Amyot Gélinas, s.e.n.c. c. Villégiature du Lac Carling inc.

2013 QCCQ 5385

JL 4270

 
 COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

ST-JÉRÔME

« Chambre civile  »

N° :

700-22-026482-124

 

DATE :

8 mai 2013

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DENIS LAPIERRE, J.C.Q.

 

 

AMYOT GÉLINAS S.E.N.C.

Demanderesse

c.

VILLÉGIATURE DU LAC CARLING INC.

-et-

NICOLAS KORFAGE

Défendeurs

-et-

NICOLAS KORFAGE

Demandeur en garantie

c.

VILLÉGIATURE DU LAC CARLING INC.

Défenderesse en garantie

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]            Cette affaire était à l'origine une action sur compte d'une société de comptables contre sa cliente, un centre de villégiature. Comme un avis de surseoir a été déposé au dossier par le syndic chargé de la proposition de la défenderesse, l'action n'est plus dirigée que contre la caution de la défenderesse, son ancien directeur général. L'action en garantie de celui-ci fait aussi l'objet d'un avis de surseoir.

[2]            Le défendeur déclare qu'il n'a pas cautionné la défenderesse, et qu'il n'a pas été adéquatement informé de la nature du document qu'il signait. Subsidiairement, il attaque le quantum de la réclamation.

Les questions en litige :

[3]            1-        Le défendeur a-t-il valablement consenti à un contrat de cautionnement au sens de l'article 2335 du Code civil du Québec ?

2-        Si oui, quel est le montant du cautionnement?

Les faits :

[4]            La demanderesse est une firme de comptabilité. Madame Dominique Toupin y est associée. C'est elle qui est chargée du compte de la défenderesse Villégiature du Lac Carling inc. (ci-après «  Villégiature  »), qui est sa cliente depuis plusieurs années.

[5]            En juin 2010, madame Toupin apprend de monsieur Nicolas Korfage, le nouveau directeur général, que l'entreprise a changé de mains. Monsieur Korfage sollicite les services de la demanderesse pour l'examen des états financiers de Villégiature pour la période de huit mois prenant fin le 30 juin 2010.

[6]            Madame Toupin accepte, mais elle insiste pour obtenir la signature d'un mandat écrit. Elle explique à monsieur Korfage qu'il s'agit d'une obligation déontologique, mais ajoute à la Cour qu'elle n'aurait pas accepté le mandat sans un tel écrit. Elle connaissait en effet les difficultés financières de l'entreprise à ce moment-là, et avait déjà un compte en souffrance contre l'ancienne administration, maintenant hors du pays.

[7]            Elle rédige donc une lettre mandat le 23 novembre 2010 et l'expédie le lendemain à monsieur Korfage par courriel. Il s'agit de la pièce P-5. Monsieur Korfage lit rapidement le document, vérifie l'estimation des honoraires à venir et signe le document. Il le retourne le même jour à la demanderesse par télécopieur.

[8]            Le document P-5 décrit le mandat de la façon suivante:

«   The purpose of this letter is to outline the terms of our engagement to review the financial statements of VILLÉGIATURE DU LAC CARLING INC. / CARLING LAKE RESORT INC. for the period ending June 30, 2010.

[9]            Le mandat prévoit les responsabilités de chaque contractant. Celle de la cliente est principalement de produire l'information requise pour permettre à la demanderesse d'effectuer le travail. Les honoraires estimés pour l'exécution du mandat sont de 7 900 $.

[10]         À la dernière page, on retrouve l'espace prévu pour les signatures. Ces dispositions étant au centre du litige dans la présente affaire, il importe de les reproduire au long:

 

«   I the undersigned hereby accept, on behalf of VILLÉGIATURE DU LAC CARLING INC. / CARLING LAKE RESORT INC., the services and terms outlined above.

 

 

 

General Manager

 

 

 

Date

 

 

The undersigned hereby, Nicolas Korfage, accept to be jointly and solidary personal surety for any debt or obligation in favour of and in respect of any amount the above named corporation own to Amyot Gélinas, senc.

