprouvés avec ses ordinateurs : le routeur ne fonctionne pas sur son nouveau et il utilise donc son ancien sur lequel Communicator ne fonctionne pas. Il ajoute qu’elle est comme une mère qui le suit et veut tout savoir. Le plaignant explique à l’audience que la veille de cette rencontre, il est revenu tard de Sherbrooke. Il s’est donc rendu avec le camion de Telus à sa résidence et est reparti le matin vers Sherbrooke. Lorsqu’on demande à ses collègues où il est, il se sent pogné : on le surveille pour voir s’il commet une erreur. Il ne veut plus vivre ce stress. Plus le temps passe et plus cette surveillance devient insupportable.
[48] Lors de son témoignage, le plaignant souligne qu’il souffre d’aérophagie en raison du stress qu’il éprouve.
[49] Le vendredi 11 mars 2011, le plaignant avise la secrétaire qu’il ne se présentera pas au travail parce qu’il souffre d’une gastro. Il dit avoir éprouvé des douleurs énormes à l’estomac au cours de la nuit précédente. Le lundi suivant, 14 mars 2011, voyant que son état ne s’améliore pas et qu’il a perdu 13 lb, il se rend à l’hôpital et en avise la secrétaire. À son retour à la maison, il a un message téléphonique et un courriel de Sylvie Milot l’informant qu’il doit faire remplir un document par son médecin afin d’être payé pour ses absences du vendredi et du lundi. La présidente Gagné lui confirme que l’employeur a le droit de demander un rapport médical détaillé. Madame Milot explique à l’audience qu’elle veut éviter que sa paie soit coupée. Mais le plaignant lui dit que ça ne la regarde pas et son absence est modifiée pour non payée.
[50] Pour le plaignant, cette demande de certificat médical est la goutte qui fait déborder le vase : madame Milot ne l’appuie pas et ne lui fait pas confiance, bien qu’il se soit très peu absenté jusque-là. Il reconnaît que madame Milot s’efforce d’éviter que son salaire soit coupé. Mais c’est trop et cela fait partie de ce dont il se plaint. Il appelle son syndicat pour demander de déposer un grief de harcèlement. Il ne demande pas à Sylvie Milot de cesser de le harceler.
[51] Selon le plaignant, il est impossible que l’employeur ait mis fin à son affectation aux travaux légers parce qu’il a déclaré au service de santé qu’il ne suivait plus de traitements et ne prenait pas de médication, comme en fait état un courriel de France Desjardins à madame Milot. C ’est le médecin qui décide , dit-il. Il déclare ensuite qu’il ne s’en souvient pas, mais que la fin des travaux légers n’a rien à voir avec cette conversation.
[52] Le 16 mars 2011, après avoir été avisée par le service de santé qu’il peut reprendre le travail régulier avant que la consolidation soit fournie par le médecin, madame Milot écrit au plaignant pour lui demander un formulaire médical à cet effet. Elle explique à l’audience que ce formulaire est nécessaire pour qu’elle puisse le faire travailler. En après-midi, elle informe le plaignant par courriel qu’elle vient de recevoir la confirmation du service de santé pour son retour aux travaux réguliers et qu’elle avise la coordination en conséquence. Le lendemain, 17 mars 2011, le plaignant écrit ce qui suit dans un courriel adressé à France Desjardins du service de santé, dont il envoie copie à madame Milot :
(…)
Pour ce qui est du retour au travail régulier. lorsque tu auras le formulaire du médecin qui a été envoyé par Carolle Cloutier par courrier interne.
Tu l’examineras et tu rendra la décision du retour au travail. Ainsi tu avisera les personnes concernées pour ce dossier. Je crois bien que je vais continuer mes travaux légers jusqu’à ta décision. Car, il y a un manque de communications et de confiance dans ce dossier.
(…)
(Reproduit tel quel.)
[53] À l’occasion de l’anniversaire de naissance du plaignant, Sylvie Milot lui fait parvenir un courriel lui souhaitant une bonne fête de la part de toute l’équipe. Le plaignant ne se rappelle pas avoir reçu ce courriel.
[54] Le 22 mars 2011, le syndicat remplit un formulaire de grief signé par le plaignant. La présidente Gagné explique à l’audience que le plaignant lui dit être anxieux, se sentir épié et devoir prendre une médication. Elle affirme avoir mené une enquête avant et discuté avec le directeur Lavoie pour trouver une solution à la situation du plaignant avant de déposer un grief. Au cours de son enquête, Pierre-Luc Pelletier lui confie avoir demandé de changer de gestionnaire parce que madame Milot a pour habitude de talonner successivement les employés. Sylvie Milot déclare au contraire que monsieur Pelletier, ciblé pour aller dans une autre équipe à l’occasion de la réorganisation de mars 2010, a demandé à venir dans son équipe de service aux clients, ce qu’elle a accepté.
[55] Concernant le libellé du grief, la présidente Gagné explique que l’acharnement administratif réfère aux appels téléphoniques où le plaignant se fait raccrocher au nez par sa gestionnaire ainsi qu’aux demandes de celle-ci d’utiliser Communicator. Les réactions démesurées sont relatives à l’absence de retour d’appel de la gestionnaire. Les problèmes de concentration et de réflexion réfèrent aux médicaments que doit prendre le plaignant pour traiter son anxiété et sa dépression.
[56] Lorsqu’il est contre-interrogé à ce sujet par le représentant de l’employeur, le plaignant explique avoir raconté au syndicat ce qu’il vit. Il n’a pas rédigé le grief. Il n’a pas mentionné qu’il avait des problèmes de réflexion. Quant à la référence à une surveillance exagérée, il est certain que ce n’est pas en réaction aux demandes de Sylvie Milot relativement à son utilisation de Communicator. L’histoire de la CSST, les demandes de rapports et le fait que des collègues de bureau disent que madame Milot le cherche sont à l’origine de sa plainte.
[57] Le formulaire de grief est transmis le 23 mars 2011 par courriel au directeur Lavoie, avec copie à Sylvie Milot. Cette dernière est très surprise : aucun événement ne lui vient en tête relativement au harcèlement allégué. Elle en discute avec le directeur Lapointe et Manon Desrosiers, du service des relations de travail. Sur les conseils de cette dernière, elle annule la rencontre d’évaluation du plaignant fixée au 25 mars suivant, car elle n’est pas assez sereine pour la tenir.
[58] Elle n’a reçu qu’un seul autre grief au cours de sa carrière de la part d’un technicien qui demandait une réévaluation du profil d’occupation, question à laquelle il appartenait aux relations de travail de répondre. À ce sujet, le directeur Lavoie explique que madame Milot a collaboré avec les relations du travail pour l’aider à le replacer dans l’organisation.
[59] Parce qu’il ne comprend pas ce qui a pu se produire pour justifier le dépôt du grief, qu’il qualifie de cinglant, Sylvie Milot n’ayant pas, selon lui, une attitude vexatoire ou arrogante, le directeur Lavoie demande des précisions au syndicat. La présidente Gagné lui fournit quelques éléments de réponse à ses interrogations par courriel daté du 3 mai 2011. On y lit :
1. La gestionnaire de M. St-Laurent utilise « Communicator » pour une surveillance indue de son travail. Par exemple, si monsieur St-Laurent n’a pas touché à son ordinateur pendant quelques minutes, elle le questionne sur ce qu’il est en train de faire dans la minute présente alors qu’il est dans le central.
2. Il a reçu un appel de sa gestionnaire suite au dépôt du grief : elle était très fâchée, l’a sermonné et lui a raccroché la ligne au nez.
3. Il a demandé une rencontre concernant son E.C.I. et elle ne retourne même pas ses appels.
[60] Gilles Lavoie répond à Diane Gagné ce même jour en disant que les points dont elle fait état sont très faibles en regard du libellé du grief, que les points 2 et 3 sont postérieurs au grief, alors que le point 1 est une demande normale d’un gestionnaire pour garder le contact avec ses techniciens et que le plaignant n’est pas le seul dans cette situation. Il conclut qu’il n’y a aucune raison de soumettre ce dossier en arbitrage et qu’il attend un désistement d’ici le 5 mai suivant. Le syndicat ne répond pas à sa demande.
[61] Après le dépôt du grief, le directeur Lapointe aperçoit la lumière verte du plaignant sur Communicator. Il lui demande ce qui se passe. Le plaignant répond par sous-entendus à ses questions, disant qu’il ne devrait pas être là, mais plutôt dans les centraux et qu’il n’aime pas son emploi. Il veut rencontrer Diane Gagné et Gilles Lavoie. Monsieur Lapointe ne se souvient pas lui avoir dit qu’il creusait sa tombe avec ce grief.
[62] Selon le plaignant, tout déboule à partir de son grief de harcèlement : la situation le rend anxieux et il doit prendre des médicaments pour la dépression et pour dormir.
[63] Par courriel daté du 29 mars 2011, le plaignant demande à Sylvie Milot une rencontre pour discuter du ECI 2011. Il revient à la charge le 31 mars suivant. Le même jour, elle répond qu’elle préfère attendre sa réponse et celle du syndicat concernant la demande de détails formulée par le directeur Lavoie à l’égard du grief.
[64] À l’audience, le plaignant explique qu’il demande justement à rencontrer madame Milot parce qu’elle veut connaître les motifs de son grief. Il n’a pas peur de la rencontrer pour des raisons professionnelles, même s’il a peur quand il la voit, ce qui provoque chez lui des tremblements et de la tachycardie. Par la suite, il déclare à nouveau qu’il n’a pas peur de la rencontrer. Puis, il dit être terrifié par madame Milot, mais vouloir la rencontrer pour discuter du grief parce qu’elle le lui a demandé et qu’il a la volonté d’arranger les choses. Il répète qu’elle le terrifie. Il est déçu de son attitude. Plus tard au cours de l’audience, il affirmera que ça ne le dérange pas de parler avec elle et que ça ne lui cause aucun inconfort physique.
[65] Le 11 avril 2011, l’employeur annonce que Sherbrooke sera desservi par Montréal à compter du 26 avril suivant. Le plaignant est responsable de l’expédition du matériel à Montréal.
