134-13 S/A

 

 

 

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2013-6157

 

Date :

Le 19 juin 2013

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DEVANT L’ARBITRE :

Me MAUREEN FLYNN

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SYNDICAT INTERNATIONAL DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE LA BOULANGERIE, CONFISERIE, TABAC ET MEUNERIE, SECTION LOCALE 55, (FAT-COI-CTC-FTQ)

            Ci-après appelé « le Syndicat »

   

 

Et

 

INNVEST HOTELS GP LTD OPÉRANT LE COMFORT INN LAVAL

Ci-après appelé « l’Employeur »

 

 

Nom de la plaignante :      Mme Johanne Vanier

Numéros des griefs :         CIL 23-01-13.01; CIL 23-01-13.02

Convention collective :       Convention collective de travail entre Innvest Hotels GP Ltd opérant le Comfort Inn Laval et le Syndicat International des travailleurs et travailleuses de la boulangerie, confiserie, tabac et meunerie, section locale 55, FAT- COI- CTC- FTQ (2011-2014)

            Ci-après appelée « la convention collective »

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

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1.             LES GRIEFS

[1]            Le 23 janvier 2013, au nom de la plaignante, le Syndicat loge deux griefs. Il conteste le congédiement signifié le 18 janvier 2013 et soutient que la plaignante est victime de harcèlement psychologique dans son milieu de travail. Il réclame les remèdes usuels en pareils cas.

[2]            Les parties admettent que la procédure d’arbitrage et celle relative à la nomination de la soussignée ont été respectées et le tribunal a en conséquence compétence pour disposer des griefs. Elles ont demandé que le tribunal, conserve le cas échéant, juridiction sur le quantum.

 

2.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[3]            Le congédiement de la plaignante, est-il justifié dans les circonstances ? Y-a-t-il eu une entente de dernière chance avant le congédiement ? Enfin, est-ce que le milieu de travail de la plaignante a été affecté par du harcèlement psychologique ?

 

3.             LA PREUVE

[4]            M. Roberto Santinelli débute en 2004. Il est promu gérant du restaurant en novembre 2008. Son horaire habituel de travail s’échelonne du lundi au vendredi, de 8 h  à 16 h. Il ne travaille donc que très occasionnellement les fins de semaine. L’équipe de serveurs du restaurant Graffiti compte six serveurs et un aide-serveur. Le restaurant de l’hôtel est ouvert sept jours sur sept et selon les journées de la semaine, de 6 h à 22 h 30 ou 23 h.

[5]            Mme Johanne Vanier débute en mai 2010 comme serveuse à temps partiel et obtient avec le temps un poste à temps plein.

[6]            Mme Marilyn Perreault, commence comme serveuse le ou vers le 20 février 2008. Elle occupe également des fonctions syndicales à compter de la fin de l’année 2010. Elle est une des signataires de la convention collective convenue le 8 avril 2011. Elle a par ailleurs occupé des fonctions de chef d’équipe du mois d’avril 2008 à la signature de la convention collective. Étant enceinte, à compter de la mi-novembre jusqu’au 14 janvier 2013, ses quarts de travail sont réduits à 6 heures.

[7]            Mme Patricia Alaouz est directrice générale du Comfort Inn et du Quality Inn depuis une dizaine d’années.

[8]            M. André Bennett est directeur des ressources humaines pour la compagnie Westmount Hospitality Management et conseille à ce titre 55 hôtels et motels et dont près de la moitié est syndiquée.

 

 

 

Lettre de congédiement du 18 janvier 2013

[9]            Le vendredi, 18 janvier 2013, M. Santinelli écrit la lettre de congédiement suivante :

« Objet : Non-respect de l’entente

Mme Vanier,

En date du 28 mai 2012, nous avions fait un accord avec vous et votre représentant syndical de retirer le congédiement à condition que vous mettiez un terme à vos retards. Vous avez récidivé le 23 juillet 2012 et le 10 janvier 2013. De plus, vous ne balancez pas les journées comme vous êtes supposée le faire, c’est la réception qui se trouve à le faire ou moi-même le lendemain. Ceci s’est produit plusieurs fois auparavant, vous aviez reçu des avis disciplinaires appropriés.

Ces situations de retards, ne sont plus tolérées de votre part. Nous sommes rendus à l’étape du congédiement, pour manque d’assiduité au travail et attitude et comportement inapproprié. Nous mettons donc fin à votre emploi au restaurant Graffiti’s en date du 18 janvier 2013. » [Reproduit tel quel]

 

Le retard du 10 juillet 2013

[10]         M. Santinelli explique que le 10 janvier 2013 correspond à un jeudi. Mme Marilyn Perreault était cédulée de 6 h à 12 h et la plaignante devait débuter son quart de travail à 12 h et terminer à 22 h 30. Il dépose un horaire de travail s’échelonnant du mercredi 9 janvier au mardi 15 janvier 2013.

[11]         Toutefois, à midi le 10 janvier 2013, ne voyant pas Mme Vanier, il l’appelle à la maison, en utilisant le téléphone situé près de l’entrée de la salle à manger. Il lui demande où elle se trouve. Elle lui dit « sortir de la douche ». Il lui rappelle qu’elle devait commencer à midi, Mme Perreault étant enceinte et devant accomplir des horaires de travail réduits, de 6 h à 12 h au lieu de 14 h. Il lui demande dans combien de temps, elle pourrait être au travail et elle lui dit autour d’une heure et quart ou et demie. M. Santinelli l’informe qu’un groupe est attendu pour 12 h 30 et qu’il va donc le servir. Enfin, il lui demande d’arriver aussitôt que possible. Mme Vanier lui dit «  je commence à 14 h, j’ai dû mal regarder l’horaire et qu’elle était pour arriver aussitôt que possible  ». M. Santinelli mentionne que l’horaire de travail était affiché avant Noël.

[12]         Il dessert donc le groupe le 10 janvier 2013. Mme Perreault demeure au travail jusque vers 12 h 30. Lors de l’appel logé auprès de la plaignante, Mme Perreault est présente ainsi que Mme Patricia Alaouz.

[13]         Mme Perreault affirme que M. Santinelli appelle la plaignante de son bureau. Elle demeure à l’extérieur et n’entend donc pas la conversation. En contre-interrogatoire, elle réaffirme que M. Santinelli était dans son bureau et qu’il l’informe à la fin de l’appel, que la plaignante allait entrer au travail à 14 h.

[14]         Mme Alaouz rapporte que M. Santinelli a logé l’appel à partir du téléphone placé à côté de l’ordinateur et près de la table où les membres de la direction se réunissent pour manger le midi. La table est située à trois pieds du téléphone. Mme Alaouz a entendu «  tu travailles à midi. Tu as un groupe. Rentre le plus vite possible. Je vais faire le groupe.  » En contre-interrogatoire, elle soutient que Mme Perreault est restée au travail et a aidé M. Santinelli à servir le groupe.

[15]         M. Santinelli explique découvrir le 3 janvier 2013, avoir commis une erreur sur l’horaire affiché avant Noël. Il avait cédulé Mme Perreault jusqu’à 14 h et corrige en conséquence l’horaire affiché. Il précise que Mme Perreault exécute des horaires réduits à 6 heures, étant en retrait préventif (enceinte). Il n’avise pas la plaignante, sachant qu’elle travaille le vendredi 4 janvier et le dimanche 6 janvier 2013. Il dépose un horaire de travail débutant le mercredi, 2 janvier et se terminant le mardi, 8 janvier. Selon cet horaire, la plaignante travaille le 4 janvier de 14 h à la fermeture et le 6 janvier de 14 h à 21 h 30. Et, dans les faits, elle travaille ces deux dernières journées.

