9242-1288 Québec inc. (JCL Solutions inc.) c. 7084315 Canada inc.

2013 QCCQ 5657

JV0516

 
COUR DU QUÉBEC

« Chambre Civile »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-22-178874-114

 

 

 

DATE :

 10 juin 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

9242-1288 QUÉBEC INC.

(antérieurement connue sous le nom de JCL SOLUTIONS INC .)

Demanderesse

c.

 

7084315 CANADA INC.

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            Le Tribunal est saisi d'une action sur compte de la part de la demanderesse (JCL), une compagnie spécialisée dans les services conseils aux entreprises, par laquelle elle réclame de la défenderesse (la SOCIÉTÉ) la somme de 46 228$ suite à un contrat de services qu'elle allègue être intervenu verbalement entre les parties le 17 septembre 2009, et qui se serait ajouté au contrat initial P-1.

[2]            Ce contrat initial (P-1), signé le 24 août 2009, visait à aider la défenderesse à préparer et mettre sur pied un projet d'entreprise d'entreposage à Mississauga, Ontario, appelé Green Storage Centres .

[3]            Il comportait sept volets :

·         Valider la faisabilité du projet sur le plan financier;

·         Définir le plan d'actions, l'approche à la recherche de financement et assister la Société à réviser le plan d'affaires;

·         Préparer les projections financières en fonction de l'approche à la recherche de financement retenue;

·         Établir une structure financière pour le projet et une stratégie de financement;

·         Obtenir l'entente finale de la Direction sur la structure financière et sur la stratégie de financement;

·         Chercher et obtenir une ou plusieurs offres de financement;

·         Analyser et négocier les termes et conditions du ou des financements et conseiller la Société sur l'impact de leur acceptation.

[4]            JCL réclame donc ses honoraires après que la SOCIÉTÉ eut décidé de se retirer du projet et de mettre fin au contrat.  Ceux-ci portent principalement sur la préparation du plan d'affaires qu'elle allègue avoir fait même si cette étape était initialement exclue du mandat (voir le point #2 du mandat et l'item « Travaux exclus » à la page 4).  C'est ce qui aurait fait l'objet du mandat additionnel de septembre 2009.

[5]            La défenderesse nie devoir ce montant, alléguant n'avoir jamais mandaté la demanderesse pour préparer son plan d'affaires ; elle ajoute que les honoraires réclamés par JCL sont nettement exagérés eu égard au travail effectué.

[6]            Se portant demanderesse reconventionnelle, la défenderesse réclame à son tour de la demanderesse la somme de 35 000$ représentant les frais de ses différents conseillers professionnels (frais de comptabilité, frais d'expert et frais légaux).

Les questions en litige

[7]            Le Tribunal doit décider des points suivants :

·         La demanderesse a-t-elle reçu mandat de préparer le plan d'affaires? L'a-t-elle préparé?

·         Les services pour lesquels la demanderesse réclame des honoraires ont-ils été réellement rendus et, dans l'affirmative, valent-ils le montant réclamé?

·         La défenderesse est-elle en droit de réclamer les frais de ses conseillers professionnels?

Les faits mis en preuve

[8]            Dans un témoignage plutôt crédible, la présidente de la demanderesse, Josée Clavel, consultante en services conseils pour les entreprises (gouvernance, plans d'affaires, financement, etc.), dit avoir été contactée par une amie, Chantal Gagnon, qui connaissait aussi Jean-François Rivard, président de la défenderesse.  Apparemment, cet homme voulait investir et avait besoin d'investisseurs privés dans un projet de mini-entrepôts à Mississauga, en Ontario.

[9]            C'est dans ce contexte que monsieur Rivard la contacte vers la mi-juin 2009.  Ils échangent sur le projet que monsieur Rivard évalue à 9 000 000$ et celui-ci lui remet certains documents par courriel le 23 juin 2009, dont la pièce D-1, qu'il qualifie de plan d'affaires, élaboré par Canadian Metal Manufacturing inc . (CMMI).

[10]         Une rencontre entre monsieur Rivard, madame Clavel et son collaborateur, Richard Courville, bénéficiant d'une longue expérience dans le financement d'entreprises, la gouvernance et la préparation de plans d'affaires, se tient le 22 juillet 2009 : ces deux derniers se montrent intéressés à collaborer à ce projet.  La tenue de cette première rencontre est d'ailleurs confirmée dans le courriel envoyé par monsieur Rivard deux jours plus tard, soit le 24 juillet (P-23).

[11]         À la seconde rencontre, le 12 août 2009, monsieur Courville mentionne que le document D-1 n'est pas un plan d'affaires et que les institutions prêteuses et les investisseurs exigent bien davantage.  Bien que monsieur Rivard le considère comme un plan d'affaires, il accepte quand même de le faire reprendre par CMMI selon les exigences requises.  Il admet ne pas trop savoir ce qu'est un véritable plan d'affaires.

[12]         Monsieur Courville fait aussi part à monsieur Rivard des exigences des institutions prêteuses dans ce genre de financement :

·         Un plan d'affaires;

·         Des projections financières mensuelles échelonnées sur cinq ans, reliées aux opérations;

·         Le bilan personnel à jour du promoteur, monsieur Rivard;

·         Une étude de marché indépendante.

[13]         Madame Clavel et monsieur Courville préparent alors le contrat de services (que les parties désigneront comme étant la lettre-mandat ) sur lequel les trois se sont entendus. Celui-ci est signé le 24 août 2009 ; il exclut nommément le plan d'affaires puisque celui-ci doit être préparé par CMMI à qui monsieur Rivard aurait déjà versé 100 000$.

[14]         À cette même occasion, un chèque de 5 000$ est remis à JCL conformément aux termes et conditions de paiement prévus à la lettre-mandat.

[15]         Madame Clavel dit ne pas avoir assisté à cette rencontre où la signature a eu lieu, et ce, en dépit des allégations contenues aux paragraphes 21 et 22 de la défense et de l'admission de ces allégations que l'on retrouve au paragraphe 18 de la réponse.  Elle dira en contre-interrogatoire ne pas avoir été présente lors de la signature du mandat P-1 (la deuxième rencontre) mais d'y avoir été le 24 août.  L'établissement clair des dates des rencontres a été extrêmement confus à l'audience.

