Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2013 QCTAQ 05576
Dossier : SAS-M-204878-1211
NATALIE LEJEUNE
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Le requérant conteste la décision de l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec, du 17 octobre 2012, qui lui impose le respect de conditions supplémentaires avant d’obtenir un nouveau permis de conduire.
[2] Le requérant a été déclaré coupable de conduite avec les facultés affaiblies le 19 octobre 2007 pour un événement qui s’est produit le 18 octobre 2003. Il n’a pas conduit d’automobile depuis octobre 2007.
[3] Il conteste que l’intimée lui impose une évaluation complète par un centre de l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (ACRDQ) avant d’obtenir un nouveau permis de conduire. Les événements ont eu lieu il y près de 10 ans et depuis, son dossier est irréprochable.
[4] Le requérant se dit contrarié de ce processus qui lui est imposé pour obtenir à nouveau un permis. Il croit que son infraction d’il y a 10 ans n’était pas soumise aux mêmes obligations et dispositions législatives.
[5] Il n’avait que 22 ans lorsqu’il a été mis en arrestation pour un taux d’alcoolémie de 135 mg/100 ml de sang. Il ne conduisait pas. Il était stationné et ne nuisait à personne.
[6] De 2003 à 2007, il n’a pas d’infraction à son dossier de conducteur. Il travaille pour une compagnie pharmaceutique et ensuite il réussit, en 2005, l’examen d’agent d’immeu-ble. En 2007, il déménage aux États-Unis où il s’est trouvé un emploi de gestionnaire d’un grand restaurant comptant 50 employés. Il va aussi plus tard travailler à Orlando en Floride.
[7] En juin 2012, il revient au Québec et présente à l’intimée une demande de permis de conduire. Le processus reprend où il avait été laissé en 2007. Il s’inscrit pour l’évaluation sommaire. Elle a lieu le 1 er octobre 2012.
[8] À la lecture du rapport d’évaluation, il est déçu de l’image qui est présentée de lui. Le requérant explique qu’il a commis une erreur en octobre 2003 lors d’un party de CEGEP et que près de 10 ans plus tard, l’intimée ne retient que ce côté de sa vie. Depuis, il a toujours gagné sa vie et a accepté des responsabilités d’envergure. Vendre des maisons, gérer un grand restaurant, demandent des compétences et des qualités qui auraient dû être considérées par l’intimée.
[9] Pour démontrer qu’il n’est pas une personne présentant des risques lors de la conduite automobile, il a retenu les services du docteur en psychologie, Charles Lachance. Ce dernier témoigne de l’évaluation qu’il a faite du requérant.
[10] Le Dr Lachance a rencontré le requérant les 8 et 12 mars 2013. Il a procédé à une entrevue clinique, à des séances des tests psychométriques MMP1-2 et MCM1-3, et à la communication des résultats. Il s’est entretenu durant une heure avec le requérant qui a, par la suite, fait les tests durant 2½ heures.
[11] Le premier test vise à décrire le profil de personnalité de l’individu en plusieurs dimensions, y compris la classification psychopathologique selon le DSM-4.
[12] Le deuxième est un test psychologique standardisé pour adultes, qui évalue le fonctionnement émotif, la symptomatologie psychologique et les structures de personnalité. Il est habituellement utilisé pour aider à déterminer si un individu présente des problèmes significatifs de santé mentale.
[13] Les résultats obtenus et les conclusions sont comme suit :
« Les résultats psychométriques aux deux tests standardisés de personnalité sont les suivants :
Au MMPI-2, le profil est valide et donc interprétable. Aucune échelle n’est au dessus du seuil critique, donc le profil est absolument normal.
Le MCMI-3 est tout aussi valide significativement que le premier test, donc les résultats sont valides et interprétables, bien que l’indice de désirabilité soit élevé; ce qui est fréquent en expertise. Le profil est normal sur toutes les échelles sauf une seule, soit l’échelle de compulsivité. L’échelle de risque de dépendance à l’alcool est très faible.
Million, l’auteur de ce test, décrit ce type de profil comme des individus disciplinés ou des « consciencieux invétérés ». Ils ont aussi tendance à être ordonnés, font des plans pour l’avenir et sont des travailleurs efficaces.
CONCLUSION
Monsieur [le requérant] a un profil psychologique, à l’heure actuelle, sans indices de pathologie ni de tendances à risque pour comportements déviants.
