Carrière DG inc. c. Commission de protection du territoire agricole du Québec |
2013 QCCQ 5286 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division administrative et d’appel » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
ARTHABASKA |
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LOCALITÉ DE |
VICTORIAVILLE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
415-80-000462-137 |
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DATE : |
29 mai 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PIERRE LABBÉ, J.C.Q. |
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CARRIÈRE DG INC., |
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Demanderesse |
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c. |
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COMMISSION DE PROTECTION DU TERRITOIRE AGRICOLE DU QUÉBEC et TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC, |
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Défenderesses et FÉDÉRATION DE L'UPA DU CENTRE-DU-QUÉBEC et MUNICIPALITÉ RÉGIONALE DE COMTÉ D'ARTHABASKA et MUNICIPALITÉ DE WARWICK, Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Par sa requête du 11 janvier 2013, Carrière DG inc. (Carrière) sollicite d'un juge de la Cour du Québec la permission d'en appeler d'une décision du Tribunal administratif du Québec (Section du territoire et de l'environnement) (TAQ), qui a confirmé la décision de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (Commission).
[2]
La requête est fondée sur l'article
159. Les décisions rendues par le Tribunal dans les matières traitées par la section des affaires immobilières, de même que celles rendues en matière de protection du territoire agricole, peuvent, quel que soit le montant en cause, faire l'objet d'un appel à la Cour du Québec, sur permission d'un juge, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour.
[3] Le TAQ a comparu par avocat, mais n'a fait aucune représentation.
[4] La Fédération de l'UPA du Centre-du-Québec, la Municipalité régionale de comté d'Arthabaska et la Municipalité de Warwick n'ont pas comparu.
[5] La Commission a comparu et elle a contesté la requête lors de sa présentation le 25 mars 2013.
LES DÉCISIONS ANTÉRIEURES
[6] La décision de la Commission (P-2) [2] a été rendue le 22 décembre 2011. L'objet de la demande de Carrière est résumé aux paragraphes 1, 2 et 3 de la décision :
[1] Dans un premier temps, la demanderesse, Carrière D.G. inc., s'est adressée à la Commission afin d'être autorisée à procéder à la coupe d'érables à des fins autres qu'à des fins sylvicoles de sélection ou d'éclaircie, dans une érablière localisée sur une partie des lots 3 et 4, du cadastre du canton de Warwick, de la circonscription foncière d'Arthabaska, en la municipalité de Warwick, d'une superficie approximative de 5 hectares.
[2] En second lieu, elle s'est adressée à la Commission afin d'être autorisée à utiliser à des fins autres que l'agriculture, soit l'exploitation d'une carrière, ce même emplacement faisant partie des lots 3 et 4 ci-haut décrits.
[3] La présente demande vise à obtenir, pour une période de dix (10) ans, l'autorisation d'agrandir le site d'exploitation déjà autorisé au dossier 342712 le 5 janvier 2006.
[7] La Municipalité de Warwick a appuyé la demande par résolution du 1 er février 2010 (P-3).
[8] La Commission a refusé de faire droit à la demande.
[9]
La décision du TAQ
[3]
(P-1) du 18 décembre 2012 a confirmé en appel la décision de la Commission. Le
TAQ a rappelé aux paragraphes 5 et 6 le cadre qui régit l'appel devant lui en
vertu de l'article
[5] Dans le cadre d’un recours en contestation d’une
décision de la Commission, le rôle du Tribunal est ainsi balisé par l’article
21.4. Le tribunal ne peut, à moins d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait déterminante dans la décision contestée, réévaluer l'appréciation que la commission a faite de la demande sur la base des critères dont elle devait tenir compte.
Lorsque le Tribunal constate, à l'examen de la requête et de la décision contestée, qu'en raison d'une telle erreur de droit ou de fait, la commission a omis d'apprécier la demande sur la base de ces critères, il peut lui retourner le dossier pour qu'elle y procède.
[6] En s’appuyant sur l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Saint-Pie , à l’égard de l’interprétation à donner à l’article 21.4 de la LPTAA, le Tribunal doit en premier lieu déterminer si la décision comporte ou repose sur une erreur de droit ou de fait déterminante en fonction des motifs de contestation soulevés par la requérante.
[Références omises]
LA REQUÊTE
[10] Dans sa requête de 80 paragraphes, Carrière allègue que les décisions antérieures sont entachées d'erreurs de fait et de droit qui sont résumées aux quatre questions qu'elle propose d'être débattues si la permission recherchée lui est accordée :
1. Est-ce que le Tribunal administratif du Québec a erré en droit et en faits en considérant selon la prépondérance de probabilités que l'érablière sur le site visé par la demande, fait partie d'un peuplement propice à la production de sirop d'érable, alors que le nombre d'entaille n'atteint pas la limite reconnue par la Commission, soit 180 entailles par hectare, d'autant plus que la présomption édictée au paragraphe 17 de l'article 1 de la LPTAA a été renversée par la demanderesse?
2. Est-ce que le Tribunal administratif du Québec a commis une erreur de droit en rejetant d'emblée le rapport de l'année 2011 de l'agronome pédologue Lauréan Tardif, sans tenir compte des éléments qui relevaient de son expertise et surtout le rapport du 11 novembre 2008 qui traite tout particulièrement les critères de l'article 62 de la LPTAA quant à l'impact sur la protection du territoire et des activités agricoles et rejetant sans fondement l'opinion des autres experts y compris l'ingénieur forestier Daniel Gagnon?
3. Est-ce que le Tribunal administratif du Québec a commis une erreur de droit et une erreur de fait déterminante quant à l'évaluation de l'homogénéité de la communauté agricole par la coupe des érables sur le site?
4. Est-ce que le Tribunal administratif du Québec a commis une erreur de droit en ne motivant pas sa décision comme il se doit quant aux retombés économiques de l'exploitation de la carrière et des conséquences d'un refus pour la demanderesse, équivalent à un déni de justice et à une erreur manifestement déraisonnable?
