Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2013 QCTAQ 06253
Dossier : SAS-M-211766-1305
HÉLÈNE BEAUMIER
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Il s'agit d'un recours formé à l'encontre d'une décision rendue en révision par l'intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec, le 26 avril 2013, confirmant la suspension du permis de conduire du requérant pour une période de 90 jours.
[2] À l’audience tenue le 4 juin 2013, le requérant est présent et représenté par Me Marie-Claude Dionne; l’intimée est représentée par Me François Desroches Lapointe. Le requérant fut entendu, de même qu’un témoin produit par lui. Le Tribunal reviendra sur ces témoignages dans l’analyse qui suit.
[3]
Le requérant s’est vu suspendre son permis de conduire pour une période
de 90 jours au motif qu'il avait la garde ou le contrôle de son véhicule
alors que son alcoolémie s’est révélée, par suite d’une épreuve d’alcootest,
supérieure à 80 mg d’alcool par 100 ml de sang. Il s’agit de l’application de
l’article
202.4. Un agent de la paix suspend sur-le-champ au nom de la Société:
1° pour une période de 90 jours, le permis de toute personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle et dont l'alcoolémie se révèle, par suite d'une épreuve d'alcootest effectuée conformément aux dispositions du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), supérieure à 80 mg d'alcool par 100 ml de sang;
(…) »
[4] Le requérant a contesté en révision la suspension de son permis alléguant, entre autres choses, que le véhicule était immobilisé dans un espace de stationnement privé situé à l’arrière d’un édifice à condos.
[5] La décision en révision a confirmé la suspension, sans toutefois se prononcer sur le motif précédemment mentionné.
[6] Devant le Tribunal, seul ce motif est soulevé par le requérant.
[7] Ce dernier témoigne à cet égard, précisant qu’il était l’invité de la locataire de l’un des condos de l’immeuble adjacent au stationnement où il fut éventuellement arrêté. Le requérant se trouvait dans le condo depuis un certain temps déjà, lorsqu’il fut informé qu’il s’était stationné dans la mauvaise case de stationnement. Il s’en allait déplacer sa voiture pour la mettre dans la bonne case, soit juste à côté de celle qu’il avait prise en arrivant, et c’est à ce moment, dans le stationnement, qu’il fut intercepté par les policiers. S’en est suivie l’arrestation que l’on sait, relativement à la garde ou contrôle d’un véhicule par le requérant alors que l’alcoolémie de ce dernier s’est révélée supérieure à 80 mg %.
[8] Le requérant fait entendre la locataire du condo en question qui explique que la location du condo comprend un espace de stationnement réservé et identifié par un numéro, et que les cases du stationnement sont ainsi toutes réservées aux condos de l’immeuble adjacent; des photographies des lieux sont produites par elle.
[9] De cette preuve, il ressort, et cela n’est pas contredit, qu’il s’agit effectivement d’espaces de stationnement privés, numérotés, tous situés dans une aire de stationnement elle-même privée, destinée à l’usage des copropriétaires (ou des personnes rattachées à ceux-ci) des condos de l’immeuble adjacent.
[10] La procureure du requérant plaide que cela n’entre pas dans le cadre défini par l’article 202.1.1 du Code la sécurité routière qui détermine le champ d’application de l’article 202.4 précité. Cet article se lit comme suit :
202.1.1. Les dispositions de la présente section sont applicables:
1° non seulement sur les chemins publics mais également sur les chemins soumis à l'administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler ;
2° au conducteur d'un véhicule routier et à la personne qui en a la garde ou le contrôle ainsi qu'au conducteur d'un véhicule hors route et à la personne qui en a la garde ou le contrôle.
[Caractères gras ajoutés]
[11] Par son procureur, la partie intimée a indiqué de son côté qu’elle ne disposait pas, préalablement à l’audience, des éléments présentés au Tribunal quant à la description du lieu de l’infraction; le procureur ajoute ne pas avoir de représentations à l’encontre des arguments présentés par la partie requérante.
[12]
Le Tribunal est d’accord avec la position de la partie requérante et est
d’avis que l’article
[13] Le Tribunal citera ici les extraits suivants de la jurisprudence produite par la partie requérante sur la question, faisant siennes l’analyse et les conclusions qui y sont tirées :
« [21] Il faut donc comprendre que le premier paragraphe de l’article 202.1.1 fixe une portée territoriale aux dispositions de la section l.1 du chapitre ll du titre V du Code de la sécurité routière . Ainsi, une personne doit respecter les règles du Code relatives à la présence d’alcool dans son organisme sur les chemins publics, les chemins soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.
[22] Les règles fixées aux deux paragraphes de l’article 202.1.1 sont cumulatives et non alternatives. Il faut donc se trouver dans un lieu désigné au premier paragraphe pour que la suspension prévue à l’article 202.4 trouve application. Qu’en est-il dans le présent cas ?
[23] Pour répondre à cette question, il faut déterminer si le stationnement où a été interceptée la requérante est un terrain où le public est autorisé à circuler. Il ressort de la preuve que le stationnement de l’immeuble à logements est réservé à l’usage exclusif des locataires. Il est délimité de façon à restreindre la circulation aux seuls usagers. Il faut donc en conclure que chaque emplacement correspond au stationnement privé d’une personne.
