Hydromega Services inc. c. Québec (Sous-ministre du Revenu) (Agence du revenu du Québec)

2013 QCCS 2170

JM2307

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 

 

N° :

500-17-055160-090

 

 

 

DATE :

7 mai 2013

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CATHERINE MANDEVILLE, J.C.S.

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HYDROMEGA SERVICES INC.

Demanderesse

c.

 

SOUS-MINISTRE DU REVENU (L’Agence du revenu du Québec)

 

 

Défendeur

 

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TRANSCRIPTION DU JUGEMENT RENDU

SÉANCE TENANTE [1] LE 18 MARS 2013

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[1]            Le Tribunal est saisi d’une demande de révision judiciaire de la décision du Sous-ministre du Revenu du Québec qui n’a que partiellement accordé la demande d’allègement des intérêts faite en vertu de l’article 94.1 de la Loi sur l’administration fiscale [2] (« L.A.F. ») ainsi que du bulletin d’interprétation [3] qui était pertinent à l’époque de la décision.

[2]            La décision contestée porte sur la réclamation de l’Agence du revenu du Québec, d’intérêts cumulés entre 2006 et 2009 sur des remboursements de TVQ qui auraient été réclamés par la mauvaise entité.

[3]            Voici les faits essentiels retenus par le Tribunal.

FAITS

[4]            Hydromega Services Inc. (« Hydromega ») œuvre dans le développement de barrages hydroélectriques. Elle est inscrite auprès des autorités fiscales tant pour des fins de TPS que de TVQ.

[5]            Au mois d’avril 2006, Hydromega produit des déclarations de TPS et de TVQ via lesquelles elle réclame un solde créditeur de plus de 700 000 $ dont environ 373 000 $ représente de la TVQ.

[6]            Cette demande d’Hydromega fait l’objet d’une vérification dite « sommaire » de la part de l’Agence du revenu du Québec en mai 2006. Cette analyse sommaire s’effectue à partir d’un certain échantillonnage des factures (au nombre de 9) et de l’obtention du grand livre de l’entreprise pour la période du 1 er janvier 2006 au 31 mars 2006.

[7]            Lors de cette vérification sommaire faite par M. Muguet, ce dernier note que des achats pour lesquels les remboursements de TVQ sont réclamés ont bel et bien été payés par Hydromega mais que les fournitures concernées par ces achats n’ont pas été faites au bénéfice d’Hydromega mais plutôt d’une autre entreprise dénommée MAGPIE. Or, cette entreprise n’était pas inscrite pour des fins de TVQ.

[8]            Néanmoins, M. Muguet ne souligne pas son observation. Il estime que cette information ne fait pas partie des éléments à vérifier dans le cadre de sa vérification sommaire et il considère, de plus, qu’il n’y a pas de réelle possibilité qu’il y ait dédoublement de la demande de remboursement car la société MAGPIE n’est pas inscrite aux registres pour fins de TVQ. Le ministère autorise donc, suite à cette vérification sommaire, le remboursement de TVQ tel que réclamé.

[9]            Au cours de l’année 2009, le ministère du revenu du Québec fait une nouvelle vérification des comptes de taxes d’Hydromega.

[10]         Cette vérification mène à un projet de cotisation daté du 19 juin 2009 [4] . Dans le cadre de ce projet, l’Agence du revenu du Québec communique son refus de réclamation de TVQ par Hydromega pour les achats facturés et effectués au bénéfice de MAGPIE pendant la période du 30 juin 2005 au 30 juin 2006.

[11]         Par conséquent, l’Agence du revenu du Québec réclame dans ce projet de cotisation la somme de plus de 1 300 000 $ en taxes et en intérêts, la portion d’intérêts liée à la réclamation de TVQ étant de l’ordre de 386 191,86 $. C’est cette portion d’intérêts qui concerne la décision contestée dans le présent dossier.