[16]         M. Santinelli soutient avoir vu la plaignante consulter l’horaire le vendredi 4 janvier tout en ajoutant qu’elle le regardait régulièrement. Une fois, il l’a vue consulter l’horaire de travail une dizaine de fois au cours d’un quart de travail. Autrement, il affiche l’horaire sur un babillard situé à côté de son bureau.

[17]         De son côté, Mme Vanier reconnaît qu’elle consultait régulièrement les horaires affichés au babillard car des changements fréquents y sont apportés.

[18]         Il explique que l’horaire de travail peut être modifié une à deux fois par semaine, en fonction des besoins du restaurant, notamment lors de l’arrivée inattendue d’un groupe ou d’une demande de congé de l’un des employés. En de tels cas, il modifie l’horaire et avise les employés concernés si le changement les affecte le lendemain ou s’il sait qu’ils ne travailleront pas d’ici la modification. Il ajoute n’avoir aucun intérêt à manquer de personnel.

[19]         Mme Perreault rapporte que M. Santinelli affiche habituellement les horaires une à deux semaines avant et en cas de modification, il l’indique. Il n’appelle pas le serveur visé par le changement à moins que ce dernier ne travaille pas entre l’affichage et la modification.

[20]         M. Santinelli précise avoir travaillé les 3 et 4 janvier ainsi que les 7,8, 9 et 10 janvier 2013. Il est également entré travailler le samedi 12 janvier pour servir un groupe célébrant leur party de Noël.

[21]         En contre-interrogatoire, il confirme avoir modifié le début de la journée de travail pour le 10 et le 11 janvier 2013. Il admet également, que Mme Perreault travaille sept heures et demie le 13 janvier, ajoutant qu’elle a accepté de travailler un quart de travail prolongé, étant sa dernière journée de travail. Toutefois, hormis quelques cas, elle a travaillé des quarts de 6 heures. Quant à la journée du 10 janvier, Mme Perreault a refusé de demeurer au travail, ayant mal au dos. Enfin, il réitère que l’horaire affiché le 4 janvier ne pouvait indiquer 14 h comme début d’horaire pour la plaignante pour le 10 janvier.

[22]         Toujours en contre-interrogatoire, le procureur syndical soumet un horaire débutant le mercredi 9 janvier et se terminant le 15 janvier. Selon ledit horaire, Mme Vanier travaille les 11, 12 et 13 janvier et débute à 14 h. Les autres journées, elle est en congé. Face à cet horaire, M. Santinelli note qu’aucun serveur n’est prévu pour la journée du mercredi 9 janvier, et ni pour les matinées du 10 et 11 janvier. Ainsi, à son avis, cet horaire n’a pu être affiché car il est de toute évidence incomplet. Puis, il soutient que cet horaire est un «  copier-coller  » de l’horaire précédent (2 janvier au 8 janvier) et auquel des données ont été ajoutées. Puis, le procureur soumet un autre horaire de travail (2 janvier au 8 janvier) et suggère que ce dernier était encore affiché le 6 janvier et ce à quoi, M. Santinelli réagit fermement et par la négative. Selon cet horaire, la plaignante devait travailler trois jours en ligne : vendredi 4 juin, samedi 5 juin et dimanche 6 juin de 14 h à la fermeture. Enfin, selon cet horaire, un seul quart de travail était prévu, de 14 h à la fermeture pour le lundi 7 janvier et le 8 janvier, ce qui ne correspond pas aux heures d’ouverture du restaurant.

[23]         Interrogé à nouveau par son procureur, M. Santinelli explique comment il fabrique les horaires. Il prend l’horaire précédent et y apporte les modifications requises. Il ajoute que les serveurs ont accès à son ordinateur. Ils utilisent l’ordinateur pour produire les rapports des transactions en fin de journée. Ainsi, un  serveur peut imprimer un horaire en cours de fabrication sans que M. Santinelli ne le sache. Il réitère, qu’il est impossible qu’il affiche un horaire incomplet comme celui soumis par la partie syndicale pour les semaines du 9 janvier au 15 janvier 2013. Il soutient également, que Mme Vanier a déjà imprimé un horaire de travail, sans permission et qu’elle a été avisée de ne plus le faire. Puis, M. Santinelli ajoute que Mme Vanier avait alors faxé les horaires au Syndicat alors qu’elle n’avait aucune autorisation pour fouiller dans l’ordinateur.

[24]         Mme Perreault soutient que la plaignante motivait au début ses retards. Elle se souvient des motivations suivantes : ses clés étaient embarrées dans sa chambre ; elle ne se souvenait pas de l’horaire, elle ne se souvenait pas qu’elle devait débuter à 14 h.

[25]         Mme Vanier reçoit un appel chez elle vers midi et il lui dit sur un ton agressant, qu’elle devait être au travail pour midi et qu’elle devait le savoir car l’horaire était affiché depuis longtemps. Elle répond qu’elle devait travailler à 14 h et il lui offre de la remplacer. Au début, elle lui suggère de se préparer et il lui offre de servir le groupe. Elle précise habiter à une dizaine de minutes du travail et qu’elle aurait pu y être en trente ou quarante minutes. Elle entre donc au travail à 14 h comme d’habitude. Personne ne lui parle de retard. Tout semble normal. Et, personne ne lui parle de cet incident jusqu’à la remise de la lettre de congédiement.

[26]         En contre-interrogatoire, elle soutient qu’au moment de l’appel, elle s’apprêtait à dîner. À ce moment, elle ne consulte pas l’horaire car il était dans sa chambre et elle ne l’a trouvé que le lendemain. Elle reconnaît que son téléphone est situé près du frigo.

[27]          Elle soutient qu’elle avait vu l’horaire au cours de la semaine précédente et réfère à l’horaire «  incomplet  » soit celui qui ne prévoyait aucun serveur pour la journée du mercredi 9 janvier et du mardi 15 janvier et qu’un seul serveur pour la journée du jeudi 10 janvier de 14h  à 22 h 30. Selon cet horaire, la plaignante devait travailler les 11, 12 et 13 janvier à compter de 14 h. Elle affirme avoir pris cet horaire sur le babillard tout comme les autres horaires dont celui pour la semaine du 2 janvier au 8 janvier et indiquant qu’elle devait travailler les 4 et 6 janvier à compter de 14 h et celui pour la semaine du 9 janvier au 15 janvier et selon lequel, elle devait travailler le jeudi 10 janvier de 14 h à 22 h 30, le 11 janvier de 12 h à 22 h 30, le 12 janvier de 15 h à 23 h et le 14 janvier de 6 h à 14 h. Elle soutient avoir pris, ces derniers horaires,  le dimanche soir, 6 janvier 2013. Ainsi, quand elle quitte le dimanche soir à 21 h 30, elle ne revient travailler que le 10 janvier à 14 h.

