Alipoor c. Bouskila |
2013 QCCS 2788 |
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JN0284
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-045082-081 |
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DATE : |
25 JUIN 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
FRANCINE NANTEL, J.C.S. |
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MIKE ALIPOOR |
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Demandeur |
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c. |
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ARMAND BOUSKILA et ANNETTE ACOUCA |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur, Mike Alipoor (« Alipoor »), réclame le remboursement d'un dépôt de sécurité de 150 000 $ remis aux défendeurs lorsque sa société, 9184-4844 Québec inc., a acquis un immeuble commercial à Dollard-des-Ormeaux en décembre 2007.
[2] Les défendeurs, Armand Bouskila (« Bouskila ») et Annette Acouca (« Acouca »), répliquent que le montant de 150 000 $ qui leur fut remis en numéraire faisait partie du prix de vente de l'immeuble de 680 000 $. Partant, ils ne doivent rien à Alipoor.
[3]
Bouskila et Acouca demandent le rejet des procédures en vertu des
articles
CONTEXTE FACTUEL
[4] En 1988, Alipoor émigre au Canada. C'est un homme d'affaires affranchi ayant travaillé en Iran avec son père dans le domaine de l'immobilier.
[5] À son arrivée au Canada, il acquiert une franchise Subway. Par la suite, il devient propriétaire d'une entreprise de taxis jusqu'à ce qu'il se qualifie à titre d'agent immobilier en 2002 et de courtier immobilier en 2007.
[6] Au mois d'août 2007, il quitte la firme Sutton à laquelle il était attaché et démarre son entreprise de courtage immobilier.
[7] À l'automne 2007, Alipoor se cherche un local d'affaires. Il s'intéresse particulièrement à une bâtisse à vocation commerciale située sur le boulevard des Sources à Dollard-des-Ormeaux laquelle affiche un local à louer. Après une visite des lieux, les défendeurs, propriétaires, l'informent que l'immeuble n'est pas à vendre.
[8] Néanmoins, après une sollicitation soutenue, plusieurs discussions et rencontres, les défendeurs acceptent de lui vendre l'immeuble commercial qu'ils avaient acquis en 1985 [1] .
[9] Selon Alipoor, le prix alors convenu était de 530 000 $. Les défendeurs affirment que le prix accepté était de 680 000 $, dont 150 000 $ payable en numéraire.
[10] C'est la qualification de cette somme qui constitue le débat entre les parties et qu'Alipoor voudrait récupérer.
[11] Le 2 novembre 2007, Alipoor rencontre les vendeurs à leur résidence et leur remet un « Notice of disclosure » [2] conformément à la norme en matière de courtage immobilier, laquelle divulgue qu'il est courtier et que sa société Solid Imobilier (sic) se portera acquéreur de l'immeuble.
[12] Selon Alipoor, une promesse d'achat leur a été remise le même jour.
[13] Les vendeurs, non familiers avec ce genre de transactions, ne signent aucun document préférant en discuter au préalable avec leur avocat.
[14] Le 4 novembre 2007, Alipoor se présente à nouveau au domicile des défendeurs. Ces derniers l'avisent qu'ils ont rendez-vous avec leur procureur, Me Liber, le 6 novembre 2007.
[15] Le 6 novembre 2007 au matin, Alipoor et les défendeurs se rendent chez Me Liber. Ce dernier, faisant face à une urgence, ne peut ni les recevoir ni discuter avec eux de la transaction. Bouskila suggère alors d'aller consulter son notaire, Me Polger.
[16] Ils se rendent tous ensemble chez Me Polger. Le notaire leur explique qu'il quittera sous peu pour un séjour prolongé en Floride et qu'il ne pourra pas effectuer la transaction. Il les réfère à un autre notaire, Me Abrahams.
[17] Me Abrahams les rencontre le même jour. Les termes et modalités de la vente lui sont expliqués. Il estime que ses honoraires pour la transaction seront de l'ordre de 3 400 $. Alipoor les considère trop élevés et suggère aux défendeurs de faire affaire avec son notaire, Me Génier.