LE DROIT APPLICABLE
[11]
Il est bien établi en jurisprudence que l'article
[12] La jurisprudence est également constante que les normes d'intervention du droit administratif applicables sur l'appel au fond ne doivent pas être prises en considération au stade de la requête pour permission d'appeler.
[13] Le juge Gilles Lareau a bien résumé ces principes dans la décision qu'il a rendue dans l'affaire Windsor (Ville de) c. Domtar inc. [5] :
[8] Le texte de l'article 159 limite le droit d'appel aux questions qui sont d'intérêt selon la Cour du Québec. Cette notion a fait l'objet d'une abondante jurisprudence qui d'une part définit ce qu'est une question d'intérêt et d'autre part relève, de façon non exhaustive, un ensemble de critères pouvant être retenus dans la qualification des questions soumises en appel.
[9] Ainsi, la question sera d'intérêt si elle soulève une question sérieuse, controversée, nouvelle ou d'intérêt général. L'utilisation de la conjonction de coordination « ou » marque bien le caractère alternatif et non supplétif de ces critères.
[10] Parmi les exemples retenus par la jurisprudence, on retrouve les cas suivants :
Une question sérieuse
- Une faiblesse apparente de la décision attaquée;
- Une erreur de fait déterminante;
- L'omission d'analyser des éléments fondamentaux de preuve;
- Une sérieuse lacune au niveau des motifs de la décision attaquée qui empêche d'en comprendre le fondement factuel et juridique;
- L'incidence de la décision sur le sort du justiciable;
- L'importance du montant en jeu.
Une question controversée
- Une jurisprudence incohérente ou contradictoire même sur des questions techniques;
- Une décision isolée allant à l'encontre d'un courant jurisprudentiel solidement établi.
Une question nouvelle
- Une question n'ayant jamais été soumise à la Cour du Québec.
Une question d'intérêt général
- La violation d'une règle de justice naturelle;
- Une question visant les intérêts supérieurs de la justice;
- Une question de principe à caractère normatif, dont les enjeux dépassent les intérêts des parties;
- Une violation patente d'une règle de droit.
[11] Dans son analyse sur la permission d'appeler, le Tribunal jouit d'une large discrétion. Cette discrétion s'inscrit non seulement dans l'appréciation des questions soumises, mais également dans l'identification et le libellé des questions permises. Cet exercice comporte inéluctablement le devoir de rejeter celles qui sont à leur face même futiles ou abusives, qui ne sont pas soutenues par des arguments cohérents et défendables et qui ne font que traduire l'expression d'un désaccord sur le fond de la décision en appel.
[12] L'appel sur permission ne vise pas à accorder à une partie une deuxième chance de soumettre des arguments qui ont été rejetés par le T.A.Q. de façon motivée et intelligible.
[13] Il faut toutefois se garder de transformer la requête pour permission d'appeler en appel sur le fond. Dans cette perspective, le Tribunal doit éviter à ce stade-ci de statuer sur le bien-fondé des questions soumises ou sur les chances de succès de l'appel au fond.
[14] Bref, comme le soulignait le juge Lavergne dans l'affaire Forage Garant :
«[…] 43 Certes, le filtre que pose l'article 159 commande un certain examen qui, d'une part, permettra d'écarter rapidement les abus que sont les appels dilatoires ou futiles, et d'autre part, de rechercher si des arguments juridiques cohérents, défendables bien que contestables, sous-tendent la requête pour autorisation d'en appeler, auxquels cas, l'appel devrait être autorisé.
[…] 47 Au fond, l'article 159 requiert simplement que les autorisations d'en appeler d'une décision du Tribunal soient accordées, non pas parcimonieusement, mais judicieusement. Rien de plus, rien de moins».
[26] Un tel exercice ne peut s'inscrire dans le cadre de l'analyse d'une requête pour permission d'appeler. S'y adonner sans un examen de la preuve peut s'avérer périlleux et ne pourrait de toute façon lier le juge du fond qui aura le bénéfice d'examiner la preuve avant de procéder à l'analyse relative à la norme de contrôle.
[29] Le mérite des questions soumises en appel demeure l'apanage du juge chargé d'entendre l'appel au fond.
[Références omises]
[14] C'est à la lumière de ces principes que le Tribunal doit disposer de la requête.
ANALYSE
[15] Il est utile, pour la commodité du lecteur, de reprendre chacune des questions proposées par la requérante.
Question 1
1. Est-ce que le Tribunal administratif du Québec a erré en droit et en faits en considérant selon la prépondérance de probabilités que l'érablière sur le site visé par la demande, fait partie d'un peuplement propice à la production de sirop d'érable, alors que le nombre d'entaille n'atteint pas la limite reconnue par la Commission, soit 180 entailles par hectare, d'autant plus que la présomption édictée au paragraphe 17 de l'article 1 de la LPTAA a été renversée par la demanderesse?
[16] La requérante soutient que le TAQ a commis une erreur déterminante dans l'évaluation du potentiel acéricole du site visé par la demande, en considérant l'ensemble du peuplement d'érables qui serait de 14.5 ha.
[17] La Commission réfute cet argument. Elle fait valoir que le TAQ n'a pas commis d'erreur. Pour l'analyse de la demande, le TAQ devait tenir compte du potentiel futur et non seulement du potentiel immédiat pour respecter le critère de la pérennité prévu à l'article 1.1 de la Loi :
1.1. Le régime de protection du territoire agricole institué par la présente loi a pour objet d'assurer la pérennité d'une base territoriale pour la pratique de l'agriculture et de favoriser, dans une perspective de développement durable, la protection et le développement des activités et des entreprises agricoles dans les zones agricoles dont il prévoit l'établissement.
[18] La Commission ajoute que la requérante n'a pas repoussé la présomption prévue à l'article 1 de la Loi sur lequel s'est appuyé le TAQ. Sur cette question, le TAQ a écrit :
[15] Dès maintenant, il importe de rappeler que le législateur a conféré une règle spécifique quant à la protection des érablières. Cette protection est édictée à l’article 27 de la LPTAA.
27. Une personne ne peut, sans l'autorisation de la commission, utiliser une érablière située dans une région agricole désignée à une autre fin, ni y faire la coupe des érables, sauf pour des fins sylvicoles de sélection ou d'éclaircie.