[28]         En contre- interrogatoire, Mme Vanier précise que la note 1 et la note 2 apparaissant sur les horaires qu’elle a déposés correspondent au premier horaire consulté et le second modifiant le premier. Elle affirme avoir pris connaissance des horaires du 2 au 8 janvier et du 9 janvier au 15 janvier le vendredi 4 janvier 2013. Puis, le dimanche 6 janvier, elle pris connaissance des horaires modifiant les horaires affichés le vendredi 4 janvier précédent alors qu’elle travaillait de 14 h à 22 h 30.

[29]          Elle soutient également qu’elle peut faire imprimer une copie des horaires à partir de l’ordinateur situé dans le bureau de M. Santinelli et que les serveurs sont autorisés. Elle ajoute « on m’a certifié que je pouvais prendre une copie de la cédule de travail dans l’ordinateur. Mme Alaouz m’a dit de photocopier les horaires et que je devais le faire. Elle m’a dit que je pouvais imprimer. Elle m’a dit cela le jour du congédiement. Elle m’a dit que je pouvais imprimer le 18 janvier. » J’ai toujours fait des copies à partir de la réception. Par ailleurs, elle nie avoir fait des copies des horaires et de les avoir envoyées à M. Dumoulin. Puis, elle ajoute « qu’on l’a déjà « obstinée » là-dessus et que les horaires imprimés prouvent que ce sont des photocopies. Elle nie également avoir imprimé des horaires de l’ordinateur et de les avoir envoyés à M.  Dumoulin. Puis, elle réitère que personne ne l’a avisée qu’elle n’avait pas le droit de faire cela. Enfin, elle soutient n’avoir jamais vu la lettre d’avis du 9 juillet 2012 et dans laquelle il est écrit :

« […] Donc, vous avez envoyé des copies d’horaire à votre syndicat que vous êtes allé chercher dans mon ordinateur. Vous savez que vous n’avez pas le droit de fouiller dans mon ordinateur sans mon autorisation, la seule fois que vous y avez accès c’est lors de la fermeture le soir. » [Reproduit tel quel]

 

[30]         Toujours en contre-interrogatoire, elle affirme avoir trois horaires pour la semaine du 9 janvier au 15 janvier et reconnaît les avoir faxés à M. Dumoulin. De son côté, M. Dumoulin affirme en contre-interrogatoire, avoir reçu par télécopieur les horaires de travail déposés par la plaignante et auxquels elle se réfère aux paragraphes 26 et 27 de la présente sentence. Sans pouvoir préciser la date, il croit les avoir reçus après le congédiement. (Lesdits horaires ne comportent pas la note manuscrite que la plaignante écrit habituellement lorsqu’elle envoie des horaires à M. Dumoulin).

[31]         Puis, Mme Vanier reconnaît avoir dans son dossier l’horaire déposé par l’Employeur pour la semaine du 9 janvier au 15 janvier indiquant qu’elle débute à midi le 10 et le 11 janvier. Elle affirme en avoir pris connaissance que le 10 janvier à 14 h et en avoir fait une copie le 10 janvier. Enfin, elle dit afficher les horaires sur son frigo.

[32]         Elle reconnaît n’avoir jamais soumis les horaires attestant ses dires mais avoir dit le jour du congédiement qu’elle les détenait.

Les balances de fin de journée

[33]         Quant au deuxième reproche allégué au soutien du congédiement (balance des transactions), M. Santinelli explique que chaque serveur en fin de journée doit remplir un rapport répertoriant les transactions effectuées par guichet, débit ou comptant. Ledit rapport est remis à l’auditrice de nuit et cette dernière complète et balance les livres pour tout l’hôtel. Il soutient que Mme Vanier faisait souvent des erreurs et l’auditrice l’appelait et s’ils ne pouvaient résoudre la question, il s’en occupait le lendemain. La dernière erreur remonte au 6 janvier 2013. Il a donc été appelé au cours de la nuit et n’ayant pas les chiffres, il a réglé la question le lendemain. Quant à la fermeture des comptes, M. Santinelli ne peut préciser la fréquence mais soutient que ce fut le cas, le 6 janvier 2013.

[34]         Mme Perreault soutient que la plaignante commettait souvent des erreurs dans ses fermetures. Toutefois, elle ne peut donner de dates précises tout en ajoutant avoir été informée au moins une quinzaine de fois, et elle a dû faire la correction. En contre-interrogatoire, elle cite le nom de deux auditeurs qui l’ont appelée durant la nuit au sujet d’erreurs commises par la plaignante : Chantale et M. Séguin.

[35]         Avec la permission du tribunal, l’Employeur a complété la preuve sur la question des balances de fin de journée. M. Santinelli rappelle que le 6 janvier 2013, la plaignante a commis une erreur et tente à l’aide des documents comptables d’expliquer l’erreur mais en vain.

[36]         Mme Christine Bernard est assistante générale et s’occupe de la comptabilité. À l’aide des formulaires, elle explique que la plaignante a commis une erreur d’entrée au «  posting journal  » et non pas au document résumant les transactions journalières et complété à la main.

Remise de la lettre de congédiement

[37]         Autrement, en contre-interrogatoire, M. Santinelli ne peut affirmer si la plaignante a quitté le travail avec la lettre de congédiement. Il se souvient l’avoir convoquée à son bureau. Mme Patricia Alaouz était présente et la plaignante a quitté en furie. Il reconnaît avoir possiblement posté ladite lettre par courrier recommandé.

[38]         Mme Vanier complète son quart de travail et quinze minutes avant son départ, M. Santinelli lui demande de passer à son bureau. Elle s’y rend, le manteau sur le dos et les clés dans les mains et demeure à l’extérieur. Mme Alaouz est présente. Tout le monde est debout. M. Santinelli lui dit sur un ton agressif, qu’elle a récidivé et qu’il ne pouvait tolérer d’autres retards et que c’était terminé. Elle refuse de prendre la lettre et les avise qu’elle allait parler avec M. Dumoulin.

 

Rencontre du 31 janvier 2013

[39]         Mme Vanier ne se souvient pas de cette rencontre et affirme tout de même qu’il n’a pas été question des horaires pour la semaine du 9 janvier. Il n’a été question que de retard en général. Il n’a pas été question selon elle, qu’elle devait débuter à 14 h et non à midi. Elle soutient que les trois horaires déposés en preuve n’ont jamais été mis sur la table. Elle ne se souvient pas que M. Dumoulin ait discuté des horaires.

[40]         M. Dumoulin apprend que la plaignante est congédiée. Il appelle l’Employeur pour obtenir une copie de la lettre de congédiement.

[41]         Sont présents à la rencontre du 31 janvier 2013 : M. Bennett, Mme Alaouz, Mme  Brisebois, M. Santinelli, Mme Perreault et Mme Vanier. Cette dernière commence par vider son casier.

[42]         M. Dumoulin explique que la plaignante devait débuter à 14 h et l’Employeur soutenait qu’elle devait débuter à midi. M. Dumoulin affirme avoir en main l’horaire démontrant que la plaignante débute à 14 h. À la fin de la journée, M. Bennett l’avise qu’il maintient le congédiement. En contre-interrogatoire, il se souvient avoir vu l’horaire de travail préparé par l’Employeur et auquel il se référait pour expliquer le retard de la plaignante. Il n’avait pas apporté son dossier puisque la décision de l’Employeur était  prise.

