Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 26 octobre 2012

Référence neutre : 2012 QCTAQ 10658

Dossier  : SAS-Q-182249-1204

Devant les juges administratifs :

CAROLINE GONTHIER

DENISE THÉRIAULT

 

R… C…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]               Le Tribunal est saisi d’un recours logé par le requérant à l’encontre d’une décision rendue par le Service de l’évaluation médicale de l’intimée, la Société de l’assurance automobile (la Société), le 28 mars 2012, laquelle maintient la suspension de son permis de conduire.

[2]               Le requérant est présent à l’audience et prétend qu’il a la capacité de conduire son véhicule. Il désire récupérer son permis de conduire de classe promenade.

 

[3]               De l’ensemble de la documentation déposée au dossier, le Tribunal retient les éléments suivants.

[4]               Le requérant est né le […] 1923.

[5]               Le 3 mai 2010, dans le cadre d’une vérification par la Société de la capacité du requérant à conduire de façon sécuritaire un véhicule routier, le docteur Luc Laferrière, médecin traitant du requérant depuis dix-huit ans, complète le rapport d’examen médical. [1]

[6]               À la section se rapportant aux troubles neurologiques, le docteur Laferrière note un diagnostic d’ischémie cérébral transitoire (ICT) sylvien gauche probable récent. Il constate une modification du fonctionnement cognitif chez le requérant et soupçonne un léger ralentissement psychomoteur. Il précise que l'évaluation des réflexes et réactions est adéquate quant à la conduite d’un véhicule routier, mais recommande une évaluation fonctionnelle par un ergothérapeute. [2]

[7]               Le 8 juin suivant, la Société demande au requérant de fournir un rapport d’évaluation fonctionnelle effectuée par un membre de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec, laquelle évaluation devra inclure un test sur route. [3]

[8]               Pour éviter la suspension de son permis de conduire, le requérant doit fournir ce document au plus tard le 9 mars 2011.

[9]               Le 20 janvier 2011, le requérant est évalué par une ergothérapeute du Centre de santé et de services sociaux A (CSSS A) selon le Protocole d’examen cognitif de la personne âgée . [4]

[10]            Le même jour, un nouveau rapport d’examen médical est complété par le docteur Yvon Nadeau, de l’hôpital de jour gériatrique du CSSS A. Celui-ci réfère à un diagnostic d’AVC [5] et note un déficit de l’attention et de la concentration. Il recommande, lui aussi, une évaluation fonctionnelle par un ergothérapeute ainsi qu’une consultation en optométrie en raison de cataractes bilatérales. Ce problème associé aux troubles de l’attention et de concentration laisse présager un risque pour la conduite automobile et le médecin recommande la suspension du permis de conduire jusqu’à la réalisation du test sur route avec un ergothérapeute. [6]

[11]            Le 25 janvier suivant, à la suite des résultats des tests administrés par l’ergothérapeute lors de l’évaluation cognitive, docteur Nadeau conclut que le requérant présente définitivement des déficits de l’attention et de la concentration. Ce constat l’oblige à demander la suspension du permis de conduire du requérant jusqu’au résultat des tests sur route à être effectués par un ergothérapeute. [7]

[12]            Le 2 février 2011, la Société applique la condition « S » au permis de conduire du requérant, condition qui ne l’autorise plus à conduire seul et qu’il doit être accompagné par un ergothérapeute. [8]

[13]            Le 3 mars 2011, un rapport d’évaluation fonctionnelle sur l’aptitude physique et mentale à conduire un véhicule routier du requérant est complété par Isabelle Lessard, ergothérapeute. Le 23 février 2011, le requérant s’est soumis à l’examen en salle et le jour suivant, à l’examen sur route.

[14]            À l’item se rapportant aux informations relatives au requérant, madame Lessard mentionne ce qui suit :

«  Le client a cessé de conduire un véhicule routier depuis : M. n’a pas cessé de conduire malgré la recommandation de cesser de conduire jusqu’au test sur route faite le 20 janvier 2011 à l’hôpital de jour gériatrique, malgré l’ajout de la condition S et malgré les explications répétées à ce sujet.