[16]         Indépendamment de cet imbroglio, monsieur Rivard accepte la suggestion de monsieur Courville et de madame Clavel de confier le mandat de préparer l'étude de marché à la firme Zins Beauchesne et Associés.  Il signe le contrat d'engagement à cet effet le 15 septembre 2009 (D-8).

[17]         Cette étude de marché est produite comme pièce D-9, pages 92 et suivantes.

[18]         Le courriel de madame Clavel du 4 septembre 2009 (D-7), donc avant même que le mandat lui soit supposément donné officiellement par monsieur Rivard, indique déjà qu'elle et monsieur Courville seront responsables de lui fournir la structure du plan d'affaires et des projections financières vu que monsieur Rivard a admis ne pas trop savoir ce qu'est un plan d'affaires, ce qu'ils ont fait.  La preuve démontre en effet que madame Clavel a envoyé des modèles de plan d'affaires ( templates ) (le document D-22 notamment) afin qu'il sache un peu mieux quoi demander à son équipe du CMMI, chargée de le rédiger.

[19]         Par ailleurs, vu le défaut de CMMI d'exécuter le plan d'affaires - les délais étaient relativement serrés - , monsieur Rivard aurait demandé verbalement à JCL, le 17 septembre 2009, de s'en charger.  Monsieur Rivard niera toutefois avoir donné tel mandat à madame Clavel.  C'est là le nœud du litige.

[20]         Le 17 septembre 2009, Josée Clavel envoie à monsieur Rivard la table des matières (P-2) de ce que devrait être le plan d'affaires et monsieur Rivard s'en déclare satisfait le 21 septembre 2009, comme on peut le constater dans le courriel de cette même date qui accompagne ce document. 

[21]         Si l'on exclut les nombreux courriels et appels téléphoniques, une quatrième rencontre a lieu le 29 décembre 2009.  Madame Clavel dit qu'elle était alors bloquée dans la préparation du plan d'affaires car il lui manquait de nombreux éléments d'information.  En outre, madame Clavel étant alors débordée, elle suggère de confier à un sous-traitant la préparation des projections financières échelonnées sur cinq ans, sur une base mensuelle, ce que monsieur Rivard accepte.

[22]         Il s'agit des projections financières reliées aux opérations, celles reliées au financement faisant partie du mandat initial P-1.

[23]         En effet, ce dernier admettra avoir accepté, le 29 décembre 2009, que madame Clavel confie la préparation des projections financières à un tiers qu'elle n'a pas nommé à cette occasion.  Il dira aussi avoir discuté avec elle du plan d'affaires qu'elle complèterait après avoir obtenu de lui des renseignements à partir de demandes précises qu'elle lui avait formulées.

[24]         On saura à l'audience que le tiers à qui JCL a confié ce mandat est monsieur Bill Daicos, un spécialiste en modélisation financière, dont les factures (9 février et 24 mars 2010) ont été payées par la SOCIÉTÉ, bien que la dernière facture ait suscité des interrogations et un certain mécontentement chez monsieur Rivard si l'on en croit les courriels échangés le 25 mars 2010 (P-3).  

[25]         Après une trentaine de versions dont environ dix seront soumises à monsieur Rivard, le plan d'affaires préparé par JCL est remis à ce dernier le 27 mars 2010. Il est produit comme pièce P-4.  Monsieur Courville l'utilisera pour solliciter les institutions financières et les investisseurs privés.

[26]         Dans les jours précédents, madame Clavel avait envoyé la version à peu près finale du plan d'affaires à monsieur Rivard, accompagnée de la facture de préparation du modèle financier.  Celui-ci manifeste alors son désaccord, étant d'avis que ce volet faisait partie du mandat initial, ce qu'a nié madame Clavel (voir l'échange de courriels du 25 mars 2010 dans la liasse P-3), celle-ci soutenant plutôt que seules les projections financières reliées au financement étaient prévues à la  lettre-mandat.

[27]         Le 20 avril 2010, monsieur Rivard annonce par courriel à Shawn Baker, son partenaire d'affaires et président de CMMI, son retrait du projet, avec copie à madame Clavel et monsieur Courville (P-5).

[28]         Monsieur Courville lui fait part de son étonnement et de sa déception le même jour par courriel (P-5).

[29]         Monsieur Rivard confirme sa décision à madame Clavel dans un courriel du 26 avril 2010 (P-13) auquel est jointe la lettre adressée à celle-ci, datée du 24 avril 2010 (dans la liasse P-5).

[30]         Selon la preuve, les démarches de monsieur Courville auprès des institutions prêteuses étaient alors déjà commencées depuis plusieurs mois. 

[31]         Le 26 mai 2010, JCL envoie sa note d'honoraires finale à la SOCIÉTÉ (P-6).  Celle-ci vise la préparation du plan d'affaires ainsi que les déboursés, c'est-à-dire les frais de déplacement de monsieur Courville à Mississauga.  C'est cette facture qui fait l'objet du présent litige.

[32]         Les factures du 15 août 2009 et du 4 septembre 2009 ont été payées.  Celles des 19 octobre 2009 (mandat additionnel plus personnel à monsieur Rivard), 9 février et 24 mars 2010 (étapes 2 à 4 du mandat P-1) l'ont été également.  Toutes ces factures sont produites en liasse sous la cote D-11.

[33]         Les heures de travail de madame Clavel, tant pour le projet lui-même que pour la préparation du plan d'affaires, sont compilées dans les tableaux mensuels et le sommaire D-13.  Elles couvrent la période du 1 er août 2009 au 30 avril 2010.

[34]         Après la résiliation de l'entente P-1 par la SOCIÉTÉ, monsieur Rivard a quand même souhaité poursuivre sa démarche et a demandé à madame Clavel et monsieur Courville de continuer à chercher du financement pour lui.  Ils ont donc, à sa demande, préparé le projet d'entente D-12, daté du 10 août 2010, que monsieur Rivard n'a cependant jamais signé.

[35]         Monsieur Richard Courville corrobore la plupart des éléments énoncés en preuve par madame Clavel bien qu'il n'ait pas assisté au témoignage de celle-ci.

[36]         Il a expliqué en détail le mandat P-1 et chacune de ses étapes, a confirmé avoir dit à monsieur Rivard dès juillet 2009 que D-1 ne constituait pas un plan d'affaires mais devait être vu davantage comme un document de marketing.

