3024466 Canada inc. c. Paccar du Canada ltée (Kenworth Montréal)

2013 QCCS 2278

 

J.D. 2836

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-054481-091

 

 

 

DATE :

Le 28 mai 2013

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

THOMAS M. DAVIS, J.C.S.

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3024466 CANADA INC.

Demanderesse

c.

PACCAR DU CANADA LTÉE f.a.s.i.r.s. de KENWORTH MONTRÉAL

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT

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INTRODUCTION

[1]          Le seul actionnaire de la demanderesse est Gilles Aubé. Il est camionneur de profession, et ce, depuis l’âge de 18 ans. Il exerce ce métier depuis environ 40 ans. En mars 2008, par l’entremise de sa compagnie M. Aubé fait l’achat d’un camion neuf de la défenderesse (Kenworth). C’est le quatrième camion qu’il achète et ce nouveau camion est celui qu’il entend conduire jusqu'à sa retraite.

[2]          Dès l’achat, M. Aubé n’est pas satisfait avec la conduite du camion et il se plaint à Kenworth.

[3]          Kenworth tente à plusieurs reprises de satisfaire M. Aubé, mais elle n’y parvient pas. Monsieur Aubé intente des procédures à la fin de novembre 2010 et demande l’annulation de la vente.

[4]            À titre subsidiaire, la demanderesse demande la remise en état des parties  et que le prix de vente soit réduit de 63 800,00 $, car il soutient que la valeur actuelle du véhicule est maintenant de 70 000,00 $.

LA TRAME FACTUELLE

[5]            Pour l’achat du camion, M. Aubé fait affaire avec Daniel Paquette, un vendeur d’expérience chez Kenworth. Ensemble ils conçoivent le design du camion selon les exigences de M. Aubé. Il est livré en avril 2008, sans que M. Aubé l’essaye. Dans les faits avant de conclure le contrat d’achat, il n’essaie pas un modèle semblable, bien que ce soit la première fois qu’il s’achète un Kenworth.

[6]          M. Aubé achète la garantie prolongée du fabricant (pièce P-8) qui couvre le moteur et d’autres éléments, mais n’assure pas le châssis.

[7]          Dès son départ du concessionnaire, M. Aubé remarque des petits problèmes avec le camion, dont des bruits dans la cabine, des « rattles », selon ses dires.

[8]          Plus important, il constate que la conduite du camion est beaucoup plus dure que son ancien camion et cela le dérange.

[9]          Kenworth fait tout de suite des ajustements à la suspension et on change les pneus de seize pieds par des pneus de quatorze pieds.

[10]         Nonobstant les modifications apportées, durant le premier voyage, la conduite  du véhicule demeure très dure et accidentée ou « rough ».

[11]         Kenworth continue à faire des ajustements, presque à chaque semaine selon M. Aubé. Parmi les ajustements effectués sur le camion, Kenworth change la suspension frontale de 13 200 livres par une de 12 000 livres, pour ensuite remettre la suspension initiale. Elle fait des essais sur le châssis du camion en installant des renforts de différentes longueurs dans les longerons du châssis. Les renforts « ¾ » sont remplacés par des renforts « over-bogey » à la demande de M. Aubé, et ce, pour une question de pesanteur. Ces renforts demeurent sur le camion à ce jour.

[12]         Le camion est mis à l’essai à plusieurs occasions par des représentants de Kenworth que ce soit le vendeur, Daniel Paquette ou le technicien Luc Dompière. À chaque fois on essaie des correctifs afin d’améliorer la conduite et satisfaire M. Aubé.

[13]         Gary Kelner est gérant de service « field service manager » pour Kenworth. Dans le cadre de son travail, il est appelé à visiter différents détaillants dans son territoire pour régler des problèmes particuliers. C’est ainsi qu’il s’implique auprès de M. Aubé qui est mécontent de la conduite de son camion.