[16] La LPTAA prévoit également qu’un peuplement forestier est présumé propice à la production de sirop d’érable lorsqu’on retrouve les symboles ER, ERFI, ERFT, ERBB, ERBJ ou ERO sur les cartes d'inventaire forestier du MRNF. Ledit peuplement est reconnu comme une érablière lorsqu’il possède une superficie de quatre hectares. Ces règles sont édictées aux paragraphes 7 et 17 de l’article 1 de la LPTAA.
1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
[…]
7° « érablière »: un peuplement forestier propice à la production de sirop d'érable d'une superficie minimale de quatre hectares;
[…]
17° «zone agricole»: la partie du territoire d'une municipalité locale décrite aux plans et description technique élaborés et adoptés conformément aux articles 49 et 50.
Au sens de la présente loi, est présumé propice à la production de sirop d'érable un peuplement forestier identifié par les symboles ER, ERFI, ERFT, ERBB, ERBJ ou ERO sur les cartes d'inventaire forestier du ministère des Ressources naturelles et de la Faune.
[17] Étant donné l’une des allégations soulevées par le procureur de la requérante, le Tribunal doit d’abord déterminer si la requérante a renversé la présomption de l’absence d’un peuplement propice à la production de sirop d’érable sur les lots visés par la demande.
[18] D’emblée, Luc Traversy, ingénieur forestier précise dans son rapport d’expertise datée du 9 juin 2011 qu’à la suite d’une analyse de la photographie aérienne de 2010 et de la visite des lieux de la zone visée par la demande (superficie de 5 hectares), il lui est clairement apparu que « seul 4,04 hectares possèdent les caractéristiques de base, de par la nature même des essences constituant le couvert du peuplement forestier, pour porter l’appellation d’érablière. »
[19] Cela dit, Luc Traversy affirme que le secteur inventorié est classé sous l’appellation « érablière » et ce, sur une superficie de 4,04 hectares, contrairement à l’évaluation réalisée en novembre 2008 par l’ingénieur forestier Stéphane Lacroix.
[20] À la lumière des observations soulevées dans le rapport d’expertise de Luc Traversy, le Tribunal n’a aucune hésitation à affirmer qu’une autorisation est préalablement nécessaire à la coupe d’érables de la zone boisée visée par la demande étant donné que le législateur a conféré une règle spécifique à l’article 27 de la LPTAA quant à la protection de ce type d’érablière.
[21] Selon cette disposition, les érables d’un peuplement présumé propice à la production de sirop d’érable d’une superficie minimale de 4 hectares ne peuvent pas être coupés, car l’objectif du régime de protection du territoire agricole est d’assurer la pérennité de cette ressource.
[22] D’un autre côté, la carte d’inventaire forestier 21E13NO, annexée au rapport d’expertise de l’ingénieur forestier Stéphane Lacroix, révèle la présence d’un peuplement forestier important identifié par le symbole ER B3 50 et délimité par un polygone formant un tracé qui englobe la quasi-totalité de la zone visée et qui s’étend sur les lots voisins en chevauchement de la limite des territoires du canton de Warwick et de Tingwick. Selon l’application de la LPTAA, ce peuplement identifié à la carte forestière d’une superficie d’environ 14 hectares est présumé être propice à la production de sirop d’érable.
[23] Or, la carte forestière illustre que le peuplement d’érables ne s’arrête pas à la ligne de lot de la propriété de la requérante et même si le peuplement s’étend sur les lots de différents propriétaires, il est essentiel de considérer l’étendue du peuplement d’érables sur les lots contigus du peuplement identifié ER B3 50 dans l’analyse de l’inventaire pour justement avoir un portrait précis du peuplement inventorié, de sa variabilité et de son potentiel acéricole .
[24] Il revient donc à la requérante de démontrer que la carte forestière est erronée et que le peuplement forestier ER B3 50 d’une superficie d’environ 14 hectares n’est pas propice à la production de sirop d’érable.
[25] En limitant l’évaluation du potentiel acéricole à l’identification des essences et groupes d’essences d’une partie de l’étendue du peuplement identifié à la carte d’inventaire forestier, le Tribunal partage l’opinion de la Commission lorsqu’elle précise au paragraphe 65 de la décision contestée que l’évaluation du potentiel acéricole déposée par l’ingénieur forestier Luc Traversy est basée sur des données biaisées .
[26] On ne peut pas prétendre, comme le plaide la requérante, que le peuplement forestier en cause n’est pas propice à la production de sirop d’érable sur la base des expertises versées au dossier alors que la représentativité des échantillonnages réalisés pour évaluer le potentiel acéricole est biaisée .
[27] En fait, pour entreprendre une évaluation du potentiel acéricole d’un peuplement forestier, encore faut-il que le plan d’échantillonnage soit représentatif de la superficie visée par ledit peuplement ?
[34] Dans tout ce contexte, le Tribunal est d’avis que la requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer par une preuve prépondérante que la parcelle visée par la demande ne fait pas partie d’un peuplement forestier propice à la production de sirop d’érable.
[Soulignements ajoutés]
[19] Le paragraphe 65 de la décision de la Commission, auquel réfère le TAQ, est ainsi libellé :
[65] De l’avis de la Commission, ne considérer qu’une partie de ce massif d’érables constitue une erreur, puisque ce faisant, les chiffres sont biaisés. En effet, le site en question fait partie d’un massif de plus grande envergure, soit de 14 hectares, selon les cartes forestières ou écoforestières de la Commission, massif qui est contigu à un autre vers l’est, qui est d’une superficie de plus de 12 hectares, selon les mêmes cartes.
[20] Carrière soutient que le rapport de l'ingénieur forestier, Stéphane Lacroix, du mois de novembre 2008 (P-11) constitue une preuve qui renverse la présomption prévue par la Loi.