 

 

 

Nicolas Korfage

 

 

 

Date  »

 

 

[11]         Sur la ligne prévue pour la signature du directeur général, on retrouve celle de monsieur Korfage et son nom écrit à la main, par lui, en lettres majuscules. Sur la ligne au-dessus de son nom, on retrouve simplement sa signature. Il complète également à la main la date de la signature, soit le 24 novembre 2010.

[12]         Dès réception du document signé, la demanderesse met en place l'équipe assignée à l'exécution du mandat.

[13]         Il en résultera deux factures, toutes deux du 7 mars 2011, déposées sous la cote P-3a. La première facture, numéro 90075, ne comporte aucun détail et totalise 7 900 $ d'honoraires. La seconde, numéro 90076, comporte plusieurs détails et totalise 2 800 $ d'honoraires.

[14]         Ces factures n'ont jamais été acquittées.

[15]         L'emploi de monsieur Korfage a pris fin le 15 avril 2012 et Villégiature a, par la suite, fait une proposition à ses créanciers.

[16]         Ce n'est qu'en recevant une mise en demeure de la demanderesse à titre de caution de Villégiature que le défendeur a réalisé qu'il en avait cautionné les obligations.

Les motifs :

[17]         L'article 2333 du Code civil du Québec définit le contrat de cautionnement. Pour le Tribunal, le document P-5 répond clairement à cette définition. Le défendeur a beau voir une ambiguïté dans l'utilisation du terme « own » dans le texte de la caution plutôt que «  owe  » ou «  owed  », l'erreur est tellement minime qu'elle ne saurait dérouter le lecteur moyen, si tant est qu'il la remarque.

[18]         L'article 1425 C.c.Q . préfère rechercher l'intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes utilisés. Cela est d'autant plus sage dans le cas d'une erreur aussi manifeste.

[19]         Par ailleurs, l'utilisation du terme «own » dans son sens strict priverait la clause de tout sens, contrairement aux prescriptions des articles 1428 et 1429 C.c.Q .

[20]         Le principal argument en défense vient plutôt du fait qu'il n'y a pas eu de discussion préalable sur le contenu de la caution, ni sur sa nécessité. En d'autres mots, le défendeur plaide le défaut d'information de la partie stipulante envers la partie qui s'oblige.

[21]         Cette proposition ne résiste pas à l'analyse. L'article 2335 du Code civil du Québec prévoit que le cautionnement doit être exprès. La jurisprudence a déterminé que cette condition impliquait la nécessité d'une signature séparée, sous un texte spécifique distinct de l'obligation principale.

[22]         Le texte du cautionnement P-5 respecte ces exigences. La signature de Nicolas Korfage sous son nom personnel est apposée bien à part, sous un texte distinct, lui-même situé sous une première signature à titre de directeur général.

[23]         Le texte lui-même pourrait difficilement être plus clair. Monsieur Korfage ne pouvait pas, même en lecture rapide, manquer la signification de sa deuxième signature.

[24]         Il est vrai qu'il n'a pas été discuté avec monsieur Korfage de la raison, ni même de l'existence d'une telle exigence par la demanderesse.

[25]         Cela pose la question de l'obligation d'information de la demanderesse à l'égard du défendeur. Dans l'affaire, Trust La Laurentienne du Canada inc . c. Julien Losier et al . [1] La Cour d'appel précise certains paramètres de l'obligation de renseignement:

«  [28]               L'obligation positive de renseigner ne s'imposera que si «une partie se retrouve dans une position informationnelle vulnérable, d'où des dommages pourraient s'ensuivre». Le manquement à cette obligation constituera une faute.  Pour opposer une fin de non-recevoir, le débiteur devra démontrer l'existence d'un préjudice.