[14]         Il explique que l’essai qu'il a fait avec M. Aubé, lui permet de constater que le camion n’est pas atteint d’un problème de vibration. C'est plutôt une question de comment M. Aubé se sent quand il conduit le camion. Différents chauffeurs ont des perceptions différentes. Il est au courant des différents correctifs apportés par Kenworth dans le but de modifier la conduite du camion au goût de M. Aubé, y compris l’ajout de différents renforts.

[15]         Il explique que Kenworth offre différentes sortes de renforts au camionneur qui considère que le châssis est trop flexible. C'est dans ce contexte que les renforts « ¾ » sont installés dans le camion, pour ensuite être remplacés par les renforts « over-bogey ».

[16]         Les renforts « ¾ » sont installés à partir de la cabine du chauffeur jusqu’au fond du châssis. Les renforts « over-bogey » sont installés du fond du châssis jusqu’au-devant des essieux arrière.

[17]         M. Aubé demeure insatisfait. Lorsqu’il tire une remorque chargée, il note que la conduite est très difficile. Il ne se sent pas stable dans le camion. C’est comme une balançoire, dit-il.

[18]         Le 28 septembre 2009, il fait parvenir une mise en demeure à Kenworth dans laquelle il lui demande d’annuler son contrat de vente et de lui rembourser le prix d’achat du camion en totalité ou de lui remplacer son camion par un autre identique, y compris une garantie identique.

[19]         Cette dernière refuse étant d’avis qu’elle a fait tous les ajustements requis et que tout compte fait, le problème de conduite dont se plaint M. Aubé est plus un problème de perception de sa part qu’un problème avec le camion.

[20]         Nonobstant la mise en demeure, M. Aubé continue à se servir de son camion. Il soutient qu’il ne pourra pas le vendre étant donné l’existence d’un vice dans le châssis.

[21]         Il continue ses tentatives de réparer le camion. Ainsi, il se présente au Garage François Thouin qui procède à mesurer les longerons du camion moyennant une lecture au laser. Les parties conviennent que Garage Thouin possède beaucoup d’expérience dans de telles mesures.

[22]         Alain Gagnon est chef d’équipe au Garage Thouin. Il lit les mesures saisies sur le camion de M. Aubé par un lecteur laser. En date du 7 avril 2011, la lecture démontre que le longeron de gauche est affaissé de 5/8″, alors que la tolérance acceptable est de 3/8″ (pièce P-11).

[23]         M. Aubé retourne avec le camion en juin 2011 et on procède à arquer le longeron de gauche de 5/8″. On fait tout de suite un essai routier d’environs 10 minutes. Au retour, on refait une lecture au laser, les résultats révèlent que la mesure du longeron de gauche est de nouveau affaissée de 3/16″ (pièce P-14).

[24]         L’affaissement demeure à 3/16″ en juillet 2011 (annexe E du rapport de M. Bellavigna-Ladoux).

[25]         Un dernier test de lecture au laser est effectué le 25 avril 2013. On rapporte un affaissement de 3/8″ au longeron de gauche. Ainsi, le camion demeure à l’intérieur des tolérances acceptables.

[26]         L’affaissement se situe devant les roues arrière. Bien que personne n’a pu préciser l'endroit exact de l'affaissement, il est situé entre les essieux arrière et la couchette.

LES EXPERTISES

[27]         Deux experts renseignent le Tribunal sur les causes du trouble de conduite dont se plaint M. Aubé.

[28]         M. Bellavigna-Ladoux émet l’opinion que le camion présente une défectuosité au châssis. Il soutient que le châssis du camion n'a pas la raideur suffisante. Selon son expérience, il attribue la situation à un vice dans le matériel ou à un défaut dans la manufacture des longerons. Il ajoute que la situation a un impact important sur la conduite du véhicule.

[29]         Lors de l’inspection du véhicule, il note qu'il n'y a aucun renfort entre la cabine et les essieux arrière tout en notant que cet endroit est « its most critical bending force area ».