Commentaires  : M. rapporte utiliser son véhicule quelques fois par semaine, principalement pour aller au restaurant, faire des commissions et participer à des activités de loisirs. Il rapporte également être bénévole pour conduire des gens en voiture. Il utilise toutes les routes, y compris les autoroutes, circule régulièrement en milieu urbain ([ville A], [ville B]) et fait occasionnellement des longues distances ([ville C]). Il rapporte être en mesure de conduire lorsque la circulation est plus dense, mais évite cette situation si possible. Il rapporte éviter de conduire lorsque la météo est moins clémente. Il ne rapporte pas d’accident dans les dernières années, ni de contraventions ou de difficulté particulière avec la conduite. Outre les moments où il fait du bénévolat, il est souvent seul lorsqu’il conduit. M. demeure seul à domicile. Il se rapporte autonome pour les activités de la vie quotidienne et domestique. Il utilise une dosette préparée par la pharmacie pour sa médication et rapporte gérer ses finances seul. » [9]

[15]            Quant à l’évaluation perceptivo-cognitive, elle note que le requérant présente des déficits sur le plan des fonctions cognitives et perceptuelles qui risquent d’avoir un impact sur la conduite d’un véhicule. À ce sujet, elle précise que des lacunes au niveau des perceptions visuelles, du temps de traitement de l’information, du jugement autocritique et de la mémoire à court terme ont été mises en évidence. [10]

[16]            De plus, elle mentionne que la collaboration du requérant est difficile et que malgré que ce soit lui qui ait sollicité cette évaluation auprès d’elle, il demeure très méfiant. Madame Lessard souligne que celui-ci persiste à croire qu’il peut conduire seul malgré la condition « S » et il croit fermement que son permis d’opérateur de machinerie lourde lui donne une autorisation sans limites pour conduire un véhicule de promenade. [11]

[17]            Concernant le test sur route, l’ergothérapeute conclut que les déficits cognitifs et perceptuels ont effectivement un impact significatif sur la conduite du requérant qui n’a pas été en mesure d’établir une conduite autonome et sécuritaire dans un environnement urbain. À la suite de ces résultats, l’ergothérapeute recommande le retrait du permis de conduire. [12]

[18]            Elle ajoute, par ailleurs, que malgré la suspension de son permis de conduire, en raison de sa conviction qu’il possède les capacités requises pour conduire son véhicule et qu’il en a le droit, le requérant «  est à haut risque de conduire son véhicule  ». Elle mentionne qu’il refuse également de faire des séances de perfectionnement sur la route, qu’il refuse de lui permettre de discuter des résultats de ses tests avec ses proches ou de discuter des alternatives à la conduite et même de les envisager. [13]

[19]            Le 31 mars 2011, la Société suspend le permis de conduire du requérant. [14]

[20]            Le 7 avril 2011, le docteur Laferrière informe la Société que l’état de santé du requérant demeure inchangé et demande à la Société, pour son patient, si celui-ci peut bénéficier d’une seconde évaluation en ergothérapie. [15]

[21]            Le 9 février 2012, une deuxième évaluation fonctionnelle sur l’aptitude physique et mentale du requérant à conduire un véhicule routier est effectuée cette fois par l’ergothérapeute Frédéric Villeneuve dont les examens en salle et sur route se sont déroulés le même jour. [16]

[22]            Dans le cadre des informations relatives au requérant, ce dernier rapporte avoir conduit malgré la présence de la condition « S » à son permis. Il a fait l’objet d’une arrestation policière le 4 septembre 2011 et, même s’il se considère comme apte à conduire, il n’a toutefois pas conduit depuis. [17]

[23]            À l’évaluation perceptivo-cognitive, l’ergothérapeute note que le résultat des différents tests administrés démontre des atteintes dans chacune des sphères évaluées. L’impact de ces atteintes a été validé sur la route. [18]

[24]            Le 13 février suivant, à la lumière des résultats de son évaluation en salle et sur route, l’ergothérapeute inscrit à son rapport que le requérant ne détient plus les capacités perceptivo-cognitives lui permettant de conduire de façon sécuritaire. Il précise que les résultats des épreuves perceptivo-cognitives et l’évaluation sur la route sont congruents.

[25]            De même, il souligne que les atteintes au niveau de la mémoire et la faible capacité d’apprentissage et d’autocritique font en sorte que le requérant ne peut même plus être un candidat pour un programme d’entraînement à la conduite automobile. [19]

[26]            L’ergothérapeute recommande la suspension permanente et définitive du permis de conduire du requérant. [20]

[27]            Le 28 mars 2012, la Société maintient la suspension du permis de conduire du requérant.

[28]            Le 13 avril 2012, le requérant conteste cette décision devant le Tribunal administratif du Québec, d’où le présent litige. [21]

 

[29]            À l’audience, le Tribunal a entendu le témoignage du requérant, lequel peut se résumer comme suit.