[43]         Les parties ont admis que Mme Brisebois n’était pas à la rencontre du 31 janvier 2013.

Mesure disciplinaire du 28 mai 2012

[44]         Datée du 28 mai 2012, et intitulée «  Congédiement  », la lettre écrite par M.  Santinelli stipule :

« Objet : Non respect de l’horaire

Mme Vanier,

Samedi le 19 mai 2012 vous étiez sur l’horaire à 14h00 et encore une fois, vous êtes arrivée au travail en retard. Ceci s’est produit plusieurs fois auparavant, plus précisément le 6 décembre 2011, le 10 janvier 2012 et le 21 février 2012 pour lesquelles vous avez reçue des avis disciplinaires appropriés. Vous avez appelé au restaurant une quinzaine de minutes avant votre quart de travail disant que vous aviez oublié que vous commenciez à 14h, bien que la veille vous aviez dit que vous étiez contente de commencer à cette heure-là !

Votre manque de respect envers vos horaires de travail ne peut plus être toléré. Alors nous mettons fin à votre emploi avec le Graffiti Laval en date d’aujourd’hui.

Nous vous payons deux (2) semaines de préavis ainsi que vos vacances accumulées à ce jour. » [Reproduit tel quel]

 

[45]         Est inscrite à la main, sur la lettre de congédiement du 28 mai 2012, à côté du titre une note: «  changé en 4 avis suspension 3 jours  ». M. Santinelli a écrit cette note et confirme en contre-interrogatoire, que la plaignante avait reçu avant cette date, trois avis. Et, en réponse aux questions posées par le procureur, il reconnaît que selon la gradation, la progression des sanctions devrait être trois jours de suspension, suivis de cinq jours et d’un congédiement.

Rencontre du 6 juin 2012

[46]         Suivant l’envoi de la lettre de congédiement et le dépôt d’un grief le 5 juin 2012, se réunissent M. André Bennett, Mme Patricia Alaouz, M. Éric Dumoulin, Mme Marilyn Perreault et M. Santinelli au restaurant Graffiti le 6 juin 2012 à 14 h. M. Santinelli soutient que M. Bennett et M. Dumoulin dirigent la conversation.

[47]         Selon M. Santinelli, M. Dumoulin demande qu’une dernière chance soit donnée à Mme Vanier et M. Bennett acquiesce à la demande. Ainsi, M. Santinelli comprend que le prochain retard conduirait au congédiement immédiatement. Puis, M. Bennett écrit sur la formule de grief, sous la rubrique  «  Réponse de la Compagnie en première étape  » : «  Le congédiement est changé en suspension de trois (3) jours. Le grief est donc retiré.  » M. Dumoulin écrit en haut à droite : «  Grief retiré 6/6/2012  ».

[48]         M. Santinelli ne se souvient pas si Mme Brisebois, déléguée syndicale en chef était présente à cette réunion.

[49]         Mme Perreault affirme avoir sorti un document dactylographié, intitulé «  Recours collectif  » et daté du 5 juin 2012. Elle a soumis ce document, qu’elle a préparé, n’étant pas d’accord avec la réintégration de la plaignante. Par ailleurs, elle comprend des discussions, que M. Dumoulin soutient que quatre avis ne suffisent pas, il faut au moins cinq avis, alors l’Employeur doit lui donner une dernière chance. En contre-interrogatoire, elle admet quant au document «  Recours collectif  » l’avoir soumis tout en ajoutant «  Moi, j’apporte mes preuves, pour justifier. Je suis là à titre de déléguée syndicale  ».

[50]         Mme Alaouz énumère les personnes suivantes : M. Bennett, M. Dumoulin, M. Santinelli, Mme Perreault et elle-même. La discussion était à son avis dirigée par M. Dumoulin et M. Bennett. Elle affirme que M. Dumoulin voulait que l’on donne une dernière chance à la plaignante et que le congédiement soit converti en suspension de trois jours. M. Bennett a alors exprimé que la prochaine récidive conduirait à un congédiement. Et, les parties se sont entendues sur ces conditions et ont signé le formulaire.

[51]         M. Bennett rapporte que la rencontre a été fixée à la demande de M. Dumoulin. Ce dernier a demandé si on pouvait donner une dernière chance à Mme Vanier. M. Bennett a toutefois, dit qu’il ne devait plus y avoir d’autres retards, et M. Dumoulin a accepté. Ils ont convenu de substituer le congédiement en une suspension. M. Bennett a proposé une suspension de trois jours. En contre-interrogatoire, il reconnaît que les parties ont peut-être discuté d’autres problèmes et M. Santinelli va communiquer avec M. Dumoulin à cet effet. Il n’est pas certain qu’il ait été question des changements d’horaires tout en ajoutant qu’il n’aurait jamais accepté une règle voulant que M. Santinelli envoie tous les horaires modifiés au Syndicat. Puis, il précise «  je ne vois pas pourquoi j’accepterais qu’un employé parle à M. Dumoulin chaque fois qu’il y a un changement.  »

[52]         Puis quant au fait, qu’il n’est écrit nulle part «  dernière chance  » sur les documents, M. Bennett rétorque «  j’aurais pu écrire un sommaire, ça fait longtemps que je fais affaire avec M. Dumoulin et on se comprend quand on se parle  ».

[53]         Puis, quant à la mesure soumise le 30 juillet 2012, M. Bennett souligne que cette faute n’a pas conduit à un congédiement, n’étant pas un retard mais une absence non signifiée dans les délais impartis.

[54]         Mme Vanier n’a jamais été informée d’une condition relative à «  une dernière chance  ». En contre-interrogatoire, elle soutient que M. Dumoulin l’avise que le congédiement est substitué en une suspension de trois jours, sans autres détails, ni mise en garde.

[55]         M. Dumoulin est informé que la plaignante est congédiée pour un seul retard. Pour lui, le Syndicat doit déposer un grief. Lors de la rencontre, il demande donc d’annuler le congédiement et à son avis, ils conviennent que M. Santinelli doit lui faire parvenir les horaires modifiés. M. Bennett donne ces directives à M. Santinelli. L’idée étant d’éviter toute ambigüité future. Il n’a jamais été question d’entente de dernière chance et il ajoute avoir participé à un tel processus qui requiert un document détaillé. Après la rencontre, il appelle Mme Vanier et l’avise qu’elle sera appelée pour reprendre le travail dès le lendemain et que M. Santinelli enverrait les horaires modifiés au Syndicat et qu’elle continue à lui envoyer les horaires. Enfin, ces journées d’absence sont considérées comme des journées de suspension.

[56]         En contre-interrogatoire, il se souvient d’une discussion entourant un recours collectif et qu’une pétition circulait. Il a également demandé de voir les feuilles de temps et l’Employeur l’informe que le punch est ajusté. Alors, il demande si l’Employeur est capable de prouver le retard et ne pouvant le faire, ils conviennent d’une suspension.

[57]         Au soutien de ses prétentions, il dépose un courriel daté du 7 juin 2012 (envoyé à 12 h 34) et écrit par M. Santinelli et dans lequel ce dernier écrit :

« Voici les horaires, il se peut que ça change !!! Bonne journée !!!! »

 

[58]         Y sont joints, les horaires des semaines du 6 juin et du 13 juin. En contre-interrogatoire, M. Dumoulin ne peut dire si l’horaire envoyé correspond à un horaire modifié. Puis, à la suggestion du procureur à l’effet que cet envoi visait à l’informer des journées au cours desquelles la plaignante pourrait travailler, il répond : «  il me confirme qu’elle va travailler  ».