[66] Selon le plaignant, Sylvie Milot l’informe le 18 avril 2011 qu’elle passera avec le coordonnateur qualité, Christian Germain, pour déterminer quel matériel doit être envoyé à Montréal. Mais il n’a pas de nouvelles d’eux. Il affirme n’avoir jamais reçu les courriels du 26 avril échangés entre mesdames Bourque, Milot et Yogan Gasse notamment, où le nom Steeven apparaît. C’est seulement le 27 avril suivant que madame Milot téléphone pour demander s’il envoie les boîtes à Montréal. Il lui répond qu’il est occupé à autre chose. Madame Milot réplique : vas-tu les envoyer les boîtes? Tu me cherches? Tu m’as trouvée. Puis elle raccroche.
[67] À la suite de cet appel, le plaignant informe la coordination qu’il ne peut faire le travail qu’on lui a assigné parce qu’il doit expédier les boîtes et son horaire est modifié en conséquence. Il appelle le coordonnateur qualité pour savoir quelles boîtes envoyer, Sherbrooke étant divisé entre deux territoires. Ce dernier dit qu’il lui reviendra. Puis il communique avec Sylvie Milot afin de savoir pourquoi elle a crié après lui. Il veut aussi lui demander de fixer une rencontre le 5 mai suivant. Il tente de lui expliquer qu’il a déjà utilisé les boîtes qu’elle demande pour un autre travail. Elle lui répond d’envoyer toutes les boîtes et ajoute qu’il est juste bon à rester assis et à parler avec les autres . Il ne comprend pas qu’on lui dise qu’il lui a manqué de respect alors qu’ il s’est donné toute la journée à Telus . Il inscrit dans sa feuille de temps du 27 avril 2011 Administration manque de respect de Sylvie Milot .
[68] Pendant quatre heures, il prépare l’envoi des boîtes que Purolator doit passer prendre dans l’après-midi. Il se rend ensuite exécuter un travail chez Shell. En raison d’un problème de carte magnétique, Purolator ne peut accéder au Central. À son retour au bureau le 28 avril, ses collègues lui disent en riant que Christian Germain est venu chercher les boîtes.
[69] Il ne sera pas avisé de l’annulation de la rencontre du 5 mai.
[70] Selon Sylvie Milot, aucune boîte n’est encore expédiée le 21 avril, le plaignant disant qu’il n’a pas l’adresse. Elle appelle ce dernier alors qu’elle est en réunion mains libres et vidéo avec le directeur Lapointe et ses collègues, Serge Nadeau, Fernand Rancourt et Jean-Pierre Paradis. Le plaignant lui dit alors que rien n’est plus pareil depuis son grief. Elle répond qu’elle ne va pas le remercier d’avoir formulé un grief de harcèlement psychologique. Il ajoute qu’il n’a pas le temps de faire les boîtes et qu’elle lui fait penser à sa fille quand il lui refuse quelque chose. C’est alors qu’elle lui dit tu me cherches, arrête . Comme il recommence, elle lui dit qu’elle va raccrocher. Quand il rappelle, elle l’informe qu’elle est en téléconférence. Il lui demande pourquoi elle est comme ça, pourquoi elle a raccroché et insiste pour la rencontrer. À la suggestion de son collègue Nadeau, formulée sur Communicator, elle fixe une rencontre au 5 mai suivant. Celle-ci n’aura cependant pas lieu.
[71] Le plaignant complète la préparation des boîtes à être expédiées à Montréal le 26 avril seulement. Mais lorsque le représentant de Purolator se présente sur les lieux, une seule boîte est identifiée et les boîtes demeurent donc sur place. Le lendemain, madame Milot demande à Christian Germain de ramasser les boîtes et de les livrer à Montréal.
[72] Le 18 avril 2011, le plaignant informe madame Milot qu’il a un rendez-vous médical le 21 avril suivant pour son dossier CSST. Le lendemain, 19 avril, il lui écrit qu’il rencontre son médecin en après-midi en précisant qu’il a un problème de sinus. Il déclare à l’audience qu’il lui fournit ces renseignements parce qu’il a des comptes à rendre à sa supérieure.
[73] Sylvie Milot est informée par le directeur Planification et Ingénierie, Martin Ross, qu’il est difficile et parfois pénible de travailler avec le plaignant, que ce dernier n’a pas fourni son entière collaboration pour l’installation d’une ligne de gestion et qu’il n’avait pas son ordinateur avec lui le 26 avril 2011.
[74] Le plaignant nie avoir omis de prendre son portable avec lui. Il n’a jamais entendu parler de cet incident. Il a d’ailleurs reçu une carte du client disant qu’il était entièrement satisfait.
[75] Vers la fin avril 2011, on offre au plaignant d’être affecté temporairement aux centraux pour y travailler à des jumpers . Ce travail doit durer environ trois mois, à raison de quatre jours par semaine. Le plaignant accepte, car il s’agit d’un travail qu’il aime.
[76] Le 12 mai 2011, le plaignant reçoit la contestation de l’employeur concernant la décision de la CSST rendue le 7 avril précédent au sujet d’un nouveau diagnostic. Le plaignant comprend qu’il doit encore se battre, bien qu’il ait fourni toutes les informations et les documents demandés par le service de santé.
[77] Le 13 mai 2011, madame Milot, accompagnée de Sylvio Cormier, remet au plaignant, en présence de la présidente du syndicat, une lettre de préoccupation préparée par les relations de travail, qui se lit comme suit :
(…)
À plusieurs reprises déjà, je vous ai fait part de mes inquiétudes concernant différents points pour lesquels vous deviez apporter une amélioration. Le but de cette lettre est de consigner ces différents points et elle servira d'avertissement concernant les aspects que vous devez améliorer et ce, de façon soutenue.
· Vous devez vous assurer d'accomplir toutes les tâches de votre poste de « technicien, télécom réseau et réseautique » selon les exigences de l'Employeur et ce, en priorisant le service au client.
· Nous vous demandons de cesser tout commentaire irrespectueux envers votre Employeur ainsi que de porter une attention particulière au respect de la politique d'éthique de TELUS.
· Respectez les consignes concernant les travaux à effectuer (qu'elles soient écrites ou verbalement demandées par votre coordonnateur ou votre gestionnaire).
o Les délais d'exécution prévus devront être respectés.
o Votre refus d'exécuter certaines tâches ou d'aider lorsque requis seront non tolérés. Si non respect, ceci sera considéré comme de l'insubordination et les mesures appropriées seront prises.
· Nous nous attendons à ce que les directives ou règles de l'Employeur soient dûment respectées.
o Vous devez informer votre coordonnateur et votre gestionnaire lors de toute absence. De plus, si vous devez vous absenter pour raisons médicales, une justification médicale (formulaire du praticien) sera requise afin de justifier votre absence.
o À noter que toute heure supplémentaire doit être préalablement approuvée par votre gestionnaire à moins que vous soyez dans une situation de terminer les travaux déjà débutés chez un client.
· Suite à certains commentaires reçus, vous devez cessez immédiatement toute attitude négative au travail tant à l'égard de vos collègues, de votre gestionnaire ainsi qu'à l'égard de notre clientèle et que vous apportiez votre collaboration lorsque requis.
Nous considérons que les nombreuses rencontres ou discussions antérieures au cours desquelles les éléments ci-haut ont été discutés n'ont pas, à ce jour, engendré une amélioration notable et maintenue.
Je continuerai à vous évaluer en espérant que vous y apporterez une amélioration significative et soutenue. Si vous vivez des situations difficiles dans votre vie personnelle ou professionnelle qui peuvent affecter votre capacité à vous présenter au travail, TELUS offre un Programme d'aide aux employés et à la famille (PAEF) gratuit et confidentiel que je vous encourage à utiliser. Vous pouvez prendre les arrangements pour accéder à ce programme en appelant le numéro sans frais au 1-800- 363-3872.
Veuillez noter que si vous ne remédiez pas aux problèmes identifiés, ou si nous notons tout autre problème de comportement/ rendement, nous serons tenus d'envisager d'autres mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'à votre congédiement de TELUS.
(…)
(Reproduit tel quel).
[78] Madame Milot remet aussi au plaignant une suspension d’un jour pour avoir inscrit dans sa feuille de temps du 27 avril précédent des commentaires inappropriés envers sa gestionnaire. Ces deux mesures ont fait l’objet de griefs, mais le tribunal n’en est pas saisi.
[79] Le plaignant n’a fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire auparavant. En après-midi, il informe Sylvie Milot qu’il s’absente pour maladie, précisant qu’il a avisé le coordonnateur de qualité.
[80] Une rencontre qui se tient entre, d’une part, Gilles Lavoie et Manon Desrosiers des relations de travail et Diane Gagné et la conseillère syndicale, Madeleine B. Hudon, d’autre part, ne réussit pas à dénouer l’impasse concernant le grief de harcèlement du plaignant. Les représentants du syndicat ne fournissent pas à l’employeur d’autres détails concernant ce grief. Ils répondent à sa demande de précision en disant de valider avec Sylvie Milot, car ça ne va pas bien.
[81] La direction décide donc de convoquer une rencontre d’une demi-journée avec l’équipe de techniciens, le lundi 17 mai 2011, et de suspendre les opérations pour cette période. Le plaignant déclare que Diane Gagné lui explique que cette rencontre a pour objet de discuter de la gestion de madame Milot.
[82] Madame Milot débute la réunion en remerciant les techniciens pour leur travail. Puis, elle dit avoir entendu qu’il existait une certaine insatisfaction et les invite à en parler. Un technicien souligne la difficulté qu’il éprouve dans l’utilisation du logiciel SIMS. Un autre se plaint du manque de formation et un autre que la coordination est difficile. Il est aussi question de Communicator : selon le directeur Lapointe, qui participe à la réunion, les techniciens mentionnent que c’est un outil de communication directe, pratique et apprécié de tous. Quant à Facebook, le directeur leur indique qu’il peut être utilisé pour se rapprocher des gens et qu’ils sont libres d’y participer. Le plaignant est en retrait, au fond de la salle, les bras croisés et ne participe pas. Quand il lui demande si quelque chose le tracasse, il répond espérer avoir des billets pour La Ronde.
[83] Le plaignant déclare au contraire que personne n’intervient au cours de cette réunion qui dure environ une heure.