[37]         Il a aussi confirmé que le plan d'affaires et les projections financières reliées aux opérations devaient être faits par monsieur Rivard et son équipe (CMMI) mais que c'est finalement madame Clavel qui l'a préparé ; il réfère au document P-4 qui fut complété après de nombreuses discussions entre lui, madame Clavel et monsieur Rivard, et de nombreuses versions préliminaires échangées entre eux (dont l'une qu'il reconnaît vu ses notes manuscrites, pièce P-10).

[38]         Il indique à la Cour que cette collaboration avec monsieur Rivard, qu'il qualifie d'ailleurs d'excellente, a été ponctuée de quinze à vingt rencontres entre les trois.

[39]         Au sujet de la facture litigieuse P-6, monsieur Courville mentionne qu'il s'agit entre autres de ses frais de déplacement alors qu'il se rendait à Mississauga rencontrer Shawn Baker ou des institutions financières.  Il ajoute que monsieur Rivard était informé de ces déplacements plusieurs jours à l'avance, qu'ils étaient tous autorisés par lui et que parfois même, il accompagnait monsieur Courville dans ses voyages.  Les courriels produits comme pièce P-17 illustrent d'abord l'hésitation, voire le refus de monsieur Rivard en septembre 2010 de les rembourser, donc bien après que ces voyages eurent été faits, puis le changement de cap de celui-ci le 14 octobre, alors qu'il écrit avoir transmis le chèque à madame Clavel, ce qui ne s'est jamais avéré.  Monsieur Courville n'a jamais été remboursé de ces frais.

[40]         Après la résiliation du contrat, monsieur Rivard a continué de faire affaires avec madame Clavel et monsieur Courville, non plus dans le but de trouver du financement pour son projet, qu'il avait abandonné parce qu'il était devenu trop onéreux, mais dans celui de trouver un acheteur.

[41]         Le CMMI et son président, monsieur Baker, ont toutefois continué leur implication dans le projet.  Au printemps 2010, ce dernier présente à monsieur Courville un plan d'affaires (P-24) : c'est celui qu'avait préparé madame Clavel et qui a subi quelques modifications, notamment les pages centrales, où l'on présente les expectatives de rendement, qui ont été ajoutées.  Monsieur Courville se dit alors en total désaccord avec ces perspectives de rendement et demande à ce qu'elles soient retranchées.

[42]         Ce plan d'affaires, qui est maintenant identifié à CMMI, comporte toujours les noms de monsieur Courville et de madame Clavel dans le préambule.  Il circule passablement puisque monsieur Baker cherche encore du financement.  Monsieur Courville indique à la Cour que leurs noms ne devaient plus figurer au préambule puisque ni lui ni madame Clavel n'avaient de mandat de CMMI en mai 2010.

[43]         Quant à monsieur Rivard, tel que mentionné précédemment dans ce jugement, il nie avoir donné un mandat verbal à madame Clavel le 17 septembre 2009 de préparer le plan d'affaires;  celle-ci ne devait que retravailler le document déjà préparé par CMMI (D-1).

[44]         Il nie également que ce soit madame Clavel qui ait rédigé la majeure partie du plan d'affaires P-4.  Il dit que c'est plutôt Richard Leach, responsable du marketing chez CMMI, à qui revient cette tâche et dépose le document D-32 qui le démontre à l'aide de codes de couleurs attribués à chacun de ceux qui ont contribué à la rédaction de ce plan d'affaires.  Madame Clavel serait responsable des textes non colorés.  Celle-ci tentera de démontrer que cette attribution à l'aide des codes de couleurs est inexacte.

[45]         Monsieur Rivard produit également le document D-33 qui est la version de décembre 2009 du plan d'affaires que lui a envoyée Richard Leach de CMMI par courriel.  Elle contient de nombreuses annotations en marge provenant de monsieur Leach.  Les quelques questions formulées en français viennent vraisemblablement de madame Clavel.  Les textes en rouge, poursuit-il, ont été rédigés par monsieur Leach.

[46]         En contre-preuve, madame Clavel rétorque qu'elle a d'abord rédigé le premier projet de plan d'affaires à partir d'exemples pris ailleurs, d'extraits de lectures et, évidemment, des renseignements obtenus tant de monsieur Rivard que de CMMI.  C'est donc clair que son document a circulé chez CMMI et qu'il a été bonifié par les apports de monsieur Leach et de monsieur Rivard.  Mais elle a assuré par la suite une intégration des divers renseignements recueillis et une uniformité dans la présentation et la formulation du contenu du plan d'affaires.  C'est donc inexact d'affirmer que ce qui provient d'elle dans la version finale est minime, conclut madame Clavel. 

[47]         Enfin, monsieur Rivard mentionne que monsieur Baker de CMMI lui avait promis de lui rembourser son investissement initial de 100 000$ s'il trouvait un acheteur qui accepterait de continuer le projet avec CMMI.

Les prétentions des parties

[48]         La demanderesse JCL réclame des honoraires pour la préparation du plan d'affaires conformément au mandat verbal à cet effet confié à madame Clavel de JCL le 17 septembre 2009 par monsieur Rivard.

[49]         La SOCIÉTÉ, pour sa part, nie avoir confié ce mandat verbal à JCL et prétend que madame Clavel n'avait qu'à corriger et à compléter le plan d'affaires D-1 déjà préparé par CMMI, conformément à ce qui était prévu à l'item 2 du mandat P-1.

[50]         Selon monsieur Rivard, D-1 constitue bel et bien un plan d'affaires et les projections financières sur cinq ans s'y trouvent. 

[51]         La SOCIÉTÉ réclame à son tour de JCL le remboursement des dépenses et frais de ses conseillers professionnels, ce que refuse JCL qui prétend en défense reconventionnelle ne pas avoir à payer pour les conseils professionnels que la SOCIÉTÉ a décidé d'aller chercher.

L'ANALYSE

[52]         Dans tout recours en justice, la partie demanderesse doit démontrer au Tribunal, par une preuve prépondérante, le bien fondé de ses prétentions conformément aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec , lesquels se lisent comme suit :

«  2803.  Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804.  La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[53]         Cette règle vaut tant en demande principale qu'en demande reconventionnelle.