En résumé, selon le DSM-4, la classification de Monsieur [le requérant] pourrait être la suivante :
Axe 1 : Aucun symptôme
Axe 2 : Traits compulsifs dépistés sur l’évaluation mais qui ne semble pas être très présent dans sa vie quotidienne
Axe 3 : N/A
Axe 4 : Désir de régulariser sa situation qui, à son âge, et pour son travail devient une source de stress
Axe 5 : EGF : 85 »
(Reproduit tel quel)
[14] Dr Lachance explique que tous les résultats sont dans les limites de la normale.
[15] L’intimée fait témoigner monsieur François Laisné, docteur en psychologie. Il est évaluateur accrédité depuis 2003 et a procédé à quelque 3000 évaluations pour l’ACRDQ.
[16] Il a procédé à l’entrevue structurée et a fait les entrées au système informatique. Le requérant a fait les tests standards. Les facteurs de risque identifiés par la computation des résultats ont amené un échec.
[17] Les données sociales économiques et celles sur les déplacements ont contribué à l’échec du requérant. Pour ce qui concerne la première catégorie, le requérant ne peut pas y faire grand-chose.
[18] Les résultats du psychologue Charles Y. Lachance sont intéressants, bien que plusieurs décisions [1] du Tribunal affirment que seul le rapport d’un expert accrédité par l’ACRDQ puisse être retenu. Les tests valablement administrés au requérant indiquent des résultats différents et, à ce titre, que la pondération attribuée aux questionnaires de l’évaluateur est un choix de l’intimée en fonction des objectifs à atteindre. Par exemple, de choisir de retenir les arrestations plutôt que les condamnations, soulève quelques questions. Le temps consacré à chaque entrevue est aussi à discuter. Le requérant présente une histoire de dix ans sans infraction.
[19] À ce jour, peu de décisions ont tranché le litige en faveur du requérant et encore moins sur la base d’un rapport d’évaluation « externe ». Une décision [2] à cet effet dispose ainsi de ce sujet :
« [18] Le requérant a déposé une expertise médicale complétée par le docteur Jean-Pierre Chiasson.
[19] L'expertise du docteur Chiasson n'est pas mise en doute. D'ailleurs, la procureure de la partie intimée écrit : « Nous avons admis que le docteur Chiasson a la compétence requise pour diagnostiquer un problème d'alcoolisme ».
[20] On peut lire à propos du docteur Chiasson ce qui suit :
« Identification de l'expert
· Doctorat en médecine de l'Université de Montréal 1968;
· Certificat de l'American Society of Addiction Medicine (ASAM0 (USA) 1988;
· Fellow en 1986 et depuis directeur medical de la Clinique du Nouveau Départ (centre de traitement spécialisé en alcoolisme et autres toxicomanies);
· Certifié de la Société médicale canadienne sur l'addiction (SMCA); octobre 2001;
· Membre de la Société des médecins experts du Québec;
· MROCC: Certified Medical Review Officer (Medical Review Certification Council) (USA) Décembre 1999. »
[21] L'expert est donc le directeur médical du Centre de traitement spécialisé en alcoolisme et autres toxicomanies, soit la Clinique du Nouveau départ et ce, depuis 1986.
[22] Cet expert conclut qu'il n'y a aucune contre indication à ce que le requérant puisse obtenir son permis de conduire.
[23] Le Tribunal doit évaluer si l'expertise déposée par le requérant peut satisfaire le Tribunal, si la preuve est probante et prépondérante.
[24] À l'esprit du Tribunal, il n'en fait aucun doute. La lecture de l'expertise fait foi d'un professionnalisme; c'est une évaluation approfondie où une panoplie de tests sont passés, en plus d'un examen physique et mental avec bilan hématologique, biochimique, immunologique et toxicologique, complétés de questionnaires structurés et de tests psychométriques.
[25] Le
docteur Chiasson est le directeur médical d'un Centre de traitement spécialisé
en alcoolisme et autres toxicomanies et, de ce fait, répond aux exigences de
l'article
(Reproduit tel quel)
[20] Dans la présente affaire, l’expertise du Dr Lachance est moins pertinente et porte presque exclusivement sur des litiges familiaux. Pour cette raison, le rapport et ses conclusions ne seront pas commentés davantage.
[21] Le requérant, qui a le fardeau de la preuve dans ce dossier, n’a pas établi d’erreur lors de l’évaluation sommaire.