[84] Dans un courriel adressé à la présidente du syndicat, daté du 29 juin 2011, le directeur Lavoie reprend toutes les démarches qui ont été effectuées depuis le dépôt du grief avant de demander à nouveau au syndicat de s’en désister :
Considérant le dépôt du grief 11·00-01 en date du 22 mars 2011 ;
Considérant la réponse de l'Employeur en date du 30 mars 2011 dans laquelle nous vous avons indiqué que ce grief est irrecevable et sans fondement;
Considérant votre demande de référence à l'arbitre en date du 12 avril 2011 ;
Considérant notre réponse à votre demande de référence en date du 18 avril 2011 vous mentionnant que nous étions toujours en attente d'un désistement ou des informations détaillées selon les prétentions de l’employé et de prolonger jusqu'au 27 mai 2011 ce dossier;
Considérant votre acceptation pour la prolongation au 27 mai 2011 en date du 19 avril 2011 ;
Considérant un rappel en date du 1 er mai 2011 afin de recevoir un document nous expliquant les prétentions de l'employé;
Considérant votre réponse en date du 3 mai 2011 (12h08) nous exprimant les prétentions de l'employé;
Considérant notre retour en date du 3 mai 2011 (17h02) vous mentionnant que les points mentionnés étaient très faibles et que deux des trois points étaient des éléments postérieurs au dépôt du grief et qu'un délai supplémentaire vous était transmis jusqu'au 5 mai 2011 afin de recevoir un désistement de ce grief;
Considérant votre demande pour la confirmation d'un choix d'arbitre en date du 4 mai 2011 et à défaut, le dossier serait transféré au Ministère du travail pour la nomination d'un arbitre à compter du 27 mal 2011;
Considérant une rencontre tenue entre le Syndicat et les Relations de travail en date du 6 mai 2011 ;
Considérant la rencontre tenue entre les gestionnaires et les employés de ce secteur en date du 17 mai 2011 ;
Considérant la note de l'Employeur en date du 18 mai 2011 dans laquelle nous vous avons été informés que lors de la rencontre du 17 mai 2011 les employés ont eu l'opportunité d'exprimer leur insatisfaction;
Considérant que dans cette même note du 18 mai 2011 , nous avons réitéré un désistement pour ce grief;
Considérant votre note en date du 26 mai 2011 nous informant qu'iI n'y aura pas de désistement dans ce grief et qu'une demande serait transmise au Ministère du travail;
Considérant notre demande de prolongation en date du 27 mai 2011 pour un délai supplémentaire jusqu'au 30 juin 2011;
Considérant une rencontre tenue entre le Syndicat et les Relations de travail en date du 9 juin 2011 quant à une proposition de règlement qui sera transmise aux gestionnaires;
Considérant la discussion tenue entre Madeleine B. Hudon et Gilles Lavoie en date du 28 juin 2011 afin d'informer Madeleine que la proposition est refusée par les gestionnaires;
Devant tous ces faits et tel que déjà mentionné lors des discussions antérieures dans ce dossier, l'Employeur vous réitère une demande de désistement pour ce grief.
Nous vous donnons donc un délai supplémentaire jusqu'au 30 juin 2011 à 16h00 afin de recevoir un désistement.
Devant une réponse négative de votre part, l'Employeur se verra dans l'obligation de prendre des mesures supplémentaires qui auront comme objectif d'informer l'employé d'une mise en garde concernant tout propos diffamatoires il l'égard de la gestionnaire visée.
(…)
(Reproduit tel quel)
[85] Le syndicat répond à Gilles Lavoie qu’il poursuit son grief en arbitrage. Dans un courriel adressé au syndicat et au plaignant, daté du 11 juillet 2011, monsieur Lavoie avise ce dernier qu’aucun écart de sa part envers sa gestionnaire ne sera toléré et que tout manquement sera sanctionné. Ce courriel se lit comme suit.
[86] Après la rencontre du 3 mars 2011, le plaignant demande à plusieurs reprises à rencontrer Sylvie Milot pour les objectifs du ECI. Cette dernière a entré ses objectifs dans le système informatique le 13 mai précédent. Mais il ne peut y entrer les siens avant d’en discuter avec elle, ce qu’il est à l’aise de faire. Le plaignant déclare que la rencontre ECI qui devait avoir lieu en mars précédent se tient finalement le 13 juillet 2001.
[87] Sylvie Milot explique que cette rencontre du 13 juillet 2011 est la rencontre semi-annuelle d’évaluation que le plaignant réclamait depuis le début de l’année. Elle ne comprend pas pourquoi il insiste autant pour la rencontrer alors qu’il prétend qu’elle le harcèle.
[88] Le plaignant déclare que madame Milot débute la rencontre en lui demandant comment il se porte. Il répond qu’il va bien. Lorsqu’elle lui demande ce qu’il fait de bon, il répond qu’il fait ses ordres de services et quand il a terminé, il se rend aux centraux. Elle lui souligne que les centraux ne lui appartiennent plus. Il explique que le travail a diminué et que les gestionnaires leur confient l’installation des gros systèmes téléphoniques. Lorsqu’elle lui dit qu’elle croyait qu’il ne voulait pas en faire, il lui demande de faire attention à ce qu’elle dit, en ajoutant que s’il est vrai qu’il n’aime pas ça, il le fait quand même quand on lui demande.
[89] Sylvie Milot, ayant été informée qu’il a pris beaucoup de temps accumulé pour travailler à la construction de sa piscine, lui offre de prendre ses vacances en banque, offre que le plaignant décline. Madame Milot souligne à l’audience qu’aucune des demandes qu’il a présentées pour prendre du temps accumulé n’a été refusée. Ainsi, il s’est absenté :
o 11 mai 1 h
o 13 mai 2 h
o 27 mai .75 h
o 7 juin 1.50 h
o 8 juin 7.50 h
o 9 juin 2.25 h
o 10 juin 2.25 h
o 15 juin 2.75 h
o 16 juin 2 h
o 17 juin 7.50 h
o 20 juin 1.25 h
o 21 juin 3.75 h
o 22 juin 2 h
o 23 juin 1.25 h
o 5 juillet 7.50 h
o 8 juillet 3.75 h
[90] Madame Milot mentionne au plaignant qu’il doit avoir son ordinateur avec lui au travail et qu’il est arrivé qu’il ne l’ait pas. Il reconnaît qu’il aurait dû l’avoir avec lui, mais qu’il n’en avait pas besoin pour travailler à des jumpers , que le travail consistait à installer du filage toute la journée et que son nouvel ordinateur doit être réparé.
[91] Sylvie Milot a demandé à Sylvio Cormier de vérifier l’authenticité d’une carte de satisfaction pour un travail où il y a eu un problème. Le plaignant, mis au courant de cette vérification par le client, lui téléphone pour savoir si des personnes autres que les coordonnateurs qualité font de telles vérifications.
[92] Comme il lui a demandé la veille d’en discuter, madame Milot lui fait part des cartes de satisfaction : toutes sont excellentes, à l’exception d’une qui mentionne qu’il est retourné deux fois pour un travail et semblait avoir besoin d’une douche. Elle refuse d’abord de lui montrer l’original de la carte, malgré sa demande, puis lui montre une copie. Il lui dit que ce qu’elle fait à ses employés n’est pas bien. Il prend la feuille, la plie et quitte la réunion, peiné, blessé et en colère. Il a le goût de vomir, parce qu’une carte comme celle-là est dégueulasse. Il aurait aimé avoir de la reconnaissance : au contraire, il a été humilié. Lorsque contre-interrogé par le représentant de l’employeur, il dit qu’il a peut-être eu de la reconnaissance du fait des huit cartes positives qu’il a reçues. Il reconnaît avoir parlé fort, mais il n’a pas crié.
[93] Sylvie Milot affirme que le plaignant se met à crier lorsqu’elle lui remet la copie de la carte où le nom du client est caché, parce qu’elle ne veut pas qu’il lui manifeste son mécontentement. Il lui dit qu’elle n’est pas correcte, qu’elle va entendre parler de lui et il quitte les lieux avant que l’ordre du jour de la rencontre ait été épuisé. La rencontre aura duré quelque 35 minutes.
[94] Le plaignant prend connaissance à l’audience de l’original de la carte.
[95] Après avoir quitté la réunion, le plaignant appelle la présidente du syndicat. Il est en pleurs, cette réunion ayant été le clou qui a frappé. On lui conseille de consulter un médecin, ce qu’il fait après avoir avisé par courriel Sylvie Milot de son absence. Il est en arrêt de travail du 3 juillet jusqu’au 5 août 2011. Il prend des antidépresseurs pendant cette période. Puis il revient au travail une journée, avant de prendre trois semaines de vacances, du 8 au 26 août 2011.
[96] Le plaignant se fait imposer une suspension de cinq jours, notamment en raison de son manque de respect envers Sylvie Milot lors de la rencontre du 13 juillet 2011.
[97] Le 28 juillet 2011, l’employeur informe le plaignant qu’il est convoqué à une évaluation médicale à Québec. Le 29 juillet 2011, le plaignant demande à Sylvie Milot par courriel quels sont les frais de transport que lui remboursera Telus pour se rendre à Québec. Il explique lui avoir demandé ces renseignements puisqu’à partir du moment où il est en maladie, elle devient son interlocutrice. Il lui téléphone à la suite de son courriel du 1 er août afin de savoir si la somme qu’elle lui indique est pour l’aller et le retour. Lors de son réinterrogatoire, le plaignant déclare plutôt que c’est le service de santé qui lui indique dans son courriel du 28 juillet 2011 de s’adresser à Sylvie Milot pour connaître les frais absorbés par Telus à l’occasion de cette expertise.
[98] L’expert que le plaignant rencontre le 2 août 2011 fait notamment état dans son expertise médicale que le plaignant présente quelques traits obsessionnels et paranoïdes (méfiance) , déclare que Communicator est la surveillance omniprésente dont il se plaint, que la goutte qui a fait déborder le vase est survenue le 13 juillet 2011, alors que sa supérieure a fait état de critiques de clients, en omettant de parler des cartes de satisfactions positives et qu’il a enregistré différents échanges avec ses supérieurs sans les en avoir informés, ce qu’il a également fait lors de l’expertise jusqu’à ce qu’il s’en rende compte et s’y objecte. L’expert conclut qu’il n’a aucune condition médicale invalidante l’empêchant de faire son travail. Le 4 août suivant, le service de santé informe le plaignant qu’il ne peut être admissible à l’assurance salaire de courte durée.
