Perez c. Montréal (Ville de) |
2013 QCCS 2585 |
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COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-044709-080 |
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DATE : |
Le 29 mai 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MARIE-FRANCE COURVILLE, J.C.S. |
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JOSEPH PEREZ |
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NADAV PEREZ |
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NELLY SULTAN PEREZ |
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Demandeurs |
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c. |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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NICOLAS MICHAUD |
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NICOLAS BÉLANGER |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Alléguant que les défendeurs ont eu recours à une force plus grande que nécessaire et les ont injustement accusés d’entrave à un agent de la paix, les demandeurs leur réclament, ainsi qu’à leur employeur, des dommages de 183 741,99 $, 158 996,99 $ et 133 500,00 $.
[2] En défense, les agents Bélanger et Michaud plaident que le refus d’obéir et le comportement agressif et menaçant des demandeurs ont rendu nécessaires leur arrestation et les accusations d’entrave déposées contre eux.
LES FAITS
[3] La dénonciation reprochait à la demanderesse Nelly-Anne Perez (Mme Perez) d’avoir volontairement entravé l’agent Bélanger dans l’exécution de ses fonctions.
[4] Au demandeur Joseph Perez (M. Perez) l’on reprochait d’avoir exercé des voies de fait contre l’agent Michaud et d’avoir volontairement entravé son travail.
[5] Aucune accusation n’a été portée contre leur fils Nadav Perez (Nadav).
[6] Aux termes du procès, qui a nécessité plusieurs jours d’audition à la Cour municipale de Montréal, madame et monsieur ont été acquittés.
[7] Au début de son jugement très étoffé, le juge Laliberté pose les deux questions suivantes :
« [4] Insister pour que les policiers respectent nos droits et chercher à se renseigner auprès des policiers des motifs d’arrestation d’un membre de sa famille, est-ce que cela constitue une entrave au travail des policiers?
[5] Est-ce qu’écarter un policier afin de se frayer un chemin jusqu’au policier qui arrête un membre de sa famille afin d’obtenir des informations quant aux motifs d’arrestation constitue une voie de fait contre ce policier. » [1]
[8] Le juge Laliberté écrit que l’histoire est complexe parce qu’elle est constituée de rebondissements surprenants et qu’elle implique plusieurs personnes.
[9] De l’ensemble des témoignages entendus et de la preuve matérielle déposée, il retient et relate les faits pertinents.
[10] Pour la mise en situation du présent dossier, le Tribunal croit utile de reproduire les faits tels que narrés par le juge Laliberté [2] :
« [7] Un peu après minuit, le 16 mai 2008, un jeune homme quittant une fête privée est assailli et frappé au front avec un bâton de baseball. Sa blessure est grave et il est transporté à l’hôpital alors que son état de santé est précaire et que sa vie serait même en danger. À peu près au même moment, Nadaz [3] Perez, le fils des accusés, quitte cette fête et retourne chez lui au volant de sa Mercedes.
[8] Les policiers mandés sur les lieux reçoivent une description sommaire de l’assaillant et des motifs de l’agression : une transaction de drogue qui aurait mal tournée. Le suspect conduisait « une Mercedes grise, un peu carrée ». Quelques instants plus tard, par téléphone, les policiers reçoivent d’un informateur anonyme le numéro d’immatriculation de la Mercedes. Après vérifications dans leur base de données, ils obtiennent le nom du propriétaire, Nadaz Perez, fils des accusés et son adresse le […] à Dollard-des-Ormeaux.
[9] Ces informations sont relayées sur les ondes radio du Service de police de la Ville de Montréal.
[10] Les agents Bélanger et Giacomini patrouillant tout près sont les premiers à repérer le véhicule suspect, stationné au […] .
[11] Ils stationnent leur véhicule de police, en descendent et commencent à inspecter la Mercedes. Ils sont à la recherche du suspect, de l’arme, probablement un bâton et de la drogue.
[12] À l’intérieur du […], les deux accusés, M. et Mme Perez sont déjà au lit. Leur fils, Nadaz, est au sous-sol avec sa copine Nalima et regarde la télévision. La soeur cadette, Netta, est elle aussi, dans la résidence familiale, elle dort. Et il y avait également David, le frère de Mme Perez et Michael, son neveu.
[13] Le reflet des gyrophares au plafond de la chambre ou le faisceau lumineux de la lampe-torche des policiers attire l’attention de M me Perez. Elle croit alors que les policiers s’apprêtent à émettre un constat d’infraction parce qu’un de leurs véhicules est stationné en partie dans leur stationnement et en partie dans la rue alors que le stationnement de nuit est interdit par le règlement de la ville de Dollard-des-Ormeaux.
[14] Sommairement habillée, un t-shirt et un pantalon pyjama, elle descend rapidement les escaliers et va à la rencontre des policiers afin de leur expliquer que le véhicule sera déplacé. Nadaz la suit avec empressement à l’extérieur.
[15] L’agent Bélanger partage ses informations concernant l’agression armée, l’état précaire de la victime et le fait que Nadaz serait le suspect. Un bâton de baseball aurait été utilisé lors de l’agression.
[16] Nadaz nie son implication dans cette agression, il dit que ses amis lui ont récemment téléphoné pour l’en informer et il a offert aux policiers d’appeler ses amis qui confirmeront qu’il n’est pas impliqué dans ce crime.
[17] L’agent Bélanger lui demande la permission de fouiller la Mercedes, Nadaz consent sachant qu’il n’a rien à se reprocher. Il collabore avec les policiers : il entre dans la maison pour chercher les clés de la voiture. Puis à la demande de l’agent Bélanger, il retourne dans la maison pour cueillir le certificat d’immatriculation et son permis de conduire.
[18] L’agente Giacomini (ou Bélanger) entreprend de fouiller l’habitacle. D’abord à l’avant du véhicule et ensuite, derrière et sous les sièges. Elle ne trouve pas de bâton de baseball susceptible d’avoir été utilisé dans l’agression. Elle demande la permission de fouiller dans le coffre arrière de la voiture. Nadaz y consent également. C’est l’agent Bélanger qui fouille le coffre. La fouille est négative.
