Entreprises Argo inc. c. Boucherville (Ville de)

2013 QCCS 2401

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

 

 

 

N° :

505-17-006314-134

 

 

 

DATE :

3 avril 2013

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L'HONORABLE CLAUDE DALLAIRE, J.C.S.

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LES ENTREPRISES ARGO INC.

Demanderesse

c.

VILLE DE BOUCHEVILLE

-et-

PATRICK LAMARCHE

Défendeurs

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TRANSCRIPTION RÉVISÉE D'UN JUGEMENT RENDU

SÉANCE TENANTE LE 26 MARS 2013 [1]

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         I.     La mise en contexte

[1]            Considérant que la demanderesse a fait signifier une requête en mandamus à la défenderesse le 4 février 2013, relativement à une demande de permis de construction, une demande d’approbation d’un PIIA, toutes deux datées du 7 décembre 2012 et en jugement déclaratoire recherchant la nullité de deux avis de motion et de projets de règlement qui auraient des effets sur ses droits;

[2]            Considérant que le moyen d’irrecevabilité dont dispose ce jugement ne porte que sur la portion mandamus de la requête, donc qu’il vise l’obtention d’une irrecevabilité partielle;

[3]            Considérant que la majeure partie de l’avis de dénonciation des moyens préliminaires du 14 mars 2013 porte sur le délai dans lequel la requête a été entreprise;

[4]            Considérant que la Ville soulève aussi un problème d’absence de juridiction des tribunaux pour forcer les municipalités à installer des services municipaux sur leur territoire malgré que la requête introductive d’instance ne comporte aucune conclusion précise visant à forcer la Ville à installer de tels services municipaux sur son territoire;

[5]            Considérant que la Ville plaide en essence que la demanderesse a tardé à déposer la portion mandamus de sa requête puisqu’elle aurait su, dès l’automne 2010, que la Ville ne lui émettrait pas les permis qu’elle a finalement sollicités le 7 décembre 2012 et qu’entre ces deux dates, aucune négociation sérieuse ne serait intervenue pour justifier le délai en cause, contrairement à ce que la jurisprudence requiert;

[6]            Considérant que la demanderesse calcule le délai dans lequel elle devait déposer sa requête à compter du 21 décembre 2012, date de refus de la Ville, et qu’elle plaide que la fermeture du bureau à la période des fêtes rendrait raisonnable le dépôt des requêtes le 4 février, selon la jurisprudence;

[7]            Considérant que pour l’étude de la question qui nous est soumise, nous devons prendre en considération l’ensemble des circonstances de la cause ainsi que tenir les allégations de la requête pour avérées;

[8]            Considérant que l’interaction de la demanderesse avec la Ville remonte à janvier 2000, alors que la Ville a écrit à la demanderesse pour discuter de l’aménagement du territoire compris dans le secteur «  Harmonie  » de Boucherville;

[9]            Considérant que les négociations sur ce sujet n’ont abouti à une entente que près de 7 ans plus tard, c’est-à-dire en décembre 2006;

[10]         Considérant que la mise en œuvre de l’entente R-7 s’est concrétisée pour la Ville entre autres par l’adoption du règlement municipal qui crée la zone R-31 (898) dans le secteur «  Harmonie  », le 17 avril 2007, et par la cession de certains terrains à titre gratuit, pour la demanderesse;

[11]         Considérant qu’entre le 22 avril 2008 et le 5 octobre 2009, les deux parties ont collaboré à la mise en œuvre de ce projet de 944 unités résidentielles et qu’elles ont signé diverses ententes complémentaires [2] ;

[12]         Considérant qu’au début novembre 2009, un nouveau maire et de nouveaux conseillers ont été élus;

[13]         Considérant que dans l’année qui a suivi, d’autres gestes de mise en œuvre de l’entente de 2006 ont été posés par les parties [3] , jusqu’au 10 novembre 2010, alors que la demanderesse a été informée par le directeur général de la Ville qu’il y aurait dorénavant des conditions pour maintenir l’entente, soit la diminution de 8 à 4 étages pour les immeubles à construire;

[14]         Considérant que malgré  l’envoi de la mise en demeure de la demanderesse le 15 octobre 2010, il y a quand même eu des échanges de lettres [4] ainsi que des rencontres [5] , entre autres dans le but de «  tenter de débloquer le projet  », certains élus semblant inconfortables avec un projet de construction d’immeubles de plus de 5 étages;

[15]         Considérant que ces lettres et rencontres ne nous révèlent qu’un épisode de clair de fermeture de la Ville face au projet de la demanderesse, soit le 9 novembre 2011 [6] , alors que 5 autres démarches démontrent une ouverture [7] de la Ville à la poursuite du projet;