[99] À l’audience, l’employeur demande à prendre connaissance de cette évaluation, ce à quoi le plaignant ne s’oppose pas, pourvu que cette connaissance se limite aux seules personnes présentes à l’audience.
[100] À son retour de vacances, le plaignant discute avec la présidente Gagné à l’occasion d’une réunion syndicale. Lorsqu’il lui demande si quelque chose peut être fait, elle répond qu’un second grief sera déposé. Le plaignant déclare qu’il se sent soulagé que le syndicat puisse faire quelque chose pour lui, que cette réponse lui fait du bien. Un second grief de harcèlement psychologique est déposé le 16 septembre 2011.
[101] Lors de son contre-interrogatoire par le représentant de l’employeur, le plaignant explique que les termes réactions démesurées à toutes situations utilisés au grief réfèrent aux mesures disciplinaires qui lui ont été imposées au mois de mai 2011.
[102] Sylvie Milot est vexée par ce deuxième grief, ne comprend pas pourquoi le plaignant le dépose et en discute avec le directeur Lavoie. Ce dernier ne sait quoi faire pour corriger la situation.
[103] Le 11 octobre 2011, le directeur Lavoie demande au syndicat de lui fournir des précisions concernant le second grief de harcèlement. La présidente du syndicat lui répond, le 14 octobre suivant, qu’elle ne donnera aucune prétention, car cela fera partie de la preuve syndicale.
[104] À l’audience, la présidente Gagné explique que le second grief est la continuité du premier. Il a été déposé afin de continuer à protéger les droits du plaignant, puisque la période visée par le premier grief se terminait en mars, alors que la situation demeure inchangée. Ceci ressort notamment des courriels vexants de Sylvie Milot que le plaignant lui fait suivre et de plusieurs événements s’y rattachant :
Le plaignant a posé sa candidature sur des postes, mais il n’est pas convoqué en entrevue et reçoit des réponses inintelligentes;
Alors que tout va bien dans son affectation temporaire, car Sylvie Milot n’est plus sa gestionnaire, on le retire sans lui dire pourquoi. Elle affirme ne pas avoir été informée que c’est en raison de la fin de ses limitations fonctionnelles;
L’acharnement administratif réfère aux certificats médicaux qui sont demandés au plaignant et aux mesures disciplinaires qui lui sont imposées.
Diane Gagné n’a pas pris connaissance de l’expertise médicale du plaignant avant de déposer le second grief.
[105] Le 19 septembre 2011, soit trois jours après le dépôt du second grief, le plaignant écrit à madame Milot pour lui demander l’original de la carte de satisfaction et la rencontrer pour bien établir mes objectifs et qu’on puisse discuter des tiens . Il explique à l’audience qu’il a alors encore des doutes au sujet de la carte. Il précise ne pas être terrorisé à l’idée de la rencontrer.
[106] Madame Milot ne comprend pas que le plaignant lui téléphone encore à plusieurs reprises en insistant pour la rencontrer. À une occasion, en octobre 2011, alors qu’il lui répète encore une fois qu’ elle n’est plus pareille, elle lui dit qu’il a déposé un grief de harcèlement psychologique, puis un second. Il répond que ce deuxième grief n’est pas pour elle, mais vise plutôt l’entreprise. Le plaignant nie avoir prononcé ces paroles et réitère que le deuxième grief la vise puisqu’elle est celle qui lui a imposé les mesures disciplinaires.
[107] Entre les mois de septembre et décembre 2011, le plaignant dépose une plainte contre son supérieur précédent, Sylvio Cormier, en vertu de la politique de l’employeur concernant le respect en milieu de travail. Daniel Faucher, désigné à titre d’enquêteur, rejette la plainte. Le plaignant est d’avis que monsieur Faucher a mal fait son travail et il en appelle de cette décision. Son appel est également rejeté.
[108] La présidente du syndicat déclare avoir été informée par le plaignant qu’il a demandé une enquête concernant le respect au travail de la part de son précédent gestionnaire.
[109] Concernant le grief patronal, le directeur Lavoie explique l’avoir déposé sans en discuter auparavant avec le syndicat, une fois la preuve syndicale close, et que ce fait constitue l’événement. Le grief dénonce le manque de sérieux de l’enquête menée par le syndicat. Il s’agit d’un abus de pouvoir de la part de ce dernier, qui ne respecte pas la convention collective. Il réclame un dommage symbolique pour avoir entraîné l’employeur dans ces audiences sous de fausses prétentions afin d‘éviter qu’une telle situation puisse se reproduire.
[110] Le syndicat soumet que les articles 1 et 8 de la convention collective ainsi que les dispositions du Règlement canadien sur la santé et la sécurité du travail aux articles 20.2 et 20.9, paragraphe 2 en ce qui concerne la violence dans le lieu de travail constituent le droit applicable en l’espèce.
[111] Le syndicat allègue que le tribunal doit déterminer si les agissements de la gestionnaire sont répréhensibles et, le cas échéant, examiner comment ils ont affecté le plaignant.
[112] Selon le syndicat, la preuve démontre que la présidente Gagné discute à plusieurs reprises avec les représentants de l’employeur, monsieur Lavoie et madame Desrosiers, des problèmes vécus par le plaignant. Mais ces derniers sont d’avis que tout est parfait. Ils ne demandent des renseignements supplémentaires qu’une fois le grief déposé.
[113] Le syndicat souligne avoir répondu aux demandes de précisions de l’employeur en lui expliquant que les griefs concernent la gestionnaire et en lui faisant part de la situation du plaignant : les agissements de celle-ci, notamment lors de la rencontre d’évaluation tenue le 14 décembre 2010, où elle complète le formulaire relatif à l’accident du plaignant survenu le 9 décembre précédent, son insistance pour obtenir son suivi médical et pour le voir branché sur Communicator , la coupure de salaire qui lui est imposée à la suite de ses absences des 11 et 14 mars 2010, minent sa confiance, le découragent, l’humilient, lui causent du stress et de l’anxiété, car il se sent surveillé.
[114] Le syndicat ajoute que la preuve démontre que les événements qui ont mené au dépôt du second grief sont les suivants :
· les demandes de rencontres du plaignant avec sa gestionnaire, prévues au processus d’évaluation, répétées à plusieurs reprises, et l’annulation par la gestionnaire, après le dépôt du premier grief, de la rencontre qui devait avoir lieu;
· l’insistance de la gestionnaire pour lui faire expédier à Montréal des équipements qu’il a déjà installés chez d’autres clients et le fait qu’elle lui manque alors de respect. Sa note à cet effet dans un formulaire vaudra au plaignant une mesure disciplinaire et une lettre de préoccupation, demandant de cesser ses commentaires irrespectueux et le menaçant d’autres mesures pouvant aller jusqu’au congédiement en cas de récidive;
· la demande de fournir une justification médicale, même s’il s’agit des deux premiers jours d’absences de maladie depuis le début de l’année;
· la contestation de la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail crée du stress et de l’anxiété au plaignant;
· le fait que la gestionnaire fasse vérifier une carte de satisfaction qui n’a pas été signée par le plaignant, sans en discuter au préalable avec ce dernier.
Tout cela apparaît être une vengeance de l’employeur à la suite du dépôt du grief par le plaignant.
[115] Lorsque le plaignant apprend l’existence d’une carte négative à son endroit alors que la gestionnaire lui cache le nom du client, lui faisant ainsi douter de son authenticité, il craque. Il s’absente pour maladie puis, à la fin de cette période, il prend ses vacances. On peut lire à l’expertise psychologique demandée par l’employeur que le plaignant prend des anxiolytiques pour traiter ses problèmes de sommeil et de dépression. Et l’employeur lui impose une suspension de cinq jours pour son comportement lors de la rencontre de suivi avec son gestionnaire. Un deuxième grief est déposé parce que rien ne s’est arrangé jusque-là. Le comportement de la gestionnaire, déjà dénoncé par le plaignant, a affecté son état de santé. Il s’agit de violence au travail, sous forme de harcèlement psychologique. La situation médicale du plaignant est amplement décrite dans les documents qu’il a soumis à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et ne requérait pas de preuve additionnelle.
[116] Selon le syndicat, la preuve démontre que la gestionnaire talonne les employés, les uns après les autres. Celle-ci a déjà fait l’objet de griefs d’autres employés. Le plaignant a nié avoir proféré des menaces de mort envers son précédent supérieur. D’ailleurs, si tel avait été le cas, l’employeur serait sûrement intervenu. Il y a lieu de se demander s’il ne s’agit pas là d’une tentative de ce dernier de démolir la réputation du plaignant. De plus, la preuve démontre que la présidente du syndicat a communiqué à plusieurs reprises avec le directeur des relations de travail pour lui faire part de la situation et trouver une solution, mais sans succès.
[117] Le syndicat demande d’accueillir les griefs et d’ordonner à l’employeur que Sylvie Milot ne soit plus jamais gestionnaire du plaignant et que ce dernier ne soit plus sous sa supervision directe ou indirecte.
[118]
Selon l’employeur,
la partie 2 du
Code canadien du travail
ne vise pas le harcèlement
psychologique et le
Règlement sur la santé et la sécurité au travail
ne
concerne que la violence au travail. La doctrine en fait d’ailleurs état de la
même façon. Ce sont plutôt les articles
[119] L’employeur souligne qu’il appartient au syndicat de démontrer les allégués des griefs. En ce qui concerne le premier grief, le syndicat doit démontrer une conduite vexatoire et hostile de la part de l’employeur, une surveillance exagérée omniprésente, oppressive et abusive; un milieu de travail néfaste et malsain, un acharnement administratif, une réaction démesurée de l’employeur et la diminution des facultés de concentration et de réflexion du plaignant. En ce qui concerne le second grief, le syndicat doit, de plus, faire la preuve que l’absence pour maladie du plaignant a été provoquée par le harcèlement psychologique de l’employeur.