[12]         En effet, Hydromega ne conteste pas le montant des taxes réclamé dans ce projet d’avis de cotisation. Elle ne demande que la révision de la décision du sous-ministre qui a refusé d’annuler en totalité les intérêts cumulés sur ces montants de TVQ depuis juin 2005.

LA DÉCISION DU SOUS-MINISTRE ET LE CONTEXTE DANS LEQUEL ELLE A ÉTÉ RENDUE

[13]         Suite à la réclamation des intérêts et de la TVQ énoncée au projet de cotisation, Hydromega a retenu les services d’un fiscaliste, M. Desjardins.

[14]         Le 3 août 2009, celui-ci a fait une demande d’allègement [5] par laquelle il demande au ministre d’exercer sa discrétion en vertu de l’article 94.1 de la L.A.F. afin de renoncer aux intérêts qui font l’objet du projet de cotisation.

[15]         En septembre 2009, M. Desjardins est avisé verbalement du refus de la demande d’allègement et ce, sans qu’aucun motif ne lui soit donné.

[16]         Le 29 septembre 2009, il demande une rencontre avec le directeur de la vérification pour Montréal de l’Agence du revenu du Québec. Cette rencontre se tient effectivement au début du mois d’octobre. Sont présents un représentant d’Hydromega, M. Desjardins le fiscaliste ainsi que des représentants de l’Agence du revenu du Québec.

[17]         Le ou vers le 13 octobre 2009 l’Agence du revenu du Québec donne un nouvel avis verbal à Hydromega l’informant de sa renonciation aux intérêts à compter du 1 er  juillet 2009 jusqu’à l’émission du nouvel avis de cotisation. Elle justifie sa renonciation aux intérêts pour cette période de temps en expliquant qu’il s’agit du délai de traitement de la demande d’allègement, lequel s’est prolongé en raison de la période de vacances.

[18]         Suite à cette première décision de la part de l’Agence du revenu du Québec, M. Desjardins réclame une autre rencontre. Une rencontre est effectivement organisée avec ce dernier, un représentant d’Hydromega, des représentants de l’Agence du revenu du Québec ainsi que la sous-ministre adjointe directrice générale des entreprises, Mme Bergeron.

[19]         Suite à cette deuxième rencontre, l’Agence du revenu du Québec communique sa décision via un avis de cotisation daté du 26 novembre 2009 [6] . Elle y fait état de sa renonciation à une portion supplémentaire des intérêts et maintient sa réclamation d‘intérêts pour 279 347,05 $ [7] .

[20]         C’est cet avis de cotisation qui reflète la décision du ministre suite à la demande d’allègement dont l’on demande la révision judiciaire car Hydromega affirme que la décision du Sous-ministre souffre d’une absence de motif ou d’une insuffisance de motivation telle, qu’elle constitue une iniquité procédurale.

[21]         Également, Hydromega soulève un problème d’impartialité de la part du décideur puisqu’alors qu’un processus de révision est prévu pour une deuxième analyse de la décision du ministre, la demande d’Hydromega n’aurait pas bénéficié d’une révision parfaitement impartiale car certaines des personnes impliquées au premier niveau de la décision ont également participé à la décision finale.

RÉVISION JUDICIAIRE OU REQUÊTE EN NULLITÉ ?

[22]         La loi applicable, notamment l’article 94.1 L.A.F. , est très claire. Il n’y a pas d’appel ou de droit de contestation de la décision du ministre rendue en vertu de son pouvoir discrétionnaire sous 94.1 L.A.F. En effet, l’article 94.1 prévoit que la décision du ministre ne peut faire l’objet d’une opposition ou d’un appel.

[23]         Ainsi, la décision du ministre ne peut être attaquée que par la voie de la révision judiciaire faite en vertu des pouvoirs inhérents du Tribunal (article 846 C.p.c .) ou par la requête en nullité.

[24]         La requête introductive d’instance comporte ici une erreur au niveau de son intitulé. On y indique qu’elle est faite en vertu de l’article 46 C.p.c . mais selon le procureur d’Hydromega il aurait fallu plutôt lire que la demande s’appuie sur l’article 846 C.p.c .