[21] À la page 1 de son rapport, monsieur Lacroix écrit ceci : « Selon la carte forestière, en regard de la définition des peuplements d'érablière de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (voir annexe 2), le peuplement situé à l'intérieur de cette superficie est appelé Er B3 50 (voir annexe 3). »
[22] L'extrait de la carte forestière reproduite à l'annexe 3 indique effectivement que le site visé est situé dans le peuplement identifié Er B3 50. Monsieur Lacroix le répète à la page 2 de son rapport. Monsieur Lacroix a fait un inventaire forestier sur 5.8 ha et il a conclu que ce secteur est classé EsFt B2 30-50 C 30 au lieu de Er B3 50 parce que le nombre d'entailles à l'hectare est de plus ou moins 162. Il conclut ainsi à la page 6 de son rapport : « nous sommes donc d'avis, que le peuplement cartographié (Er B3 50), situés [sic] dans la superficie visée par la demande, présente un potentiel acéricole très faible » .
[23] Dans son rapport du 9 juin 2011 (P-9), l'ingénieur forestier Luc Traversy a mis à jour l'étude réalisée par monsieur Lacroix. Son travail a porté sur la superficie faisant l'objet de la demande.
[24] Le procureur de Carrière a affirmé que ne constituait pas nécessairement une erreur le fait que la Commission et le TAQ ont tenu compte de l'ensemble de l'érablière et non uniquement de la superficie visée par la demande.
[25] Dans le dossier Ouellette c. CPTAQ, le TAQ écrivait [6] :
[12] De plus, l’avant-dernier paragraphe de l’article 1 de la loi ajoute :
Au sens de la présente loi, est présumé propice à la production de sirop d’érable un peuplement forestier identifié par les symboles ER, ERFI, ERFT, ERBB, ERBJ ou ERO sur les cartes d'inventaire forestier du ministère des Ressources naturelles.
[13] Il faut donc comprendre qu’au sens de la loi, une érablière est déterminée à partir des cartes d'inventaire forestier. Une érablière est un peuplement forestier identifié par les symboles ER, ERFI, ERFT, ERBB, ERBJ ou ERO sur les cartes d'inventaire forestier du ministère des Ressources naturelles et dont la superficie est d’au moins 4 hectares.
[14] Les cartes d’inventaire forestier identifient les peuplements forestiers sans tenir compte de la limite des lots. Une érablière pourra donc s’étendre sur plusieurs lots et sur plusieurs propriétés différentes. Même si la superficie de l’une des propriétés est de moins de 4 hectares, le peuplement devra être considéré comme faisant partie d’une érablière si la superficie du peuplement sur l’ensemble des lots est de 4 hectares et plus .
[15] Dans la présente affaire, la carte d’inventaire forestier du ministère des Ressources naturelles identifie par le symbole ER un peuplement forestier d’une superficie de 11,35 hectares qui s’étend sur plusieurs lots incluant le lot 212 .
[16] Le peuplement d’érables situé sur le lot 212 doit donc, indépendamment de sa superficie sur ce seul lot, être considéré comme une érablière au sens de la loi.
[Soulignements ajoutés]
[26] Sur la présomption résultant de la carte forestière, le TAQ se prononçait de la façon suivante dans Fortin c. CPTAQ [7] :
[23] La preuve démontre que les cartes d'inventaire forestier du ministère des Ressources naturelles identifient les peuplements coupés comme ERBJ; les requérants ne nient d’ailleurs pas ce fait. Il leur revient donc de démontrer que les cartes sont erronées et que le peuplement forestier en cause n’est pas propice à la production de sirop d’érable.
[24] Dans le présent cas, le Tribunal est d’avis que les requérants ne se déchargent pas de ce fardeau.
[25] Ils prétendent que l’on ne peut rentabiliser une nouvelle production de sirop d’érable à cet endroit à cause des caractéristiques particulières des lieux en question.
[29] A contrario, permettre la coupe des érables dans les peuplements où l’on ne peut actuellement rentabiliser une production acéricole irait à l’encontre de cette protection pérenne du territoire et des activités agricoles.
[30] Le faible potentiel de production de sirop d’érable ou la rentabilité douteuse d’une éventuelle exploitation acéricole peuvent sans doute être pris en compte dans l’évaluation d’une demande d’autorisation pour couper des érables. Il en est de même de la piètre qualité des arbres et des mauvaises conditions topographiques des lieux. Toutefois, ces éléments ne font pas perdre à l’érablière ses caractéristiques essentielles.
[27] L'article 1.1 de la Loi met l'accent sur la protection du territoire agricole dans le temps.
[28] Les mots « pérennité » et « développement durable » mettent en relief la perspective avec laquelle la Loi doit être appliquée. Réduire l'ensemble du peuplement à la seule superficie faisant l'objet de la demande serait un exercice contraire aux objectifs de la Loi selon les décisions de la Commission et du TAQ.
[29] Autant la Commission que le TAQ ont conclu que les expertises déposées par Carrière ne renversaient pas la présomption légale parce qu'elles ne portaient pas sur l'ensemble de l'érablière cartographiée Er B3 50. Plusieurs des décisions de la Commission et du TAQ, déposées par les parties, vont dans le même sens. La décision du TAQ ne révèle pas de faiblesse apparente sur ce sujet.
[30] La requête ne fait pas voir d'arguments défendables qui feraient échec au raisonnement du TAQ, Carrière étant prisonnière des expertises produites. Cette première question ne mérite pas d'être soumise à l'attention de la Cour.
Question 2
2. Est-ce que le Tribunal administratif du Québec a commis une erreur de droit en rejetant d'emblée le rapport de l'année 2011 de l'agronome pédologue Lauréan Tardif, sans tenir compte des éléments qui relevaient de son expertise et surtout le rapport du 11 novembre 2008 qui traite tout particulièrement les critères de l'article 62 de la LPTAA quant à l'impact sur la protection du territoire et des activités agricoles et rejetant sans fondement l'opinion des autres experts y compris l'ingénieur forestier Daniel Gagnon?
