Marchand c. Alaoui

2013 QCCQ 4602

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

LOCALITÉ DE

LAVAL

« Chambre civile »

N° :

540-32-025029-123

 

 

 

DATE :

10 avril 2013

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE CLICHE, J.C.Q.

 

 

 

ANICK MARCHAND

Demanderesse

c.

ABDER ALAOUI

Défendeur

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

[1]            Les parties sont toutes deux chirurgiens-dentistes.

[2]            Le docteur Anick Marchand réclame du docteur Abder Alaoui 18 000,00 $,  réduit à 7 000,00 $ à titre de dommages et intérêts pour troubles et inconvénients ainsi que pour la perte de revenus suite au départ de certains clients de sa clinique, et ce, vu le non-respect, par le docteur Alaloui, d'un contrat de service signé par les parties le 23 août 2008.

[3]            Le docteur Alaoui conteste cette réclamation soutenant n'avoir jamais signé un contrat de service avec le docteur Marchand.

[4]            De plus, bien qu'il confirme s'être entendu verbalement avec le docteur Marchand, il soutient qu'elle l'empêchait de prodiguer les suivis normaux en orthodontie auprès de ses patients, que le délai de paiement de ses honoraires ou de sa rémunération, par le docteur Marchand, était abusif et qu'il a toujours rendu de très bons services à ses clients, et ce, de façon professionnelle.

[5]             Le docteur Alaoui soutient donc qu'il ne doit rien au docteur Marchand.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

1)     Quelle est la nature des ententes intervenues entre les parties ?

2)     À quel moment ces ententes ont-t-elles pris fin ?

3)     Le docteur Alaoui a-t-il contrevenu à ces ententes ?

4)     Dans l'affirmative, quelle est la valeur des dommages subis par le docteur Marchand ?

 

ANALYSE ET DÉCISION

 

[6]            Quelle est la nature des ententes intervenues entre les parties ?

 

[7]            Le docteur Marchand est chirurgienne-dentiste et exploite à Laval une clinique dentaire sous le nom de «Centre dentaire familial Ste-Dorothée».

[8]            En août 2008, sa clinique n'offrait pas de services complets en orthodontie.

[9]            À cette époque, le docteur Alaoui est lui aussi chirurgien-dentiste et offre des services en orthodontie.

[10]         La preuve révèle qu'au mois d'août 2008, une entente intervient entre les parties à l'effet que le docteur Alaoui offrira des services en orthodontie auprès de la clientèle du docteur Marchand à raison d’un à deux samedis par mois.

[11]         Cette entente prévoit que le docteur Marchand s'engage à verser au docteur Alaoui un pourcentage des honoraires nets perçus pour tout travail effectué par le docteur Alaoui relativement à des services en orthodontie.

[12]         Lors de son témoignage, le docteur Marchand dépose un contrat de service qu'elle présente comme ayant été paraphé et signé par le docteur Alaloui et  elle-même le 23 août 2008. [1]

[12.1]   Ce contrat prévoit, entre autre, qu'en considération des services professionnels qui seront rendus par le docteur Alaoui, le docteur Marchand s'engage à lui verser une commission de 35 % des honoraires nets perçus pour tout travail d'orthodontie effectué par le docteur Alaoui.

[13]         Or, le docteur Alaoui soutient qu'il n'a jamais paraphé ni signé ce contrat ou tout autre contrat écrit avec le docteur Marchand.

[13.1]   Il soutient plutôt qu'une entente verbale est intervenue entre lui et le docteur Marchand, en août 2008, à  l'effet qu'il acceptait d'offrir ses services en orthodontie à la clinique du docteur Marchand et qu'il avait droit à 65 % des honoraires facturés aux clients qu'il allait servir.

[14]         Bien qu'il n'accuse pas le docteur Marchand de l'avoir fait, il soutient que quelqu'un a imité ses initiales et sa signature sur le contrat portant la date du 23 août 2008.

[15]          Pour appuyer ses dires, il produit un contrat de service paraphé et signé uniquement par le docteur Marchand, portant la date du 17 novembre 2007. [2]

[16]         Il soutient avoir refusé de le signer compte tenu de l'existence de certaines clauses prévues à ce contrat qui restreignaient, de façon inacceptable, sa liberté de pratiquer sa profession.

[17]          Or, malgré l'importance de ses prétentions, en aucun temps lors de l'audition, le docteur Alaoui a déposé quelques documents que ce soit pouvant démontrer que les initiales et la signature apparaissant au contrat daté du 23 août 2008 n'étaient pas les siennes.