[18] Le 8 novembre 2007, tous se rendent au bureau du notaire Me Génier. Ses notes indiquent un prix de vente de 530 000 $. Le notaire n'a pas d'offre d'achat entre les mains, les informations qui lui sont fournies sont verbales. Le document « Notice of disclosure » lui est remis, signé par les vendeurs. Ces derniers doivent lui remettre dans les prochains jours un certificat de localisation ainsi que les titres de propriété.
[19] La date exacte de la transaction n'est pas arrêtée puisque le notaire doit régler deux problématiques : un droit de premier refus et une résiliation de bail de Gestion Viaco inc., locataire du centre commercial.
[20] En raison des délais pour finaliser l'acte de vente, Alipoor, désirant rassurer les défendeurs, leur remet un dépôt de 30 000 $ [3] , le 27 novembre 2007.
[21] Le 7 décembre 2007, les vendeurs, ignorant la raison de cette traite, la retournent à Alipoor par courrier recommandé.
[22] Le 16 décembre 2007, Alipoor se rend chez les vendeurs pour connaître le pourquoi du retour de la traite.
[23] Selon la version du demandeur, c’est lors de cette visite, le 16 décembre 2007, que Bouskila lui demande un dépôt de sécurité de 150 000 $ payable en argent comptant afin de garantir le déboursé par Me Génier.
[24] Alipoor raconte que les défendeurs savaient que le déboursé ne pourrait pas leur être remis avant le début du mois de janvier 2008 puisqu'après la transaction, prévue pour le 20 décembre 2007, Me Génier quittait en vacances. Ils voulaient donc être assurés de recevoir l'argent.
[25] Les défendeurs nient complètement cette version des faits.
[26] Toujours selon Alipoor, aux fins de satisfaire les demandes des vendeurs, le 17 décembre 2007, il encaisse un certificat de dépôt personnel de 150 000 $ à la Caisse Populaire Allard-Saint-Paul, le retire sous forme de chèque et le dépose à la Banque de Montréal dans un autre compte bancaire personnel.
[27] Alipoor demande à la Banque de Montréal de lui remettre 150 000 $ en argent comptant. La banque exige trois jours pour préparer le tout.
[28] Le 18 décembre 2007, Alipoor se rend chez le notaire Génier et lui remet une traite de 282 000 $. Un autre montant de 220 000 $ lui a déjà été acheminé en sus de la traite bancaire de 30 000 $. Le notaire Génier a donc en mains 532 000 $, soit tout le capital nécessaire pour conclure la transaction.
[29] Le 20 décembre 2007 en matinée, Acouca et Me Liber se rendent chez le notaire Génier. Me Liber prend connaissance de l'acte de vente et y apporte quelques modifications. Pendant ce temps, Alipoor et Bouskila, accompagné d'un ami, Jack Kupfert, se rencontrent à la Banque de Montréal pour prendre possession de l'argent comptant en coupure de 100 $. Madame Golbarg Raphaella Hassan, une représentante de la banque, les reçoit et fait signer à Alipoor le formulaire de « Large cash transaction record » [4] . L'argent est libéré.
[30] Une certaine contradiction ressort des témoignages à savoir comment et par qui la liasse de billets fut transportée chez Me Génier, mais Bouskila reconnaît l'avoir reçu. Cette information relève davantage de la crédibilité des témoins, mais n'a pas d'incidence sur la question en litige.
[31] Alipoor et Bouskila se rendent chez Me Génier. Me Liber quitte le bureau du notaire lorsque l'acte de vente est modifié à la satisfaction de ses clients sans toutefois assister à la signature.
[32] L'acte notarié est signé par les parties. Le prix inscrit est de 530 000 $ et l'acquéreur est la société, 9185-4844 Québec inc., détenue par Alipoor. Le déboursé de 497 897 $ après ajustements, plus la retenue de 5 000 $ s'effectuera au retour de vacances de Me Génier, au début du mois de janvier 2008. Les vendeurs quittent avec l'argent comptant.