[31] Le TAQ a rejeté une partie de l'expertise de l'année 2011 de Lauréan Tardif parce qu'il n'est pas un ingénieur forestier au sens de la Loi sur les ingénieurs forestiers [8] :
[32] Compte tenu du fait que le rapport d’expertise de mai 2011 n’identifie pas Lauréan Tardif à titre d’ingénieur forestier mais plutôt à titre d’agronome pédologue, le Tribunal croit que ce dernier ne peut pas agir de manière à donner lieu de croire qu’il est autorisé à exercer les fonctions d’un ingénieur forestier ou à agir comme tel.
[33] Dans les circonstances, le Tribunal se voit donc dans l’obligation de rejeter l’expertise de mai 2011 quant à son contenu traitant de l’analyse et de l’évaluation de l’inventaire forestier et du potentiel acéricole qui en découle .
[Soulignement ajouté]
[32] Seul le volet forestier de l'expertise a été rejeté. Le rejet partiel de l'expertise de monsieur Tardif n'a eu aucune incidence sur le sort du litige.
[33] La Commission n'avait pas rejeté l'expertise de monsieur Tardif. Elle avait conclu que cette expertise ne portait, comme celle de Luc Traversy, que sur le site visé par la demande :
[64] Il faut ici souligner que les évaluations du potentiel acéricole déposées au cours de la rencontre publique par l'ingénieur forestier Luc Traversy et l'agronome pédologue, Lauréan Tardif, ne portent que sur la superficie qui pourrait servir à l'agrandissement de l'exploitation de la carrière sise au sud.
[34] Quant au rapport de Daniel Gagnon de la MRC d'Arthabaska, la Commission s'est exprimée ainsi :
[29] Monsieur Gagnon, de la MRC, se référant à l'avis de conformité déposé, indique que la réglementation prévoit des mesures compensatoires lorsqu'il y a déboisement. Toutefois, celles-ci ne sont pas obligatoires. Par ailleurs, tout en précisant que l'exploitation actuelle est à 30 mètres plus bas, il estime que l'autorisation de couper les érables présents sur le site visé n'aurait pas d'impact sur l'érablière voisine si une bande tampon de 30 mètres est conservée.
[35] Le TAQ ne s'est pas prononcé sur le témoignage de Daniel Gagnon.
[36] Daniel Gagnon a émis le 31 mai 2010 un avis de conformité (P-15) pour le projet de Carrière relativement au règlement numéro 183 de la MRC d'Arthabaska encadrant les normes de déboisement. Sa conclusion est la suivante :
En considérant ces modalités d'application du règlement numéro 183 encadrant les normes de déboisement sur le territoire de la MRC d'Arthabaska, il sera possible pour Carrière DG inc. de déboiser les secteurs prévus pour l'exploitation de la nouvelle carrière, suite à une demande de certificat de déboisement déposée en ce sens. Une bande boisée d'une largeur de 30 mètres devra être maintenue tout autour de ce secteur.
Il ne s'agit pas d'une expertise au sens commun, mais d'un avis sur la faisabilité du projet par rapport à la réglementation de la MRC.
[37] L'admissibilité et l'appréciation d'une preuve faite par des témoins experts relèvent du pouvoir des instances inférieures. Le dossier ne révèle aucune faiblesse apparente sur ce point, ni d'erreur de droit ou de fait déterminante.
[38] Cette question n'en est pas une qui mérite d'être soumise à la Cour.
Question 3
3. Est-ce que le Tribunal administratif du Québec a commis une erreur de droit et une erreur de fait déterminante quant à l'évaluation de l'homogénéité de la communauté agricole par la coupe des érables sur le site?
[39] L'exploitation de la carrière a été autorisée au départ par la décision du 19 juin 1995 de la Commission au dossier 223096 moyennant certaines conditions (P-4).
[40] L'autorisation était pour une période de 10 ans. Il est utile de faire état de l'une des conditions relatives à l'érablière imposées par la Commission :
1 o En aucun moment l'exploitation de ladite carrière devra se rapprocher à moins de 10 mètres du massif d'érables localisé du côté Nord-Ouest dans la municipalité de Warwick et ce afin que lesdits érables ne soient affectés par l'exploitation de la carrière.
[41] Il ne fait pas de doute que l'érablière dont on fait mention à cet extrait, située au côté nord-ouest, est celle qui est en cause selon la carte apparaissant à l'annexe 2 du rapport de Luc Traversy et selon le paragraphe 10 de la décision de la Commission (P-2) :
[10] L'érablière ciblée par la présente demande d'agrandissement, située au nord-ouest du site actuellement en exploitation a fait l'objet d'une étude, versée au dossier, produite en 2008 par la firme Chabot, Pomerleau et associés. Elle nous apprend que le potentiel acéricole de cette érablière était de 181 entailles à l'hectare, ce qui est reconnu, selon la jurisprudence de la Commission, comme un potentiel acéricole immédiat.
[Référence omise]
[42] Le 5 janvier 2006, au dossier 342712, la Commission autorisait le renouvellement de l'exploitation autorisée en 1995 (P-4).
[43] Cette autorisation était valide pour une période de 10 ans moyennant sept conditions, dont les suivantes :
4. Une bande de protection d'au moins dix mètres de largeur devra être conservée entre l'érablière située au nord-est et le site d'exploitation;
7. Au terme des travaux, le sol arable réservé devra être étendu uniformément sur le site d'exploitation, qui devra être fertilisé, amendé et remis en culture ou reboisé avec des essences compatibles avec le milieu.
[44] Le TAQ s'est prononcé de la façon suivante sur le sujet :
[49] Par ailleurs, le procureur de la requérante allègue que la décision de la Commission serait erronée quant à l’appréciation de la demande sur l’homogénéité de la communauté agricole alors qu’elle n’aurait pas tenu compte que la demande vise l’agrandissement d’une carrière existante.
[50] En d’autres mots, il précise que l’autorisation recherchée ne changerait pas le territoire agricole avoisinant, car le site se retrouverait déjà dans un milieu en présence d’une carrière en exploitation et dont l’homogénéité est déjà affectée.
[51] La procureure de la Commission prétend que la Commission a bien analysé ce critère étant donné que le site est inscrit dans un milieu caractérisé par la présence de plusieurs massifs d’érable.