1.   La demande principale

[54]         D'entrée de jeu, le Tribunal est d'avis que la résiliation du contrat P-1 n'est pas en cause ici : monsieur Rivard avait parfaitement le droit de résilier son contrat, non seulement par les termes mêmes du contrat mais aussi conformément à l'article 2125 du Code civil du Québec .

[55]         Toutefois, en vertu de l'article 2129 C.c.Q., le client - la SOCIÉTÉ en l'occurrence - doit payer au prestataire de services les dépenses effectuées ainsi que la valeur des services rendus au jour de la résiliation :

«  2129.  Le client est tenu, lors de la résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.

L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédent de ce qu'il a gagné.

Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir. »

[56]         Pour décider du bien fondé de la réclamation principale, il faut préalablement décider si JCL a eu ou non le mandat de préparer le plan d'affaires P-4.

[57]         Le Tribunal, après avoir analysé la preuve, répond à cette question par l'affirmative, étant d'avis que la preuve prépondérante penche du côté de la demanderesse. 

[58]         Rappelons que par preuve prépondérante on entend une preuve qui tend à démontrer qu'il est plus probable que l'événement que l'on veut prouver se soit produit que le contraire.

[59]         Plusieurs éléments de la preuve tendent en effet à démontrer l'existence de ce mandat additionnel.

[60]         Le premier indice sérieux de ce mandat additionnel est l'envoi, le 17 septembre 2009, d'un projet de ce que devrait être la table des matières (P-2) de ce plan d'affaires et l'identification des personnes responsables de colliger les renseignements pour chacun des items.

[61]         Par son courriel du 21 septembre 2009 (P-2), monsieur Rivard s'en déclare satisfait.

[62]         Les courriels regroupés sous la cote P-3 sont également assez révélateurs sur ce mandat additionnel confié à madame Clavel : 

·         Celui du 30 novembre 2009, écrit par monsieur Rivard, débute ainsi : « I have been in a meeting this Friday with Josée Clavel of JCL Solutions inc. who is doing our business plan and executive summary. ».  Monsieur Rivard n'utilise pas les mots "who is revising our business plan" mais "who is doing ".  Et il s'adresse de toute évidence à quelqu'un de son équipe puisqu'il réfère à " our business plan". 

·         Dans celui du 4 janvier 2010, madame Clavel envoie à monsieur Rivard certains articles discutés lors d'une réunion précédente et elle écrit, entre autres choses :  « Je devais t'envoyer le plan d'affaires mais mon ordinateur a attrapé un virus, sans doute la A(h1N1)! (…)  Si tu as des réponses, corrections, envoie-les moi afin que je puisse les incorporer au plan pour que l'on ait une version de travail le plus rapidement possible.  Les éléments importants (pas dans l'ordre d'importance) qui restaient à compléter sont : (…).  The biz plan is not to be finalized unless those elements listed above are not complete. They are crucial to "glue" the business model together, i.e. strong management in place (to be demonstrated with realizations), well studied conversion costs, pricing and marketing stategy. »

·         Les courriels échangés le 26 février entre madame Clavel et monsieur Rivard démontrent qu'il reste des photos à incorporer au plan d'affaires et que monsieur Rivard a fait des modifications au plan, tel que demandé par madame Clavel, qui y ont été intégrées par celle-ci. 

·         Dans le courriel du 13 mars 2010, monsieur Rivard donne ses directives à madame Clavel et monsieur Courville au sujet de l'impression du plan d'affaires par l'imprimeur.

·         Par celui du 19 mars 2013, madame Clavel envoie une version modifiée du plan d'affaires, avec les derniers ajustements financiers et les tableaux du Sommaire exécutif.

·         Enfin, celui du 25 mars 2010 (23h24), écrit par madame Clavel, fait état de l'exclusion de la préparation du plan d'affaires du mandat initial puisque celui-ci devait être préparé par « les gens de Turnkey … puisque tu as payé 100 000$.  Il n'y a pas grand chose qui a été écrit par quelqu'un d'autre que moi.  J'y ai mis un peu plus de 200 heures si ce n'est pas plus … ».  Une facture accompagnait cet envoi de la version finale du plan d'affaires, ce qui a soulevé des questionnements et du mécontentement chez monsieur Rivard.

[63]         De plus, on voit que l'une des versions préliminaires du plan d'affaires (décembre 2009), qui vient pourtant de monsieur Leach (D-33), contient déjà dans son préambule la confirmation que JCL a le mandat de préparer le plan d'affaires :  «  Green Storage Centers inc. ("GSC" or the "Company") has retained the services of JCL Solutions inc. to prepare its business plan (the "Business Plan") … ». 

[64]         Le courriel de madame Clavel D-9 du 9 février 2010 fait état de l'envoi par celle-ci de la version de février 2010 du plan d'affaires qui inclut les projections financières et les annexes, l'une des nombreuses versions de ce document.

[65]         Dans toutes les versions du plan d'affaires mises en preuve (P-10), on peut lire au tout début dans le préambule :  « Green Storage Centres 001 inc. ("GSC" or the "Company") has retained the services of JCL Solutions inc. to prepare its business plan (the "Business Plan"), in collaboration with the Company management, and to prepare and conclude its financing arrangements. The purpose of this Business Plan is to present to the potential investors and lenders, the Company and its unique service proposition . ».  Or, toutes ces versions sont révisées tant par monsieur Leach que par monsieur Rivard et cette mention n'y est ni modifiée ni retranchée.

[66]         La version finale du plan (P-4), celle qu'on demande à Clavel et Courville d'imprimer, contient cette même mention, ainsi que celle utilisée par CMMI et monsieur Baker (P-24) après la résiliation du contrat.

[67]         D'ailleurs pourquoi aurait-on demandé à JCL d'imprimer la version finale P-4 si le plan d'affaires avait été complété par CMMI? Pourquoi lui confier cette étape finale alors que, selon monsieur Rivard, l'écriture et la préparation du plan d'affaires ont été assurées par CMMI?

[68]         De plus, la version du 2 février 2010 des coûts projetés (project costs) que l'on voit en pièce P-15 (page 6 de 9) prévoit un coût de 35 000$ devant être déboursés par la SOCIÉTÉ, relié à la préparation du plan d'affaires et on voit que ce montant est tout à fait indépendant du 100 000$ versé à CMMI à l'item «  CMMI development fees  » qui devait pourtant comprendre la préparation par CMMI du plan d'affaires.  C'est donc dire, puisque ce document P-15 fut envoyé par monsieur Rivard à madame Clavel le 3 février 2010, que celui-ci était parfaitement informé qu'un montant additionnel d'environ 35 000$ lui serait facturé pour le plan d'affaires que CMMI n'avait pas fait.