[120] L’employeur rappelle qu’il a dû réorganiser son entreprise en mars 2010 et que c’est pour cette raison que le plaignant est transféré dans un service supervisé par madame Milot. Mais il n’accepte pas son transfert, insiste pour travailler dans les centraux et manifeste son désaccord jusqu’au président de l’entreprise. L’épisode des billets de La Ronde est une autre démonstration de son manque de respect des règles. Le plaignant est le seul à ne pas confirmer à madame Milot avoir complété l’inventaire des compétences. Il est également le seul à ne pas respecter la directive de sa gestionnaire concernant le stationnement à Sherbrooke. Tout ceci démontre son insubordination.
[121] En ce qui concerne l’accident survenu le 9 décembre 2010, l’employeur est d’avis que la preuve démontre que madame Milot remplit le formulaire, qui ne contient aucune information confidentielle ou de nature médicale, uniquement parce que le plaignant ne l’a pas fait. Le plaignant ne complète pas les rapports concernant sa situation, et c’est pourquoi le service de santé demande à madame Milot de lui en faire le rappel. Lorsqu’on lui demande quand il reviendra au travail, c’est uniquement dans le but de le remplacer, s’il y a lieu, afin que les affaires de l’employeur puissent suivre leur cours. Lorsqu’il est affecté à des travaux légers, madame Milot doit connaître le pronostic, afin de savoir quand il pourra reprendre son travail régulier. Et c’est parce que le plaignant ne remplit pas les formulaires requis pour la gestion de la paye qu’elle doit l’informer qu’il ne pourra être payé pour ses deux journées d’absence.
[122] Selon l’employeur, la preuve démontre que le plaignant est traité comme tous ses autres employés le sont dans l’entreprise. À 12 jours du dépôt du premier grief, au libellé vitriolique, souligne-t-il, les échanges entre sa gestionnaire et lui des 23 et 25 février 2011 ne font état d’aucun harcèlement psychologique. Le plaignant divulgue d’ailleurs lui-même sa condition physique, sans que madame Milot le lui demande.
[123] L’employeur souligne que lorsque le directeur principal des relations de travail demande des précisions au syndicat à la suite du dépôt du premier grief, le seul point pertinent soulevé dans la réponse du 3 mai suivant est une surveillance indue de la gestionnaire via le logiciel Communicator. Pourtant, lors de la rencontre convoquée à Québec spécifiquement pour assurer un suivi à ce grief, le plaignant n’en fait aucune mention. Enfin, les précisions fournies le 9 février 2012, à quelques jours de l’audience, ne font pas mention de Communicator. Et le plaignant lui-même déclare à l’audience que ce logiciel est le dernier de ses soucis et n’est pas ce qui l’a atteint. À ce sujet, il y a lieu d’examiner l’expertise médicale déposée au dossier : on peut y lire que le plaignant mentionne que Communicator est la surveillance omniprésente dont il se plaint.
[124] Le fait que quelques jours à peine après avoir déposé son grief, le plaignant demande à rencontrer sa gestionnaire, alors qu’il prétend que sa santé est affectée par son harcèlement, démontre selon l’employeur qu’il s’agit d’une manipulation de sa part et qu’en réalité, il n’a jamais craint madame Milot.
[125] L’employeur souligne de plus qu’aucune preuve médicale n’appuie l’affirmation du plaignant voulant que sa santé physique et psychologique ait été affectée par ce qu’il décrit être une surveillance exagérée et omniprésente de sa supérieure, son acharnement administratif et ses réactions démesurées à toute situation. Lors de son contre-interrogatoire, il a d’ailleurs affirmé n’avoir jamais eu de problèmes de concentration ou de réflexion, en précisant qu’il n’a pas rédigé le grief. Il faut donc conclure de cet aveu que les griefs contiennent des faussetés à leur face même. Il y a lieu de se demander s’il s’agit là d’une stratégie de sa part afin que l’employeur lui accorde ce qu’il désire.
[126] Le second grief est similaire au premier, contient les mêmes graves accusations et aucune preuve médicale ne vient l’appuyer. Une demande d’expertise ne peut constituer une conduite vexatoire, pas plus que le fait de contester la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, car il s’agit là de l’exercice d’un droit légitime. La preuve démontre que le plaignant n’a pas transféré les boîtes à Montréal comme il aurait dû le faire. Lors de la rencontre du 13 juillet 2011, le plaignant croit que la carte de satisfaction négative est en fait un faux, confectionné par l’employeur, ce qui provoque son départ. Il s’absente ensuite pour maladie, puis prend des vacances. À son retour, il rencontre la présidente du syndicat, lui dit que la situation perdure et cette dernière répond qu’elle va déposer un second grief. Pourtant, selon la preuve, il n’y a eu aucun autre événement après la rencontre du 13 juillet pouvant justifier de déposer un second grief. La réaction du plaignant qui se sent soulagé, dit-il, par cette réponse de la présidente, démontre qu’il s’agit bien là d’une vengeance de sa part.
[127] L’employeur soumet que les griefs doivent être rejetés, le syndicat n’ayant pas démontré un seul acte vexatoire de sa part envers le plaignant, ni prouvé les allégations contenues dans le libellé des griefs. Aucune preuve médicale n’est venue appuyer les prétentions contenues aux deux griefs et aucun témoin n’est venu corroborer les affirmations du plaignant. Il demande de plus de tenir compte de la personnalité du plaignant, telle que décrite à l’expertise médicale déposée au dossier.
[128] L’employeur demande de rejeter les griefs, de déclarer qu’il n’y a pas un iota de preuve d’acte vexatoire ou de harcèlement psychologique et qu’ils constituent de l’acharnement contre la gestionnaire.
[129] L’employeur reconnaît qu’il est rare qu’un grief patronal soit soumis, comme il l’a fait le 17 décembre dernier, et que le fardeau de démontrer qu’il est fondé lui revient.
[130] L’employeur estime que le syndicat n’a pas mené une enquête sérieuse avant de déposer ses griefs. Ces griefs ont été soumis par complaisance, parce que le plaignant est membre de l’exécutif syndical. Outre leur dépôt, le fait pour le syndicat de les référer à l’arbitrage et d’insister pour procéder à l’audition constitue un abus de procédure.
[131] L’employeur rappelle avoir demandé des précisions à deux reprises, à la suite du dépôt du second grief. Le syndicat a refusé de lui en fournir, alléguant que cela ferait partie de sa preuve. Or, le syndicat ne peut réclamer de cesser le harcèlement psychologique tout en refusant de dire en quoi il consiste.
[132] L’employeur prétend que le syndicat n’a pas joué le rôle qui lui revenait afin de déterminer le sérieux de la situation portée à son attention par le plaignant. La présidente du syndicat n’apporte aucun renseignement clair à sa demande de précisions, ce qui s’explique par le fait que ces griefs ont été déposés pour soulager un travailleur et qu’on a cherché à les justifier a posteriori. Ceci ressort à la fois du libellé des griefs et du manque de communications et de précisions subséquent. Le comportement du plaignant, qui continue à réclamer une rencontre avec sa gestionnaire, à quelques jours du dépôt du deuxième grief de harcèlement, démontre bien qu’il n’est pas effrayé par cette dernière, contrairement à ce qui apparaît au libellé des griefs.
[133] Il ressort notamment du témoignage du plaignant qu’il a demandé à son syndicat de déposer un grief parce qu’on lui demande de fournir un formulaire attestant les motifs de ses absences des 11 et 14 mars 2011, ce qui fut pour lui la goutte qui a fait déborder le vase . Pourtant, la présidente du syndicat n’en fait pas état dans sa correspondance du 3 mai 2011 et la représentante du syndicat ne le mentionne pas non plus dans ses précisions fournies le 9 février 2012. En outre, le plaignant a nié avoir éprouvé quelque problème de concentration et de réflexion, contrairement aux affirmations contenues au libellé des deux griefs. De plus, aucune preuve médicale n’a été soumise au soutien des griefs. La seule preuve médicale au dossier est relative à son accident de travail.
[134] La lecture de l’expertise médicale, qui a porté à son attention des traits de caractère du plaignant, aurait dû faire comprendre la situation au syndicat.
[135] Cinq jours d’audience ont eu lieu sans qu’aucun acte vexatoire de la part de l’employeur ne soit démontré. Le syndicat a porté ces griefs en espérant que l’employeur acquiesce aux demandes du plaignant. C’est là une faute de la part du syndicat, même s’il s’agit d’un acte posé sans mauvaise foi.
[136] L’employeur allègue que les griefs ont eu des conséquences importantes pour la réputation de la gestionnaire. Il rappelle que le recours de harcèlement psychologique est de nature particulière et qu’il peut être dévastateur pour la personne visée. Voilà pourquoi il importe qu’une enquête sérieuse soit faite au préalable et qu’une preuve très sérieuse soit présentée à l’audience. Tel n’est pas le cas de la preuve syndicale en espèce, qui n’est même pas campée dans le temps.
[137] L’employeur demande d’accueillir son grief et de condamner le syndicat à lui verser symboliquement un dollar afin qu’il lui fournisse dorénavant les faits au soutien des griefs qu’il dépose.
[138] Le syndicat soutient au contraire avoir mené une enquête sérieuse. La présidente du syndicat a rencontré des employés placés sous la supervision de la gestionnaire en dehors des heures de bureau et elle n’avait pas à le dévoiler à l’employeur. Quant à la justification médicale de l’état du plaignant, l’employeur la connaissait déjà, puisque les notes évolutives ont été fournies à son service de santé.
[139] Le syndicat explique qu’avant de décider de déposer un grief, il regarde les faits et en discute avec ses procureurs, souvent en conseil syndical. Il souligne qu’il prend ses études de dossiers au sérieux et qu’il enquête avec toute l’aide dont il peut disposer. Dans le présent cas, il a fait enquête avec vigilance et objectivité, il a sérieusement vérifié les faits et examiné leur correspondance et en est venu à la conclusion qu’il y avait lieu de dénoncer le traitement du plaignant par l’employeur. Les griefs étant fondés, ils devaient être poursuivis. Il n’y a pas eu d’abus de procédure de sa part.
[140] Le tribunal doit déterminer si le syndicat, sur lequel repose le fardeau, a démontré de manière prépondérante les allégations contenues à ses deux griefs, soit :
· une conduite vexatoire et hostile de l’employeur envers le plaignant;
· une surveillance exagérée, omniprésente, oppressive et abusive du plaignant par l’employeur;
· un milieu de travail néfaste et malsain pour le plaignant;
· l’acharnement administratif de l’employeur envers le plaignant;
· les réactions démesurées de l’employeur;
· que la santé du plaignant en a été affectée;
· que les facultés de concentration et de réflexion du plaignant en ont été diminuées;
· et, dans le cas du second grief, que le harcèlement psychologique de l’employeur a provoqué l’absence pour maladie du plaignant.