[25]         Cette requête est également introduite en vertu de l’article 33 C.p.c . car il s’agirait d’une requête en nullité advenant que le Tribunal conclut qu’il n’est pas en présence d’une décision de la nature d’un jugement ou qu’il n’est pas en présence d’une décision émanant d’un organisme pouvant s’assimiler au terme « tribunal » dont il aurait le pouvoir de surveillance.

[26]         Les parties ont, au moment de leur plaidoirie respective, informé le Tribunal que dans la mesure où il décidait de donner suite à la demande soit d’annulation ou de révision de la décision du ministre, elles souhaitent toutes deux que le dossier soit retourné à l’Agence du revenu du Québec afin qu’un décideur, différent de ceux impliqués jusqu’à ce jour, puisse se prononcer.

*      *     *      *     *    *    *

[27]         La première question que le Tribunal doit trancher est de déterminer si la décision du ministre est sujette au pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour supérieure en vertu de l’article 846 C.p.c . Autrement dit, est-ce que le recours est une demande de révision judiciaire ?

[28]         Cette question est somme toute relativement académique en l’espèce puisque la défenderesse reconnaît, qu’advenant qu’il ne s’agisse pas d’une révision judiciaire, il y a possibilité pour Hydromega de demander que la décision soit annulée en vertu d’une action directe en nullité.

[29]         Néanmoins, pour que le Tribunal puisse déterminer en vertu de quel pouvoir il agit et traite de la requête selon les critères applicables, il doit effectuer cette détermination et une certaine revue de la jurisprudence s’impose.

[30]         Les conditions d’ouverture à la révision judiciaire en vertu de l’article 846 C.p.c . sont au nombre de quatre.

[31]         Il s’agit, dans un premier temps, de voir si la partie a un intérêt pour agir. Ici la décision vise directement Hydromega et ses droits sont affectés. Cette partie a nécessairement un intérêt à agir.

[32]         Le deuxième critère est celui du caractère décisionnel de l’instance qui est en cause. Est-ce que ce caractère décisionnel ressemble à celui d’un jugement au sens de l’article 846 C.p.c . ?

[33]         Troisièmement, est-ce qu’il s’agit d’une instance qui a un caractère quasi judiciaire au sens de l’article 846 C.p.c . ?

[34]         Et, quatrièmement, est-ce que cette décision émane d’un tribunal ou d’un organisme qui est constitué en vertu d’une loi ?

[35]         Encore une fois, cette dernière condition ne prête pas ici à débat puisque le ministre est autorisé à exercer sa discrétion en fonction de la Loi sur l’administration fiscale .

[36]         C’est donc essentiellement en vertu des conditions deux et trois que le Tribunal doit voir si la décision qu’on lui demande de rendre est sujette à révision.

[37]         Il y a eu longtemps controverse jurisprudentielle à savoir si on se situait en matière de révision judiciaire lorsqu’on ne traitait pas spécifiquement d’un « jugement » ou que le tribunal qui avait rendu la décision dont on demandait la révision n’était pas un tribunal administratif défini comme tel à la Loi.

[38]         Or, il résulte de cette jurisprudence que l’on a élargie considérablement la notion de « tribunal » et de « jugement » mentionné à l’article 846 C.p.c. La question de la qualification de la décision à savoir s’il s’agit d’une décision qui constitue un pur acte administratif ou un acte quasi judiciaire, question qui a longtemps été déterminante pour décider s’il s’agissait d’une décision judiciaire, n’est plus réellement importante.

[39]         Cette distinction a effectivement perdu de son importance depuis, notamment, les arrêts Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioner of Police , [1979] 1 R.C.S. 311 et l’ obiter de la juge L’Heureux-Dubé dans l’affaire Claude St-Hilaire c. Paul Bégin et le Ministre des affaires municipales du Québec , [1982] C.A. 25 , 30.