[69]         Enfin, personne n'est venu affirmer à l'audience qu'on est parti du soi-disant plan d'affaires D-1 et qu'on l'a modifié et amélioré en en retranchant certaines parties et en y intégrant les renseignements nouveaux, les corrections, les réponses aux questions, provenant de monsieur Rivard, de monsieur Leach, de madame Clavel et de monsieur Courville.  La preuve révèle plutôt qu'on est parti d'un document préparé par madame Clavel à partir de modèles existants, de lectures dont elle a intégré des extraits et des renseignements obtenus autour d'elle.  C'est ce document qui a servi de base au plan d'affaires, non D-1.

[70]         L'absence d'entente écrite au sujet du plan d'affaires ne change rien et ne prouve rien.  Monsieur Rivard dira n'avoir jamais confié ce mandat à JCL mais l'envoi à ce dernier de la table des matières dès le 19 septembre 2009 (courriel P-2) tend à démontrer le contraire, de même que tous les éléments de preuve ci-haut énumérés et le témoignage de monsieur Courville qui, rappelons-le, n'avait pas entendu madame Clavel témoigner.

[71]         Soulignons que monsieur Rivard a mentionné qu'il n'avait pas d'entente écrite entre lui et CMMI.  Il a versé 100 000$ à CMMI sur une simple poignée de mains, une entente verbale basée sur la confiance, précise-t-il.  Pourquoi ne serait-ce pas la même chose entre lui et JCL et qu'on ne retrouverait pas le même lien de confiance pour le plan d'affaires?

[72]         D'ailleurs, faut-il le souligner, il n'y eut pas davantage d'entente écrite pour la préparation par JCL des projections financières sur cinq ans reliées aux opérations (et non au financement qui, elles, faisaient partie du mandat initial) : CMMI devait d'abord les faire - certaines projections financières étaient en annexe du document D-1 mais les chiffres n'étaient ni fiables ni concluants - mais vu le défaut par cette dernière d'y procéder, JCL dut s'en charger.  Il s'agit aussi d'un mandat supplémentaire donné par monsieur Rivard à JCL qui le donna en sous-traitance à Bill Daicos.  Ces projections financières figurent en annexe du plan d'affaires et JCL fut payée pour ce travail additionnel.

[73]         Le Tribunal ne peut donner foi au témoignage de monsieur Rivard lorsqu'il affirme que le montant de 35 000$ inscrit en marge du plan d'affaires dans le document P-15 (page 6 de 9 - Soft Costs ) ne peut être que dans le cadre du mandat P-1 à l'étape 2, puisqu'il savait fort bien que la préparation du plan d'affaires en était expressément exclue.  L'exclusion est ainsi formulée en page 4 de la lettre-mandat :

«  Travaux exclus - Les travaux exclus tels que l'étude de marché, la préparation du plan d'affaires, les conseils juridiques, comptables, fiscaux feront l'objet de mandat distinct entre les tiers impliqués et 7084315 Canada Inc. »

[74]         Outre le fait que le plan d'affaires et le plan d'action prévu à l'item 2 du mandat P-1 soient deux choses tout à fait distinctes, soulignons que le mandat de JCL, en regard du plan d'affaires, se limitait, selon cette étape 2, à «  assister la direction de la Société à réviser le plan d'affaires. ».

(nos soulignements)

[75]         Or, les mots « réviser » et « préparer » ont des significations fort différentes.  La preuve en est que l'exclusion citée plus haut fait référence à la préparation du plan d'affaires.  Or, si l'on veut donner un sens à cette exclusion, il faut nécessairement conclure que « révision » et « préparation » n'ont pas la même signification.

[76]         Ajoutons enfin que les deux opérations (préparation et révision) ne requièrent pas le même investissement en temps, cela va de soi.

[77]         Les circonstances ont fait que le mandat initial a été substantiellement élargi par la suite, à telle enseigne que JCL a dû refaire le plan d'affaires soumis par CMMI à monsieur Rivard (D-1).  Il a été clairement mis en preuve que ce document D-1 n'était pas un plan d'affaires, que les institutions prêteuses exigeaient beaucoup plus et qu'au mieux, il pouvait être considéré comme un exercice de marketing. 

[78]         Même les projections financières qui l'accompagnaient ont été refaites au complet puisque Clavel et Courville se sont rendu compte que les hypothèses à la base de ces projections contenues dans D-1 n'étaient pas bonnes.

[79]         JCL dut faire le plan d'affaires parce que, malgré les modèles envoyés à monsieur Rivard, conformément à l'engagement pris dans le courriel du 4 septembre 2009 (D-7), pour l'aider à conseiller CMMI, cette dernière n'a pas livré la marchandise.

[80]         Plusieurs rencontres ont suivi celle du 17 septembre 2009 où JCL a reçu ce mandat additionnel afin de recueillir tous les renseignements relatifs au projet, tant techniques que financiers, nécessaires à la préparation du plan d'affaires.

[81]         L'interrogatoire après défense de monsieur Rivard, tenu le 13 juillet 2011, indique à plusieurs endroits que celui-ci recueillait certains renseignements de monsieur Leach, Baker ou d'autres, demandés par madame Clavel, et qu'il les retournait à celle-ci pour qu'elle les intègre au texte du plan d'affaires (N.S., pages 96 à 101).  Il en était de même des corrections apportées par Richard Leach : elles étaient toutes retournées à madame Clavel par monsieur Rivard afin qu'elle puisse les incorporer au plan d'affaires.

[82]         Le Tribunal est donc satisfait de la preuve de la demanderesse au sujet du mandat additionnel accordé à JCL de préparer le plan d'affaires et également au sujet du contenu de ce plan d'affaires qui, bien que corrigé, bonifié et complété par d'autres, émane essentiellement du travail intellectuel de madame Clavel. 