[16]         Considérant que certaines démarches entreprises par la Ville devaient être finalisées et être présentées au Conseil de Ville en octobre 2012 [8] ;

[17]         Considérant qu’après cette date, le dossier n’a pas eu de suite;

[18]         Considérant que le 7 décembre 2012, la demanderesse a déposé la demande de permis en cause dans cette requête;

[19]         Considérant que le 21 décembre 2012, après quelques tergiversations, la Ville a refusé la demande de permis;

[20]         Considérant la fermeture des bureaux de la demanderesse pour la période des fêtes;

[21]         Considérant les allégations sur le suivi fait le 21 janvier 2013 relativement à la lettre de la Ville, supposément imprécise;

[22]         Considérant que ce n’est pas parce que la demanderesse allègue en rétrospective qu’elle comprend que depuis novembre 2010 la Ville ne voulait pas négocier pour mettre de l’avant le projet que cette compréhension de la situation existait à chacune des étapes franchies;

[23]         Considérant que la demande d’approbation du PIIA et la demande de permis doivent être considérées comme étant complètes et qu’il n’y a pas apparence qu’il s’agisse d’une «  fausse demande de permis  » à la lecture des allégations de la Requête introductive d’instance, tel que le plaide la Ville;

[24]         Considérant également que l’appréciation préliminaire des deux recours inclus dans la requête introductive d’instance nous permet à ce stade de conclure à une certaine interaction entre eux, ne serait-ce que si l’on se fie aux paragraphes suivants des avis de motion contestés, [9] qui se lisent ainsi :

«  Attendu que le conseil municipal juge opportun de modifier la réglementation d’urbanisme afin d’assurer l’intégration des projets proposés pour le secteur « Harmonie » pour le secteur au secteur environnement;

Attendu que le Conseil municipal de la Ville de Boucherville souhaite limiter la hauteur des bâtiments à 6 étages dans le secteur « Harmonie » et qu’il a clairement manifesté cette intention au préalable;

Attendu qu ’un projet résidentiel multifamilial de 8 étages a été déposé le 7 décembre 2012 pour les lots 4228-334 (…) »

[25]         Considérant l’antériorité de la demande de permis par rapport aux avis de motion et les principes établis par la Cour suprême dans l’arrêt Boyd Builders [10] , applicable au Québec depuis l’arrêt Godard [11] ;

[26]         Considérant que l’arrêt Paquett e [12] , la décision de Bouchard [13] et la décision Country Club de Montréal [14] nous enseignent qu’une irrecevabilité partielle ne doit pas être accueillie dans un tel contexte, puisqu’il ne s’agit pas de deux causes d’action complètement distinctes et autonomes;

[27]         Considérant que la Ville n’allègue aucun préjudice dans les motifs la justifiant de demander l’irrecevabilité de la requête;

[28]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

[29]         REJETTE la requête en irrecevabilité;

[30]         AVEC DÉPENS.

 

 

 

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HONORABLE CLAUDE DALLAIRE, J.C.S.

 

 

 

Me Benoit Lapointe

 

Belleau Lapointe

 

Avocat de la demanderesse

 

 

 

Me Louis Coallier

 

Dufresne Hébert Comeau avocats

 

Avocat des défendeurs

 

 

 

Date d’audience :

26 mars 2013

Transcription demandée le :

27 mars 2013

 



[1]           Le jugement a été rendu séance tenante. Comme le permet Kellogg's Company of Canada c. P.G. du Québec , [1978] C.A. 258 , 259-260, le Tribunal s'est réservé le droit, au moment de rendre sa décision, d'en modifier, amplifier et remanier les motifs.  La soussignée les a remaniés pour en améliorer la présentation et la compréhension.

[2]     Pièce R-28, entre-autre.

[3]     Pièce R-30, R-32, R-33, R-34, R-36, R-37 et à l’allégation 70.

[4]     Lettres R-40 à R-44.

[5]     Rencontres du 14 juin 2011, du 27 juin 2011 et du 13 juillet 2011.

[6]     Pièce R-45.

[7]     27 juin 2011, au 16 février 2012, au 19 avril 2012, au 8 juin 2012 de même qu’au 8 août 2012.

[8]     Paragraphe 107.

[9]     Pièce P-53.

[10]    Ottawa (Corp. Of the City of) c. Boyd Builders Ltd ., [1965] R.C.S 408 , page 410.

[11]    Gustave Godard Construction inc. c. St-Eustache (Ville de ) , J.E. 92-324 (C.S.).

[12]    Paquette c. Laurier , 2011 QCCA 1228 ..

[13]    Bouchard c. St-Félicien (Ville de) , 2007 QCCS 1405 .

[14]    Country Club de Montréal c. St-Lambert (Ville de) , 2010 QCCS 1741 .