[40]         D’ailleurs, la Cour d’appel, de façon plus récente dans l’affaire Latreille c. Comité de révision de la commission des services juridiques , [2002] R.J.Q. 1260 , a confirmé qu’on pouvait dorénavant écarter la fameuse distinction entre l’acte administratif et l’acte quasi judiciaire car il s’agit plutôt de considérer si la décision qu’on attaque présente ou non certains des éléments qui caractérisent la fonction quasi judiciaire.

[41]         Autrement dit, est-ce que c’est une décision qui émane d’un processus qui s’apparente à un processus judiciaire ? Par exemple, est-ce qu’il s’agit d’une décision qui résulte de l’administration d’une preuve via un processus contradictoire ? Est-ce que c’est un jugement qui comporte un caractère décisionnel ? S’agit-il pour le décideur d’appliquer sans aucune discrétion et sans aucune analyse une disposition de la loi par un geste quasi ou totalement automatique ou est-ce que sa décision est le fruit d’un processus qui comporte une certaine analyse ou qui requiert l’exercice de soupeser certains facteurs ?

[42]         On a déterminé que, dans la mesure où il y avait une procédure d’administration de la preuve, que le décideur se devait de tenir compte de faits particuliers au litige et de procéder à une certaine analyse, la décision répondait alors au critère de « jugement » émanant d’un processus quasi judiciaire et que cette décision pouvait faire l’objet de révision judiciaire.

[43]         Dans le présent dossier, le Tribunal estime qu’effectivement la décision du ministre comporte les caractéristiques résultant d’un processus décisionnel semblable aux fonctions quasi judiciaires. En effet, le ministre avant d’émettre sa décision se doit de considérer différents éléments, dont ceux énoncés dans le bulletin d’interprétation, quoiqu’il n’est pas lié par le bulletin d’interprétation et qu’il peut s’en écarter ou utiliser d’autres critères de son choix.

[44]         L’usage de la discrétion du ministre n’est cependant pas automatique. C’est un pouvoir discrétionnaire qui doit donc être utilisé en fonction des circonstances spécifiques du dossier soumis au ministre et des agissements, notamment ceux du contribuable ou de l’agence, dont le ministre peut tenir compte. Le ministre doit voir si en fonction des éléments qui lui sont soumis, dont ici l’argumentaire par le fiscaliste M. Desjardins, il entend user de sa discrétion. En l’espèce, il doit donc recourir à une analyse [8] .

[45]         Il y a également une preuve qui a été offerte. Des représentations ont été faites lors des différentes rencontres qui ont été tenues avec les représentants de l’Agence du revenu du Québec. Ces rencontres s’apparentent finalement à des auditions où Hydromega a pu faire état d’arguments et des faits supportant sa demande d’allègement. Il y a également eu une prise de connaissance par le ministre de la demande écrite d’allègement en tant que telle [9] . Pour ces raisons, le Tribunal estime que la requête relève des pouvoirs de surveillance du Tribunal prévus à l’article 846 . C.p.c.

Norme d’intervention

[46]         Ceci étant déterminé, la deuxième question à trancher est celle d’établir quelle norme d’intervention doit être utilisée dans les circonstances ?

[47]         Les deux parties avancent qu’il s’agit de la norme de la décision raisonnable, selon les critères énoncés dans l’arrêt Dunsmuir [10] , l’arrêt phare en matière de révision judiciaire.

[48]         Il est vrai que dans certains cas, des manquements à l’équité procédurale peuvent donner lieu à l’application de la norme de la décision correcte. Certains exemples jurisprudentiels soutenant cette proposition ont été cités au Tribunal par le procureur d’Hydromega.

[49]         Cela dit, lorsque la demande de révision se fonde sur la qualité de la motivation d’une décision, ce n’est qu’en présence d’une absence de motivation telle qu’il est totalement impossible pour une partie d’apprécier le fondement de la décision, de vérifier si la décision a été prise de façon arbitraire ou sans tenir compte des éléments du dossier ou arguments soulevés, qu’on va conclure qu’il y a un manquement à l’équité procédurale qui exige que la norme de la décision correcte soit appliquée.