[19] L’agent Bélanger décide de poursuivre la fouille, mais cette fois-ci dans le coffre à gants. Nadaz indique à l’agent Bélanger que le coffre à gants est verrouillé et qu’il n’a pas la clé puisqu’il a acheté son véhicule usagé à l’encan et qu’il aurait dû débourser une centaine de dollars additionnels pour se procurer cette clé. Il n’a pas besoin du coffre à gants donc il n’a pas acheté la clé. L’agent Bélanger ne se formalise pas trop de cette difficulté, utilise un instrument métallique et tente de forcer la serrure du coffre à gants. Ne réussissant pas à l’ouvrir, l’agent Bélanger utilise son bâton télescopique.
[20] Vu les risques que le coffre à gants soit endommagé, Nadaz, s’oppose vigoureusement à cette façon de faire et retire la permission de fouiller.
[21] Il avise l’agent Bélanger qu’il connaît la loi et qu’il a besoin d’un mandat. L’agent Bélanger respecte la volonté de Nadaz, sort du véhicule et indique à Nadaz et à M me Perez qu’ils ne peuvent eux non plus prendre le contrôle du véhicule puisqu’il est l’objet de l’enquête.
[22] Madame Perez et Nadaz argumentent avec les policiers. Le désaccord est total. À un certain moment, M me Perez réussit à déjouer la vigilance des policiers, retourne près de la Mercedes et avec le pied, elle ferme la portière. La tension monte.
[23] Les versions deviennent contradictoires sur la suite des évènements.
[24] C’est un fait non contesté que l’agent Bélanger ait donné un coup de bâton à M me Perez.
[25] Toutefois, l’agent Bélanger affirme qu’il a été obligé de frapper M me Perez parce qu’elle et son fils Nadaz devenaient agités, voire menaçants et dangereux, pour sa sécurité et celle de sa collègue, il a agi à titre défensif.
[26] Nadaz et M me Perez proposent plutôt qu’ils auraient commis le crime de « lèse-policier » en retirant la permission de fouiller, en indiquant à l’agent Bélanger que la loi l’obligeait à obtenir un mandat, en téléphonant au 9-1-1 pour se plaindre du travail non professionnel de l’agent Bélanger dans sa tentative de fouille du coffre à gants, en exigeant que l’on dépêche sur les lieux un haut gradé de la police et en fermant la portière de la Mercedes.
[27] L’agent Bélanger aurait perdu son calme, aurait donné un coup de bâton sur la voiture pour provoquer Nadaz et sa mère pour finalement frapper M me Perez sur la poitrine. L’agente Giacomini, elle, n’avait pas encore sorti son bâton télescopique.
[28] La défense propose aussi que M me Perez ait été frappée une deuxième fois à la jambe, lors de la mise des menottes.
[29] À peu près au même moment, Nalita, Netta, David et Michael sortent de la maison. Ensuite M. Perez arrive, il est éberlué et abasourdi, ne sachant ce qui se passe.
[30] Pour la suite, les faits non contestés sont les suivants : Tout le monde se retrouve sur le gazon face au […]. Les esprits sont échauffés.
[31] M me Perez se plaint. Nadaz cri à la brutalité policière. L’agent Bélanger veut mettre en état d’arrestation Nadaz en tant que suspect de l’agression armée contre la victime impliquée dans la transaction de drogue et M. Perez, endormi, sous le choc, cherche à savoir pourquoi on arrête son fils et pourquoi sa femme a été frappée.
[32] Les agents Bélanger et Giacomini demandent du renfort.
[33] Arrivent rapidement sur les lieux, le sergent Theosmy, l’agent Trottier et l’agent Michaud. Plus tard, d’autres véhicules de police viendront.
[34] Afin de permettre à l’agent Bélanger de conclure l’arrestation de Nadaz, l’agent Michaud, accompagné de l’agente Trottier, prend en charge M. Perez.
[35] Il le prend par le bras pour l’inviter à s’éloigner de la scène d’arrestation et lui demande de se calmer.
[36] M. Perez n’obtempère pas. Il cherche à savoir pourquoi Nadaz est en train de se faire menotter et arrêter. Son fils est maintenant à plat ventre dans le gazon et est contrôlé par l’agent Bélanger et deux autres policiers. Il veut des informations et il cherche à les obtenir en tentant de se rendre auprès de son fils, de sa femme et de l’agent Bélanger. À cette fin, il pousse l’agent Michaud à la poitrine pour se frayer un chemin et se rendre jusqu’à l’agent Bélanger afin d’obtenir des informations.
[37] L’agent Michaud, bon prince, décide de ne pas tenir rigueur à M. Perez pour ce geste et explique qu’il ne l’a pas mis en état d’arrestation parce que : « lui, il me mentionne que les policiers ont frappé sa femme. À ce moment-là, moi, je reste…je me dis… je ne procéderai pas à l’arrestation de M. Perez à ce moment-là. Écoutez, il a vécu quelque chose. Sur le coup de l’émotion , il m’a poussé ». (Nos soulignements)
[38] Les versions redeviennent contradictoires sur les éléments suivants de cette partie de l’histoire.
[39] L’agent Michaud ainsi que l’agente Trottier prétendent que M. Perez ne s’est pas calmé malgré l’invitation à ce faire et qu’au contraire, au lieu de s’éloigner de la scène d’arrestation, il s’est donné un élan, fonce à nouveau sur l’agent Michaud et le pousse sur sa veste pare-balles avec une force suffisante pour briser son équilibre et l’obliger à reculer d’un pas. Ceci étant, l’agent Michaud aurait avisé M. Perez qu’il était maintenant en état d’arrestation pour voies de fait sur un policier. Mais compte tenu du niveau d’électricité dans l’air, il ne l’arrête pas physiquement immédiatement. Il décide d’emmener M. Perez près du perron de la maison pour l’informer et le calmer.
[40] M. Perez nie à la cour avoir frappé l’agent Michaud et propose que la décision de l’arrêter et de l’accuser a été prise beaucoup plus tard et exclusivement en réaction à un appel placé au 9-1-1 par un autre membre de la famille qui portait plainte contre les policiers parce qu’ils ont frappé M me Perez et qui demandait qu’on envoie de nouveaux policiers voire même un commandant.