[24] Dans la décision St-Félix-de-Valois (Municipalité) c . Bérubé 4 , la Cour municipale avait à se prononcer sur la nature d’un chemin qui ne dessert que deux maisons qui se trouvent dans un cul-de-sac. Après avoir noté que le chemin est sur un terrain totalement privé, le juge conclut qu’il s’agit d’un chemin privé où la circulation est réservée à ceux qui y sont autorisés et non au public en général.
[25] Dans l’affaire Laval (Ville de) c. Papa 5 , il s’agissait d’une infraction commise sur un terrain de stationnement rattaché à un ou des immeubles commerciaux. La Cour municipale a décidé qu’il ne s’agissait pas là d’un terrain privé. Selon le juge, tant qu’un stationnement n’est pas spécifiquement réservé en totalité par des cases à des individus rattachés à un ou des immeubles résidentiels, l’espace occupé par des véhicules n’appartient pas à la catégorie de terrain ou stationnement privé.
[26] Ces exemples tirés de la jurisprudence trouvent application dans le présent dossier. L’endroit où la requérante a été interceptée n’est pas un terrain où le public est autorisé à circuler. Il s’agit d’un stationnement privé qui est réservé à l’usage exclusif de la requérante.
[27]
Le Tribunal est donc d’avis que l’article
[28] Compte tenu de la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal, il n’est pas nécessaire d’examiner si la requérante avait la garde ou le contrôle de son véhicule à ce moment.
_______________________
4 2009 CanLII 1529 (QCC.M.)
5 C.M. Laval, no 0015069355, 30 janvier 2001 »
« [17] Le Tribunal retient également l’application de l’article 202.4 du Code , lequel se lit ainsi :
(…)
[18] En regard de l’application de cet article, il convient également de référer à l’article 202.1.1 du Code qui détermine la portée territoriale des dispositions de la section I.1 du chapitre II du titre V du Code .
[19] Ainsi, une personne doit respecter les règles du Code relatives à la conduite d’un véhicule routier en présence d’alcool dans l’organisme non seulement sur les chemins publics, mais également sur les chemins soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.
[20] Il convient en l’espèce de déterminer si le stationnement où a été intercepté le requérant est un terrain où le public est autorisé à circuler.
[21] Dans la décision Laval (Ville de) c. Papa 2 , la Cour municipale a déterminé qu’une infraction commise sur un terrain de stationnement rattaché à un ou des immeubles commerciaux était assujettie aux dispositions du Code puisqu’il ne s’agissait pas d’un terrain privé ou d’un terrain où le public n’est pas autorisé à circuler.
[22] Toutefois en regard des terrains ou stationnements privés, le juge Fournier s’exprime ainsi :
« Le Tribunal considère que tant qu’un stationnement n’est pas spécifiquement réservé en totalité par des cases à des individus rattachés à un ou des immeubles résidentiels. L’espace occupé par des véhicules qui par surcroît doivent payer en face d’un édifice public n’appartient pas à la catégorie de terrain ou stationnement privé.
Il en est autrement pour les résidences privées ou pour les édifices érigés en condominium où les co-propriétaires ont payé pour leur espace spécifique ou pour un nombre de cases. Pour s’en convaincre il s’agit de s’enquérir si le véhicule pouvait y demeurer sans contribution quotidiennement ou hebdomadaire car il faut présumer qu’il y a eu déplacement. »
(Transcription conforme)
[23] Il appert de la preuve en l’espèce que le requérant a été intercepté dans un stationnement d’un immeuble à logements qui est réservé en totalité à l’usage exclusif des locataires. Ce stationnement est ceinturé par plusieurs immeubles à logement et seul un chemin y donne accès. Il s’agit en l’occurrence d’un terrain privé où le public n’est pas autorisé à circuler.
[24] Dans ce contexte, l’article 202.4 du Code ne peut s’appliquer.
___________________
2
C.M. de Laval, no 0015069355,
30 janvier 2001. Voir aussi A.B. c. Société de l’assurance automobile du
Québec,
[14]
Concluant que le stationnement où il est allégué que l’infraction s’est
produite est une case de stationnement privée, et d’ailleurs numérotée, située dans
une aire de station-nement également privée, réservée à des copropriétaires (ou
des personnes rattachées à ceux-ci) d’un immeuble résidentiel, il ne peut
s’agir en conséquence d’un terrain «
où le public est autorisé à
circuler
» au sens de l’article
[15] Il s’agit en effet plutôt d’un terrain où la circulation est réservée à ceux qui y sont autorisés, et non au public en général.
[16] Partant, l’article 202.4 du Code la sécurité routière ne trouve pas application en l’espèce.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
- ACCUEILLE le recours;
- INFIRME la décision du 26 avril 2013.
Hamelin, Bourgon
Me Marie-Claude Dionne
Procureure de la partie requérante
Dussault, Mayrand
Me François Desroches Lapointe
Procureur de la partie intimée