[33] Le même jour, Alipoor remet au notaire Génier une lettre rédigée et signée par lui-même [5] . Elle se lit ainsi :
D.D.O., Dec/20/2007
I Mike Alipoor and on behalf of my corporation 9185-4844 Quebec Inc., residing at […] , D.D.O. QC […] regard of the Purchase Transaction of […] , D.D.O. QC […] from Armand Bouskila and his wife Annette Accouca Bouskila, Due to the nature and delay of disbursement of the net proceed to the sellers from the sale of […] D.D.O. and at the request of the sellers, and mutual agreement with Mr Armand Bouskila and Mrs Annette Accouca Bouskila, I Mike Alipoor have withdraw and paid the refundable security deposit of one hundred fifty thousand dollar ($150.000.00) in Cash Canadian fund, prior to the signing the act of sale on Dec/20/2007 to the sellers Mr & Mrs Bouskila at their trust, upon completion and final disbursement of the present sale transaction of […] D.D.O. which to be reimburse by the sellers Mr & Mrs Bouskila to Mike Alipoor when the whole sales transaction is completed , therefore I Mike Alipoor authorize Notary Michel Genier (Acting Notary) upon reopening of his office in Jan/2008 as soon as possible to totally complete and finalize the sales of […] , D.D.O. and disburse to the sellers Net proceed of the sale about Five hundred thousand dollar (500.000.00) to be remitted to Mr & Mrs Bouskila, even if I be absence, and not repaid of my Security deposit, at time of disbursement, which III be settling directly with sellers.
Sincerely
Mike Alipoor
[signed] [signed]
[Le Tribunal souligne]
[34] Me Génier exige que la note soit resignée devant lui.
[35] Le 22 décembre 2007, Bouskila remet les clés du centre commercial à Alipoor, tel que convenu.
[36] Le 7 janvier 2008, le notaire remet aux vendeurs un chèque de 497 897 $. Le 9 janvier, la retenue de 5 000 $ leur est remise [6] .
[37] Le 15 janvier 2008, Bouskila se présente au bureau d'Alipoor pour obtenir sa signature sur un Formulaire d'exemption de TPS et TVQ [7] . Selon Alipoor, Bouskila discute ce jour-là d'une prolongation de bail d'un locataire jusqu'au 31 janvier 2008. Alipoor accepte de le prolonger et autorise que la retenue de 5 000 $ [8] soit libérée. Ce même jour, il réclame le dépôt de sécurité de 150 000 $ aux défendeurs.
[38] Le 22 février 2008, une mise en demeure est signifiée aux vendeurs concernant une réclamation de loyers prépayés par un locataire. Me Liber prend connaissance de cette mise en demeure, conseille ses clients et ces derniers remboursent immédiatement la somme de 3 148 $ à l'acquéreur 9185-4844 Québec inc.
[39] Une deuxième mise en demeure est signifiée aux vendeurs ce même jour, Alipoor réclame le remboursement de son dépôt de sécurité de 150 000 $ [9] .
[40] Devant le refus des défendeurs, Alipoor intente son recours à la fin du mois d'août 2008.
[41] La résidence des vendeurs a fait l'objet d'une saisie avant jugement le 8 juin 2011, elle fut annulée le 24 novembre 2011 par la juge D. Turcotte.
[42] Le 28 août 2008, les défendeurs ont présenté une requête en rejet laquelle fut remise sine die car jugée prématurée par le juge J.-F. De Grandpré.
QUESTION EN LITIGE
Quelle est la qualification de la somme de 150 000 $ remise en argent comptant par Alipoor aux défendeurs?
[43]
Tout au long des procédures, la théorie de la cause du demandeur est à
l'effet que le 150 000 $ constituait un dépôt de sécurité. Ce concept
juridique correspond davantage à la nature d'un acompte. Cependant, les faits
ne cadrent pas avec la définition d'un dépôt tel qu'édicté aux articles
[44]
En plaidoirie, le demandeur invoque l'article
[45] Il remet également au Tribunal des autorités suggérant l'application d'une clause pénale, ou encore d'un enrichissement sans cause.
[46] Bref, le demandeur fait feu de tout bois. Mais avant même de qualifier la nature juridique de cette remise de fonds, le Tribunal doit, dans un premier temps, établir l'entente des parties.
[47] La preuve révèle que le 20 juin 2007, les vendeurs ont déjà refusé une promesse de vente d'un tiers à un prix de 650 000 $ [10] . Il est peu probable, voire même invraisemblable, qu'ils aient accepté de vendre, six mois plus tard, leur immeuble commercial à 530 000 $.