[30]            Le requérant est maintenant âgé de quatre-vingt-neuf ans.

[31]            Il possède un permis de conduire depuis l’âge de seize ans.

[32]            Des années 1955 à 1975, il a travaillé comme opérateur de machinerie lourde pour plusieurs compagnies dont il produit à l’audience les lettres de recommandation. Il réfère aussi au certificat émis le 5 juin 1971 lequel atteste qu’il a suivi un cours complet en manipulation, opération et manutention de l’équipement. [22]

[33]            Le requérant précise que ses problèmes de santé survenus au mois de février 2010 découlent d’une pneumonie et non d’un AVC.

[34]            Il vit seul et doit maintenant faire appel à un chauffeur pour se déplacer en automobile.

[35]            Il veut conduire lui-même son véhicule et prétend qu’il a encore la capacité de le faire. Il désire ravoir son permis de conduire puisque c’est son état de vivre , précise-t-il. Il ne veut pas dépendre des autres.

[36]            Il habite seul, à la campagne, sa résidence est à cinq milles de ville D et à plus de deux milles de ville E. Il a besoin de son permis de conduire pour utiliser son propre véhicule, faire son épicerie et payer ses comptes.

[37]            Sans son permis de conduire, il devra abandonner son chez-soi.

[38]            Questionné sur son arrestation du 4 septembre 2011, le requérant précise qu’il a été intercepté par les policiers à sa sortie de la résidence des personnes âgées à ville D. alors qu’ils lui ont demandé de fournir son permis de conduire. À la suite de cette vérification, son véhicule a été saisi et remisé à la fourrière, ce qui lui a occasionné des frais de plus de 1 100 $.

[39]            Il souligne que la suspension de son permis de conduire lui a occasionné suffisamment de frais jusqu’à maintenant et réfère notamment aux rapports d’évaluation faits par les ergothérapeutes.

[40]            Il conteste avec véhémence les recommandations énoncées par les ergothérapeutes, les qualifiant d’incompétents et de bons à rien. Il invoque que son âge et son expérience de conduite devraient plutôt être considérés pour lui permettre de retrouver son permis de conduire.

[41]            C’est trop triste pour lui de ne pas avoir son véhicule.

 

[42]            De son côté, la procureure de la partie intimée réfère aux dispositions pertinentes du Code de la sécuritaire routière [23] (CSR). Suivant les termes de ces dispositions, elle soutient que la Société n’a aucune discrétion et n’a d’autre choix que de suspendre le permis de conduire du requérant.

[43]            Elle dépose une décision rendue par ce Tribunal, en semblables matières, alors que les faits s’apparentent à la présente affaire. Le Tribunal y reviendra au besoin. [24]

[44]            Elle demande ainsi de confirmer la décision rendue par la Société à l’effet de maintenir la suspension du permis de conduire du requérant.

 

[45]            Tel que plaidé par la procureure de la partie intimée, c’est à la lumière de l’article  191 du CSR et de l’article 47 du Règlement sur les conditions d’accès à la conduite d’un véhicule routier relatives à la santé des conducteurs [25] (le Règlement) que le Tribunal doit déterminer s’il y a lieu de maintenir ou non la suspension du permis de conduire du requérant.

[46]            L’article 191 du CSR se lit comme suit :

« La Société doit suspendre un permis d'apprenti-conducteur et un permis probatoire ou un permis de conduire ou une classe de ceux-ci lorsque le titulaire de l'un ou plusieurs de ces permis, selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2, 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteint d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation qui, suivant les normes concernant la santé établies par règlement, sont essentiellement incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant à l'un des permis ou à l'une des classes de permis qu'il possède. »

[47]            Quant à l’article 47 du Règlement, il précise ceci :

«   Les troubles neurologiques entraînant des perturbations importantes des fonctions cognitives, de l'état d'éveil, de la conscience, des fonctions motrices ou sensitives, de l'équilibre ou de la coordination sont essentiellement incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier. »

[48]            Ainsi, les conditions énoncées à ces deux articles sont claires et impératives.

[49]            D’une part, les troubles neurologiques qui entraînent des perturbations importantes des fonctions cognitives chez un détenteur de permis de conduire sont essentiellement incompatibles avec la conduite d’un véhicule automobile.