[41] La vidéo produite en défense établit essentiellement les faits pertinents suivants.
[42] C’est Netta, la fille des accusés, qui a filmé une partie des évènements. Malgré qu’elle affirme dans la vidéo à de multiples reprises qu’elle a tout filmé, il est clair qu’elle n’a pas filmé ni la fouille du véhicule par l’agent Bélanger, ni le ou les coups de bâton télescopique de l’agent Bélanger sur sa mère, ni la mise au sol de son frère Nadaz lors de la procédure d’arrestation, ni la ou les poussées par M. Perez sur la veste pare-balles de l’agent Michaud.
[43] La vidéo montre pendant quelques secondes la fin de l’arrestation de Nadaz c’est-à-dire lorsqu’on le relève après qu’il ait été menotté. Quant à M me Perez, la vidéo montre qu’elle est déjà assise, menottée, dans une autre voiture de police.
[44] Elle montre aussi une longue discussion entre l’agent Michaud et M. Perez près du perron de la maison.
[45] Et cette vidéo montre également un aveu de M. Perez dans les termes suivants lors de sa discussion avec l’agent Michaud :
M. Perez :
- Vous avez l’air d’écouter et de comprendre. Mais ce n’était pas ça le cas du policier. C’est ça qui me dérange. Je comprends qu’il veut faire bien son travail. Mais il ne peut pas dépasser les normes. Il (Nadaz) a des parents… Est-ce que nous on va prendre la maison et la déplacer. Il sait très très bien où il habite. Il a stationné ici. Alors, pourquoi ne pas faire comprendre qu’est-ce qui se passe.
Agent Michaud :
- Monsieur quand vous vous êtes calmé et que vous avez arrêté de me pousser…
M. Perez :
- Mais il a frappé ma femme, je reviens à ça, je ne comprenais pas moi. Ça frappait de tous les bords.
s’adressant à Netta :
- Tu te tais, tu te tais. Parce que s’il avait parlé comme ça, on ne serait pas arrivé à ces folies.
s’adressant à Michaud :
- Écoutez, écoutez, il frappe ma femme. Moi je ne cherchais pas des histoires. Je voyais que le gars… j’ai dit, c’est pas digne d’être policier.
Agent Michaud :
- Comme je vous dis, quand je suis arrivé, j’ai essayé de seulement aller vous voir vous. Okay. Pour calmer la situation vous aviez pas affaire à me pousser, okay.
M. Perez :
- Je ne vous ai pas poussé.
Agent Michaud :
- Pis quand vous vous étiez calmé, je vous ai dit ce qui se passait.
M. Perez :
- Je ne vous ai pas poussé. J’essayais de voir parce qu’il avait de tous les bouts… Je vous dis la vérité… je ne voyais même pas de visage. J’étais énervé. Je sors de mon lit. Elle me lève, j’étais en train de ronfler…
Agent Michaud :
- Je peux comprendre votre situation là Monsieur… Mais quand moi j’arrive, que j’essaie de vous expliquer qu’est-ce qui se passe, vous avez pas d’affaire à me pousser. Vous avez pas d’affaire à …
M. Perez :
- J’ai fait des gestes anormals. Je l’accepte. Mais je ne les ai pas fait comme ça, volontairement . Je l’ai fait parce que je trouvais la situation de, …de…, de…, de…, d’un peuple qui n’est pas civilisé. J’ai dit qu’est-ce qui se passe? Donnez-moi… Qu’est-ce qui se passe? C’était rien que ça . Il frappe ma femme. Mais… je ne peux accepter comme ça, un policier qui travaille la nuit… (Nos soulignements)
Agent Michaud :
- Est-ce que vous pouvez comprendre la situation aujourd’hui qu’un petit gars qui est dans le coma présentement, okay, …, nous autres on était…
M. Perez :
- À 100 %. Mais qu’il explique! (Nos soulignements)
Netta :
- Papa ne dit plus rien. Il y a l’avocat. J’ai tout filmé.
(transcription libre par le soussigné à partir de l’enregistrement audio)
[46] Cette opération policière se conclut par l’arrestation de M. et M me Perez ainsi que de leur fils Nadaz.
[47] Monsieur Perez et son fils Nadaz sont écroués au Centre opérationnel ouest du S.P.V.M.
[48] Madame Perez est démenottée et libérée sur les lieux.
[49] Plus tard dans la nuit, les deux messieurs Perez sont relâchés.
[50] Monsieur et M me Perez font face aux présentes accusations. Le fils Nadaz, pour sa part, ne sera jamais accusé de voies de fait contre le jeune homme, l’enquête policière ayant démontré qu’il n’était pas impliqué d’aucune façon dans ce malheureux évènement.
[51] Ce sont là essentiellement les faits non contestés et les contradictions matérielles pertinentes pour la résolution de la présente affaire. »
[11] Aux personnes entendues par le juge Laliberté s’ajoute, dans le présent dossier, l’agent Giacomini, coéquipière de l’agent Bélanger. Son témoignage fait état des éléments suivants :
- Elle demande à Mme Perez d’aller vérifier si son fils est à la maison et celui-ci sort avec sa copine.
- Elle perçoit une odeur d’alcool et Nadav dit avoir consommé 4 bières.
- Nadav lui confirme qu’il se trouvait à un party chez son ami Albert, au [...], lieu de l’agression, et qu’il est de retour depuis 45 minutes.
- Elle veut parler à Nadav de façon confidentielle, mais Mme Perez insiste pour demeurer sur les lieux, pose des questions et nuit au travail d’enquête des agents.
- La fouille du véhicule est effectuée en partie par elle, notamment le coffre, alors que l’habitacle est fouillé par les deux policiers. Ceux-ci notent la présence de résidus de marijuana sur les sièges et dans le porte-gobelet.
- Lorsqu’ils lui demandent d’ouvrir le coffre à gants, Nadav change radicalement d’attitude.
- Elle appelle son superviseur pour qu’il se rende sur les lieux avant que Nadav ne fasse de même un peu plus tard.