[50]         Tout est question de degré et la qualité de la motivation doit être appréciée en fonction de la nature de la décision et du contexte dans lequel elle est rendue.

[51]         Ici, le Tribunal estime que la décision du ministre ne souffre pas d’une absence totale de motivation puisque des portions de la demande d’allègement ont du être considérées car elles ont même donné lieu à une décision favorable à Hydromega, que le ministre a justifié.

[52]         Une étude globale du dossier permet de retrouver différents motifs supportant la décision du ministre de ne renoncer que partiellement aux intérêts sur le remboursement de TVQ.

[53]         Comme il existe déjà un certain corpus de jurisprudence en matière semblable [11] , et que les tribunaux ont de façon constante appliqué le critère de la norme du caractère raisonnable à une décision semblable, le Tribunal, n’a pas se prêter à une analyse exhaustive pour déterminer la norme applicable [12] . Il conclut, comme le lui ont soumis les parties, qu’effectivement il ne fait pas face à une absence totale de motivation et qu’il doit appliquer les critères de la décision raisonnable à la décision discrétionnaire du ministre rendue en vertu de 94.1 L.A.F .

La décision du ministre est-elle raisonnable ?

[54]         Quel est maintenant le niveau de motivation auquel on doit s’attendre dans le contexte spécifique du présent dossier afin de conclure que la décision est raisonnable ? Quels sont les éléments que le Tribunal peut considérer pour voir si la motivation est suffisante ?

[55]         Le Tribunal est d’avis qu’il ne doit pas limiter son évaluation du caractère raisonnable de la décision du ministre au seul texte du dernier avis de cotisation mais qu’une étude plus globale du dossier doit être effectuée. Cette approche est celle préconisée dans l’arrêt de principe sur la question de la suffisance de la motivation, rendu sous la plume de l’honorable juge Abella de la Cour suprême dans l’affaire Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor) , [2011] 3 R.C.S. 708 .

[56]         Voici ce qu’elle écrit à ce sujet [13]  :

[14]       « Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat. Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité ».

[15]       La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit ». Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

[16]       Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale. En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la Cour de révision de comprendre le fondement de la décision du Tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles et acceptables.»                (nos soulignés)

[57]         Le Tribunal constate que pour apprécier le résultat final dans le présent dossier, il lui faut considérer toutes les étapes du processus décisionnel ayant entouré la demande d’allègement car la décision du ministre a été rendue en plusieurs séquences et n’est pas entièrement contenue dans l’avis de cotisation.

[58]         Pour examiner le caractère raisonnable de la décision en corrélation avec son résultat, soit de renoncer à une partie des intérêts et d’en maintenir une autre partie, le Tribunal doit également consulter le rapport de vérification [14] et les autres éléments, notamment les faits soulevés dans la demande d’allègement ayant trait à la vérification sommaire, ainsi que la demande d’allègement en tant que telle.

[59]         Examinée globalement, la décision sous étude, bien qu’elle ne réponde pas à tous les arguments qui sont soulevés dans la demande d’allègement, est néanmoins suffisamment explicite pour permettre au Tribunal d’en comprendre le fondement et de déterminer que la conclusion à laquelle en est venu le ministre, celle de ne pas renoncer à l’ensemble des intérêts réclamés, fait partie des issues possibles et acceptables en regard des faits et du droit.

[60]         Dans un premier temps, le Tribunal constate que la demande d’allègement a été prise en compte. On mentionne spécifiquement à l’avis de cotisation qu’on a pris connaissance de la demande d’allègement, on donne la date de la demande d’allègement qui a été faite au mois d’août. Il y a eu également plusieurs rencontres. Certaines parties de la décision rendue sur la demande d’allègement.ont été rendues verbalement. On a tenu compte de la preuve qui a été offerte par Hydromega et des arguments qui ont été présentés. Donc, il ne s’agit pas d’un cas où on n’a aucune idée des raisons pour lesquelles le ministre a accordé sa discrétion en partie.