[50]            D’autre part, lorsqu’un rapport d’examen ou d’évaluation démontre que le titulaire d’un permis de conduire est atteint d’une telle maladie qui, suivant les normes établies par le Règlement sont essentiellement incompatibles, en l’occurrence l’article 47 précité, la Société doit obligatoirement suspendre le permis de conduire du titulaire. 

[51]            Dans le cas qui nous occupe, la preuve révèle que le requérant a subi une atteinte neurologique, laquelle, peu importe si elle découle d’un AVC ou d’une ICT, a entraîné définitivement une perturbation importante des fonctions cognitives chez le requérant.

[52]            En somme, à la suite de la suspicion d’une atteinte de ces fonctions, le docteur Laferrière, médecin traitant du requérant depuis dix-huit ans, ainsi que le docteur Nadeau de l’hôpital de jour gériatrique du CSSS A, recommandaient tous deux une évaluation du requérant par un ergothérapeute incluant un test sur route.

[53]            Or, non seulement le requérant s’est soumis à cette évaluation au mois de mars 2011 et a échoué au test sur route, mais, également, il a échoué au deuxième test sur route, dans le cadre d’une seconde évaluation par un ergothérapeute, le 9 février 2012.

[54]            De toute évidence, à la suite d’une évaluation des plus complètes, les deux ergothérapeutes confirment que le requérant présente des déficits au niveau des fonctions cognitives et perceptuelles, lesquels ont un impact significatif sur la conduite autonome et sécuritaire du requérant.

[55]            Par surcroît, la dernière évaluation révèle que, en raison de ces atteintes, le requérant n’est même plus un candidat pour un programme d’entraînement à la conduite automobile.

[56]            Ici, le requérant n’a présenté aucune preuve documentaire pour contredire l’opinion des deux ergothérapeutes. Les recommandations de ses anciens employeurs, qui remontent aux années 1955 à 1975, ne sauraient suffire à démontrer sa capacité actuelle à conduire de façon sécuritaire son véhicule.

[57]            Par ailleurs, la prétention du requérant de n’avoir été affligé que d’une pneumonie au lieu d’un AVC n’est aucunement appuyée par la documentation médicale au dossier. Cet argument démontre plutôt qu’il tente de minimiser sa condition médicale justifiant ainsi la possibilité de récupérer son permis de conduire.

[58]            Dans ces circonstances, le Tribunal accorde prépondérance aux évaluations effec-tuées par les ergothérapeutes et considère que la décision de la Société de suspendre définitivement le permis de conduire du requérant est bien fondée en fait et en droit.

[59]            Certes, la suspension de son permis de conduire cause bien des inconvénients au requérant et fait en sorte qu’il doit maintenant dépendre des autres pour assurer ses déplacements en véhicule. Cependant, son intérêt privé ne saurait primer sur l’intérêt public.

[60]            De même, cette situation de dépendance ne lui permet aucunement de défier l’interdiction de conduire et de mettre en danger non seulement sa vie mais également celle des autres usagers de la route.

[61]            En effet, comme exprimé par le Tribunal dans la décision citée par la procureure de la Société, les dispositions du CSR sont d’ordre public et visent à assurer la protection du public ainsi que celle du conducteur lui-même. Celles-ci doivent être interprétées de façon restrictive et ni le Tribunal, ni l’intimée, ne peuvent déroger aux conditions émises par ces dispositions. [26]

 


POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

-         REJETTE le recours.


 

CAROLINE GONTHIER, j.a.t.a.q.

 

 

DENISE THÉRIAULT, j.a.t.a.q.


 

Raiche, Pineault, Touchette

Me Karine Giroux

Procureure de la partie intimée


 



[1] Pages 31 et suivantes.

[2] Pages 29 et 32.

[3] Page 33.

[4] Pages 62 et 63.

[5] Accident vasculaire cérébral.

[6] Page 41.

[7] Page 64.

[8] Page 43.

[9] Page 44.

[10] Page 46.

[11] Page 47.

[12] Pages 47 et 49.

[13] Page 49.

[14] Page 51.

[15] Page 56.

[16] Pages 75 et suivantes.

[17] Page 76.

[18] Page 79.

[19] Page 81.

[20] Page 82.

[21] Page 85.

[22] Pièces R-1 en liasse.

[23] L.R.Q., c. C-24.2.

[24] 2011 QCTAQ 10533 , décision rendue par les juges administratives Stella Phaneuf et Claire Desaulniers, le 31 octobre 2011.

[25] L.RQ., c. C-24.2, r. 8.

[26] Paragraphe 35 de la décision du TAQ précitée.