[48] Des nombreux témoignages, se dégagent les faits suivants :
Patrick Brejcha, courtier immobilier
[49] Le témoin explique avoir présenté aux défendeurs [11] le 20 juin 2007, une offre d'achat de 650 000 $ pour cet immeuble. Il savait que cette offre était inférieure au prix que les défendeurs étaient prêts à considérer, soit environ 700 000 $.
Jack Kupfert, ami des défendeurs
[50] Il témoigne qu'à la demande de Bouskila, il l'a accompagné le 20 décembre 2007 à la banque pour la remise du 150 000 $ comptant. Les défendeurs lui avaient alors fait savoir qu'il s'agissait d'une partie du prix de vente payé comptant.
Me Abraham Polger, notaire des défendeurs
[51] À la retraite depuis le mois d'octobre 2008, il confirme que les défendeurs s'expriment en français alors qu'Alipoor témoigne qu'il discutait avec Bouskila en anglais. De la courte rencontre avec les parties au mois de novembre 2007, il croit se rappeler que le prix mentionné pour la transaction était de 680 000 $. Un an plus tard, il a transmis ces informations par écrit à l'ancien procureur des défendeurs, Me Cytrynbaum [12] .
Me Lionel Liber, avocat des défendeurs
[52] Me Liber est depuis de nombreuses années le conseiller juridique des vendeurs. Les défendeurs avaient discuté avec lui du prix de vente et de la possibilité qu'une partie soit payée en numéraire. Il raconte qu’Acouca ne se sentait pas à l'aise avec Alipoor, elle lui a même confié qu'il avait offert de payer jusqu'à 50 % en argent comptant pour acquérir l'immeuble.
[53] Le 20 décembre 2007, il a assisté les défendeurs chez le notaire Génier. Son témoignage corrobore celui des défendeurs à l'effet qu'ils ne lisent pas l'anglais. Après avoir fait des modifications à l'acte, il a quitté et n'a pas assisté à la signature.
[54] Il a toujours été question d'un prix de vente officiel de 530 000 $ mais il était au courant que les parties avaient un arrangement parallèle, mais n'était pas partie à leur entente.
[55] Dès que les défendeurs lui ont transmis la mise en demeure, il a cessé de les représenter sachant qu'il serait appelé à témoigner.
Daniel Codaire, comptable
[56] Monsieur Codaire complète les déclarations fiscales des défendeurs depuis plus de 20 ans. Il atteste avoir préparé l'Annexe de gain en capital des défendeurs pour l'année 2007 [13] . Le prix de vente indiqué à l'Annexe, aux fins de calculer le gain en capital imposable, est de 680 000 $.
[57] Les défendeurs se sont donc imposés en fonction d'une disposition d'un bien d'une valeur de 680 000 $.
[58] Le Tribunal note toutefois que l'Annexe est complétée et remise aux autorités après la réception de la mise en demeure.
Me Michel Génier, notaire instrumentant
[59] Il raconte qu'un de ses associés avait cessé de travailler avec Alipoor puisqu'il agissait de façon cavalière envers le personnel. « Il les faisait pleurer » , dit-il. Alipoor est devenu son client par la suite.
[60] Il explique qu'après la transaction du 20 décembre 2007, Alipoor lui a raconté « quelque chose » qu'il ignorait jusque-là. Voulant se protéger, il a immédiatement exigé qu'Alipoor lui remette une autorisation écrite pour qu'il puisse libérer les fonds aux défendeurs [14] . Selon lui, Alipoor ne lui a jamais parlé d'un dépôt de 150 000 $.
Rimma Alidzaena, ancienne associée
[61] Appelée à témoigner par les défendeurs, le Tribunal n'accorde aucun poids à ce témoignage. Ancienne associée et amante d'Alipoor, les relations intimes qu'elle continue à entretenir avec lui après un épisode de violence ou encore après, selon ses dires, s'être fait arnaquer par lui, jettent un sérieux doute sur sa crédibilité.