[30]         Lors de l’essai routier, il rapporte un « abnormal springing of the vehicle [ sic ] front to rear structure, indicating a potential lack of longitudinal stiffness of the truck frame rails. »

[31]         L’expert, Michel Gou indique que les calculs du facteur de sécurité sous les conditions prévues de chargement et d'utilisation montrent qu'ils sont plus que satisfaisants pour assurer la pérennité du châssis.

[32]         Il a aussi fait un essai routier avec M. Aubé au volant, il ne remarque aucun problème de conduite avec le véhicule. M. Aubé lui-même remarque qu’aucun des problèmes dont il se plaint n’est apparent lors de l’essai en question.

[33]         Ainsi, pour lui le « springing effect » noté par M. Bellavigna-Ledoux est possiblement causé par le long empattement du camion.

DISCUSSION

[34]         Le Tribunal est devant deux experts crédibles. Un, sans avoir fait des tests lui même, attribue le problème de conduite dont se plaint M. Aube à une raideur insuffisante du châssis causé par un vice de matériel ou un problème de fabrication. L’autre, ayant fait des tests, conclut qu’il n’y a aucun défaut de fabrication.

[35]         Lors de la prise de mesure au laser effectuée au Garage Thouin en avril 2011, l’affaissement du longeron gauche est de ⅝″. Il était ainsi à l’extérieur des tolérances qui permettent un affaissement de ⅜″.

[36]         Le Tribunal note que cette mesure n’a pas été considérée par M. Gou.

[37]         Toutefois, l’analyse du Tribunal ne peut s’arrêter au 11 avril 2011. En juin une réparation est effectuée par le garage Thouin et la mesure saisie le 11 juillet 2011 démontre que le longeron demeure à l’intérieur des tolérances. Il demeure acceptable le 13 avril 2013.

[38]         Le Tribunal ne bénéficie pas de mesures du longeron entre la date de l’achat et le mois d’avril 2011. On ne sait pas depuis quand le longeron s’est affaissé au-delà des tolérances acceptables. De plus, mis à part l’avis de M. Bellavigna-Ledoux que le châssis présente un manque de rigidité, le Tribunal ne bénéficie d’aucuns fait expliquant les raisons de ce manque de rigidité. M. Bellavigna-Ledoux n’offre aucune explication scientifique pour cette conclusion.

[39]         Pour sa part, M. Gou a pris des mesures qui contredisent la thèse de M. Bellavigna-Ledoux.

[40]         Mais il y a plus, selon M. Aubé, aucune des solutions proposées par Kenworth pour rendre le châssis plus rigide, y compris l’installation des renforts de « ¾ » offre une amélioration satisfaisante.

[41]         Le Tribunal ne peut donc pas conclure que l’origine du problème de conduite rapporté par M. Aubé se trouve au niveau de la rigidité du châssis.

[42]         De plus, si comme M. Bellavigna-Ledoux le soutient, le manque de rigidité du châssis est la cause de l’affaissement et que le longeron de gauche présente un défaut de matériel ou de fabrication, ce défaut aurait pu, en toute probabilité, être résolu par l’insertion de renforts « ¾ ». Le succès de cette solution semble encore plus probable, compte tenu de l’endroit où le longeron de gauche semble être affaibli. Elle a été offerte à M. Aubé, mais n'a pas été acceptée.

[43]         Un autre élément permet de mettre en doute la thèse de M. Bellavigna-Ledoux, que le problème de conduite est causé par le manque de rigidité du châssis. Depuis les mesures correctives entreprises au Garage Thouin en juin 2011, le longeron de gauche demeure à l'intérieur des normes, et ce, au 25 avril 2013. M. Aubé garde le camion et s’en sert pendant tout ce temps, malgré qu’il se plaint encore de sa conduite.

[44]         La thèse de M. Kelner que les plaintes de M. Aubé sont subjectives et que le camion demeure propice pour le travail auquel il est destiné est nettement plus probable.

[45]         La preuve doit être analysée à la lumière de l'article 1726 Code civile. Cet article prévoit que «  le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien est, lors de la vente, exempt de vices cachés qui le rend impropre à l'usage auquel on le destine  ».