[61]         De l’avis de cotisation et du rapport de vérification qui y est associé, l’on relève les éléments justificatifs de la décision. Le rapport du vérificateur, fait mention d’une renonciation aux intérêts au montant de 138 389,45 $. Il s’agit d’une réponse à la demande d’allègement (expliquée au paragraphe 3.2 de la cotisation).

[62]         Dès le départ, on explique ce qui justifie les intérêts : la cotisation est faite, car le nom de l’acquéreur sur les factures et les contrats n’est pas celui de l’inscrit Hydromega et que l’acquéreur de la fourniture (Magpie) n’est pas un inscrit [15] .

[63]         Alors, on précise qu’il y a eu des RTI réclamés par la mauvaise entité au montant de 1 329 599,94 $. Par la suite, on précise qu’effectivement, bien qu’Hydromega ait été le payeur de différentes factures, les intrants ont été dépensés au nom de MAGPIE jusqu’à la fin de juin 2006 et que ce n’est qu’en juillet 2006 que MAGPIE s’est inscrite au registre de TPS et de TVQ et a donc commencé à réclamer les RTI qui sont en cause.

[64]         Répondant à la demande d’allègement qui réclame la renonciation aux intérêts vu la vérification sommaire effectuée en 2006, l’on affirme qu’« Il est à noter que nous n’avons pas validé la possibilité que les intrants aient été réclamés en double par Hydromega et MAGPIE. Il est du ressort de MAGPIE de s’assurer de ce fait avant de réclamer les intrants refusés à Hydromega Services ».

[65]         Par la suite, on réfère aux différentes factures des fournisseurs principaux qui ont été révisées et de façon plus précise, la justification du maintien des intérêts se retrouve aux sections 7 et 8 du rapport de vérification.

[66]         On mentionne ainsi que les intérêts ont été appliqués à partir d’une certaine date alors qu’il y a eu renonciation aux intérêts à compter du 1 er  juillet 2009. On donne la motivation à la renonciation aux intérêts à partir du 1 er  juillet 2009 en expliquant qu’il y a renonciation aux intérêts cumulés pendant le délai de traitement de la demande d’allègement. En soi, il y a donc une motivation tant aux intérêts qui sont maintenus qu’à la portion à laquelle il y a renonciation partielle.

[67]         Le Tribunal rappelle qu’il ne s’agit pas, pour apprécier la décision sur la demande d’allègement, de ne considérer que ce qui a été refusé. il faut déterminer comment le ministre a appliqué sa discrétion pour la totalité des intérêts visés par la demande d’allègement.

[68]          Dans le cadre d’une autre partie de sa décision, suite à la demande d’allègement, le ministre renonce aux intérêts sur les ajustements pour la période du 1 er  janvier 2006 au 31 mars 2006 suite à une décision de M. Leclerc et de Mme Bergeron.

[69]         Il s’agit de la période visée par la vérification sommaire, celle où est intervenu M. Muguet lorsqu’il a demandé à revoir certaines factures des fournisseurs. Ce sont ainsi les intérêts qui sont associés à ces factures, lesquelles avaient été soumises lors de la vérification sommaire en 2006, auxquels le ministre a décidé de renoncer.

[70]         En fonction de l’ensemble du dossier, on peut apprécier que cette décision du ministre s’appuie sur des faits qui sont spécifiques cas d’Hydromega. Il a considéré l’intervention de M. Muguet lors de sa vérification sommaire. Il y a décision de renoncer aux intérêts appliqués sur les demandes de remboursement de taxes pour cette période précise qui a fait l’objet de la vérification sommaire puisque l’agence du revenu avait, selon la demande d’allègement, apprécié à partir des factures consultées que celles-ci faisaient état de biens qui n’étaient pas acquis au bénéfice de l’inscrit Hydromega.