[52] Sur la notion de l’homogénéité, le Tribunal rappelle que plusieurs jugements ont déjà abordé l’analyse de ce critère. Ici, le Tribunal se réfère à la décision Carmen Rosell rendue par la cour du Québec qui précise que l’appréciation de l’homogénéité de la communauté agricole doit s’appuyer sur des faits mesurables, quantifiables et prouvés.
[53] À la lecture des paragraphes 41 à 43 de la décision, le Tribunal constate qu’à l’appui des photographies aériennes versées au dossier que la Commission émet une opinion objective en brossant un portrait approprié du secteur quant à l’analyse des activités qu’on retrouve dans le milieu concerné par la demande.
[41] Le potentiel agricole du site visé est classe 7, selon les données de l’Inventaire des terres du Canada. Les sols ainsi classés sont voués à la production forestière, incluant l’acériculture. Cependant, les sols des lots visés et des lots environnants est majoritairement de classes 4, 3 et 5. Les sols classés 3 et 4 ont un bon potentiel pour une gamme variée de culture, alors que ceux de classe 5 comportent des limitations qui les restreignent à la production de plantes fourragères vivaces, mais ils peuvent être améliorés par divers travaux mécaniques visant le débroussaillement, l’ensemencement, la fertilisation et un meilleur drainage.
[42] Le site s’inscrit dans un milieu agricole homogène et actif où l’on note la présence d’entreprises agricoles en exploitation, de vastes étendues cultivées et des massifs d’érables exploités. Dans les faits, la majorité des boisés présents dans ce secteur sont constitués d’érables à sucre.
[43] Outre le site qui est constitué d’une érablière, suivi d’une bande boisée sans érable, le reste des lots en direction nord est majoritairement cultivé, comme c’est le cas des lots des alentours.
[54] Le Tribunal reconnaît que l’homogénéité de la communauté agricole est affectée par la présence d’une carrière en exploitation, mais il n’en demeure pas moins que le milieu n’est pas déstructuré. Le secteur est majoritairement composé de boisés qui renferment des érables à potentiel acéricole.
[55] Le Tribunal croit que la Commission est juste dans l’appréciation de la demande lorsqu’elle soutient qu’une autorisation à la coupe d’érable dans un milieu actif sur le plan acéricole affecterait l’homogénéité du secteur surtout dans le contexte que la majorité des boisés présents dans ce secteur sont composés d’érables à sucre.
[56] Le Tribunal considère que la Commission n’a pas commis d’erreur en refusant la demande au motif que la coupe des érables sur la zone visée affecterait l’homogénéité du milieu agricole alors qu’elle s’est appuyée sur des faits mesurables, quantifiables et prouvés pour décrire le milieu et apprécier la demande.
[Référence omise]
[45] Carrière souligne que dans les décisions de 1995 et de 2006, la Commission avait conclu qu'autoriser la demande ne nuirait pas plus à l'homogénéité du milieu dans la mesure où les conditions imposées sont respectées.
[46] Carrière a produit (P-18) une orthophoto de la Commission au dossier 367018. Les zones composées d'érables à sucre sont importantes.
[47] Ce moyen soulève une question d'appréciation des faits par la Commission. Le TAQ n'y a décelé aucune erreur déterminante parce que la Commission a apprécié la question en s'appuyant sur des faits mesurables, quantifiables et prouvés. La décision de la Commission en est une d'opportunité, comme l'a souligné le TAQ au pragraphe 68 de sa décision.
[48] Le TAQ s'est appuyé sur le jugement rendu par le juge François Marchand dans l'affaire Rosell [9] . Il est utile de citer les paragraphes suivants de ce jugement :
[51] En quoi consiste l'homogénéité de l'exploitation agricole? Il faut donner une interprétation large aux mots «exploitation agricole». Comme le soulignent les auteurs Cormier et Sylvestre, la communauté agricole "s'attarde plus particulièrement au milieu et aux environs: le rang, les fermes voisines, les types d'exploitation, la complémentarité, les utilisations, de même que certains aspects sociaux, géographiques et économiques de la région", alors que l'homogénéité de l'exploitation agricole s'attache uniquement au lot faisant l'objet de la demande. Le Tribunal est d'accord avec cette interprétation: la communauté agricole représente l'environnement général de la zone agricole en entier alors que l'homogénéité de l'exploitation agricole se limite aux lots ou aux terres faisant l'objet de la demande.
[54]
La demande déposée devant la Commission vise à aliéner
l'ensemble du lot situé au Nord du chemin public afin qu'un tiers puisse y
effectuer de l'agriculture, c'est-à-dire, une plantation. Il ne s'agit pas
d'autoriser l'utilisation d'une partie du lot à des fins autres qu'agricoles.
Pour ce faire, la Commission doit nécessairement se baser sur les critères
énoncés à l'article
[58]
En définitive, le Tribunal conclut que la notion
d'homogénéité de la communauté et de l'exploitation agricoles ne doit pas être
l'expression d'une simple opinion de la Commission, mais plutôt une opinion
basée sur des faits prouvés. Cette évaluation ne doit pas être subjective. Le
Tribunal est conscient de la difficulté que cela comporte, mais peu importe
cette difficulté, il n'en demeure pas moins que l'évaluation de ce critère doit
être faite selon des données prouvées. C'est donc à bon droit que l'appelante
souligne que cette notion ne peut être l'expression d'une simple opinion
subjective et arbitraire de la Commission. Cependant, l'application de ce
critère est l'un parmi les dix énoncés à l'article
[49] Carrière diverge d'opinion avec les conclusions auxquelles en sont arrivés la Commission et le TAQ. Elle propose une révision de l'appréciation des faits qui mettrait l'accent sur le fait que dans les décisions de 1995 et de 2006, la Commission avait autorisé et renouvelé l'autorisation d'exploiter la carrière en soulignant que l'homogénéité du milieu ne sera pas diminuée. La requérante fait valoir aussi la présence de la carrière de Carrière PCM dans le même secteur.
[50] Les arguments de Carrière ne convainquent pas le Tribunal que cette question est nouvelle, controversée, d'intérêt général ou qu'elle mérite d'être soumise à une nouvelle analyse sur un appel au fond.