[46]         Les faits du présent dossier démontrent qu'on se trouve très loin d'une telle situation. Mis à part les moments où le camion est en réparation, Monsieur Aubé l’utilise pour les fins auxquelles il est destiné. À certains moments, Kenworth lui fournit un véhicule de remplacement.

[47]         Il est vrai qu’en décembre 2009, M. Aubé a pris la décision de ne plus faire de longs voyages à Denver, comme il le faisait auparavant. Cependant, il continue à faire du transport avec le camion, mais sur des trajets locaux. Le Tribunal ne peut pas conclure que sa décision de faire des trajets différents démontre que le camion n’est pas propre à un usage normal.

[48]         De surcroit, il n’y a pas de preuve au dossier qui démontre que la modification du type de voyage effectué a causé quelque dommage que ce soit à M. Aubé.

[49]         Le fait que M. Aubé continue à utiliser le camion est important pour une autre raison. M. Aubé ne pouvait pas demander en 2010 que le contrat soit annulé et continuer à utiliser le camion.

[50]         Dans l'affaire Nichols c. Toyota Drummondville (1982) inc. [1] la Cour d'Appel reconnaît que pour demander l'annulation d’une vente, l'acheteur à l'obligation de remettre le véhicule.

[51]         Dans ce même arrêt, la Cour reconnaît que le Tribunal peut ordonner un remède alternatif dans la mesure où la preuve le permet, et ce, dans la mesure qu'il est demandé.

[52]         Monsieur Aubé demande la remise en état des parties et réclame la somme de sa valeur actuelle. Malheureusement, ceci ne constitue pas un remède alternatif. M. Aubé n’est pas plus en mesure de demander la remise en état aujourd’hui. La remise en état implique également l’annulation de la vente, ce que le Tribunal n’ordonnera pas. Il en est déjà venu à la conclusion que le véhicule n’a pas de vices cachés.

[53]          Finalement sur cet aspect, il n’y a rien dans la preuve qui permettrait au Tribunal de conclure que la réduction du prix demandée est justifiée. Autrement dit, même si M. Aubé aurait réussi à démontrer que le camion est atteint de vices cachés, il devait aussi établir que le camion est atteint d’un déficit d’usage. [2] Cette preuve est absente.

[54]         Le seul remède alternatif approprié aurait été de poursuivre Kenworth pour le coût de la mise en état du camion, c'est-à-dire la correction du manque de rigidité dans le châssis.

[55]         Plusieurs éléments font en sorte que le Tribunal ne peut envisager un tel remède. Premièrement, il n'a pas été demandé. Deuxièmement, une réparation qui aurait pu, en toute probabilité, régler le problème de rigidité a été écartée par M. Aubé. Troisièmement, aucune preuve du coût de telles réparations n’a été offerte au Tribunal. Finalement, s’il y a un manque de rigidité dans le châssis, ce qui n’a pas été démontré à la satisfaction du Tribunal, le châssis n’a pas causé les problèmes dont se plaignait M. Aubé.

[56]         En dernier lieu, le Tribunal doit traiter de la demande de condamner Kenworth à payer la somme de 22 500 $ en dédommagement pour les journées que M. Aubé n’a pas pu travailler.

[57]         Il y a une absence totale de preuve en relation avec cette demande et le Tribunal la rejette.

[58]         POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[59]         REJETTE la présente requête introductive d’instance;

AVEC DÉPENS.

 

 

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THOMAS M. DAVIS, J.C.S.

 

Me Simon Delisle

Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert & Associés

Avocat de la demanderesse

 

Me Jean-François Lamoureux

Robinson Sheppard Shapiro

Avocat de la défenderesse

 

Date d’audience :

Les 8 et 9 mai 2013

 



[1] .   EYB 1995-57430 (C.A.).

[2] .   Voir 9047-3331 Québec inc. c. Camions Inter-Estrie(1991) inc., 2101 QCCS, paragr. 213.