Golbarg Raphaella Hassan , représentante de la Banque de Montréal
[62] Ce témoin raconte que le 20 décembre 2007 lors de la remise de l'argent comptant à la banque, Bouskila a placé les billets de 100 $ dans une ceinture à monnaie alors que d'autres témoins ont une version différente. Son témoignage n'éclaire pas le Tribunal sur la véritable question et le Tribunal n'en tiendra pas compte.
Le demandeur
[63] Alipoor est un homme d'affaires averti, il navigue dans des transactions de ce genre depuis toujours.
[64] Il maintient avoir remis 150 000 $ à titre de dépôt de sécurité pour rassurer les défendeurs.
[65] Il déclare avoir voulu acheter le centre commercial et rassurer les défendeurs à un point tel que si par malchance, la transaction n'avait pas lieu, il leur a dit de garder le dépôt de 150 000 $.
Les défendeurs
[66] Madame est âgée de 76 ans alors que Monsieur a 79 ans.
[67] Le Tribunal comprend que les défendeurs ne peuvent se remémorer tous les menus détails, ni les dates précises, ou la teneur des discussions devant l'une ou l'autre des parties impliquées. Leurs trous de mémoire, près de six ans après les faits, sont excusables.
[68] Un fait demeure, ils ont tous deux le même discours.
[69] Le prix de vente convenu était de 680 000 $. Ils ont accepté 150 000 $ en argent comptant à la demande d'Alipoor. Pour le reste, ils s'en remettent à leurs conseillers juridiques.
[70] Monsieur et Madame Bouskila sont des gens qui ont travaillé fort toute leur vie. Monsieur est tailleur de métier et travaillait encore d'un petit local du centre commercial acquis en 1985. Madame l'aidait dans ses tâches et gérait le centre.
[71] Tous deux racontent que depuis le début de cette aventure, ils ont l'impression qu'Alipoor les a emprisonnés.
[72] « Alipoor a gâché notre vieillesse », disent-ils.
ANALYSE
[73] Le Tribunal peine à croire qu'Alipoor, un professionnel en immobilier n'a pas cru utile ou prudent de rédiger un écrit stipulant que la remise au comptant de 150 000 $ est sujette à répétition, alors que lors d'un interrogatoire hors cour du 13 novembre 2009 [15] , il déclare que les défendeurs étaient « strange people » :
As I said, I am telling you they were strange people . They would keep, you know, they were not kind of black-and-white clear through this whole process. They were always like somebody hiding things, and this is the whole feeling I had through the whole time of the process. One day I was thinking they are selling it to me, one day I was thinking that they have me and they are looking for somebody else to rent at higher price, or they have me, they are looking for somebody else at a higher price to sell. So they kind of - they give me okay, verbal okay to rent, and even though at the notary they give a verbal okay, and the notary make the note that they are selling it, but still they are like - they may not just even sell it, and I felt at that time a lot of pressure because they were not open, and keeping secret from me, and they were not too clear why is this or why is that .
[Le Tribunal souligne]
[74] La théorie de la cause du demandeur ne tient pas la route. L'essence même d'un dépôt en semblable matière est soit pour démontrer le sérieux d'un acheteur potentiel ou encore pour garantir l'accomplissement de la transaction.
[75] En l'espèce, l'accomplissement de l'acte de vente a eu lieu le même jour que la remise du 150 000 $ Qu'y avait-il à garantir? Rien, puisque le notaire avait en sa possession l'entier prix de vente et l'acte de vente était signé. La période de Noël et l'enregistrement de l'acte constituaient les seuls empêchements au débours immédiat.
[76] La preuve révèle qu'Acouca a réagi lorsqu'elle a appris qu'ils ne seraient pas payés le jour même de la transaction, mais elle s'est ravisée après que la pratique courante lui ait été expliquée.
[77] Les moult contradictions contenues aux procédures du demandeur, celles à son interrogatoire du 13 novembre 2009, ainsi qu'à l'audition mènent le Tribunal à conclure que sa version est pure fabulation.
[78] De surcroît, la lettre qu'il remet au notaire [16] relativement au 150 000 $ constitue une preuve après le fait qu'il a fabriqué de toutes pièces pour étoffer sa version.
[79] Faut-il rappeler que le fardeau de preuve appartient au demandeur, et qu'il a failli à sa tâche.
