Vanasse c. Youssef |
2013 QCCQ 5873 |
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JG2338
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUHARNOIS |
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LOCALITÉ DE SALABERRY-DE-VALLEYFIELD « Chambre civile » |
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N° : |
760-32-014852-125 |
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DATE : |
Le 4 juin 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CÉLINE GERVAIS, J.C.Q |
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PHILIPPE VANASSE, tant personnellement qu'en sa qualité de tuteur à sa fille mineure MARIE-SOPHIE VANASSE |
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Demandeur
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c. |
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DR ANAS ANTO YOUSSEF |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Il s'agit d'une réclamation de 7000 $ alléguant faute professionnelle d'un dentiste.
LES FAITS :
[2] En mai 2008, une entente intervient entre Dr Youssef, dentiste de la famille Vanasse, et M. Philippe Vanasse, pour le traitement orthodontique d'une malocclusion dentaire pour la jeune fille de M. Vanasse.
[3] Le plan de traitement produit comme pièce D-1 prévoit deux phases au traitement. La première phase, d'une durée de dix mois, vise l'installation d'un appareil d'expansion palatine fixe de type Hyrax. La seconde phase, d'une durée d'environ 24 mois, est un traitement orthodontique fixe avec boîtiers métalliques.
[4] On y indique la possibilité d'une exposition coronaire de la dent numéro treize, une canine se trouvant à l'intérieur de la gencive de Mlle Vanasse.
[5] Le prix convenu est de 5409 $, et les modalités de paiement prévoient un versement initial de 1649,40 $, représentant 30 % du coût, suivi de 24 versements mensuels égaux de 160,36 $. Seul M. Vanasse a signé le plan de traitement.
[6] L'appareil est donc installé et le suivi se fait jusqu'au mois de mai 2009, à quel moment survient un incident entre Dr Youssef et M. Vanasse. Les versions des parties sont ici contradictoires. Monsieur Vanasse indique que lors d'un rendez-vous avec sa fille, il a été reçu par Dr Youssef dans son bureau, qui lui a indiqué qu'il ne voulait plus continuer le traitement, puisqu'il y avait des montants impayés. Monsieur Vanasse soutient que c'est son ex-conjointe qui devait assumer les frais d'orthodontie, en vertu d'un jugement de la Cour supérieure.
[7] Il aurait alors offert au Dr Youssef de lui remettre immédiatement un chèque de 500 $, lui indiquant qu'il avait également emprunté une somme de 1500 $ de son frère pour pouvoir continuer à faire les paiements. On l'aurait alors informé qu'il avait insulté sinon menacé l'une des adjointes du Dr Youssef et que ce comportement n'était pas acceptable. Dr Youssef s'est dit prêt à enlever l'appareil qui avait été installé, et a demandé à ce que Mlle Vanasse soit accompagnée par une autre personne que son père pour les visites subséquentes.
[8] Monsieur Vanasse dit n'avoir jamais été informé du fait que des paiements étaient en retard, soulignant qu'à chaque fois qu'il a posé la question, on lui aurait répondu que cela ne le regardait pas, puisque c'était son ex-conjointe qui devait s'en occuper.
[9] Sur cet événement, Dr Youssef a souvenir de deux entretiens. Le premier aurait eu lieu au mois d'avril, et c'est à ce moment qu'il aurait indiqué à M. Vanasse qu'il avait l'intention de cesser les traitements. Ce serait lors de leur rencontre du 26 mai suivant que les insultes auraient été prononcées à l'encontre de son adjointe, ce qu'il lui a confirmé dans une lettre du 28 mai, lui demandant à ce qu'une tierce personne accompagne sa fille pour l'enlèvement de l'appareil.
[10] Les notes au dossier médical en date du 21 avril 2009 indiquent que M. Vanasse a été informé que la deuxième phase ne serait pas faite vu l'absence de paiement pendant six mois.
[11] Monsieur Vanasse a ensuite déposé une plainte auprès de l'Ordre des dentistes le 22 juin 2009. [1] L'appareil a été enlevé le 8 septembre 2009.
[12] Une mise en demeure a été transmise à Dr Youssef le 27 août 2010. [2]
[13] Dans sa demande, M. Vanasse prétend que la première phase du traitement n'a pas été exécutée selon les règles de l'art, rendant impossible le début de la seconde phase et nécessitant que le traitement soit repris en totalité. Il reproche à Dr Youssef de ne pas avoir prescrit et administré un traitement adéquat et d'avoir agi de façon irresponsable et négligente en cessant le traitement de la malocclusion qu'il avait déjà amorcé. Il lui reproche enfin de ne pas avoir assuré un suivi adéquat auprès de sa fille après avoir débuté le traitement.