[71]         Par ailleurs, l’on ajoute pour justifier le montant d’intérêt maintenu que les faits et motifs évoqués à la demande d’allègement ne justifient pas la renonciation du ministre.

[72]         Est-ce que vue dans son ensemble cette motivation est suffisante ? Le Tribunal est d’avis que le niveau de motivation des décisions d’un décideur est tributaire de l’ampleur de la discrétion qu’il a en vertu d’une loi.

[73]         Plus le pouvoir dont bénéficie le décideur spécialisé est discrétionnaire, moins il devrait avoir à motiver sa décision. Ceci étant, le décideur doit à tout le moins justifier suffisamment sa décision pour que le Tribunal puisse apprécier qu’elle ne soit pas le fruit d’un pur hasard, de discrimination ou d’une façon d’agir inéquitable envers le contribuable. Ici le ministre ne peut choisir d’exercer ou non sa discrétion pour des motifs qui seraient purement arbitraires ou non fondés, eu égard à la preuve soumise. Il faut que la motivation soit suffisante pour que le contribuable et le Tribunal puissent s’assurer que la décision ne résulte pas d’un tel exercice.

[74]         Dans le présente dossier, le ministre a tenu compte de la demande d’allègement, il a accepté de revoir lors de nombreuses rencontres les arguments d’Hydromega et a effectivement usé de sa discrétion en concluant à la lumière de l’ensemble du dossier, qu’il devait maintenir les intérêts sur les intrants réclamés par la mauvaise entité mais qu’il renonçait à deux types d’intérêts, ceux accumulés entre le 1 er  janvier 2006 et le 31 mars 2006 (parce que basés sur des factures qui avaient été soumises lors de la vérification sommaire faite par de l’Agence à cette même époque) de même que ceux qui étaient calculés à partir du 1 er  juillet 2009, pendant le délai résultant du traitement de la demande d’allègement.

[75]         Par ailleurs, la discrétion du ministre n’est pas limitée par le bulletin d’interprétation puisque ce bulletin n’a pas force de loi et qu’il ne précise pas tous et chacun des critères à être analysés. Il illustre certains cas où le ministre pourrait choisir d’intervenir en fonction de certains faits qui y sont énoncés .Il ne fait qu’illustrer certains cas où le ministre pourrait décider pour des raison d’équité d’intervenir en précisant qu’il s’agit de situations particulières voire exceptionnelles.

[76]         On se doit de rappeler que cette décision du ministre s’inscrit dans le contexte d’un processus fiscal qui se fonde sur l’auto-déclaration. Il appartient à Hydromega de compléter la documentation de façon adéquate et de ne réclamer en remboursement de taxes que ce à quoi elle a droit. Hydromega n’a pas obtenu une opinion de la part de l’Agence, il n’y a eu qu’une vérification sommaire. Les intérêts sont appliqués par l’Agence et maintenus par le ministre parce que Hydromega a demandé le remboursement pour des taxes payées sur des biens qui ne lui étaient pas destinés. C’est sa propre déclaration qui a donné lieu à cette erreur au niveau fiscal. Puisqu’il s’agit d’un processus d’auto déclaration, Hydromega devait au départ effectuer de façon correcte sa demande, en limitant sa réclamation d’intrants pour des fournitures qui lui étaient destinées.

[77]         Les avis de cotisation et le rapport de vérification montre que l’Agence du revenu du Québec a aussi, pour répondre à la demande d’allègement, autorisé l’inscription de la société MAGPIE afin qu’elle puisse bénéficier de façon rétroactive de certaines sommes (TVQ) qu’elle pourrait réclamer. Ceci démontre, encore une fois, qu’on a traité les demandes d’Hydromega.