[80] D'ailleurs, la preuve démontre qu'il n'en est pas à son premier méfait puisque son permis de courtier a été suspendu en 2011 pour une période de quatre ans par l'Organisme d'autoréglementation de courtage immobilier du Québec (« OACIQ ») en raison de divers actes dérogatoires commis.
[81] Le Tribunal constate qu'Alipoor est passé maître dans l'art de manigancer et de leurrer. Son discours est bien articulé, minutieux et précis, son histoire bien ficelée, mais les faits ne concordent pas à la réalité.
[82] Les jugements antérieurs, produits sous les cotes D-11, D-12, D-15 et D-18 de la Cour du Québec et du comité de discipline de l'OACIQ, sont éloquents. Plusieurs personnes se sont plaintes de ses agissements et de ses comportements frauduleux.
[83] La juge Veilleux de la Cour du Québec, siégeant en appel de la décision sur culpabilité de l'OACIQ, reprend certains extraits d'une décision du comité de l'OACIQ.
[84] Ils sont ici reproduits puisqu'ils reflètent ce que le Tribunal a constaté durant l'audition [17] :
[255] At first, Mr. Ali Poor seemed to have an answer to everything but flaws in his stories became more and more apparent when contradicting versions were revealed and inconsistencies from other witnesses were put in light .
[270] Another example of how Mr. Ali Poor can, without a blink of an eye, tell a version that lacks any foundation is with respect to count no 11 of the formal Complaint where he is charged for having filed two prices increases without the consent of the vendor Bonab and Ganji.
[275] Mr. Ali Poor's ability to work orchestrate the evidence during the hearing is a relevant element to be considered when analyzing whether or not he might be involved or even be the author of various schemes for which he is accused.
[276] The Committee observed that Mr. Ali Poor is very quick thinking, directing his lawyers of dismissing them when not following directions ; in other words, Mr. Ali Poor was controlling the flow of information.
[Le Tribunal souligne]
[85] En l'espèce, tout porte à croire qu'Alipoor n'a pas modifié ses comportements. À la lumière de la preuve, le Tribunal considère que la version des défendeurs est plus probante que celle du demandeur.
[86] Le Tribunal conclut que le prix convenu entre les parties pour l'achat du centre commercial était de 680 000 $ dont 150 000 $ à être versé en numéraire. Il n'y a aucune autre explication logique ou juridique.
[87] Le recours du demandeur sera donc rejeté.
DEMANDE RECONVENTIONNELLE
[88]
L'article
[89] Les défendeurs soutiennent que le demandeur a eu des agissements abusifs empreints de mauvaise foi.
[90] Le Code de procédure civile traite ainsi de l'abus de procédure à l'article 54.1 :
54.1 Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.
L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice , notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.
[Le Tribunal souligne]
[91] En ce qui concerne la distinction entre l'abus sur le fond du litige et l'abus du droit d'ester en justice, la Cour d'appel [18] s'exprime ainsi :
[74] Avant d'examiner plus avant cette question, il importe de distinguer et de définir l'abus de droit sur le fond du litige (l'abus sur le fond) de l'abus du droit d'ester en justice. L'abus sur le fond intervient avant que ne débutent les procédures judiciaires. L'abus sur le fond se produit au moment de la faute contractuelle ou extracontractuelle. Il a pour effet de qualifier cette faute. La partie abuse de son droit par une conduite répréhensible, outrageante, abusive, de mauvaise foi. Au moment où l'abus sur le fond se cristallise, il n'y a aucune procédure judiciaire d'entreprise. C'est précisément cet abus sur le fond qui incitera la partie adverse à s'adresser aux tribunaux pour obtenir la sanction d'un droit ou une juste réparation.
[75] À l'opposé, l'abus du droit d'ester en justice est une faute commise à l'occasion d'un recours judiciaire. C'est le cas où la contestation judiciaire est, au départ, de mauvaise foi, soit en demande ou en défende. Ce sera encore le cas lorsqu'une partie de mauvaise foi, multiplie les procédures, poursuit inutilement et abusivement un débat judiciaire. Ce ne sont que des exemples.