     [29]              Finalement, cette obligation positive de renseignement a une portée relative puisque la Cour suprême maintient «l'obligation fondamentale qui est faite à chacun de se renseigner et de veiller prudemment à la conduite de ses affaires».  »

[26]         Monsieur Korfage n'est pas le premier venu. C'est un gestionnaire chevronné dans le domaine de l'hôtellerie. Il déclare avoir une scolarité approfondie en comptabilité et gestion d'hôtel. Il a 14 ans d'expérience. Il gère les ententes de services avec les fournisseurs et a déjà fait affaire avec différents professionnels, comptables ou avocats, incluant la demanderesse.

[27]         Il connaissait la situation financière de son employeur, puisqu'il avait lui-même mené son audit maison et qu'il avait détecté plusieurs irrégularités.

[28]         En dépit de la clarté du texte de la caution, il n'a pas cru bon de le remettre en question, ni même de poser quelque question que ce soit à la demanderesse, malgré  l'article 2345 C.c.Q., et malgré l'invitation à cet effet dans P-5: «   If you have any questions about the contents of this letter, please raise them with us . »

[29]         Le Tribunal est conscient de la position malheureuse du défendeur. Il doit payer pour un employeur qui l'a laissé en plan.

[30]         Mais monsieur Korfage n'était pas un cocontractant vulnérable. Il avait toutes les compétences requises pour savoir ce qu'il signait. Le fait de n'avoir pas lu ou d'avoir mal lu les documents qu'il signait ne peut pas être soulevé comme étant la source d'une erreur de sa part, ou du moins pas d'une erreur excusable (article 1400 C.c.Q ).

Le quantum :

[31]         Les représentations du défendeur quant au quantum portent sur la seconde facture, numéro 90076, la première concernant le travail prévu par le mandat, au tarif prévu.

[32]         Contre-interrogée à cet égard, madame Toupin explique la raison de l'existence et des détails apparaissant à la deuxième facture. Elle indique qu'il est de coutume chez la demanderesse de fournir à sa clientèle une facture peu détaillée si son montant est proche de celui prévu. C'est le cas de la facture 90075. En cas de dépassement de coûts, on fournit une facture plus détaillée expliquant les raisons de ces dépassements. Dans la présente affaire, il s'agit de démarches additionnelles rendues nécessaires pour mettre la main sur des documents qui auraient dû être fournis par la cliente.

[33]         D'autres items, les trois derniers, semblent davantage reliés à du travail additionnel demandé par la cliente en cours de mandat.

[34]         Or, il appert que le texte du cautionnement P-5 n'est pas limité au travail décrit dans la lettre mandat. Il concerne «  any debt or obligation in favour of and in respect of any amount  » dû par Villégiature à la demanderesse, ce qui est permis par les articles 2341 et 2362 C.c.Q .

[35]         Dans les circonstances, le Tribunal estime que la prépondérance de la preuve favorise la demanderesse.

[36]         Quant aux intérêts, le mandat P-5 prévoit un taux exprimé en terme mensuel. La Loi sur l'intérêt [2] prévoit la nécessité de l'exprimer sur une base annuelle. Dans ces circonstances, seul le taux légal sera accordé.

Par ces motifs, le Tribunal:

[37]         ACCUEILLE en partie l'action de la demanderesse;

[38]         CONDAMNE le défendeur, Nicolas Korfage, à payer à la demanderesse la somme de 12 189,98 $ avec intérêts au taux légal de 5 % l'an majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., et ce à compter du 7 avril 2011;

[39]         LE TOUT avec dépens.

 

 

 

__________________________________

Denis Lapierre, j.C.Q.

 

Me Jean Morissette

Procureur de la demanderesse

 

Me Daniel R. Guay

Procureur du défendeur

 

 

Date d’audience :

29 avril 2013

 



[1]     Trust La Laurentienne du Canada inc. c. Losier (C.A., 2001-01-15), SOQUIJ AZ-50082274 , J.E. 2001-254 , 2001 CanLII 12759 (QC CA)

[2]     L.R.C. (1985) ch. I-15