Question 4
4. Est-ce que le Tribunal administratif du Québec a commis une erreur de droit en ne motivant pas sa décision comme il se doit quant aux retombés économiques de l'exploitation de la carrière et des conséquences d'un refus pour la demanderesse, équivalent à un déni de justice et à une erreur manifestement déraisonnable?
[51] Carrière soutient que la Commission n'a pas évalué raisonnablement les conséquences d'un refus sur l'exploitation de la carrière et sur les retombées économiques. Le TAQ aurait dû y voir là une erreur de droit ou une erreur de fait déterminante.
[52] Carrière ajoute que la décision de la Commission manque de motivation, car elle traite de la question uniquement aux paragraphes 69 et 70 qui sont ainsi libellés :
[69] En terminant, la Commission a pris en considération le fait que l’exploitation de la carrière est une activité économique qui génère des retombées et des emplois aux plans local et régional. En opposition à cela, la Commission rappelle que l’agriculture et l’acériculture sont également des activités économiques importantes sur le territoire de la municipalité et de la région.
[70] En conséquence, après pondération de l’ensemble des critères, la Commission considère que la demande visant la coupe d’érables doit être refusée et, par conséquent, comme cette première étape est refusée, l’agrandissement et l’exploitation de la carrière voisine ne pourra se réaliser, ce volet de la demande ne peut qu’être refusé également.
[53] La requérante a versé au dossier (P-19) l'historique de son entreprise qui fut fondée en 1995. Elle précise que la pierre est de qualité supérieure et qu'on ne retrouve une telle qualité qu'à la carrière de la compagnie Sintra à Saint-Wenceslas située à 40 kilomètres de Warwick.
[54] C'est le neuvième paragraphe de l'article 62 de la Loi qui traite de ce critère que la Commission doit considérer :
62. La commission peut autoriser, aux conditions qu'elle détermine, l'utilisation à des fins autres que l'agriculture, le lotissement, l'aliénation, l'inclusion et l'exclusion d'un lot ou la coupe des érables.
Pour rendre une décision ou émettre un avis ou un permis dans une affaire qui lui est soumise, la commission doit se baser sur:
[…]
9° l'effet sur le développement économique de la région sur preuve soumise par une municipalité, une communauté, un organisme public ou un organisme fournissant des services d'utilité publique;
[…]
[55] Sur ce sujet, le TAQ a écrit :
[57] Pour terminer, le procureur de la requérante fait valoir que la Commission aurait dû mieux pondérer les critères d’analyse de la demande et évaluer les conséquences importantes de l’arrêt des activités de la carrière par rapport à la protection d’un peuplement forestier ayant un faible potentiel acéricole.
[58] Il indique également que les observations soumises à la Commission lors de la rencontre publique démontreraient que les activités générées par la carrière auraient un impact direct sur les retombées économiques tant sur le plan local que régional.
[59] La procureure de la Commission plaide que ce motif de contestation ne constitue pas une erreur, mais plutôt une divergence d’opinions.
[60] Elle mentionne que la Commission aurait bien motivé sa décision alors qu’elle aurait analysé la demande en fonction des critères applicables et qu’après avoir soupesé les arguments et les observations recueillies au dossier, elle estimerait qu’il serait préférable de favoriser la protection et le développement des activités agricoles du site visé par la présente affaire.
[61] Lorsque la requérante reproche à la Commission de ne pas s’être appuyée sur la preuve soumise relative aux retombées économiques du projet pour analyser la demande, le Tribunal est d’opinion que la Commission n’a pas commis d’erreur sur ce point alors que rien ne porte à croire qu’elle n’a pas tenu compte de ces arguments pour pondérer les critères applicables de l’article 62 de la LPTAA.
[62] Au paragraphe 68 [10] de la décision contestée, la Commission écrit :
[69] En terminant, la Commission a pris en considération le fait que l’exploitation de la carrière est une activité économique qui génère des retombées et des emplois aux plans local et régional. En opposition à cela, la Commission rappelle que l’agriculture et l’acériculture sont également des activités économiques importantes sur le territoire de la municipalité et de la région.
[63] L’incidence économique relative à la consolidation des activités d’extraction de pierres d’une carrière est certainement intéressante pour la requérante, mais il n’en demeure pas moins que l’effet sur le développement économique de la région ne peut pas être évalué sans tenir compte des particularités agricoles associées à la demande.
[64] Les préoccupations que la Commission exprime en regard de la coupe des érables dans la zone visée par la demande sont claires et essentiellement rattachées à l’objet de la LPTAA, soit les conséquences qu’aura le projet sur la pérennité de la pratique de l’agriculture et sur le développement des activités et des entreprises agricoles du secteur.
[65] Le Tribunal est d’avis que ce motif de contestation soulevé par la requérante ne constitue pas une erreur de droit ou une erreur de fait déterminante. Il s’agit plutôt d’une question d’appréciation et non d’une erreur et le Tribunal rappelle qu’il ne doit pas intervenir en cas de simple divergence d’opinions.
[66] Quant au motif que la Commission aurait négligé d’évaluer le critère sur les conséquences d’un refus pour le demandeur, soit empêcher l’agrandissement de la carrière, le Tribunal est d’opinion que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne s’exprimant pas sur tous les arguments qui lui ont été soumis.
[67] Par ailleurs, la Commission n’a pas sous-évalué les conséquences économiques d’un refus pour le demandeur, elle a plutôt pondéré l’analyse des critères applicables de l’article 62 de la LPTAA et exercé sa discrétion dans le cadre de la finalité de la LPTAA en exposant les motifs qu’elle croit essentiels et pertinents et sur lesquels elle se fonde pour motiver sa décision.
[68] À partir de l’information qui a été portée à sa connaissance ainsi qu’à partir des informations découlant de son expertise et de sa connaissance du milieu, la Commission a analysé le bien-fondé de la demande et a rendu une décision d’opportunité guidée par l’intérêt public de protéger la ressource agricole.