[Le Tribunal souligne]
[92]
L'article
[93] Dans un arrêt récent de la Cour d'appel [19] , l'honorable France Thibault s'exprime ainsi :
[27] Dans
Acadia Subaru
précitée, la Cour confirme la vocation différente des
recours selon les articles
mots « acte de procédure manifestement mal fondé » en parallèle avec les mots frivole, dilatoire, vexatoire, quérulent, etc. emporte la nécessité d'y associer une mesure de blâme avant de déclarer un acte de procédure abusif.
(Le Tribunal souligne)
[94] Dans cet arrêt Acadia Subaru [20] , l'honorable Nicholas Kasirer mentionne ce qui suit :
[58]
When
it is argued that a suit is "clearly unfounded" in law, article
(Le Tribunal souligne)
[95] Dans l'arrêt Royal Lepage Commercial inc . [21] , auquel réfère la Cour d'appel dans Acadia Subaru , on définit l'abus ainsi :
[45] Pour conclure en l’abus, il faut donc des indices de mauvaise foi (telle l’intention de causer des désagréments à son adversaire plutôt que le désir de faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions) ou à tout le moins des indices de témérité.
[46] Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure. Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des
indices de l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure. Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait, devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur. Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité ».
(Le Tribunal souligne)
[96] En l'espèce, le demandeur a introduit un recours à l'encontre des défendeurs, des personnes âgées et vulnérables, sachant pertinemment que son action n'avait aucune base juridique. Ce faisant, il n'était pas sans connaître tout le stress et le tort qu'il leur causerait. En ce sens, son recours est abusif.
[97] Les défendeurs ont vécu une expérience extrêmement pénible à l'intérieur d'un processus judiciaire qui s'est avéré très long et ardu. Acouca raconte avoir perdu des nuits de sommeil et vécu une angoisse indicible depuis la réception de la mise en demeure. Quant à Bouskila, il fut très ébranlé par l'aventure, d'ailleurs, sa détresse s'est manifestée à l'audition par un esclandre bien senti.
[98] Les agissements du demandeur ont causé un réel préjudice aux défendeurs. Alipoor leur a volé six ans de quiétude alors qu'ils sont au crépuscule de leur vie.
[99] Pour ces raisons, le Tribunal conclut qu'Alipoor a abusé de son droit d'ester en justice.
[100] Le Tribunal condamnera le demandeur à payer les honoraires extrajudiciaires encourus par les défendeurs de 27 307,97 $ [22] ainsi que les dommages-intérêts de 10 000 $ pour compenser le préjudice subi dont six années de vieillesse.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[101] REJETTE la requête introductive d'instance de Mike Alipoor;
[102] DÉCLARE la requête introductive d'instance abusive;
[103]
CONDAMNE
Mike Alipoor à payer à Armand Bouskila et Annette Acouca 37 307,97 $
avec intérêt au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[104] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ FRANCINE NANTEL, J.C.S. |
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Me Hubert Larose |
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Fraticelli Provost |
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Avocats du demandeur |
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Me Daniel Brook |
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MDB Avocats inc. |
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Avocats des défendeurs |
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Dates d’audience : |
7, 8, 9 et 10 mai 2013 |
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[1] Pièce P-6.
[2] Pièce P-1.
[3] Pièce D-5.
[4] Pièce P-5.
[5] Pièce D-17.
[6] Pièce P-7.
[7] Pièce P-10.
[8] Cette version ne correspond pas aux notes du notaire Génier. Le 5 000 $ ayant été libéré le 9 janvier 2008.
[9] Pièce P-8.
[10] Pièce D-2.
[11] Pièce D-2.
[12] Pièce D-3.
[13] Pièce D-10.
[14] Pièce D-17.
[15] Interrogatoire du 13 novembre 2009, p. 29.
[16] Pièce D-17.
[17] Pièce D-18.
[18]
Colette Viel
c.
Les Entreprises Immobilière du Terroir Ltée,
[19]
Philippe Paquet
c.
Frédéric Laurier
,
[20]
Acadia Subaru
c.
Pierre Michaud
,
[21]
Royal Lepage Commercial inc
. c.
109650 Canada ltd
,
[22] Pièce D-14 en liasse.