[141]
Les
dispositions relatives au harcèlement psychologique contenues à la
Loi sur
les normes du travail
(L.R.Q. c N-1.1) ne s’appliquent pas aux entreprises
sous compétence fédérale, ce qui est ici le cas de l’employeur. Comme le
souligne l’arbitre Denis Provençal dans l’affaire
Teamsters Québec, local 69
(FTQ)
et
Transport TFI 5, S.E.C. (Division Transport Kingsway)
,
14 juin 2006,
[61] (…) il n’existe pas, à l’heure actuelle, de dispositions législatives fédérales en matière de harcèlement psychologique comparables à celles introduites au Québec le 1 er juin 2004 à la Loi sur les normes du travail 1 . Cela ne signifie pas pour autant qu’un employé d’une entreprise fédérale est démuni dans le cas où il s’estime victime de harcèlement psychologique dans son milieu de travail. Dans l’affaire Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes 2 , Me Daniel Lavery situait ainsi l’environnement juridique du harcèlement psychologique dans un milieu de travail de juridiction fédérale :
« Définition de « harcèlement »
Il faut noter, dès le départ,
que les dispositions de la Loi sur les normes du travail du Québec sur le
harcèlement psychologique ne s’appliquent pas à la Société canadienne des
postes, de juridiction fédérale (voir, entre autres, Reference as to the
Validity
of the Industrial Relations and Disputes
Investigation Act, [1955] R.C.S. 529 et Union des facteurs du Canada c.
Syndicat des postiers du Canada,
« ... Une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraînent, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. »
Soulignements ajoutés.
1 L.R.Q., c. N-1.1
2
[142] Par ailleurs, les articles suivants de la convention collective intervenue entre les parties, en vigueur du 5 août 2010 au 31 décembre 2014, sont pertinents dans la présente affaire :
ARTICLE 1 BUT DE LA CONVENTION
1.1 La présente convention a pour but d’établir des règlements bien définis régissant les relations entre les parties contractantes dans des conditions qui protègent la santé et l’intégrité physique des salariés. Elle a aussi pour but d’établir des conditions de travail qui, dans la mesure du possible, sont équitables, favorisent le bien-être des salariés et facilitent le règlement rapide des litiges qui peuvent survenir entre les parties aux présentes.
(…)
ARTICLE 5 DROITS ET RESPONSABILITÉS DE LA DIRECTION
5.1 La Direction a tous les droits qui lui permettent de gérer ses affaires présentes et à venir et de diriger ses salariés. Toutefois, elle convient que l’exercice de ces droits et pouvoirs ne contreviendra pas aux dispositions de la présente convention.
[143] Le fait que la convention collective ne contient pas de disposition spécifique relative au harcèlement psychologique n’empêche pas pour autant le plaignant de soumettre un grief concernant le harcèlement psychologique dont il dit être l’objet. En effet, comme il en est fait état dans l’affaire Teamsters Québec, local 69 (FTQ) et Transport TFI 5, S.E.C. (Division Transport Kingsway) précitée, qui réfère à ce qu’écrivait Me Daniel Lavery dans l’affaire Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes :
(…) ce dernier ne peut être basé que sur la définition et les critères développés par la jurisprudence arbitrale (tout en s’inspirant dans une certaine mesure de la définition donnée par la L.N.T. dans les circonstances appropriées). Le point de départ à cette jurisprudence arbitrale est la reconnaissance par les arbitres et les tribunaux de droit commun de l’obligation suivante décrite par les auteurs Gagnon, Lebel et Verge dans Droit du travail, 2 e édition, Les Presses de l’Université Laval, 1991, à la page 170 :
« L’employeur doit par ailleurs, selon le droit commun, assurer un cadre convenable d’exécution du travail à l’employé, ce qui exclut notamment, compte tenu de la nature du rapport de travail, l’existence d’un contexte de harcèlement, quel qu’en soit le motif.»
Cette obligation qui découle du contrat individuel de travail s’applique à l’employeur même en milieu syndiqué (de juridiction provinciale ou fédérale) peu importe que la convention collective prohibe expressément le harcèlement psychologique ou non.
(…) »
[61] (…) Ce cadre convenable
d’exécution du travail comme le soulignaient les auteurs Gagnon, Lebel et Verge
est prévu à l’article
[144] Il importe de citer les articles suivants du Code civil du Québec (L.Q. 1991 c. 64), qui s’appliquent au présent cas :
6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.
2086. Le contrat de travail est à durée déterminée ou indéterminée.
2087. L'employeur, outre qu'il est tenu de permettre l'exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.
2088. Le salarié, outre qu'il est tenu d'exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l'information à caractère confidentiel qu'il obtient dans l'exécution ou à l'occasion de son travail.
Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l'information réfère à la réputation et à la vie privée d'autrui.
[145]
Comme
l’énonce l’arbitre François Hamelin dans l’affaire
Centre hospitalier
régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph)
et
Syndicat
professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières
, 5 janvier
2006,
[188] (…) (qu’) il faut apprécier la situation dans une perspective globale, à partir du point de vue objectif de la victime présumée. (…)
(…)
[199] Le professeur Brunelle explique en ces termes le modèle « subjectif- objectif » de la victime raisonnable objective et bien informée qui serait placée dans la même situation, retenu par les tribunaux en la matière :
(…)
(…) dans une affaire de discrimination, la plus haute cour du pays épouse la définition suivante de la « personne raisonnable » :
[…] le point de vue pertinent est celui de la personne raisonnable, objective et bien informée des circonstances, dotée d’attributs semblables et se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur . (…)
[146] Toujours dans l’affaire précitée, l’arbitre Hamelin explique qu’il faut distinguer le concept de harcèlement psychologique de situations qui lui sont étrangères, même si elles peuvent lui ressembler, à savoir: les rapports sociaux difficiles, les situations conflictuelles, la victimisation, la personnalité paranoïde et tenir compte du contexte des relations de travail, dont font partie le droit de direction de l’employeur ainsi que les obligations respectives du salarié et de l’employeur. Et il résume ainsi les obligations respectives des parties à un contrat de travail:
[244] (…), la principale caractéristique du contrat de travail réside dans l’existence du lien de subordination du salarié envers l’employeur .
(…)
2) Les obligations du salarié
[252] C’est à la lumière de l’existence de ce lien
de subordination qu’il faut comprendre les obligations du salarié définies à
l’article
2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
[253] L’obligation de prudence et de diligence est celle qui consiste à exécuter le travail convenu selon les normes établies, avec compétence et dans le respect des directives et du contrôle de l’employeur. Il est certes autorisé à discuter de ces normes, surtout s’il s’agit d’un salarié professionnel, mais en bout de ligne, c’est l’employeur qui décide de ces normes et le salarié doit lui obéir et les appliquer avec diligence sauf, évidemment, en cas d’abus.
[254] L’obligation de loyauté est une autre manifestation du lien de subordination : le salarié ne travaille pas à son compte, mais pour celui de l’employeur, avec le résultat qu’il doit faire primer les intérêts de ce dernier sur les siens, qu’il ne doit pas saboter les activités de l’employeur et ne doit pas se placer en situation de conflit d’intérêt, bref qu’il se conduise honnêtement selon les règles de la bonne foi.
3) Les obligations de l’employeur
[255] Quant aux obligations de l’employeur, elles
sont énumérées à l’article
L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenu et de payer la rémunération fixée, doit prendre des mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.
[256] En l’espèce, c’est l’obligation de « protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié » qui nous intéresse et celle-ci se trouve à être la contrepartie normale du droit de direction.
[257] Si l’employeur possède en effet le pouvoir de diriger et de contrôler son entreprise et le travail de ses salariés, il est normal qu’il soit tenu d’assumer la protection de la santé, de la sécurité et de la dignité de ces derniers.
[258] Cette obligation doit manifestement se lire en
conjugaison avec l’article
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
[259] Comme l’a expliqué M
e
Bich, ces
dispositions, qui ont été reprises à l’article
L’employeur doit donc, par des « mesures
appropriées à la nature du travail », comme le précise l’article
(Soulignement ajouté)
(Référence à une note retirée du texte)
(…)
[262] (…), le tribunal partage l’opinion émise par les auteurs Cliche, Veilleux et autres :
L’employeur doit prendre les moyens raisonnables afin de prévenir et de faire cesser le harcèlement. Il est important de préciser qu’il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultats.
(…)
Soulignements ajoutés.
[147] Le tribunal doit maintenant examiner les griefs et déterminer leur bien-fondé à la lumière des principes énumérés plus haut.
[148] Le tribunal doit replacer les événements soulevés par le plaignant dans le cadre global où ils sont survenus et évaluer l’ensemble de la situation, en tenant notamment compte des contradictions que son témoignage non corroboré recèle.
[149] La preuve démontre que le plaignant se perçoit comme un mal aimé par son employeur. Il n’accepte pas d’avoir été déplacé du côté des clients à la suite de la réorganisation de l’entreprise. Il se dit victime d’un manque de reconnaissance et s’en plaint à toute la haute direction, jusqu’au président de l’entreprise. Il entretient une grande rancœur à l’endroit de son précédent gestionnaire, Sylvio Cormier, et confie à qui veut l’entendre qu’il le hait.
[150] Deux autres événements, celui des billets de La Ronde et celui de la carte de satisfaction, viennent aussi illustrer subséquemment les traits paranoïdes du plaignant évoqués dans l’expertise médicale : lorsqu’il constate que les régions ne reçoivent pas de billets pour La Ronde, il dénonce la situation à la haute direction en termes très dramatiques, y décrivant les conséquences sur ses enfants, sans en parler d’abord à sa gestionnaire; quand sa gestionnaire aborde avec lui le sujet des cartes de satisfaction à sa demande expresse, il se fâche. Il croyait obtenir de la reconnaissance dit-il, mais voilà qu’il est humilié. Il quitte les lieux en disant qu’elle va entendre parler de lui.