- Lorsqu’elle tente de lui parler un peu à l’écart de la voiture, Nadav crie et gesticule.
- Devant cette situation, l’agent Bélanger se dirige vers elle et Mme Perez en profite pour fermer la porte du véhicule et la verrouiller.
- Selon elle, en aucun temps l’agent Bélanger ne force le coffre à gants de la voiture et, en aucun temps, il ne frappe la portière de la voiture de Nadav, ni ne frappe Mme Perez à la poitrine.
- Peu après que Mme Perez ait fermé les portes du véhicule, les autres membres de la famille sortent et les encerclent.
- Parce que les membres de la famille crient, gesticulent et s’approchent, les agents Bélanger et Giacomini se sentent menacés, sortent leur bâton et leur demandent de reculer ou de cesser d’avancer. Comme Mme Perez n’obéit pas, l’agent Bélanger, dans un geste d’autodéfense, frappe Mme Perez avec son bâton télescopique à la jambe gauche.
- Les renforts policiers arrivent presque immédiatement.
- Nadav est maîtrisé et menotté par les agents Bélanger, Giacomini et le superviseur Théosmy.
- Mme Perez nuit à leur travail pendant qu’ils procèdent à l’arrestation de Nadav.
- Nadav est arrêté pour agression armée et entrave, et ses droits lui sont exposés. Il dit que son avocat aura beaucoup de plaisir avec eux.
- Giacomini reconnaît avoir rédigé son rapport en même temps et au même endroit que l’agent Bélanger. Mais la préparation de son témoignage à la Cour supérieure s’est faite en l’absence de son collègue, tout comme son témoignage.
[12] Aux faits ci-dessus reproduits, le Tribunal n’ajoute que les éléments évoqués lors de la présente audition, par l’une ou l’autre des parties impliquées, qui permettront de décider du litige :
- Les agents Bélanger et Giacomini se rendent au [...] après la déclaration d’un témoin qui affirme avoir vu la Mercedes de Nadav quitter les lieux où les voies de fait sur un individu se sont produites.
- Les communications entre les policiers sur les ondes radio (Pièce VM-10) démontrent :
· que le seul témoin de l’agression refuse de faire une déclaration ou de rencontrer les policiers;
· que ceux-ci ne possèdent aucune description du suspect;
· qu’il était question d’une agression avec un bâton de baseball. (Pièces VM-10 et VM-2, p. 2).
- Compte tenu de sa dimension (4 po. X 6 po.), le coffre à gants ne peut contenir un bâton de baseball.
- L’agent Bélanger ne saisit pas les résidus de marijuana, qu’il dit avoir vu dans l’habitacle de la voiture, et que Nadav prétend être des miettes de sandwich. Il admet qu’il avait besoin de la permission de Navav pour fouiller la voiture et, qu’une fois la permission retirée, il devait obtenir un mandat.
- À la suite des incidents, et malgré son arrestation, aucune accusation n’est portée contre Nadav.
DISCUSSION
[13] « Le jugement pénal reste cependant un fait juridique important » écrivent les auteurs Baudouin et Deslauriers dans leur Traité de responsabilité civile. Et ils ajoutent :
« Il apparaît difficilement concevable qu’un juge civil puisse l’ignorer complètement, ne lui accorder aucune foi, surtout au prix d’une contradiction flagrante entre les deux jugements. Ainsi, il serait curieux d’admettre, après un procès pénal où l’accusé a plaidé non coupable, mais a été reconnu coupable et a été condamné, par exemple, pour négligence criminelle, qu’un juge civil déclare subséquemment que l’individu, sur le plan de sa responsabilité civile et à propos des mêmes faits, s’est conduit en personne prudente et diligente. » [4]
[14] La recevabilité d’un jugement prononcé par une cour de juridiction pénale ou criminelle s’explique, écrit monsieur le juge Pelletier de la Cour d’Appel, par :
« […] l’importance pour la saine administration de la justice d’éviter dans la mesure du possible les contradictions flagrantes entre jugements, fussent-ils le fruit de deux processus judiciaires distincts tant par leur objet que par les règles de preuve qui les gouvernent. À n’en pas douter, l’image de la justice s’accommode mal de jugements en apparence contradictoires » [5]
[15] Tout en reconnaissant que le juge du procès civil n’est pas lié par les conclusions de fait et les constats du juge du procès criminel, monsieur le juge Pelletier note que le juge doit s’attarder à la problématique avant de parvenir à une appréciation des faits entrant en contradiction directe avec celle sous-entendant le jugement final de la Cour criminelle lorsque la transcription complète des témoignages est mise en preuve en Cour supérieure (par. 50).
[16] En présence de récits partiellement inconciliables, le Tribunal doit juger du degré de crédibilité qu’il convient d’accorder aux uns et autres et ainsi se former une opinion sur la version prépondérante. Il ne faut, toutefois, pas oublier qu’un témoin peut mentir en donnant toujours la même version et qu’il ne ment pas nécessairement lorsque sa mémoire fait défaut et qu’il ne répète pas toujours le même récit.
[17] Lorsqu’il est questionné par les agents Bélanger et Giacomini sur l’agression armée, Nadav nie catégoriquement les faits reprochés et fournit des explications qui rendent les soupçons hautement improbables. Il suggère même de contacter la victime, qu’il connaît personnellement, pour obtenir la confirmation qu’il n’est pas impliqué. Mais, les agents n’effectuent aucune démarche pour vérifier ses assertions.
[18] De l’aveu de tous, Nadav est très coopératif jusqu’à ce que les agents fouillent l’habitacle de sa voiture et tentent d’ouvrir le coffre à gants fermé à clé, en d’autres mots, cherchent autre chose que le bâton de baseball utilisé lors de l’agression armée.
[19] Les versions des agents Bélanger et Giacomini sur la fouille du véhicule de Nadav sont contradictoires.
[20] L’agent Giacomini témoigne qu’elle était en charge de la fouille de l’habitacle, qu’elle a essayé d’ouvrir le coffre à gants, trouvé des résidus de marijuana et informé Nadav de cette découverte.