[59]         Puis, M. Dumoulin dépose un courriel qu’il écrit à M. Santinelli le 5 juillet 2012 :

« […]

J’ai reçu de Johanne Vanier copies (voir pièce jointe) des horaires modifiés ; tu lui retire deux mardi, les 10 et 17.

Elle me dit qu’elle avait au départ les 5 et 6 juillet de congé, et ne pouvant changer ses plans (forfait vacances) elle s’en trouve pénalisé.

Suite aux explications de la travailleuse, je comprend mal la situation.

Merci de corriger la situation.

Merci. » [Reproduit tel quel]

 

[60]         Y sont joints quatre horaires et au bas desquels l’on voit une note manuscrite «  ATT. Éric Dumoulin  ». Note que la plaignante indique sur chaque horaire qu’elle envoie à M. Dumoulin. En contre-interrogatoire, M. Dumoulin affirme que Mme Vanier lui faxait tous les horaires et que d’autres salariés le font également.

[61]         M. Dumoulin dépose également, un courriel de M. Santinelli daté du 30 juillet 2012 et dans lequel il l’avise :

«Bonjour Éric, il y a eu des modifications d’horaire pour la prochaine scédule dû à la tranquillité des hôtels. Je n’ai pas été capable de rejoindre Johanne pour lui dire qu’elle ne rentre pas mercredi mais bien jeudi seule (voir l’ancienne horaire et la nouvelle). Le 1 er Août était la prochaine fois qu’elle travaillait, donc ce n’est plus le cas ! Je vais essayer de la rejoindre encore, mais je ne la rejoins pas, je devrai mettre quelqu’un d’autre pour que je m’assure que j’ai une serveuse le jeudi !!! Si tu as des questions appelle moi !!! […] » [Reproduit tel quel]

 

[62]         Y est joint l’horaire de travail de la semaine du 1 er aout au 7 aout. M. Dumoulin a réussi à joindre Mme Vanier. Enfin, il a peut-être reçu un ou deux autres horaires. Quand il ne recevait pas d’horaires, il se disait que ça allait bien. Puis, il poursuit en disant que selon l’entente intervenue avec M. Bennett : «  tous les horaires devaient lui être envoyés  ». Et en contre-interrogatoire, tout en reconnaissant n’en recevoir aucun au cours des mois de septembre, d’octobre, de novembre et ainsi de suite, il ne fait rien car Mme Vanier lui envoyait les horaires. Et, plus tard, il soutient avoir dit à Mme Vanier : «  Si l’horaire change et qu’il y a un problème, envoie moi l’horaire. C’est tout ce que j’ai dit à Madame  ». Et, M. Dumoulin ajoute avoir proposé au gestionnaire de lui parler avant de parler à l’employé. Il fait cela avec les employés à problème. En somme, il soutient «  qu’ils se sont entendus à la vie et à la mort, de se parler avant de prendre des mesures disciplinaires  ». Et, toujours en réponse aux questions posées par le procureur patronal, il rétorque «  il n’y avait pas de mise en garde à faire. La ponctualité n’était pas mise en cause, il n’y avait pas de preuve de retard  ». Par ailleurs, il soutient avoir fait cela pour d’autres employés, dont Mme Perreault au cours des années 2010 et 2011.

[63]         Les parties ont admis que Mme Brisebois était présente à cette rencontre, comme déléguée syndicale chef.

 

 

Autres mesures disciplinaires

Avis écrit du 7 juin 2012

[64]         M. Santinelli dépose un avis écrit daté du 7 juin 2012 et dans lequel il reproche les fautes suivantes :

« Mme Vanier,

Suite à vos deniers avis et avertissements reçus, voici en attaché plusieurs autres points en regard à votre attitude et votre comportement au travail ainsi qu’avec vos collègues de travail que vous devez améliorer immédiatement. Vous savez, selon votre expérience dans le domaine de la restauration, que le bon déroulement des opérations du restaurant et l’application d’un professionnalisme exemplaire est de mise.

Vous devez, sans aucunes exceptions, remédier à la situation immédiatement sans quoi nous serons dans l’obligation de vous remettre des avis disciplinaires pouvant mener à votre congédiement. » [Reproduit tel quel]

 

[65]         M. Santinelli soutient avoir remis en mains propres cet avis écrit à la plaignante ainsi qu’une copie à la déléguée syndicale, Mme Perreault. Toutefois, Mme Vanier a refusé de prendre l’avis alors qu’il l’a convoquée à son bureau pour en discuter.

[66]         Contre-interrogée sur cet avis, Mme Perreault explique qu’elle plaçait les avis disciplinaires au dossier de la plaignante et ce n’est que plus tard, qu’elle a été avisée qu’elle devait les faire parvenir au Syndicat. Enfin, elle ne sait pas si elle détient le pouvoir de rédiger un grief.

[67]         Y est joint un document d’une page daté du 7 juin 2012 et signé R. Santinelli. Ledit document énumère des reproches et des exemples dont les suivants :

« - Arrive souvent en retard de 10-15 minutes (la fin de semaine), la dernière fois (samedi le 19 mai) vous avez appelé au restaurant à 13h40 et vous avez dit que vous avez oublié que votre quart de travail commençait à 14h, bien que la veille vous exprimiez votre joie de commencer avant tout le monde de la salle à manger. […]

-        Les closes souvent mal fait (les rapports) […] » [Reproduit tel quel]

 

[68]         Mme Vanier admet avoir vu cet avis.

[69]         Puis, il affirme être arrivé au travail un matin, et voir sur son bureau deux documents dont un écrit à la main. Il reconnaît l’écriture de Mme Perreault. Les documents ont été remis après le congédiement du 28 mai 2012 et la rencontre du 6 juin. Le document manuscrit décrit une série de fautes qui auraient été commises par la plaignante. Et, le document dactylographié (daté du 5 juin 2012) et non signé, stipule :

 

 « Recours collectif

Vous, les employés(es) du restaurant Graffiti à Laval, ne voulons plus travailler avec Johanne Vanier pour les raisons suivantes :

1-     Elle offre un mauvais service aux clients, il y a même des clients qui ne veulent pas ou plus se faire servir par elle.

2-     Elle cri après ses collègues de travail (si elle ne fait pas de pourboire, c’est la faute aux cuisiniers et elle leur fait savoir).

3-     Les serveurs, lorsqu’ils travaillent avec Johanne, ne lui font pas confiance, ils croient qu’elle ne partage pas équitablement les pourboires

4-     Elle est souvent en retard.

5-     Il y a plusieurs plaintes de clients : -     Pourboires doubles

- -Attitude

6-     Souvent mécontente de l’horaire et le fait savoir à tout le staff.

7-     Erreurs multiples dans les fermetures, erreurs dans les factures ainsi que la balance des caisses.