[22] Le procureur de la partie intimée rappelle que l’évaluation sommaire se compose de tests standardisés et d’une entrevue structurée. L’évaluation n’a aucun caractère arbitraire puisque l’évaluateur ne dispose d’aucune discrétion, compte tenu de tests comptabilisés à l’aide d’une grille objective.
[23]
À la suite d’une déclaration de culpabilité le 19 octobre 2007 pour une
infraction à l’article
[24]
Des conditions particulières s’appliquent en pareil cas, à l’obtention
du nouveau permis, tel que l’énonce l’article
« 76. Aucun permis ne peut être délivré à une personne dont le permis a été révoqué ou dont le droit d’en obtenir un a été suspendu à la suite d’une déclaration de culpabilité pour une infraction à l’article 180 avant l’expiration d’une période d’un, de trois ou de cinq ans consécutive à la date de la révocation ou de la suspension selon que, au cours des dix années précédant cette révocation ou cette suspension, elle s’est respectivement vu imposer aucune, une seule ou plus d’une révocation ou suspension en vertu de cet article.
(…)
Dans le cas où l’infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension en est une visée au paragraphe 4 o du premier alinéa de l’article 180, les conditions additionnelles suivantes s’appliquent à la délivrance du nouveau permis :
1 o si, au cours des dix années précédant la révocation ou la suspension, la personne ne s’est vu imposer ni révocation ni suspension en vertu du paragraphe 4 o du premier alinéa de l’article 180, elle doit alors :
a) (…)
b) établir à la satisfaction de la Société, au terme d’une évaluation sommaire faite par une personne dûment autorisée oeuvrant au sein d’un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes ou au sein d’un centre hospitalier offrant un service de réadaptation pour de telles personnes, que son rapport à l’alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d’un véhicule routier de la classe demandée. En cas d’échec, il doit être satisfait à cette exigence au moyen d’une évaluation complète; »
[25] Tel que requis, le requérant s’est soumis à une évaluation sommaire. La conclusion fut de recommander qu’il se soumette à une évaluation complète afin de s’assurer que ses habitudes de consommation d’alcool ne soient pas incompatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.
[26] Cette condition d’une évaluation complète est requise par la décision de l’intimée du 31 octobre 2007, ce que le requérant conteste.
[27] Le rôle du Tribunal consiste à s’assurer que les différentes étapes du processus de l’évaluation sommaire ont été correctement appliquées et qu’il n’y existe aucune erreur de nature à l’invalider. Le requérant a dit la vérité et c’est tout à son honneur.
[28] L’évaluation sommaire a été faite selon les normes par une personne dûment habilitée en cette matière et aucune erreur déterminante n’a été relevée, que ce soit dans l’application des questionnaires ou l’interprétation des résultats.
[29] Le Tribunal constate le respect d’un protocole standardisé administré par une personne qualifiée et auquel a collaboré honnêtement le requérant.
[30] Les dispositions du Code de la sécurité routière citées plus haut sont strictes et d’intérêt public. Le requérant devait démontrer au terme de l’évaluation sommaire que son rapport à l’alcool ne compromet pas la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. Le fait qu’il envisage, dix ans après l’infraction, avoir besoin d’un permis qui l’aiderait à accéder à une promotion, ne l’exempt pas des tests à venir.
[31] Compte tenu des faits et du témoignage, le requérant devrait réussir la prochaine étape.
[32] Pour obtenir à nouveau un permis de conduire, le requérant doit rencontrer certains objectifs pour développer des habitudes de consommation sécuritaires. Il doit maintenant passer l’étape de l’examen plus exhaustif de son comportement face à l’alcool que constitue l’évaluation complète.
POUR CES MOTIFS, le Tribunal
- REJETTE le recours du requérant; et
- INTERDIT de divulguer, publier ou utiliser autrement les renseignements relatifs à l’évaluation sommaire.
Rochefort & Associés
Me Annahita Kiarash
Procureure de la partie requérante
Dussault, Mayrand
Me Mario Forget
Procureur de la partie intimée
/jj
[1]
À lire entre autres
[2] SAS-M-099758-0412, Chahé-Philippe Arslanian, Andrée Ducharme, 21 septembre 2006.
[3] L.R.Q., c. C-24.2 en vigueur au 18 octobre 2003, soit au moment de l’infraction. Par la suite, la numérotation de l’article a pu changer, mais les obligations sont demeurées les mêmes.