[14] Une première date d'audition avait été fixée dans cette cause le 25 octobre 2012. Le 14 septembre 2012, Dr Youssef avait déposé au dossier l'expertise d'un dentiste mandaté par le Fond d'assurance responsabilité professionnelle de l'Ordre des dentistes du Québec, Dr Jean-Charles Létourneau, qui concluait à son absence de faute dans l'administration et le suivi du traitement de Mlle Vanasse.
[15] Au matin de l'audition du 25 octobre 2012, la soussignée a fait remarquer à M. Vanasse qu'il n'avait lui-même déposé aucune expertise démontrant la faute de Dr Youssef et que dans l'état actuel de son dossier, elle ne voyait pas comment il serait en mesure de faire la preuve d'une faute commise par Dr Youssef.
[16] La soussignée a alors ordonné la remise du procès afin de permettre à M. Vanasse de prendre connaissance de l'expertise de Dr Létourneau, dont il n'avait pas reçu copie et de compléter sa preuve.
ANALYSE ET DÉCISION :
[17] Lors de l'audience, M. Vanasse et sa fille ont été entendus, ainsi que Dr Youssef et Dr Alain Vaillancourt, représentant le Fond d'assurance responsabilité de l'Ordre des dentistes du Québec.
[18] Il convient en premier lieu d'examiner les documents déposés par M. Vanasse au soutien de sa réclamation.
[19] Comme pièce P-7, M. Vanasse dépose une évaluation par Dr Olivier Quintin des coûts d'un traitement complet pour régler un problème de malalignement des dents aux deux arcades et de mauvaise relation antéro-postérieure des deux maxillaires, soit 6475 $. Cette évaluation est en date du 4 novembre 2009; le même orthodontiste a fait un second plan de traitement le 1 er septembre 2010 évalué à 6700 $.
[20] Comme pièce P-12, M. Vanasse dépose une lettre de Dr Charles Rodrigue, orthodontiste, relativement à une proposition demandant d'agir comme expert dans le présent dossier. Dr. Rodrigue aurait été disposé à accepter le mandat, à la condition qu'il ne soit pas appelé à témoigner à la Cour. Il indique que M. Vanasse doit accepter la possibilité que ses conclusions soient en accord avec celles de Dr Létourneau.
[21] Après la remise de la première audition, M. Vanasse a déposé trois autres documents. La pièce P-14 est une évaluation par Dr Patrice Pellerin de Lachine, qui indique que Mlle Vanasse présente une relation squelettique de classe 1 avec manque d'espace, constriction des deux arcades avec occlusion croisée, déviation des médianes et surplombs inadéquats. Il recommande un traitement complet, l'extraction de quatre prémolaires pour récupérer l'espace, l'utilisation d'appareils orthodontiques fixes complets et une mécanique de rétraction des antérieurs. La durée approximative du traitement est de 20 mois. Cette évaluation est datée du 27 novembre 2012.
[22] La pièce P-15 est une évaluation de l'orthodontiste Daniel Tanguay de St-Jean-sur-Richelieu en date du 5 novembre 2011. Dr Tanguay évalue le coût du traitement à 7340 $, pour une durée de 24 à 30 mois. Il détecte une occlusion croisée postérieure droite, une malocclusion dentaire et squelettique, une attrition des incisives supérieures et inférieures, une malocclusion dentaire et squelettique et une compensation labiale des incisives inférieures. Des extractions dentaires sont à prévoir.
[23] Enfin, comme pièce P-16, M. Vanasse dépose une évaluation de Dr Nadine Laplante, de Casselman, Ontario, en date du 19 décembre 2012. Dr Laplante recommande un traitement orthodontique pour traiter une malocclusion de classe II avec chevauchement à l'arche supérieure et inférieure. Elle note également que la ligne médiane mandibulaire est déviée de 2 mm à droite et qu'il y a occlusion croisée au niveau des dents 16, 46, 15 et 45.