[18]         La Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt Toronto Dominion Bank c. Kahn [3] affirme que :

« La preuve à l'appui de la négation de signature doit être sérieuse, cohérente et vraisemblable. Il ne suffit pas pour une personne de tout simplement nier que ce soit sa signature sur l'écrit; il lui faut dire pourquoi. Il serait autrement trop facile, chaque fois qu'une créance reposerait sur un écrit privé, d'imposer à la personne qui l'invoquerait, le fardeau de prouver que c'est bien la signature de son débiteur. » [4]

[19]         Ayant fourni une explication quant aux raisons de son refus de signer le contrat de service signé par le docteur Marchand le 17 novembre 2007, le docteur Alaoui n'explique pas pourquoi il aurait refusé de signé le contrat daté du 23 août 2008 alors que certaines clauses diffèrent entre les deux versions de ces deux contrats.

[20]         Or, le docteur Marchand soutient que le docteur Alaoui a refusé de signer le contrat du 17 novembre 2007 au motif qu'il était en désaccord avec le contenu des clauses 9.1.4 et 9.1.5 qui prévoyaient des restrictions à l'exercice de ses services de dentisterie et compte tenu de la durée de ces restrictions.

[21]         Selon le docteur Marchand, ces clauses furent donc modifiées à la demande du docteur Alaoui afin que la durée de ces restrictions soient réduites à une période de deux ans et qu'elles ne visent que ses services en orthodontie.

[22]         Le Tribunal constate d'ailleurs que dans le contrat daté du 22 août 2009, les clauses 9.1.4 et 9.1.5 furent modifiées, de même que la durée des engagements de non-concurrence et non-sollicitation prévue aux clauses 9.1.1 et 9.1.3 de ce même contrat.

[23]         Ces modifications confirment davantage la version des faits présentée par le docteur Marchand.

[24]         Par conséquent, le Tribunal conclut donc que les parties ont dûment paraphé et signé le contrat de service daté du 23 août 2008 et y étaient liées par son contenu.

 

[25]         À quel moment ces ententes ont-t-elles pris fin ?

 

[26]         Le contrat de services signé par les parties, le 23 août 2009, était valide pour une période d'un an. [5]

[27]         En effet, aucune clause de ce contrat ne traite de son renouvellement et seule la possibilité d'y mettre fin avant terme y est prévue. [6]  

[28]         Malgré tout, la preuve révèle qu'après le 23 août 2009, les parties se sont comportées tout comme si le contrat de service continuait de s'appliquer.

[29]         En effet, le docteur Alaoui a soutenu que son entente avec le docteur Marchand s'était terminée au début du mois de décembre 2010 alors que le docteur Marchand a plutôt soutenu que cette entente s'était terminée au cours de l'automne de la même année.

[30]         Par conséquent, le Tribunal conclut que le contrat de service portant la date du 23 août 2008 s'est terminé le 23 août 2009 mais que les parties ont tout de même convenu d'être liées par un contrat verbal de service jusqu'à la fin de l'année 2010.

 

[31]         Le docteur Alaoui a-t-il contrevenu à ces ententes ?

 

[32]         Le Tribunal répond affirmativement à cette question.

[33]         Tant le contrat daté du 23 août 2008 que l'entente intervenue entre les parties, après le 23 août 2009, prévoyaient que le docteur Alaoui agissait  à titre de prestataire de services pour le docteur Marchand et sa clinique.

[34]         Les articles du Code civil du Québec les plus pertinents à la présente affaire, concernant le contrat de service sont les suivants:

Art. 2098.  Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

Art. 2099.  L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

Art. 2100.  L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.

[35]         Le docteur Alaoui a soutenu que ses clients l'aimaient, qu'il a toujours agi de façon professionnelle et passionnée, mais que le docteur Marchand gérait mal sa clinique et traitait sa clientèle comme des numéros.

[36]         Or, la preuve prépondérante a plutôt révélé que plusieurs clients de la clinique du docteur Marchand se sont plaints auprès d'elle des services inadéquats du docteur Alaoui et plusieurs d'entre eux ont cessé d'être clients de cette clinique pour cette raison.

[37]         De plus, la preuve a révélé qu'en septembre 2010, le docteur Alaoui a sollicité plusieurs clients du docteur Marchand afin qu'ils continuent leurs traitements en orthodontie ou pour recevoir tout autre traitement à la clinique du docteur Alaoui à Montréal. 