[56] La Commission soutient que l'historique de Carrière, signé par son président André Desharnais le 6 juillet 2011, n'est pas une preuve admissible, car elle ne provient pas d'un des organismes prévus par la Loi.
[57] La seule preuve admissible est le témoignage de Véronique Tétrault, directrice du Service d'urbanisme de la Ville de Warwick (P-8) [11] . À la page 78 de la transcription, madame Tétrault affirme que la Ville de Warwick fait appel régulièrement à Carrière pour des contrats, sans donner plus de précisions autres que la proximité de la carrière.
[58] La résolution de la Municipalité de Warwick (P-3) en appui à la demande ne contient aucune information à ce sujet.
[59] La procureure de la Commission soutient que cette preuve ne traite pas des retombées économiques. Elle ajoute que la rareté d'un matériau n'est pas un critère que la Commission doit considérer.
[60] Dans l'affaire St-François-Xavier-de-Brompton (Municipalité de la Paroisse) c. Construction et pavage Portneuf inc. [12] , le juge Patrick Théroux écrivait que la rareté d'un matériau n'est pas un des critères prévus à l'article 62 de la Loi :
[209] Le TAQ a été apparemment impressionné par la preuve d'expert, surtout contenue au rapport déposé devant lui, sur la rareté du matériau dans la région. Il reproche à la Commission d'avoir erré en la considérant « discutable » . Ceci constitue, selon lui, une erreur de fait déterminante.
[210] Or, cet aspect est bien secondaire dans l'ensemble de la décision. La Commission n'a pas, a priori, à évaluer la rareté ou l'abondance d'un matériau dont on projette de faire l'extraction en territoire agricole . Elle n'a pas à tenir compte du fait que le site visé constitue le meilleur choix pour le promoteur d'un projet. La loi lui impose plutôt l'obligation de se baser sur le critère de la disponibilité d'autres emplacements de nature à éliminer ou réduire les contraintes sur l'agriculture. C'est précisément ce qu'elle a fait.
[211] La Commission ne décide pas non plus que le fait que les besoins de la région en agrégats peuvent être comblés autrement constitue un motif de refus. Elle illustre par là qu'il existe d'autres emplacements disponibles. Rien n'indique qu'elle a véritablement analysé les besoins de la région en agrégats. Elle n'avait d'ailleurs pas à le faire. Il ne faut pas confondre les besoins de la région et l'occasion d'affaires poursuivie par Portneuf .
[212] Après avoir constaté que le site visé par Portneuf est situé dans un territoire présentant une forte homogénéité de la communauté agricole, la Commission considère que d'autres emplacements de nature à réduire les contraintes sur l'agriculture sont aussi disponibles.
[213] Si elle a erré en sous-estimant la rareté du matériau, ce qui est loin d'être évident, on ne peut en conclure pour autant qu'il s'agit là d'une erreur de fait déterminante puisque cet aspect n'est pas, et ne peut légalement être, un motif de la décision .
[Soulignements ajoutés]
[61] Sur la preuve admissible en vertu du paragraphe 9 de l'article 62 de la Loi, le TAQ écrivait dans Conseil Mohawk de Kanesatake c. Commission de protection du territoire agricole du Québec [13] :
[97] Les requérants prétendent que la Commission aurait commis une erreur de droit en admettant en preuve et en appuyant largement sa décision sur les retombées économiques alléguées dans le rapport de la firme KPMG soumis par la demanderesse Niocan, alors que cette preuve ne pouvait être soumise que par une municipalité, une communauté, un organisme public ou un organisme fournissant des services d'utilité publique.
[98] Le paragraphe 9 o de l'article 62 LPTAA prévoit que pour rendre une décision, la Commission doit se baser sur :
9 o l'effet sur le développement économique de la région sur preuve soumise par une municipalité, une communauté, un organisme public ou un organisme fournissant des services d'utilité publique;
[99] Cet article oblige la Commission à apprécier l'effet d'un projet sur le développement économique de la région lorsqu'une municipalité ou l'un des organismes mentionnés soumet une preuve sur ce point.
[105] Il est clair que la municipalité et la MRC n'ont pas soumis de preuve sur les effets du projet sur le développement économique de la région.
[109] Or, la seule preuve des effets du projet sur le développement économique de la région se retrouve dans l'étude réalisée par la firme KPMG qui a été présentée à la Commission par la demanderesse Niocan. Il ne s'agit pas d'une preuve soumise par la municipalité, par la MRC ou par l'un des autres organismes visés à l'article 62.9 o LPTAA .
[Soulignement ajouté]
[62] La lecture des décisions de la Commission et du TAQ ne révèle pas de faiblesse apparente sur l'analyse des critères prévus à l'article 62 de la Loi. Ici encore, la requérante fait valoir qu'une nouvelle appréciation de la preuve devrait être faite par la Cour du Québec sur un appel au fond, ce qui n'est pas son rôle. Cette question ne mérite pas d'être soumise à l'attention de la Cour.
[63] Il n'y a donc pas lieu que l'appel soit autorisé.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[64] REJETTE la requête, avec dépens.
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__________________________________ PIERRE LABBÉ, J.C.Q. |
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[1] L.R.Q., c. J-3 (ci-après « L.j.a. »).
[2] Dossier numéro 367018, Josette Dion, commissaire et M e Anne Couture, vice-présidente.
[3]
STE-Q-180401-1201,
[4] L.R.Q., c. P-41.1 (ci-après « la Loi »).
[5]
[6] Ouellette c. Commission de protection du territoire agricole , TAQ STE-Q-47095-9903, 26 août 1999.
[7] Fortin c. Commission de protection du territoire agricole du Québec , TAQ STE-Q-094411-0301, 17 octobre 2003.
[8] L.R.Q., c. I-10.
[9]
Rosell
c.
Commission de protection du territoire agricole,
(C.Q.
2003-01-08),
[10] Il s'agit en fait du paragraphe 69.
[11] Transcription des notes sténographiques de la rencontre publique devant la Commission du 13 juillet 2011.
[12]
[13] STE-Q-077871-0107 / STE-Q-077873-0107, 16 juin 2003, Cormier, Rouleau.