[151] La déception du plaignant de ne pas avoir été affecté aux centraux ne s’estompe pas avec le temps. Tant madame Milot que le directeur Lapointe rapportent qu’il revient constamment sur le sujet lors de leurs échanges. Bref, il n’en démord pas et son comportement est à l’avenant. Il fait preuve d’insubordination envers les règlements de l’entreprise, persistant à ne pas se servir de Communicator, un outil de travail pourtant utilisé dans l’ensemble de l’entreprise, et en refusant de stationner son véhicule devant les parcomètres à Sherbrooke, malgré les nombreux rappels de sa gestionnaire.
[152] L’employeur, à la suggestion du syndicat, a annulé les opérations pendant une demi-journée afin de vérifier auprès des membres de l’équipe de la gestionnaire ce qui pouvait leur causer de l’insatisfaction. Prévenu par la présidente de son syndicat de l’objet de la réunion, c’était là l’occasion rêvée pour le plaignant de dénoncer haut et fort le harcèlement qu’il prétend subir. Pourtant, il n’en dit mot, sa seule intervention se limitant à demander s’il allait avoir des billets pour La Ronde. Et même à l’audience, il n’explique pas son silence à cette réunion. Force est conclure que le plaignant ne cherche pas à faire cesser le harcèlement qu’il dénonce pourtant par grief.
[153] Il importe de souligner que le plaignant s’est contredit à plusieurs reprises tout au long de son témoignage, tel qu’amplement relaté dans le résumé de la preuve. Plus particulièrement en ce qui concerne l’assise de ses griefs, soit sa crainte de sa gestionnaire, il déclare d’une part, éprouver de la terreur à sa seule vue, ce qui provoque chez lui des tremblements et de la tachycardie, et d’autre part, qu’il n’a pas peur de la rencontrer et que cela ne lui cause aucun inconfort physique.
[154] Au soutien de ses allégations de harcèlement psychologique par sa gestionnaire, le plaignant invoque le fait qu’elle a rempli pour lui le formulaire Réclamation du travailleur à la suite de son accident de travail survenu le 9 décembre 2010. Or, la preuve démontre qu’il ne savait trop quoi faire et qu’il n’était pas allé chercher le formulaire en ligne comme on le lui avait indiqué. Dans ces circonstances, le fait que madame Milot le complète pour s’assurer qu’il soit payé ne peut assurément lui être reproché.
[155] Quant aux demandes de la gestionnaire relativement à ses limitations fonctionnelles alors qu’il est en assignation temporaire et prêté à un autre service, la preuve démontre qu’elles avaient pour seul but de connaître le moment de son retour dans l’équipe et non pas d’être mise au courant du diagnostic de ses médecins. Il y a lieu de souligner que le plaignant ne donne pas suite à certaines demandes du service de santé et que, pour cette raison, ce dernier requiert l’aide de madame Milot pour obtenir les renseignements manquants à son dossier. Et même s’il sait pertinemment qu’il n’a pas à le faire, son syndicat lui ayant confirmé que les informations de nature médicale doivent être fournies uniquement au service de santé, le plaignant continuera à faire part à sa gestionnaire d’informations relatives à son état de santé, sans qu’elle le sollicite (son problème de sinus, par exemple).
[156] Enfin, bien que le plaignant décrive le message téléphonique et le courriel de la gestionnaire lui demandant un certificat médical au soutien de ses absences afin que celles-ci lui soient payées comme étant la démonstration d’une absence totale de confiance, tel n’est pas le cas selon la preuve, bien au contraire. En effet, c’est plutôt le fait que le plaignant ne remet pas au service de santé les formulaires requis à la suite de ses absences qui pousse sa gestionnaire à se soucier de lui rappeler qu’il doit le faire s’il veut être payé.
[157] Quoique la présidente Gagné l’affirme, la surveillance exagérée mentionnée au grief ne peut faire référence aux demandes de la gestionnaire au plaignant d’utiliser le logiciel Communicator, ce dernier ayant déclaré que ce n’est pas le cas, tout en précisant qu’il n’est pas celui qui a rédigé le grief.
[158] Contrairement à ce qu’affirme la présidente Gagné, l’acharnement administratif dont fait état le grief du 22 mars 2011 ne peut faire référence aux appels téléphoniques où le plaignant se fait raccrocher au nez par sa gestionnaire, la preuve n’en faisant état que pour des événements survenus postérieurement.
[159] Les réactions démesurées mentionnées au grief sont relatives à l’absence de retour d’appel de la gestionnaire, selon la présidente Gagné. Pourtant, la preuve démontre que ces agissements sont survenus postérieurement au dépôt de ce grief.
[160] Même si la présidente Gagné affirme que les problèmes de concentration et de réflexion réfèrent aux médicaments que doit prendre le plaignant pour traiter son anxiété et sa dépression, il faut retenir que le plaignant déclare au contraire ne pas avoir mentionné au syndicat qu’il avait de tels problèmes.
[161] Relativement à son grief du 16 septembre 2011, le plaignant allègue un échange téléphonique avec sa gestionnaire, où celle-ci raccroche de manière abrupte, ainsi que la lettre de préoccupation et la suspension d’une journée qui suivront, la contestation par l’employeur de la décision de la CSST, et la rencontre d’évaluation du 13 juillet où sa gestionnaire lui montre une carte d’évaluation négative.
[162] En ce qui concerne la conversation téléphonique qui prend fin brusquement, il y lieu de la situer : elle survient après que le plaignant ait répondu à sa gestionnaire, qui lui demande s’il envoie les boîtes de matériel à Montréal, qu’il est occupé à autre chose. On peut certes reprocher à la gestionnaire d’avoir perdu patience. Mais cette manifestation d’impatience, dans les circonstances du présent cas, ne constitue certainement pas un acte vexatoire, pas plus d’ailleurs que la lettre de préoccupation qui suit ou la suspension d’une journée. Ces deux mesures faisant l’objet d’autres griefs, il n’y a pas lieu d’en discuter davantage.
[163] La contestation de l’employeur de la décision de la CSST ne constitue pas davantage un acte vexatoire, puisqu’il s’agit là de l’exercice légitime d’un droit accordé par la loi.
[164] Enfin, le fait pour la gestionnaire d’informer le plaignant de l’existence d’une carte d’évaluation négative sans lui dévoiler le nom de l’auteur ne constitue pas davantage un acte vexatoire. Rappelons que c’est à la demande expresse du plaignant que ce sujet est abordé lors de la rencontre d’évaluation. De plus, contrairement à ce que le plaignant affirme lors de son expertise, la preuve démontre plutôt que la gestionnaire lui montre l’ensemble des cartes de satisfaction, qui sont excellentes, à l’exception d’une seule. Qu’elle ne lui montre pas l’original de celle-ci, parce qu’elle ne veut pas que le plaignant manifeste son mécontentement au client, s’avère d’autant plus justifié à la lumière de sa réaction, et ne peut lui être reproché dans ces circonstances.
[165] Aucun autre événement subséquent n’est venu expliquer pourquoi, après seulement deux semaines de travail, à la suite d’une absence d’environ un mois et demi, le plaignant demande à son syndicat de faire cesser le harcèlement dont il dit faire l’objet, et que ce dernier dépose un nouveau grief le 16 septembre 2011.
[166] Il y a lieu de souligner que la preuve médicale soumise au dossier ne concerne pas la condition médicale du plaignant en rapport avec le harcèlement psychologique qu’il allègue subir dans le cadre de son travail. Les rapports médicaux au dossier concernent les accidents survenus en décembre 2010 et les absences des 11 et 14 mars 2011.
[167] En l’espèce, la preuve démontre que le plaignant n’accepte pas son déplacement des centraux vers le service aux clients et qu’il tente sans succès d’obtenir de l’employeur qu’il révise cette décision. Il manifeste son amertume à ses supérieurs tout au long de l’année 2010. À compter de 2011, époque qui coïncide avec le moment où il devient président du syndicat local, il adopte une attitude de défiance envers sa gestionnaire et les demandes légitimes qu’elle lui adresse.
[168] L’employeur a tenté à maintes reprises d’obtenir du syndicat des précisions concernant les griefs. Mais, pour le premier grief, il ne reçoit que de vagues assertions et la recommandation de vérifier auprès de la gestionnaire, alors que pour le second grief, il se bute à son refus pur et simple d’en fournir, au motif que cela fera partie de sa preuve.
[169] Par ailleurs, bien qu’il dise être harcelé par sa supérieure, le plaignant reconnaît ne jamais lui avoir demandé de cesser de le faire. De plus, il ne dénonce pas son attitude lors de la réunion des employés du 17 mai 2011, qu’il sait pourtant avoir été convoquée expressément à cette fin.
[170] Un tel comportement de la part du plaignant n’est pas celui d’une personne qui cherche à mettre fin au harcèlement, bien au contraire. Le comportement du plaignant est plutôt celui d’une personne qui se complaît dans la situation qu’il a lui-même provoquée et qu’il entretient minutieusement, afin de faire pression sur la direction pour l’amener à revenir sur sa décision et à le retourner aux centraux, ce qu’il revendique depuis février 2010.
[171] Dans le contexte précité, l’examen de l’ensemble de la preuve convainc le tribunal qu’une personne raisonnable ne peut considérer que madame Milot a eu à l’endroit du plaignant une conduite vexatoire qui porte atteinte à sa dignité ou à son intégrité psychologique ou physique et qui entraîne pour lui un milieu de travail néfaste. Au contraire, la gestionnaire a fait preuve d’une retenue exemplaire tout au long des événements. Le plaignant n’ayant pas été victime de harcèlement psychologique, ses griefs doivent être rejetés.