[83]         C'est ce que révèle le témoignage de madame Clavel en contre-preuve, qui a dit du document D-33 qu'il était un modèle amélioré de plan d'affaires qu'elle avait fourni à monsieur Rivard (D-33 est une version de décembre 2009) et qui est inspiré fortement d'un plan d'affaires trouvé sur Internet, qui vient de NextIQ et qui concerne le self-storage  ;  ce document a été commenté et modifié suite aux questions qui émanaient autant d'elle-même (sur les aspects techniques notamment) que d'autres intervenants (messieurs Rivard et Leach de CMMI), comme on peut le voir dans ce document.  Elle a arrimé toutes les réponses pour en faire éventuellement un tout cohérent qui est devenu le plan d'affaires P-4.

[84]         Elle a également « épluché », en contre-preuve, le document D-32, lequel avait précisément pour but de démontrer que madame Clavel n'était pas l'auteure du plan d'affaires.  Elle en a longuement commenté les différentes pages en contre-interrogatoire pour démontrer son apport et pour démontrer que les codes de couleur sont dans une large mesure inexacts.  Elle démontre que certaines pages du plan d'affaires P-4 et du document D-32, dont monsieur Rivard avait attribué la paternité à monsieur Leach, sont ni plus ni moins que des extraits d'un livre acheté par elle, qu'elle trouvait pertinents.

[85]         Elle n'a évidemment pas écrit chaque ligne du plan d'affaires, elle n'a pas inventé tout son contenu, mais c'est elle qui, comme on l'a vu, a intégré certains extraits de livres, a colligé des données obtenues de monsieur Rivard, de monsieur Leach ou de monsieur Baker, et a intégré les commentaires et corrections de l'équipe dans le texte du plan d'affaires pour en faire un tout cohérent, tant dans la présentation que dans le style.  Elle en a été le chef d'orchestre, pour ainsi dire.

[86]         La facture en litige (P-6) concerne la préparation dudit plan d'affaires dont les heures de travail figurent au document D-13.  Elle concerne aussi les frais de déplacement de monsieur Courville sur lesquels ce dernier a témoigné. La preuve, notamment dans l'interrogatoire après défense de monsieur Rivard, a démontré que ces déplacements étaient faits à la connaissance de ce dernier, qu'ils ont été autorisés par lui et que celui-ci a éventuellement consenti à les payer, prétendant même, dans un courriel envoyé en octobre 2010 (P-17), avoir envoyé le chèque à madame Clavel.

[87]         En l'absence d'une entente écrite sur le taux horaire de madame Clavel ou sur toute autre base d'honoraires, le Tribunal s'en remet à l'application classique des règles du quantum meruit , reconnues par l'article 2106 C.c.Q. [1] et par les tribunaux, et dont les principaux critères d'évaluation sont la compétence, l'expérience, le nombre d'heures consacrées, les difficultés rencontrées et le résultat obtenu.

[88]         L'honorable Michel Déziel de la Cour supérieure écrit en effet ceci dans l'affaire Dufresne Immobilier Ltée c. Excavations René St-Pierre inc . [2]  :

« [110]        Aucun accord de volonté n'étant intervenu entre les parties, la valeur des services rendus doit être calculée sur la base du quantum meruit. »

[89]         Le juge Déziel reconnaît ainsi, contrairement à ce qu'affirme la défenderesse dans sa plaidoirie, qu'il est possible qu'un contrat de services soit valablement formé sans que sa considération soit précisée.  Le Tribunal partage cet avis.

[90]         Il a été mis en preuve que madame Clavel avait déjà préparé plusieurs plans d'affaires, bien que pas nécessairement dans cette sphère d'activités (les mini-entrepôts), et que monsieur Courville en avait révisé plus d'une centaine.  L'expérience de ces deux personnes est donc acquise et le curriculum vitae de madame Clavel sur Linkedin (D-30) le confirme.

[91]         Le nombre d'heures consacrées à ce travail est indiqué à la pièce D-13 et les deux mandats y sont bien divisés.  Environ 300 heures ont été mises sur la  préparation du plan d'affaires et ce, sans compter la lecture des livres et des autres documents que madame Clavel a consultés (voir P-18 à cet égard) qu'elle n'a pas facturée. 

[92]         Il faut compter de plus la lecture et l'écriture des 100 courriels et des 70 documents transmis (ce sont les chiffres approximatifs avancés par monsieur Rivard durant son témoignage) de même que l'analyse de tous ces documents.  Si monsieur Rivard affirme dans son interrogatoire après défense (N.S. page 119) que le temps qu'il consacrait au plan d'affaires pouvait varier entre trois et quatre jours par semaine, on peut facilement conclure que madame Clavel en a fait au moins tout autant.

[93]         Le Tribunal, tel que mentionné plus haut, est satisfait de la preuve démontrant que le plan d'affaires émane essentiellement du travail intellectuel de madame Clavel et que les heures facturées sont tout à fait réalistes. 

[94]         Quant au résultat, il fut très positif si l'on en juge par les témoignages et par l'utilisation que CMMI a continué de faire du plan d'affaires après la résiliation du contrat. 

[95]         Enfin, le taux horaire de 150$ l'heure de madame Clavel paraît tout à fait raisonnable eu égard à son expérience de plus de quinze ans.  La preuve démontre (D-13, dernière page) qu'elle a réduit son temps facturable d'un nombre d'heures équivalant au travail de révision du plan d'affaires prévu à l'item 2 du mandat initial, cette étape n'étant plus requise.

[96]         Les frais de déplacement de monsieur Courville ont de plus fait l'objet d'une preuve non contredite.

[97]         Le Tribunal considère en conséquence la réclamation de JCL comme étant bien fondée.

2.   La demande reconventionnelle

[98]         Tel que dit précédemment, la défenderesse réclame en demande reconventionnelle le remboursement des frais de ses conseillers professionnels et des dépenses encourues par eux. 

[99]         En premier lieu, on peut s'interroger sur la responsabilité de la demanderesse à cet égard : pourquoi lui appartiendrait-elle de payer les honoraires et les dépenses des professionnels retenus par la défenderesse dans le cadre de son propre projet, sinon en application des articles 54.1 et suivants du Code de procédure civile?  

[100]      Au cours de l'interrogatoire après défense de monsieur Rivard tenu le 13 juillet 2011, Me Rothschild, procureur de monsieur Rivard, a indiqué qu'il s'agissait bien d'une réclamation en vertu des articles 54.1 et suivants C.p.c. (N.S., page 201, lignes 4 à 7).