8-     Elle nuit au bon déroulement et à la réputation du restaurant. »

[Reproduit tel quel]

 

[70]         Mme Perreault reconnaît avoir écrit la note manuscrite et le «  recours collectif  » afin d’aider le processus de congédiement de Mme Vanier. Elle soutient que tous les employés étaient d’accord pour qu’elle quitte. Elle présume avoir écrit le document dactylographié le 5 juin 2012 et la note manuscrite avant. Elle comprend donc qu’un recours collectif pourrait aider. En contre-interrogatoire, elle admet ne pas avoir remis ces documents au Syndicat et en réponse aux questions posées par le procureur, elle affirme que «  ça faisait plusieurs fois que le restaurant essayait de mettre Johanne dehors  ».

[71]         Mme Vanier n’a jamais vu avant l’audition ces documents.

Avis écrit du 30 juillet 2012

[72]         M. Santinelli remet un 5 e avis écrit à la plaignante et lui reproche de ne pas respecter l’horaire de travail. Non contesté par grief, il impose une suspension de cinq journées :

« Objet : Non-respect de l’horaire

Mme Vanier,

Lundi le 23 juillet 2012 vous étiez sur l’horaire à 6h00, c’est le quart de travail qui ouvre le restaurant. Vous avez appelé Marilyn Perreault vers 4h15am (j’étais en vacance) pour lui dire que vous ne pouviez pas vous présenter au travail. C’est Patricia Alaouz qui a fait le shift en attendant une de vos collègues, mais le restaurant a ouvert à 8h00am au lieu de 6h30am. Ceci s’est produit plusieurs fois auparavant, cet avertissement est le 5 depuis décembre 2011. Selon la C.C., art. 24.09, «  En cas d’absence pour maladie  » le serveur du matin doit aviser son superviseur ou toute autre personne autorisée à cet effet dès la première journée de son absence et au moins six (6) heures avant le début de son horaire.

Le non respect de l’horaire amène des conséquences néfastes pour le bon déroulement du service à la clientèle du restaurant, ainsi qu’à l’insatisfaction de vos collègues de travail. Un tel comportement est inacceptable. Suite aux avis écrit en date du 6 décembre 2011, du 10 janvier 2012, du 21 février 2012 et du 24 mai 2012, nous sommes rendus à l’étape de cinq (5) journées de suspension sans solde qui sera à déterminer plus tard, dû aux vacances de vos collègues. Une récidive d’une telle situation amènera à votre congédiement immédiat. » [Reproduit tel quel]

 

[73]         La suspension de cinq jours est toutefois réduite à trois jours, tel qu’il appert de la lettre datée du 15 aout 2012 et écrite par M. Santinelli :

«  Mme Vanier,

Suite à la mesure disciplinaire du 30 juillet 2012 disant que vos cinq (5) journées de suspension seraient à déterminer à une date ultérieur, nous en sommes convenus à réduire vos journées de suspension à trois (3), soit :

-    Jeudi 23 août 2012

-    Vendredi 24 août 2012

-    Samedi 25 août 2012

*** Un petit rappel, une récidive d’une telle situation, sans billet médicale, amènera à votre congédiement immédiat. » [Reproduit tel quel]

 

[74]         En contre-interrogatoire, M. Santinelli précise que le reproche vise le non-respect du délai d’avis en cas d’absence pour maladie. Et, interrogé à nouveau par son procureur, M. Santinelli précise qu’il n’y a aucune limite dans la convention collective quant à la progression des sanctions. Puis, il explique avoir réduit la mesure, ayant appris à son retour de vacances, que Mme Vanier avait appelé la veille. Enfin, à la question posée par le procureur syndical, M. Santinelli reconnaît que la veille, Mme Vanier avait laissé comme message «  rappelle-moi  » et Mme Perreault, qui était responsable (M. Santinelli étant en vacances) ne l’a pas rappelée.

[75]         Mme Vanier rapporte qu’elle était malade et qu’elle a laissé un message chez Mme Perreault la veille. Elle a laissé trois messages la veille car elle remplaçait M. Santinelli. Elle lui demande de la rappeler aussitôt que possible car c’est important. Puis, le 23 juillet 2012, vers 4 h du matin, elle se réveille et appelle la réception de l’hôtel pour les aviser.

 

 

Avis écrit du 21 février 2012

[76]         M. Santinelli remet à la plaignante un troisième avis. Ce dernier stipule :

« Mme Vanier,

Samedi le 18 février 2012 vous étiez sur l’horaire à 14h00 et vous êtes arrivée au travail en retard. Ceci s’est produit plusieurs fois auparavant et même qu’il y a de vos collègues qui prétendent que cela arrive fréquemment la fin de semaine. Je vous ai laissé plusieurs chances, mais il semble que vous ne comprenez pas.

Le non-respect de l’horaire amène des conséquences néfastes pour le bon déroulement du service à la clientèle du restaurant, ainsi qu’à l’insatisfaction de vos collègues de travail. Un tel comportement est inacceptable. Suite aux avis écrit en date du 6 décembre 2011 et du 10 janvier 2012, nous sommes rendus à l’étape d’une journée de suspension sans solde qui sera le 29 février 2012. Si une telle situation se reproduit, nous serons dans l’obligation de prendre des mesures disciplinaires plus sévères qui pourront mener à la cessation de votre emploi avec le restaurant Graffiti’s. » [Reproduit tel quel]

 

Avis écrit du 10 janvier 2012

[77]         Également, non contesté par grief, l’avis du 10 janvier 2012, émis par M. Santinelli, soulève l’incident suivant :

« Mme Vanier,

Mardi le 3 janvier 2012 vous étiez sur l’horaire à 6h00 et vous ne vous êtes pas présentée ni même appelée et c’est votre collègue qui m’a informé de votre absence. De plus, vous étiez au courant que vous étiez sur l’horaire puisque le vendredi 30 décembre 2011 je vous ai souhaité bonne année et qu’on se verra le mardi et commencer la nouvelle ensemble. Finalement, après avoir appelé vos collègues pour vous remplacer et que personne ne pouvait, j’ai fait votre travail, mais le restaurant a ouvert à 7h15am au lieu de 6h30am.

Le non-respect de l’horaire amène des conséquences néfastes pour le bon déroulement du service à la clientèle du restaurant, ainsi qu’à l’insatisfaction des clients. Un tel comportement est inacceptable. Cet incident ne devra plus se reproduire sinon nous serons dans l’obligation de vous suspendre pour une (1) journée sans solde ainsi que prendre des mesures disciplinaires plus sévères qui pourront mener à la cessation de votre emploi avec le restaurant Graffiti’s. » [Reproduit tel quel]

 

[78]         En contre-interrogatoire, M. Santinelli précise que cet avis vise à sanctionner une absence.

Avis écrit du 6 décembre 2011

[79]         M. Santinelli remet l’avis suivant à la plaignante :

 

«  Mme Vanier,

Samedi le 3 décembre vous étiez sur l’horaire à 14h00 et vous êtes arrivée au travail en retard. Ceci s’est produit plusieurs fois auparavant et même qu’il a de vos collègues qui prétendent que cela arrive fréquemment la fin de semaine. De plus, vous étiez au courant qu’il y avait un groupe réservé pour un party de Noël de bureau et qu’il fallait être prêt à temps.