[21] L’agent Bélanger prétend avoir effectué la fouille et tenté d’ouvrir le coffre à gants, uniquement avec ses mains, et découvert de la marijuana que Nadav a suggéré être des miettes de sandwich.
[22] Alléguant ne jamais en avoir eu la clé, Nadav refuse d’ouvrir le coffre à gants surtout qu’un bâton de baseball (l’objet qui aurait servi à l’agression et que les agents recherchaient dans la voiture de Nadav) est trop gros pour y être caché. Il soutient que l’agent Bélanger a voulu ouvrir le coffre à l’aide d’un objet métallique risquant ainsi de l’abîmer.
[23] Nadav s’oppose alors à ce que la fouille se poursuive sans mandat et requiert la présence d’un superviseur. L’agent Giacomini en fait la demande. Mais, peu de temps après, Nadav appelle le 9-1-1 et demande lui aussi un superviseur pour contrôler les gestes des agents Bélanger et Giacomini.
[24] Dès que Nadav signifie qu’il retire son consentement à la fouille de son véhicule, les agents Bélanger et Giacomini ont besoin d’un mandat de perquisition pour continuer leur enquête. L’agent Bélanger le reconnaît au cours de son témoignage.
[25] Vu l’absence de danger imminent et d’urgence, les agents Bélanger et Giacomini auraient dû se retirer dans leur voiture et surveiller les lieux de la rue pour s’assurer qu’aucune preuve ne soit retirée de la voiture de Nadav en attendant le mandat.
[26] Les agents avaient peut-être raison de douter de la totale honnêteté de Nadav, mais comme ils n’avaient pas trouvé l’objet de leur recherche (le bâton de baseball), ils devaient retraiter.
[27] Pour expliquer qu’il n’ait pas quitté le terrain des Perez et retraité dans sa voiture pour apaiser la situation, l’agent Bélanger affirme au procès qu’il était prisonnier des Perez alors que, dans son interrogatoire au préalable, il dit qu’il ne s’est jamais retiré en sept ans de service.
[28] La conduite des agents aurait dû tendre à dissoudre les tensions et non à les augmenter [6] . Or, c’est leur entêtement à rester sur place et à continuer à exercer leur autorité sans justification, ni motif raisonnable, qui a été en grande partie responsable du dérapage qui a suivi.
[29] L’agent Giacomini tente de maîtriser Nadav qui crie très fort. Tellement fort, écrit l’agent Bélanger, « qu’il craint pour la sécurité de sa partenaire » et décide de la rejoindre pour procéder à l’arrestation de Nadav [7] .
[30] Mme Perez en profite pour se diriger vers le véhicule et verrouiller les portes. L’agent Bélanger revient vers Mme Perez et la frappe.
[31] C’est à ce moment que trois autres personnes (deux hommes et une femme) sortent de la maison.
[32] Les agents soutiennent qu’ils se sont sentis menacés parce que les autres membres de la famille les ont alors encerclés.
[33] Questionnés sur la menace appréhendée, ils répondent que « les personnes criaient très fort et avaient les bras en l’air ».
[34] Du récit des incidents, le Tribunal retient :
· Aucun coup physique n’a été porté par les demandeurs sur les défendeurs ou les autres agents durant tout le déroulement des événements.
· Aucune intervention forcée ou musclée, ni aucun assaut n’a été commis sur les agents par un des membres de la famille;
· Personne n’a même pris une position d’attaque face aux agents;
· Aucun des membres de la famille n’avait dans les mains un objet quelconque pour attaquer, aucun n’a bousculé ou frappé un policier (seul M. Perez repoussera plus tard l’agent Michaud).
· La fille des Perez était occupée à filmer la scène, et non à intervenir, et le frère de Mme Perez se serait même agenouillé à la demande d’un policier et parlait au téléphone.
· Il est difficile d’imaginer une action concertée de la part d’individus réveillés à une heure du matin, et qui ne savent pas ce qui se trame avant de sortir, et pas tous en même temps, de la maison;
· Pourquoi, Nadav aurait-il voulu appeler un superviseur pour contrôler le travail des agents Bélanger et Giacomini, s’il avait été coupable de quelque chose?
[35] Dans le contexte de toute la preuve, les témoignages des demandeurs sont cohérents et constants depuis le début. Leur version varie uniquement sur des détails mineurs qui ne minent pas leur crédibilité et qui sont sans conséquence sur l’issue du présent litige. Il faut également rappeler que le juge Laliberté a accordé une grande fiabilité à leur version.
LA RESPONSABILITÉ
[36] Dans la cause Peterkin c. Montréal (Communauté urbaine) [8] , madame la juge Alary expose les normes de la responsabilité des policiers dans les termes suivants :
« 63 Dans un texte intitulé « L’indemnisation des dommages causés par la police », le juge Jean-Louis Baudouin et le professeur Claude Fabien étudient les règles applicables en matière de responsabilité des policiers. Les auteurs concluent que les règles générales de la responsabilité civile issues du Code civil du Québec s’appliquent. Quant à l’employeur du policier, il répond envers la victime du dommage causé par le policier, son employé. Afin de démontrer la responsabilité personnelle du policier, quatre conditions doivent être réunies, à savoir : la faute, le dommage, le lien de causalité ainsi que la capacité de l’auteur de la faute de prévoir les conséquences de son comportement [9] .
64 En ce qui concerne la faute, le Tribunal appelé à évaluer le comportement des policiers doit se demander si ce comportement s’écarte de la diligence et de la compétence normale du policier moyen, dans les mêmes circonstances.
65 Dans l’arrêt Jauvin c. Le Procureur Général du Québec et Bertrand Poirier, il est précisé que :
« Le policier ne bénéficie pas d’une immunité législative ou jurisprudentielle. Il est civilement responsable, comme tout citoyen des dommages causés par sa faute dans l’exécution de ses fonctions. La norme de la faute simple doit être appliquée dans la détermination de sa responsabilité [10] . »
66 Le Tribunal doit également tenir compte des circonstances externes entourant les évènements qui donnent lieu à la réclamation. »
[37] À la lumière de ces normes, il faut conclure que les défendeurs ont commis une faute ayant causé des dommages aux demandeurs.