[101]      L'article 54.1 C.p.c. se lit comme suit :

«  54.1.  Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.

L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics. »

[102]      Or, le Tribunal estime qu'il n'y a aucune démonstration que la requête introductive d'instance est abusive, frivole, dilatoire ou manifestement mal fondée.  Il n'y a pas non plus de preuve de mauvaise foi, ni d'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable de la part de la demanderesse.

[103]      De plus, la jurisprudence est claire sur les circonstances pouvant donner ouverture à l'octroi d'honoraires extrajudiciaires à titre de dommages : depuis même avant l'adoption des articles 54.1 C.p.c. et suivants, il faut prouver un abus du droit d'ester en justice, lequel est fort différent de l'abus de droit sur le fond.

[104]      En effet, que ce soit dans l'arrêt Viel [3] ou dans l'arrêt Royal Lepage [4] , ou encore plus récemment dans l'arrêt Simard Vincent [5] , la Cour d'appel a toujours relié la possibilité de réclamer des honoraires extrajudiciaires comme dommages à l'abus du droit d'ester en justice, que l'honorable André Rochon définit très bien dans l'arrêt Viel  :

« [75]    À l'opposé, l'abus du droit d'ester en justice est une faute commise à l'occasion d'un recours judiciaire.  C'est le cas où la contestation judiciaire est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défense. Ce sera encore le cas lorsqu'une partie de mauvaise foi multiplie les procédures, poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire. » [6]

[105]      Or, rien dans la preuve n'offre une telle démonstration.

[106]      En soi, ceci serait suffisant pour déclarer la demande reconventionnelle mal fondée en faits et en droit.

[107]      Mais il y a plus :  la preuve offerte par la demanderesse reconventionnelle est plutôt pauvre au plan des honoraires et déboursés de ces professionnels, voire même inexistante.

[108]      En premier lieu, monsieur Rivard a admis, lors de son interrogatoire après défense, ne pas avoir encouru de frais d'expertise comptable et que la somme réclamée (35 000$) ne représentait que les honoraires d'avocats qu'il estimait devoir payer :  

« Q -    O.K. Paragraphe 54, vous réclamez des frais pour les conseillers professionnels.  À quels conseillers professionnels faites-vous référence?

R -       Au cas où, que ce soit comptables, ou quoi que ce soit.

Q -       Non, mais vous dites que vous en avez pour trente-cinq mille (35,000), vous dites que vous demandez, vous réclamez le remboursement des frais de conseillers professionnels.  De quels conseillers professionnels vous parlez?

R -       Là c'est mes frais d'avocats, essentiellement.

Q -       Vos frais d'avocats reliés à quoi?

R -       Reliés à ici, à la cause. » [7]

(…)

Q -       Et dans le trente-cinq mille (35,000) qui est ici, est-ce qu'il y a d'autre chose qui… vous parlez de conseillers professionnels, c'est uniquement vos frais d'avocat?

R -       S'il y a besoin.

Q -       Non, mais il y a- tu d'autres frais qui font partie du trente-cinq mille (35,000)?

R -       On n'a pas encore terminé la cause.

Q -       Mais vous parlez de frais de comptabilité, quels frais de comptabilité vous parlez?

R -       C'est au cas où.

Q -       Mais quels frais de comptabilité, au cas où quoi?

R -       Bien, s'il faut que je fasse faire des vérifications par un comptable… [8]

(…)

Q -       O.K.     C'est tous les frais liés au litige, c'est uniquement lié au litige d'aujourd'hui?

R -       Tous les frais qui pourraient être liés au litige.

Q -       O.K. C'est juste ça qu'on parle?  Outre les frais d'avocat, est-ce que vous avez encouru des frais d'expert ou des frais de comptabilité jusqu'à maintenant relativement au litige qui est ici?

R -        Non.  » [9]

[109]      De plus, la défenderesse/demanderesse reconventionnelle a refusé au cours de l'instance, et notamment lors de ce même interrogatoire après défense de monsieur Rivard, de produire les factures au soutien de sa réclamation, invoquant le secret professionnel pour justifier ce refus.  Elle s'est même objectée formellement à donner suite à l'engagement #16 de produire les factures et les preuves de paiement. [10]

[110]      Ceci m'amène à décider à ce stade-ci de l'objection prise sous réserve quant à la production des notes d'honoraires de la firme d'avocats Davis et des preuves de paiement.

Objection quant à la production des notes d'honoraires

[111]      Tel que mentionné plus haut, la défenderesse a refusé, lors de l'interrogatoire après défense de monsieur Rivard, de faire sa propre preuve et de déposer les notes d'honoraires qu'aurait reçues monsieur Rivard ainsi que ses preuves de paiement.  Son procureur a alors invoqué le secret professionnel pour justifier ce refus et a indiqué qu'il les produirait après avoir « gagné » son procès au fond (N.S., page 197, lignes 17-18).

[112]      Au deuxième jour du procès, la défenderesse, sur sa demande reconventionnelle, a voulu retarder au lendemain le dépôt en preuve des factures (notes d'honoraires) au soutien de celle-ci puisqu'elle ne les avait pas sous la main.  Me Marchand s'y est objecté, soutenant que son confrère avait refusé de s'engager à les produire lors de l'interrogatoire après défense et que cette production est maintenant tardive.  On convient alors d'attendre au lendemain pour en décider.

[113]      Le lendemain, dernier jour d'audition, le procureur de la défenderesse tente de produire les notes d'honoraires du cabinet Davis mais le procureur de la demanderesse s'y objecte à nouveau, réitérant que son confrère avait refusé de faire sa propre preuve lors de l'interrogatoire après défense, en refusant de répondre à la demande d'engagement.  Il ajoute que Me Rothschild n'a pas respecté les articles 331.1 et suivants C.p.c. relatifs à la communication des pièces et que cette production est tardive.  Le Tribunal a décidé de prendre l'objection sous réserve.

[114]      Enfin, durant les plaidoiries, Me Rothschid a demandé à rouvrir l'enquête pour faire témoigner monsieur Rivard et tenter de produire les factures en preuve.  Le Tribunal a rejeté cette demande.

[115]      La crainte de se faire déclarer inhabile suite à sa renonciation au secret professionnel et de se voir forcé de se retirer du dossier fut invoquée par le procureur de la défenderesse à l'audience pour motiver sa décision antérieure de ne pas produire les factures au soutien de sa demande reconventionnelle.  Le Tribunal estime que cette crainte n'était et n'est pas justifiée.