[78]         Finalement, nous sommes en présence d’une décision du ministre, rendue en vertu d’une large discrétion, qui ne requiert que très peu de motivation. La motivation qu’on retrouve au rapport du vérificateur et à l’avis de cotisation est suffisante parce que l’on comprend pourquoi il y a eu renonciation à une partie des intérêts et pourquoi une autre portion est maintenue. Il est possible pour le Tribunal de conclure de façon satisfaisante que la décision du ministre constitue une issue possible et acceptable en regard des faits du dossier et du droit. Ainsi, il n’y a pas lieu d’intervenir.

[79]         En ce qui concerne maintenant l’argument du manque d’impartialité. Il appert des dispositions prévoyant ce processus de révision qu’il est très souple et son mécanisme peu défini. L’article 94.1 confirme que le contribuable n’a pas droit à la possibilité de contestation ni d’appel. Ce dont il s’agit, c’est un mécanisme interne établi via le bulletin d’interprétation qui permet de demander que soit considérée à nouveau la demande. Il ne s’agit donc pas d’offrir dans ce contexte une impartialité comme si il s’agissait d’un réel appel.

[80]         De plus, les personnes qui ont été impliquées en cours du processus de révision ne sont pas exactement les mêmes. On est allé à des niveaux décisionnels supérieurs. Il aurait été loisible pour la sous-ministre, comme elle l’a fait d’ailleurs en partie, d’en venir à une décision différente de la première. On ne m’a donc pas convaincu qu’il y avait ici une apparence de partialité ou qu’on est en présence d’un vice procédural menant à une iniquité qui fait en sorte que la décision du ministre doit être révisée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[81]         REJETTE la demande de révision par Hydromega de la décision du ministre rendue via, notamment, l’avis de cotisation de 2009.

[82]         AVEC DÉPENS .

 

 

__________________________________

CATHERINE MANDEVILLE, J.C.S.

 

 

 

 

 

Me Marc Côté

Pour la demanderesse Hydromega Services Inc.

 

 

Me Normand Bérubé

Pour la défenderesse Agence du revenu du Québec

 

 

Dates d’audience :

27 février et 18 mars 2013

Demande écrite faite le 19 mars 2013



[1]     Le jugement a été rendu séance tenante. Comme le permettent les articles 471 et 472 C.p.c. (c.f. Kellogg’s Company of Canada c. P.G. du Québec , [1978] C.A. 258 , 259-260), le Tribunal en a remanié les motifs pour en améliorer la présentation et la compréhension.

[2]     L.R.Q. c. A-6.002.

[3]     Bulletin d’interprétation LMR 94.1-1/R4 intitulé Renonciation ou annulation à l’égard des intérêts, des pénalités ou des frais.

[4]     Pièce D-1.

[5]     Produite sous la pièce P-4.

[6]     Pièce D-2.

[7]     Au lieu du montant de 386 191,86 $ réclamé au départ.

[8]     Nous ne sommes pas ici en présence d’un processus où la loi énonce que si un fait « x » survient, la décision « y » doit automatiquement être prise, tel en matière de retrait de permis par la SAAQ suite à une infraction routière dans l’affaire Occéan c. SAAQ , 2011 QCCS 1564 .

[9]     Celle qu’on retrouve à la page 199 du cahier des pièces de la demanderesse.

[10]    Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , 2008 CSC 9 .

[11]    Il est vrai qu’il y a peu de jurisprudence sur des dispositions spécifiques de la TVQ mais il existe quand même un corpus de jurisprudence émanant de la Cour fédérale sur un pouvoir équivalent qui concerne de la discrétion du ministre fédéral pour la TPS.

[12]    Voir Dunsmuir précité note 10, paragr. 57 et 62.

[13]    Voir page 715 ss de cet arrêt.

[14]    Onglet 2 du cahier de pièces de la demanderesse, p.89 et ss.

[15]    Les explications quant à cet aspect de la réclamation d’intérêts qui persiste sont retrouvées notamment au paragraphe 6.3 du rapport de vérification qu’on retrouve la page 91 sous l’onglet 2 du cahier de pièces de la demanderesse.