[38] Pour l’agent Bélanger, Mme Perez a entravé le travail des policiers en fermant la porte de la voiture de son fils. Il explique que cette fermeture aurait rendu le travail des enquêteurs plus difficile si un mandat avait été obtenu.
[39] Mais, c’est en fait une entrave purement « spéculative » car aucun mandat n’a été demandé par les policiers. Par ailleurs, le geste de Mme Perez n’a pas pu entraver le travail de l’agent Bélanger, car celui-ci a admis qu’il n’avait plus le droit de fouiller une fois la permission retirée par Nadav.
[40] L’agent Bélanger ne décrit aucune agressivité particulière de Mme Perez sauf dire qu’elle avait les mains en l’air, parlait fort, et criait, ce qui est un signe avant-coureur d’agression selon lui.
[41] Il s’agit en fait d’une crainte bien subjective et surestimée car l’agent Bélanger admet que Mme Perez ne l’a pas touché et qu’elle n’avait, dans les mains, aucun objet dont elle aurait pu se servir pour attaquer.
[42] L’agent Giacomini considère plutôt que c’est le comportement général de Mme Perez qui a dérangé les policiers.
[43] Mais cette affirmation vague ne peut servir fondement à l’allégation, car l’agent Giacomini n’a pas identifié de geste précis d’entrave :
« Exiger des informations, réclamer ses droits et demander au SPVM que l’on dépêche sur les lieux un officier supérieur pour se plaindre des services d’un policier ne sont pas des crimes reconnus en droit pénal canadien. » (P-3, paragraphe 92)
[44] Étant donné les témoignages non-concordants des deux premiers policiers arrivés sur les lieux sur les motifs de l’arrestation de Mme Perez, il n’existe donc pas de preuve prépondérante sur l’entrave à leur travail qu’elle aurait commise.
[45] C’est pourquoi le Tribunal considère que le témoignage de l’agent Giacomini en Cour municipale n’aurait pas changé l’analyse du juge Laliberté et sa conclusion, que le Tribunal fait sienne :
« […] la preuve démontre clairement que l’agent Bélanger ne pouvait entretenir de motifs raisonnables et probables de croire que M me Perez avait entravé son travail et il ne pouvait donc l’arrêter légalement. » (paragraphe 91)
[46] Après que Mme Perez eut fermé les portes du véhicule de son fils, l’agent Bélanger dit s’être approché d’elle et lui avoir seulement mis la main sur l’épaule pour la repousser.
[47] Mme Perez avance plutôt que l’agent Bélanger l’a frappée à la poitrine avec son bâton télescopique. Sa version est confirmée par son fils que la manœuvre a révolté.
[48] L’agent Giacomini assure que son coéquipier n’a pas porté un tel coup.
[49] Pour accréditer sa version, l’agent Bélanger explique qu’il a reconnu dans son rapport avoir, un peu plus tard dans la suite des événements, donné un coup de bâton sur la cuisse de Mme Perez. Cette mention signifierait, selon lui, qu’il n’a pas frappé la poitrine de Mme Perez.
[50] Lors de son interrogatoire tenu le 28 novembre 2008 par le procureur des policiers, Mme Perez témoigne avoir reçu un coup sur la poitrine de la part de l’agent Bélanger et, à la demande du procureur, elle dépose le rapport de l’examen médical qu’elle a subi le lendemain (P-9). Or ce rapport indique que Mme Perez a un bleu à la poitrine.
[51] En l’absence d’indication sur une autre provenance, il n’y a pas lieu d’attribuer cette marque à autre chose que le coup de l’agent Bélanger, comme le suggère le procureur de ce dernier en argumentation.
[52] Ce n’est pas parce que les cours théoriques de formation des policiers enseignent de ne pas frapper la poitrine, qu’en pratique il ne se produit pas des écarts à l’occasion.
[53] Parce qu’elle s’est occupée de Nadav pendant une bonne partie des événements, l’agent Giacomini n’a pas nécessairement été témoin de tous les échanges entre l’agent Bélanger et Mme Perez. Son témoignage ne peut donc pas servir de corroboration à celui de son collègue sur ce point.
[54] Compte tenu de tous les éléments mis en preuve, le Tribunal retient la version de Mme Perez.
[55] Des accusations d’entrave et de voies de fait ont été portées contre M. Perez.
[56] L’on reprochait à M. Perez d’avoir écarté physiquement l’agent Michaud pour se frayer un chemin jusqu’au cœur de l’action, soit l’arrestation de son fils et de sa femme par l’agent Bélanger.
[57] Endormi et inquiet, lorsqu’il sort de sa résidence, M. Perez est dépassé par les événements impliquant sa femme, son fils et les policiers, et il veut en savoir davantage. C’est pourquoi il tente de s’approcher d’eux, ce que l’agent Michaud veut éviter à tout prix.
[58] Par ailleurs, M. Perez est frustré de voir que l’agent Michaud n’effectue aucune vérification de la légalité de l’intervention de l’agent Bélanger après qu’il l’eut informé que ce dernier avait frappé sa femme.
[59] Il nie avoir poussé l’agent Michaud une première fois et soutient plutôt s’être dégagé le bras de l’emprise exercée par l’agent Michaud. Une deuxième poussée serait survenue par la suite. Dans le vidéo tourné lors des événements, M. Perez affirme ne pas avoir poussé l’agent.
[60] Il est difficile de déterminer qui s’est dégagé de l’emprise de l’autre. Cependant le vidéo montre que M. Perez s’éloigne sans difficulté de l’altercation qui a cours avec son fils Nadav. Il obéit, n’offre pas de résistance physique, n’agresse personne : il est calme et posé.
[61] De courte durée, les gestes de M. Perez furent posés dans une situation très émotive.
[62] Considérant toutes les circonstances, il est difficile de penser que M. Perez, à ce moment précis, savait que ses gestes constituaient des voies de fait à l’égard de l’agent Michaud et avaient pour effet de nuire à l’exécution du travail policier.