[116]      En effet, selon la jurisprudence, une réclamation pour honoraires extrajudiciaires implique une certaine renonciation au secret professionnel en ce qui touche ces honoraires et l'entente client-avocat relative à ceux-ci.  La partie réclamante doit produire les factures ou notes d'honoraires faisant l'objet de la réclamation afin de permettre à la partie adverse d'être en mesure de les examiner minutieusement et de faire valoir pleinement sa défense à l'encontre de cette réclamation. 

[117]      C'est ce qui a été décidé par notre collègue, l'honorable Michel Girouard de la Cour supérieure, dans Delastek inc. et al c. Stéphane Cormier et al [11]  :

« [18]    Le Tribunal est d'avis que les défenderesses ont le droit d'être en mesure d'examiner avec minutie les détails d'une réclamation de plus de 300 000$ pour en contester le bien fondé.

[19]       Lorsque le demandeur réclame des honoraires extrajudiciaires et des frais, surtout pour un montant aussi important, il ne peut que renoncer en partie à invoquer le droit au secret professionnel qui lui appartient.

[20]       Il ne faut évidemment pas conclure qu'il renonce à tout ce qui est protégé par le secret professionnel. Cependant, il renonce à conserver secrète l'entente sur honoraires qu'il a conclue avec ses avocats et qui constitue la base de sa preuve de réclamation pour honoraires extrajudiciaires. »

[118]      Et la Cour ajoute ce qu'il est important pour la partie adverse de pouvoir vérifier dans l'examen de ces factures :

« [25]    Ce qui est important pour les défenderesses de vérifier sur les factures qui devront être déposées au soutien de la réclamation de monsieur Cormier, sont (sic) entre autres :

1)         Par qui les services professionnels ont été rendus;

2)         Le taux horaire des professionnels qui ont rendu les services lorsque les services ont été rendus;

3)         Le taux horaire habituel des professionnels qui ont rendu les services à la même date;

4)         Le temps consacré pour ces services rendus;

5)         La date des services rendus. »

[119]      La Cour d'appel avait déjà endossé cette position, notamment dans l'arrêt Groupe Radio Astral inc. c. Lavoie [12]  :

« Considérant par ailleurs qu'en réclamant à titre de dommage les honoraires professionnels et les déboursés qui seront encourus dans cette cause, l'intimé a renoncé tout autant au caractère privilégié de la convention d'honoraires intervenue entre lui et ses avocats. »

[120]      Il n'y a pas eu non plus dans le présent cas de demande de scission d'instance et les preuves sont closes.

[121]      L'objection de la demanderesse au dépôt des notes d'honoraires est donc bien fondée puisque la demande de dépôt est faite tardivement.  Mais vu la décision du Tribunal de ne pas faire droit à la demande reconventionnelle, la décision sur l'objection devient sans objet.

[122]      Les extraits de l'interrogatoire après défense cités plus haut dénotent à quel point la demande reconventionnelle n'était pas sérieuse :  aucuns frais d'expert n'ont été engagés selon l'aveu même de monsieur Rivard et la réclamation de 35 000$ se limite aux honoraires extrajudiciaires.  Toutefois, la preuve et les arguments en faveur de l'application des articles 54.1 et suivants C.p.c ont été à peu près inexistants.  Sans la qualifier d'abusive, le Tribunal n'hésite pas à affirmer que la demande reconventionnelle était à la limite du frivole et du dilatoire.  C'est pourquoi elle sera rejetée avec dépens.

[123]      Sur la demande principale, étant donné qu'il n'y a pas eu d'entente écrite sur le second mandat (le plan d'affaires) ni discussion sur le taux horaire ou sur le coût de ce mandat, le taux d'intérêt ne sera pas de 12% l'an mais plutôt le taux légal de 5% l'an, à l'exception du taux applicable aux frais de déplacement de monsieur Courville où le taux sera de 12% l'an puisque que le courriel du 14 octobre 2010 (P-17) démontre que monsieur Rivard a consenti à la pénalité de retard de 1% par mois.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

ACCUEILLE la demande de la demanderesse;

CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 42 723,19$ avec les intérêts au taux légal de 5% l'an et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 25 novembre 2010;

CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 3 504,81$ avec les intérêts au taux de 12% l'an et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 25 novembre 2010;

REJETTE la demande reconventionnelle de la défenderesse;

 

 

LE TOUT avec les entiers dépens contre la défenderesse.

 

 

 

 

 

__________________________________

SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

 

Me François Marchand

De Grandpré Chait

Procureurs de la demanderesse

 

Me David Rothschild

DAVIS s.e.n.c.r.l.

Procureurs de la défenderesse

 

 

Dates d’audience :

29, 30 et 31 août 2012

 



[1]     «  2106.   Le prix de l'ouvrage ou du service est déterminé par le contrat, les usages ou la loi, ou encore d'après la valeur des travaux effectués ou des services rendus. »

 

[2]     Dufresne Immobilier Ltée c. Excavations René St-Pierre inc. , 2005 CanLII 47402 (C.S.). Voir aussi Semeniuk c. Mayor , REJB 1998-06085 (C.S.), Consultants Simdan inc. c. Gestion Caron-Gervais inc.et al , AZ-99031009 (C.Q., 9 sept. 1998) et Struzer et al c. Le Roi du Smoked Meat inc . (2003 CanLII 21571 (C.S.).

[3]     Viel c. Entreprises immobilières du Terroir Ltée , [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)

[4]     Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada inc ., 2007 QCCA 915

[5]     Simard Vincent c. Conseil de la nation huronne-wendat , 2010 QCCA 178

[6]     Précité, voir note 3

[7]     Interrogatoire après défense du 13 juillet 2011, page 196, lignes 13 à 25

[8]     Idem, page 199, lignes 1 à 14

[9]     Idem, page 200, lignes 17 à 24

[10]    Idem, page 197 (objection #5)

[11]    Delastek inc. et al c. Stéphane Cormier et al , 410-17-000903-109, 410-17-000850-102 et 410-17-000949-110 (C.S., 7 octobre 2011)

[12]    Groupe Radio Astral inc. et al c. Serge Lavoie , REJB 2002-33357 (C.A.)