[24] L'expert de Dr Youssef en arrive aux conclusions suivantes dans son rapport :
- À la lecture des notes inscrites au dossier, il apparaît que Dr Youssef avait compris l'essentiel quant à la condition orthodontique de sa patiente et que l'examen clinique effectué était adéquat;
- Quant aux aides diagnostiques, les modèles d'étude et les radiographies ont été exécutés adéquatement et permettaient de compléter l'examen clinique de la patiente;
- Les diagnostics posés par Dr Youssef sont justes et pertinents et les éléments essentiels ont bien été saisis par celui-ci;
- Le plan de traitement était cohérent par rapport au diagnostic préalablement établi. Bien que peu détaillé, le plan de traitement était adéquat et compatible avec la condition orthodontique à traiter;
- La première phase de traitement effectuée par Dr Youssef a été exécutée adéquatement. L'appareil utilisé de type Hyrax était un choix judicieux dans les circonstances. L'activation de l'appareil, à raison de deux fois semaine, quoique discutable, ne déroge pas aux standards de pratique de l'orthodontie. Par ailleurs, à partir du moment où le traitement a débuté, lors de la mise en bouche de l'appareil, le nombre et la fréquence des rendez-vous permettaient à Dr Youssef d'assurer un suivi adéquat de Mlle Vanasse;
Bref, Dr Létourneau conclut que Dr Youssef a agi selon les règles de l'art dans le traitement orthodontique.
[25] Dr Létourneau considère également que le traitement d'expansion palatine a été très bénéfique, surtout au niveau de l'espace créé pour la canine supérieure droite (dent numéro 13). Le fait d'avoir atteint suffisamment d'espace pour permettre à cette dent d'émerger naturellement sans intervention chirurgicale ou traction orthodontique l'amène à conclure que les objectifs de Dr Youssef en ce qui a trait à la création d'espace à l'arcade supérieure ont été atteints avec succès.
[26] Par ailleurs, il considère que la correction au niveau de la largeur du palais à l'aide de l'appareil d'expansion palatine (de 35 mm à 38.5 mm) était très satisfaisante.
[27] Il en conclut donc que les résultats obtenus à la suite de la phase I du traitement orthodontique sont acceptables.
ANALYSE ET DÉCISION :
[28] Le succès d'une poursuite en responsabilité civile, tant en matière générale qu'en matière de responsabilité professionnelle, repose sur la preuve, par le demandeur, de trois éléments :
- Une faute commise par le défendeur;
- Un dommage subi par le demandeur;
- Un lien de causalité entre les deux;
[29] Les auteurs Baudouin et Deslauriers enseignent qu'un médecin, tout comme un dentiste, assume une obligation de moyens. [3] Cela signifie que le médecin ou le dentiste doit, dans le diagnostic et le traitement, se comporter comme le ferait un médecin raisonnablement prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. Il ne s'engage donc pas à guérir ou à rétablir la santé du patient, mais à prendre des moyens raisonnables pour y parvenir.
[30]
Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui est
en demande, puisque selon l'article
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
[31] C'est donc dire que M. Vanasse avait l'obligation, pour réussir dans son recours, de démontrer qu'effectivement Dr Youssef a commis une faute professionnelle, soit dans le diagnostic ou dans le traitement prodigué à sa fille.
[32] Force est de constater que malgré ses efforts, M. Vanasse n'a pas réussi à obtenir l'opinion d'un expert qui aurait pu confirmer sa croyance à l'effet que Dr Youssef a mal exécuté le traitement. Le fait de déposer des évaluations pour le coût du traitement que Mlle Vanasse doit continuer de suivre ne démontre pas, puisqu'il s'agissait de toute façon d'un traitement en deux phases, que la première ait été mal exécutée.
[33] Non seulement n'y a-t-il pas de preuve positive par M. Vanasse de la commission d'une faute, mais il y a une preuve expresse fournie par Dr Youssef, via le rapport de Dr Létourneau, à l'effet que le diagnostic ainsi que le traitement étaient adéquats.
[34] Quant aux allégations relatives à l'interruption du traitement, malgré les inconvénients que cela a pu causer à M. Vanasse et à sa fille, il n'a pas été démontré que cette décision du Dr Youssef avait eu un impact négatif sur la poursuite du traitement, ou qu'il aurait perçu en trop certains montants. La preuve est plutôt à l'effet que Dr Youssef aurait remis à la mère de Mlle Vanasse certaines sommes qui avaient été versées relativement à la deuxième phase du traitement.
[35] Il n'y a pas non plus de preuve que la durée de la phase II du traitement ait été allongée à cause d'un geste ou d'une décision erronée de Dr Youssef.
[36] Faute de preuve de faute, le recours ne peut réussir.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE l'action;
LE TOUT sans frais.
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__________________________________ CÉLINE GERVAIS, J.C.Q. |
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