[38]         En effet, il fut  déposé en preuve, de consentement avec le docteur Alaoui, des lettres de deux patients se plaignant de ses services [7] ainsi qu'un document signé par treize patients, lequel indique :  

 « J'ai débuté des traitements en orthodontie au Centre dentaire familial Ste-Dorothée.

Le 11 septembre 2010, le docteur Abder Alaoui m'a remis une carte d'affaires de sa clinique à Montréal, sur la rue Jarry et m'a informée qu'il ne viendrait plus faire de traitements d'orthodontie au Centre dentaire familial Ste-Dorothée.

Je confirme par la présente que je désire que mes traitements en orthodontie se poursuivent et se terminent au Centre dentaire familial Ste-Dorothée. » [8]

[39]         De plus, une lettre signée par monsieur Stéphane Morrisson fut déposée sous la cote P-4, laquelle contient les affirmations suivantes :

« J'ai débuté des traitements en orthodontie au Centre dentaire familial Ste-Dorothée.

J'ai été sollicité par le docteur Abder Alaoui pour que je reçoive des traitements en orthodontie et des traitements autres que l'orthodontie à sa clinique située sur la rue Jarry à Montréal.

De plus, le docteur Alaoui m'a remis sa carte d'affaires de sa clinique de Montréal.

Je confirme par la présente que je souhaite que mon traitement en orthodontie se termine au Centre dentaire familial Ste-Dorothée. »

[40]         De l'ensemble des pièces produites et de la preuve présentée à l'audience, le Tribunal conclut que la preuve prépondérante a démontré que le docteur Alaoui n'a pas agi avec prudence et diligence et ni dans le meilleur intérêt de sa cliente, soit le docteur Marchand et plus particulièrement ses patients, et ce, à tous le moins, durant la période en vigueur du contrat de service intervenu verbalement entre les parties et qui s'est terminé au plus tard à la fin de l'année 2010.

 

 

[41]         Dans l'affirmative, quelle est la valeur des dommages subis par le docteur Marchand ?

 

[42]         Le docteur Marchand soutient avoir subi une perte de revenus suite aux agissements fautifs du docteur Alaoui, mais n'a produit aucun document ni même quelque chiffre que ce soit à ce titre.

[43]         Bien que le Tribunal a conclu que certains clients ont cessé de fréquenter la clinique du docteur Marchand, étant insatisfaits des services rendus pas le docteur Alaoui, il ne peut arbitrer la valeur d'une perte de revenus en l'absence d'une preuve, à tout le moins minimale, à ce sujet.

[44]         Cependant, le Tribunal, suivant la preuve qui lui a été présentée, peut déterminer la somme raisonnable à accorder au docteur Marchand à titre de dommages et intérêts pour inconvénients et préjudices subis.

[45]         Le Tribunal retient de la preuve présentée que le docteur Marchand s'est vu confrontée  à certains clients insatisfaits et mécontents qui, malgré ses interventions, ont décidé ne plus recevoir de soins à sa clinique.

[46]         Le preuve a révélé que le docteur Marchand s'est vu dans l'obligation de communiquer avec chacun de ses clients insatisfaits, consacrant ainsi du temps et de l'énergie à tenter de les convaincre de continuer leurs traitements à cette clinique.

[47]         Le docteur Marchand a donc dû déployer des efforts pour tenter de satisfaire ses clients mécontents et pour tenter de remplacer ceux qui ont décidé d'être traités dans une autre clinique.

[48]         Usant de sa discrétion judiciaire et suivant la preuve qui lui a été présentée, le Tribunal établit la valeur des inconvénients et préjudices subis par le docteur Marchand, à  2 000,00 $.

 

[49]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[50]         ACCUEILLE EN PARTIE la demande de la demanderesse, madame Anick Marchand.

[51]         CONDAMNE le défendeur, monsieur Abder Alaoui à payer à la demanderesse la somme de 2 000,00  $ avec intérêts au taux de 5 % ainsi que  l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec,  à compter du 14 juin 2012.

[52]         CONDAME  le défendeur, monsieur Abder Alaoui à payer à la demanderesse les frais judiciaires de 163,00 $.

 

 

[53]         Le tout, AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

PIERRE CLICHE, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

15 mars 2013

 



[1]     Pièce P-1.

[2]     Pièce D-2

[3]     1997, CANLII10883 (QCCA)

[4]     Ibid., p.11 du jugement.

[5]     Clause 6.2 du contrat P-1.

[6]     Clauses 6.1, 11.1 et 11.2 du contrat P-1.

[7]     Pièces P-5 et P-11.

[8]     Pièce P-3.