Le non-respect de l’horaire amène des conséquences néfastes pour le bon déroulement du service à la clientèle du restaurant, ainsi qu’à l’insatisfaction de vos collègues de travail. Un tel comportement est inacceptable. Cet incident ne devra plus se reproduire sinon nous serons dans l’obligation de vous suspendre pour une (1) journée sans solde ainsi que prendre des mesures disciplinaires plus sévères qui pourront mener à la cessation de votre emploi avec le restaurant Graffiti’s. » [Reproduit tel quel]

 

4.             LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

La partie patronale

[80]         L’Employeur a le fardeau d’établir la commission des fautes et la justesse de la sanction. En l’espèce, la preuve bien que contradictoire démontre que la plaignante savait qu’elle devait se présenter le 10 janvier 2013 à midi. Les horaires de travail qu’elle a déposés au soutien de ses prétentions ne peuvent être retenus, étant à leur incomplets. De surcroit, lesdits horaires n’ont pu être modifiés au cours de la fin de semaine, M. Santinelli ne travaillant pas les fins de semaine. 

[81]         Également, les prétentions de la plaignante vont à l’encontre des dispositions de la convention collective. La version de la plaignante n’est pas crédible. Tout comme elle n’est pas crédible sur la question d’avoir le droit d’imprimer les horaires à même l’ordinateur. Elle a donc en réalité, oublié le changement.

[82]         Le tribunal doit dans l’appréciation de la mesure tenir compte de l’entente de dernière chance et du dossier disciplinaire de la plaignante. Il doit également prendre en compte, les effets des retards de la plaignante sur les opérations du restaurant, la clientèle et l’équipe de serveurs réduite en nombre. Et, de la jurisprudence en pareil cas.

La partie syndicale

[83]         Le grief ne concerne pas un changement d’horaire mais un congédiement. Et, en l’espèce malgré les prétentions patronales, il n’y a pas d’entente de dernière chance tel que défini par la jurisprudence. Ainsi, le tribunal est lié par la dernière suspension de trois jours.

[84]         Et, la jurisprudence majoritaire ne confirmera un congédiement pour des retards que suite à de multiples avis, ce qui n’est pas le cas en espèce. Au contraire, la preuve démontre que la plaignante n’a pas été en retard au cours des sept mois et demi précédant le congédiement.

[85]         Enfin, si le tribunal conclut que la plaignante a été dans les faits en retard le 10 janvier 2013, le congédiement devrait être substitué en fonction de la progression des sanctions, et selon celle adoptée par l’Employeur, en une suspension de cinq jours.

 

5.             ANALYSE ET DÉCISION

[86]         Au soutien du congédiement signifié le 18 janvier 2013, l’Employeur invoque deux incidents. Il allègue que la plaignante a omis d’aviser dans les délais impartis une absence pour maladie le 23 juillet 2012 et qu’elle s’est présentée deux heures en retard, le 10 janvier 2013. Il soulève également, les nombreuses erreurs commises dans la confection des rapports comptables de fin de journée et le dossier disciplinaire de la plaignante. Enfin, il soutient que les parties avaient convenu «  une entente de dernière chance  » à l’égard des retards de la plaignante.

[87]         Sur l’incident survenu le 10 janvier 2013, la preuve de la connaissance de l’horaire applicable cette journée est très contradictoire. À sa défense, la plaignante soutient qu’elle ne savait pas qu’elle devait débuter à midi alors que l’Employeur prétend le contraire. Je retiens de la preuve que la plaignante connaissait l’heure de son quart de travail. Je m’explique.

[88]         D’emblée, au soutien de ses prétentions, la plaignante soumet deux horaires de travail. L’un qu’elle dit avoir consulté le vendredi 4 janvier et l’autre le dimanche 6 janvier 2013. Selon le premier horaire, elle ne travaille pas le 10 janvier alors que selon l’horaire affiché le dimanche, elle doit travailler le 10 janvier 2013 et débuter à 14 h. Or, à leur face même les horaires qu’elle a déposés en preuve sont incomplets. Et, lorsqu’on les compare à des horaires complets, c’est-à-dire à des horaires prévoyant la présence de serveurs pour les sept jours continus de l’horaire, l’on ne peut croire que M. Santinelli aurait affiché des horaires aussi parcellaires et de surcroît à deux reprises. Je crois donc M. Santinelli lorsqu’il affirme que la plaignante a tiré ces horaires de son ordinateur alors qu’il ne s’agissait que de projets ou qu’elle les a fabriqués.

[89]         Également, selon la thèse de la plaignante, l’horaire qui aurait été affiché le samedi 5 janvier ou le dimanche 6 janvier (puisque affiché après sa journée de travail du vendredi le 4 janvier) ne détaille pas qui devait travailler le lundi 14 janvier à compter de 14 h, ni qui devait travailler le mardi 15 janvier 2013 alors que ces journées sont comprises dans l’horaire et que l’Employeur doit les afficher au moins sept jours à l’avance, donc au plus tard le 2 janvier. Ainsi, je crois M. Santinelli lorsqu’il affirme avoir affiché lesdits horaires avant Noël, le 2 janvier étant un jour de congé pour tous. Affirmation corroborée par ailleurs par Mme Perreault.  Ainsi, selon la prétention de M. Santinelli, la plaignante a pris connaissance de l’horaire, avant Noël. Toutefois, cet horaire prévoyait qu’elle devait débuter à 14 h le 10 janvier 2013.

[90]         Par ailleurs, la plaignante a également soutenu que chaque fois, qu’elle envoyait par télécopieur un horaire de travail à M. Dumoulin, elle écrivait son nom en bas de l’horaire et ainsi, elle savait qu’elle l’avait fait. Or, les horaires «  incomplets  » qu’elle a produits en preuve ne comportent pas une telle mention. Et, cette omission ajoutée au fait que les horaires sont incomplets affectent la valeur probante du témoignage de la plaignante d’autant plus que M. Dumoulin soutient les avoir reçus avant la rencontre du 31 janvier 2013 mais qu’il aurait décidé de ne pas les soumettre. Et, à ces contradictions, s’ajoute le fait que Mme Vanier a affirmé n’avoir aucun souvenir de cette rencontre du 31 janvier alors qu’il était question de son congédiement. Toutefois, malgré un souvenir pour le moins évasif, elle affirme qu’il n’a pas été question d’horaire que de retards alors que M. Dumoulin prétend le contraire. Il va s’en dire que ni les écrits et ni les témoignages ne corroborent sa version.

[91]         Enfin, à toutes ces invraisemblances et contradictions, s’ajoute celle où la plaignante a affirmé n’avoir jamais été avisée du fait qu’elle ne devait pas imprimer d’horaire de travail à partir de l’ordinateur de M. Santinelli alors qu’une mesure écrite et non contestée le stipule en toutes lettres. Puis, il va s’en dire, que le tribunal doute fortement du fait que Mme Alaouz l’a conseillée ou même lui a donné la permission d’agir ainsi au cours d’une rencontre visant à l’informer de son congédiement. Rencontre qui a été de toute évidence de très courte durée. La plaignante étant demeurée dans le cadre de la porte et ayant refusé de prendre une copie de la lettre de congédiement.