[63] L’on ne peut croire que M. Perez avait ce but prohibé à l’esprit lorsqu’il a posé les gestes reprochés [11] , car il a témoigné avoir servi de « bouclier humain » pour protéger sa femme et son fils contre l’agent Bélanger.
[64] De toute évidence, l’agent Michaud a considéré le geste de M. Perez comme un défi à son autorité.
[65] Lorsque le renfort policier arrive, Nadav obéit à l’ordre de se coucher au sol, mais n’obtempère pas à celui de se mettre les mains dans le dos pour être menotté. Trois policiers sont nécessaires pour réaliser la manœuvre. Nadav est mis en état d’arrestation. Par la suite, il est amené au Centre Opérationnel Ouest du SPVM.
[66] Nadav prétend que les policiers ne l’ont jamais informé des motifs de son arrestation et ne lui ont pas communiqué ses droits. Cependant il reconnaît qu’au Centre Opérationel on l’avise qu’il est arrêté pour agression armée. Par ailleurs, il a dû mentionner aux policiers que Me Benamar s’occupait de ses contraventions, car le dossier contient une note à cet effet.
[67] Les agents Bélanger et Giacomini devaient avoir non seulement une croyance subjective mais aussi objective qu’une infraction avait été commise par Nadav [12] .
[68] Il n’était pas requis qu’ils aient, à ce stade, tous les éléments nécessaires pour qu’un verdict de culpabilité soit rendu, mais ils devaient néanmoins avoir une preuve suffisante leur permettant de croire que la culpabilité de Nadav pouvait être démontrée hors de tout doute raisonnable [13] .
[69] Dans D.(R.) c. L.(D.) [14] , le juge Guthrie conclut à la faute du policier qui avait omis de faire une enquête adéquate et de recueillir ainsi tous les renseignements disponibles qui lui auraient permis de découvrir rapidement qu’il s’engageait sur une mauvaise piste.
[70] Dans le présent dossier les agents, qui enquêtaient sur une dénonciation non-corroborée, n’ont pas vérifié les remarques exculpatoires formulées par Nadav, notamment auprès de sa copine présente sur les lieux.
[71] Au cours de leur recherche pour obtenir le nom et l’adresse du propriétaire de la Mecedes suspecte, les agents Bélanger et Giacomini n’ont pas été informés qu’ils avaient affaire à un homme dangereux ou à un criminel possédant un casier judiciaire.
[72] Après le retrait de l’autorisation de Nadav, la fouille de sa voiture n’était plus permise et le fait par les agents Bélanger et Giacomini de vouloir contrôler la voiture était illégal et constitue une faute de leur part.
[73] Au lieu de se retirer et de surveiller la voiture à distance en attendant un mandat, les agents sont restés sur le terrain des demandeurs augmentant ainsi la tension et, surtout, provoquant toute la saga qui s’en est suivie :
« Il est raisonnable de s’attendre d’un policier confronté à de telles circonstances qu’il réagisse avec mesure et que sa conduite tende à dissoudre les tensions plutôt que de les alimenter. Il s’agit d’une norme de conduite exigeante; elle correspond toutefois à la nature même de la fonction de policier qui s’accomplit bien souvent dans un climat tendu voire dramatique. » [15]
[74] De plus, Nadav n’est pas d’un gabarit inquiétant pour les agents. Malgré tout, l’agent Bélanger estime que la sécurité de sa coéquipière est menacée lorsqu’elle intervient auprès de Nadav, de sorte qu’il s’éloigne de la voiture et accourt vers elle.
[75] Dès le lendemain matin, Nadav a été libéré, sans condition, des accusations d’agression armée et d’entrave.
[76] Même une arrestation, par ailleurs légale, peut entraîner la responsabilité des policiers si, en effectuant cette arrestation, ils se comportent de manière injustifiée et excessive et, par leur faute, causent un préjudice.
[77] C’est ce qui est arrivé lors de l’arrestation de Nadav.
LES DOMMAGES
[78] Les dommages-intérêts accordés par les tribunaux visent à compenser les dommages moraux, le stress psychologique, et les douleurs, souffrances et inconvénients subis par la victime suite à une arrestation illégale et abusive. L’analyse de la jurisprudence montre que les sommes attribuées varient entre 1 500 $ et 20 000 $ [16] .
[79] Seules des circonstances exceptionnelles, que l’on ne retrouve pas dans le présent dossier, ont donné lieu à l’octroi de dommages plus importants [17] .
[80] Jusqu’alors sans antécédent judiciaire, Mme Perez a été photographiée au Centre de détention et ses empreintes digitales ont été prises. Elle a dû se présenter en Cour municipale à plusieurs reprises parce que le procès a été long et qu’il y a eu des reports de l’audition en raison de la non-disponibilité des policiers.
[81] Parce que « tout est devenu noir » et qu’elle pleurait souvent, elle a consulté un psychologue (P-6). Le médecin lui a prescrit des antidépresseurs qu’elle a pris pendant une semaine seulement. Madame Perez n’a toutefois pas évoqué qu’elle a vécu des angoisses bien longtemps.
[82] Femme d’affaires avertie, il n’y a aucune preuve que les incidents ont eu des répercussions sur sa vie professionnelle. De toute évidence, il s’agit d’une femme sûre d’elle et efficace qui ne se laisse pas influencer ou abattre facilement. Mais les coups portés par les policiers constituent une atteinte à sa dignité, tout comme son arrestation sur le terrain de son domicile dans un secteur résidentiel cossu, au vu et su des voisins.
[83] Le procès en Cour municipale lui a occasionné des troubles et inconvénients, en plus d’être humiliant.
[84] Compte tenu des faits mis en preuve, le Tribunal accorde 25 000 $ à madame Perez pour l’arrestation et les ennuis découlant du procès criminel.
[85] Les honoraires du psychologue, qu’elle a consulté, et ceux de son avocat pour le procès en Cour municipale doivent lui être remboursés [18] .
[86] M. Perez s’est senti trahi par les policiers et déplore le cirque que les incidents ont offert aux voisins, en plus du temps qu’il a consacré à préparer le procès qui a eu lieu à la Cour municipale.