[172] S’il est rarement appelé à le faire, il demeure que l’arbitre de grief a compétence pour décider d’un grief patronal. Et, comme le rappelle l’arbitre Marcel Morin dans l’affaire Syndicat des travailleurs d’usine de Convoyeur Continental (FISA) et Convoyeur Continental et Usinage Ltée , 2011 CANLII 69501 :
[313] En règle générale, c'est l'arbitre qui est saisi du grief Syndical qui est compétent pour entendre le grief patronal incident : Hôpital de Montréal pour enfants et Syndicats des technologues en radiologie du Québec, sentence de Me Marc Boisvert, DTE 97 T-1399 et Hôpital général juif - Sir Mortimer B. Davis c. Vasiliki Athanassiadis c. Les infirmières et infirmiers unies/The United nurses Inc., arrêt de la Cour d'appel du 23 avril 1999. Dans ce dernier arrêt, le juge Denis énonce à la page 9 de l'arrêt :
« L'arbitre Nicolas Cliche dans l'affaire Lab Chrysotile se prononce dans un dossier dont les faits sont semblables à ceux de l'instance :
« (...) Le soussigné est d'opinion que lorsqu'un employeur s'aperçoit qu'il est victime d'un abus de droit, d'une négligence grossière du syndicat, il peut porter sa réclamation devant l'arbitre, non pas en rédigeant un nouveau grief ou en poursuivant devant les tribunaux civils mais en demeurant devant le même arbitre qui au départ fut saisi du grief original, le grief patronal ou la réclamation patronale devenant alors l'accessoire du premier grief.
L'arbitre Marc Boisvert a bel et bien dit qu'il ne fallait pas loger un deuxième grief mais qu'on aurait dû rester devant l'arbitre Fortier qui était au départ, chargé d'entendre le premier grief, la réclamation pour dommages devenant l'accessoire du premier grief.
L'arbitre Gaétan Couturier, dans la décision Candex a accepté le même raisonnement. C'est l'arbitre qui devait entendre le premier grief, qui a décidé que tous les frais d'arbitrage étaient payables par l'employeur vu la négligence entière de celui-ci, vu qu'il n'avait pas averti de son absence et qui ne s'était pas présenté devant l'arbitre, étant insouciant dans sa façon de se comporter. »
En résumé, le soussigné prétend que si un employeur s'aperçoit en cours d'audition ou avant la fin du grief qu'il est victime d'une réclamation abusive, farfelue, ou un syndicat abuserait de son droit et appliquerait la procédure de grief malicieusement dans le seul but de se venger de l'employeur, à ce moment précis, la compagnie peut déposer un grief patronal qui est l'accessoire du premier grief et qui doit être tranché par l'arbitre saisi du premier grief.
À partir du moment où le premier arbitre devient accessoirement saisi du grief patronal, on n'a pas à tenter de s'entendre sur le choix de l'arbitre ou essayer de le faire nommer par le ministre, s'il y a litige. (…)
Soulignements ajoutés.
[173] Le grief patronal est déposé le 17 décembre 2012, au moment même où la preuve syndicale est déclarée close, ce qui respecte le délai de prescription énoncé à la convention collective. En effet, l’article 14.4 énonce que :
L’Employeur peut soumettre un grief. Il doit être soumis par le directeur des relations de travail ou son représentant directement au président du Syndicat ou à son substitut, par écrit, (…) dans un délai de vingt (20) jours après l’événement.
[174] Dans l’affaire Syndicat des travailleurs d’usine de Convoyeur Continental (FISA) et Convoyeur Continental et Usinage Ltée , l’arbitre Morin s’exprime comme suit à ce sujet :
[313] (…)
La prescription de six (6) mois ne peut pas non plus s'appliquer car c'est seulement en cours d'audition que l'employeur peut découvrir qu'il a été victime d'un abus de droit, il peut alors illico déposer un grief patronal qui devient l'accessoire du grief premier. Le grief principal est rejeté vu sa frivolité et l'arbitre peut alors entendre le grief patronal réclamant des dommages vu l'abus du syndicat, c'est lui seul qui peut l'entendre et il n'est pas prescrit vu que le grief patronal devient l'accessoire du grief premier. »
Je partage le point de vue de l'arbitre Cliche dans l'affaire Lab chrysotile quant à la mécanique adoptée pour présenter la réclamation éventuelle de l'Employeur. Ce dernier, s'il prétend à des dommages résultant de l'exercice abusif de la procédure de grief par l'employé et le Syndicat doit en saisir l'arbitre, que ce soit pendant l'audition de l'arbitrage ou dans les 30 ou 60 jours qui suivent la décision, selon le délai que prévoit la convention collective. En effet, il peut arriver, comme c'est le cas en l'espèce, que l'existence du recours de l'Employeur dépende de la détermination des faits et de la crédibilité des parties, détermination qui souvent ne peut être faite par l'arbitre que par sa décision arbitrale. L'Employeur peut alors déposer lui-même un grief. Ce grief de l'Employeur devient l'accessoire du grief syndical et l'arbitre qui a entendu l'affaire peut-être le mieux placé pour en disposer mais il n'est pas exclu que l'audition du nouveau grief puisse se tenir devant un autre arbitre.
Une telle façon de faire respecte la finalité et la spécificité des lois du travail et évite la multiplicité des recours . »
Soulignements ajoutés.
[175] Comme le reconnaît l’employeur, il lui revient de démontrer que le dépôt des griefs syndicaux constitue un abus de procédure. À cette fin, il doit établir le caractère arbitraire, abusif, capricieux ou discriminatoire de la décision du syndicat de déposer les griefs. L’arbitre Jean-Yves Durand, dans l’affaire Hôpital Général Juif Sir Mortimer B. Davis c. Vassiliki Athanassiadis , 29 mars 2007, 1999 Can LII 13817, décrit comme suit le devoir de représentation du syndicat à cet égard :
[171] La règle déterminante dans un cas semblable au présent apparaît dans toute la jurisprudence. Le syndicat est la partie qui détient un pouvoir discrétionnaire de porter un grief en arbitrage. À cet effet, l’on peut retenir à la page 527 les passages suivants de l’arrêt La Guilde de la Marine marchande du Canada 4
De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :
1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contre-partie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.
2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l'arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l'arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable .
3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier , tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.
4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.
5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.
[176] Concernant le premier grief, il ressort de la preuve, comme énoncé plus haut, que les précisions fournies par la présidente Gagné au soutien du dépôt sont à tout le moins inexactes, sinon erronées : la surveillance exagérée ne peut référer aux demandes de la gestionnaire au plaignant afin qu’il utilise le logiciel Communicator selon le témoignage de celui-ci, l’acharnement administratif ne peut s’appuyer sur les appels téléphoniques où le plaignant se fait raccrocher au nez par sa gestionnaire, pas plus que les réactions démesurées peuvent être relatives à l’absence de retour d’appel de la gestionnaire, puisqu’il s’agit d’événements survenus postérieurement. Quant aux problèmes de concentration et de réflexion, le plaignant nie en avoir fait mention au syndicat.
[177] Relativement au second grief, il importe de noter que la présidente du syndicat refuse de fournir des précisions au directeur principal des relations de travail, au motif que cela fera partie de la preuve syndicale.
[178] C’est donc seulement à l’audience que l’employeur apprendra que le plaignant allègue un échange téléphonique avec sa gestionnaire, où celle-ci raccroche de manière abrupte, ainsi que la lettre de préoccupation et la suspension d’une journée qui suivront, la contestation par l’employeur de la décision de la CSST, et la rencontre d’évaluation du 13 juillet où sa gestionnaire lui montre une carte de satisfaction négative. Le témoignage subséquent de la présidente Gagné fait état d’événements bien différents : le grief a été déposé parce que le plaignant a vu ses candidatures à divers postes écartées pour des motifs inintelligents , parce qu’on l’a retiré de son affectation temporaire alors que tout allait pour le mieux, parce qu’on lui a imposé des mesures disciplinaires et qu’on lui a demandé des certificats médicaux.
[179] Il se dégage de ces contradictions entre les explications fournies par plaignant et celles fournies par la présidente du syndicat, que l’enquête prétendument menée par le syndicat n’a pas été faite avec sérieux et que le libellé du grief ne reflète pas la réalité.
[180] De plus, il ressort des demandes insistantes du plaignant pour rencontrer sa gestionnaire qu’il ne peut la craindre comme il le prétend. Ce seul fait, en soi, aurait dû alerter le syndicat. L’absence de preuve médicale démontrant que la santé du plaignant est affectée par la situation aurait dû aussi être prise en compte. Et même une fois placé devant l’évidence, alors que le témoignage du plaignant aurait dû lui permettre de constater l’absence de preuve d’acte vexatoire de la part de la gestionnaire, le syndicat a opté pour le maintien des griefs.
[181] Il appert que le syndicat a déposé les griefs en réponse aux demandes du plaignant, qui est aussi président de son syndicat local, parce que celui-ci veut faire pression sur l’employeur. Le syndicat aurait dû savoir qu’une telle façon d’agir était inacceptable. De toute évidence cependant, même si sa conduite démontre qu’il ne comprend pas le rôle très important qui lui revient en pareille matière, le syndicat n’a pas pour autant agi de mauvaise foi.
[182]
Le
tribunal fait siens les propos suivants de l’arbitre Denis Provençal dans
l’affaire
Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale
Saint-Jean-sur-Richelieu (FTQ)
et
Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu
,
9 février 2009,
[32] Je suis aussi d’avis que l’allégation de harcèlement psychologique (…) n’a aucun fondement. Une allégation portée contre un individu à l’effet qu’il est un harceleur est grave . La réputation et l’emploi de la personne ainsi visée par les allégations peuvent être en jeu et rien ne l’empêche de rechercher en dommages les initiateurs du recours lorsqu’il s’avère qu’il s’agit d’une procédure abusive. Une telle accusation ne doit pas être portée à la légère et surtout ne pas être utilisée comme un moyen de pression dans le contexte des relations de travail . (…)
[183] L’employeur a démontré que le syndicat n’a pas mené une enquête sérieuse, ce qui a entraîné le dépôt et le maintien abusif des griefs de harcèlement psychologique. Il s’agit là d’une faute de la part du syndicat et le grief patronal doit donc être accueilli, ainsi que sa réclamation d’une somme symbolique de 1 $ à titre de dommages.
[184] Pour les raisons qui précèdent, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence, soupesé les arguments des procureurs et sur le tout délibéré, le tribunal :
REJETTE les griefs 11-00-01 et 11-00-06 soumis par le Syndicat Québécois des employés de Telus, section locale 5044, SCFP ;
ACCUEILLE le grief 12-01 soumis par Telus;
ORDONNE au Syndicat Québécois des employés de Telus, section locale 5044, SCFP de verser à Telus, dans les trente (30) jours de la présente sentence arbitrale, la somme de 1 $ à titre de dommages.
M e Suzanne Moro, arbitre