[87] Qualifiant son épouse de cerveau de la compagnie qu’ils dirigent, il constate que le dévouement de celle-ci face au travail a changé depuis lors. Il ressent donc une double angoisse, pour elle et pour lui.
[88] Selon M. Perez, le comportement de son fils a aussi changé car il en avait marre d’être arrêté et fouillé par les policiers après les événements.
[89] M. Perez a été l’artisan de sa détention, et de l’humiliation et des inconvénients qu’il a alors subis. C’est son refus de s’identifier et de fournir les renseignements demandés, ainsi que la résistance à son arrestation, qui ont forcé les policiers à l’amener au Centre opérationnel. L’agent Michaud voulait seulement colliger les informations nécessaires et remettre à M. Perez une citation à comparaître comme il a été fait pour son épouse.
[90] Pour son arrestation, une somme de 20 000 $ lui est accordée, et les honoraires de son avocat pour le procès en Cour municipale doivent être remboursés [19] .
[91] Nadav soutient ne pas avoir été avisé des raisons de son arrestation, ni de ses droits et dit, qu’à son départ du Centre opérationnel, il ignorait toujours s’il allait faire l’objet d’une accusation pour agression armée. Il reconnaît toutefois qu’il n’a pas tenté de le savoir en communiquant avec les sergents détectives qui l’ont interrogé au Centre opérationnel.
[92] Nadav prétend qu’il a dû quitter Dollard-des-Ormeaux après les événements à cause du harcèlement dont il était l’objet de la part des policiers.
[93] Mais la preuve révèle qu’il est déménagé dans un appartement situé à proximité de l’Université Concordia pendant l’année et demie où il a complété ses études de MBA. Lors de son interrogatoire au préalable il a d’ailleurs admis qu’il avait, dès mai 2008, ce projet de quitter la résidence familiale pour se rapprocher de l’université.
[94] Selon son témoignage, les policiers lui auraient asséné plusieurs coups. Mais pendant sa détention au Centre opérationnel, il ne s’est plaint d’aucune douleur et n’a demandé aucun soin. De plus, les photos de ses blessures ne sont pas très éloquentes et aucun rapport médical n’en fait état.
[95] Son attitude à la Cour n’est pas celle d’une personne inquiète. Au contraire, elle montre un jeune homme en pleine possession de ses moyens et plutôt frondeur que les incidents n’ont, de toute évidence, pas traumatisé.
[96] Aucune accusation n’ayant été portée, il n’a pas subi les inconvénients et la perte de temps reliés à un procès. En conséquence, une somme de 10 000 $ est suffisante pour compenser les dommages subis par l’arrestation et la détention.
[97] Pour justifier l’octroi de dommages exemplaires, la faute simple ne suffit pas. L’atteinte à un droit reconnu par la Charte doit avoir été intentionnelle, c’est-à-dire délibérée et voulue. C’est l’esprit des auteurs qu’il faut scruter [20] .
[98] Or, l’analyse des circonstances du présent dossier n’indique pas une volonté déterminée ou un désir conscient des agents Bélanger et Michaud de porter atteinte aux droits des demandeurs.
[99] La demande de dommages exemplaires est, en conséquence, rejetée.
Récapitulation des dommages
[100] Madame Perez :
· Dommages-intérêts : |
25 000,00 $ |
· Honoraires du psychologue : |
255,00 $ |
· Honoraires d’avocat pour le procès en Cour municipale : |
8 741,99 $ |
Total : |
33 996,99 $ |
[101] M. Perez :
· Dommages-intérêts : |
20 000,00 $ |
· Honoraires d’avocat pour le procès en Cour municipale : |
8 741,99 $ |
Total : |
28 741,99 $ |
[102] Nadav :
· Dommages-intérêts : |
10 000,00 $ |
[103] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[104] ACCUEILLE la requête introductive d’instance amendée;
[105] CONDAMNE les défendeurs à payer aux demandeurs les dommages suivants :
· 33 996,99 $ à Nelly Sultan Perez;
· 28 741,99 $ à Joseph Perez;
· 10 000,00 $ à Nadav Perez;
Avec intérêt et l’indemnité
additionnelle prévue à l’article
[106] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ MARIE-FRANCE COURVILLE, j.c.s. |
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M e Julius Grey |
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M e Simon Gruda-Dolbec |
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GREY & CASGRAIN |
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Procureurs de la partie demanderesse |
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Joseph Perez |
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Nadav Perez |
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Nelly Sultan Perez |
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M e Chantale Massé |
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Dagenais, gagnier, biron |
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Procureur de la partie défenderesse |
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Ville de Montréal |
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Nicolas Michaud |
||
Nicolas Bélanger |
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Dates d’audience : |
Du 8 au 11 janvier 2013 |
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[1] Pièce P-3, p. 3 La Reine c. Perez , QCMMTL, No 108-111-592/108-111-816, 19 décembre 2011, j. Laliberté.
[2] Id.
[3] Il faudrait lire Nadav et non Nadaz.
[4] Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile , 7 e éd., t. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, no 1-79, p. 57.
[5]
Solomon
c.
Québec (Procureur général)
[6] Régie intermunicipale de police des Seigneuries c. Midraelson 2004 CanLII46882 (QCCA).
[7] P-1, p. 3 de 5.
[8]
[9] Jean-Louis BAUDOIN, et Claude FABIEN, L’indemnisation des dommages causés par la police (1989) 23 R.J.T. 422.
[10] Jauvin c. Le Procureur Général du Québec et Bertrand Poirier , C.A. 500-09-010293-009, 26 novembre 2003.
[11] 2008 QCCQ 21068 .
[12]
R.
c.
Storey
,
[13] Lacombe et al c. André et al [2003] CANLII47946(CA), para. 120.
[14]
[15] La Régie intermunicipale, op. cit. p. 4.
[16] Kavanaght c. Montréal (Ville de) 2011 QCCS4830, La Régie intermunicipale de police des Seigneuries c. Michaelson 2004 CanLII46882 (QCCA).
[17]
Solomon
c.
Québec (Procureur général)
[18]
Salomon
c.
Québec (Procureur général)
[19] Pièce P-5.
[20]
Association des professeurs de Lignery
c.
Alvetta-Comeau