[92]         En somme, le tribunal retient de la preuve contradictoire, la version de l’Employeur. Celle-ci s’avérant nettement plus crédible dans son ensemble. Ainsi, le 3 janvier 2013, M. Santinelli a constaté avoir commis une erreur sur l’horaire affiché avant Noël, et il a modifié l’horaire en conséquence. Cet horaire affiché le 4 janvier a été consulté par la plaignante et dès lors elle savait qu’elle devait débuter le 10 janvier à 12 h et non à 14 h comme initialement indiqué. Et, vu l’absence de M. Santinelli au travail jusqu’au lundi suivant, l’horaire affiché le vendredi n’a pu être modifié comme le prétend la plaignante. La plaignante savait donc depuis le 4 janvier 2013 qu’elle devait se présenter le 10 janvier 2013 à 12 h. Toutefois, comme c’est arrivé par le passé, elle a oublié ou s’est trompée, ce qu’elle a admis à M. Santinelli lors de l’appel logé à midi le 10 janvier 2013.

[93]         Quant aux «  fréquentes erreurs  » commises dans le cadre de la confection des rapports comptables de fin de journée. La preuve soumise par l’Employeur est plutôt éphémère. Mise à part une erreur d’entrée commise le 6 janvier 2013, la preuve se résume aux témoignages de M. Santinelli et de Mme Perreault et au dépôt d’un avis disciplinaire soumis le 7 juin 2013. Avis qui a été remis le lendemain de la rencontre du 6 juin 2012 et au cours de laquelle l’Employeur a accepté de réintégrer la plaignante au travail et dont le contenu a été préparé à partir des notes consignées par Mme Perreault (et dont la motivation est pour le moins discutable, alors qu’elle est déléguée syndicale). Je retiens donc de la preuve que la plaignante a commis une erreur le 6 janvier 2013 et à d’autres moments, sans plus.

[94]         Autrement, aux fins de sa décision de congédier la plaignante, l’Employeur prétend que la plaignante était depuis la rencontre du 6 juin 2012 visée par «  une entente de dernière chance  ». Sur cette question, la preuve est également très contradictoire. Tous les témoins appelés par la partie patronale et qui ont assisté à ladite rencontre prétendent sans réserve que M. Bennett a posé comme condition à l’annulation du congédiement que le prochain retard entraînerait automatiquement le congédiement de la plaignante alors que le Syndicat soutient qu’il n’a jamais été question d’une telle entente. De plus, M. Dumoulin argue que le problème de fond découlait du fait que l’Employeur ne pouvait prouver le retard de la plaignante, n’ayant pas de feuilles de temps.

[95]         Cependant, il ressort de la preuve, que les parties ont dans les faits discuté de la problématique entourant les retards de la plaignante et de son corolaire résultant de la connaissance des horaires affichés. Ainsi, peut-on en l’espèce, déduire de ces discussions qu’une entente a été conclue et ayant la portée avancée par l’une ou l’autre des parties. Je ne le crois pas.

[96]         L’Employeur ne m’a pas convaincue qu’il s’agissait réellement d’une entente de dernière chance comme la jurisprudence la définit.

[97]         Les auteurs Yves Morin, Daniel J. Notardonato et Helena P. Oliveira résument dans un article, les principales composantes d’une entente de dernière chance. À leur avis, une entente de dernière chance doit être consentie par le Syndicat et le consentement du salarié s’avère généralement nécessaire :

«  1.1 Définition

L’entente de réintégration conditionnelle ou de dernière chance consiste en une transaction d’où l’employeur accorde à un salarié en voie d’être congédié une dernière chance. Il est donc réintégré sous conditions. L’entente inclura une renonciation à la procédure de grief ainsi qu’une énumération de conditions que l’employé s’engage à respecter. Ce type d’entente permet donc à l’employé de conserver son emploi toute en accordant à l’employeur la discrétion de se prévaloir de la sanction disciplinaire prédéterminée de congédiement, en cas de non-respect de ladite entente.

1.2 Conditions de formation

[…]…)

1.2.1.1 Le consentement du syndicat

Le consentement du syndicat est une condition essentielle à la validité d’un règlement. Selon les auteurs d’Aoust et Dubé, le consentement syndical constitue « une condition sine qua non de la validité du règlement. [1]

Dans Colossal Carriers [2] , l’arbitre a déclaré nulle une entente de réintégration conditionnelle signée entre le salarié et l’employeur sans l’accord du représentant syndical. Celui-ci, bien que présent à la signature du règlement et malgré sa participation aux négociations, a refusé d’apposer sa signature à l’entente. […]

 

1.2.1.2 Le consentement du salarié

Selon les auteurs d’Aoust et Dubé, le consentement du salarié s’avère nécessaire dans certains cas. Lorsque les conditions de l’entente restreignent les droits et libertés fondamentaux du salarié, son consentement est nécessaire. En effet, le syndicat ne peut unilatéralement imposer de telles conditions contre le gré du salarié.

Il est, en effet, aisément concevable que le consentement du salarié soit un élément essentiel pour atteindre un des objectifs poursuivis par l’utilisation des ententes de dernière chance , soit la réhabilitation du salarié ou la correction de son comportement fautif. [3] […]

 

[98]         D’autre part, comme le rapporte mon collègue Denis Provençal, les ententes de dernière chance doivent être interprétées restrictivement :

« [45] Le plaignant ainsi que le délégué syndical ont signé cette lettre sans autre mention. Le procureur de l’employeur prétend que cette lettre n’est ni plus ni moins qu’une entente de la dernière chance et qu’elle a  pour effet de limiter le pouvoir d’intervention du tribunal. Comme le mentionnait l’arbitre, Me René Turcotte [4] , les ententes de dernière chance sont en quelque sorte une application personnalisée de la discipline à l’égard d’un salarié. Elles constituent une exception au régime disciplinaire prévu à la convention collective et doivent donc recevoir une interprétation restrictive. Dans la livraison 2004 de Développements récents en droit du travail [5] les auteurs, Me Yves Morin, Me Daniel J. Nortardonato et Me Helena P. Oliveira, écrivaient ce qui suit au sujet de ces ententes :

« L’entente de réintégration conditionnelle ou de dernière chance consiste en une transaction où l’employeur accorde à un salarié en voie d’être congédié une dernière chance. Il est donc réintégré sous conditions. L’entente inclura une renonciation à la procédure de grief ainsi qu’une énumération de conditions que l’employé s’engage à respecter. Ce type d’entente permet donc à l’employé de conserver son emploi tout en accordant à l’employeur la discrétion de se prévaloir de la sanction prédéterminée de congédiement, en cas de non-respect de ladite entente. [6]  »

 

[99]         En l’espèce, l’entente intervenue entre les parties le 6 juin 2013 ne rencontre aucunement les composantes essentielles à la formation «  d’une entente de dernière chance  ». Rien ne prouve que le Syndicat ou la plaignante n’est consenti expressément ou même tacitement à une telle entente. De plus, les écrits des parties effectuées dans les minutes suivant les discussions ne reflètent pas la teneur avancée par l’Employeur. Il n’y a aucune mention d’une condition de quelque nature que ce soit.

[100]      Autrement, le Syndicat ne m’a pas convaincue que l’Employeur s’est engagé, le 6 janvier 2012, à fournir systématiquement tous les horaires ou les horaires modifiés seulement. J’estime que la preuve syndicale a varié sur cette question au fil de l’interrogatoire et qu’elle est ponctuée de contradictions. Cette preuve ne suffit donc pas à contrer les affirmations de l’Employeur,  d’autant plus que cette question est traitée spécifiquement à la convention collective et il m’apparaît peu probable dans les circonstances, que l’Employeur aurait consenti à modifier la convention collective sans écrit.

[101]      Cependant, il se dégage des témoignages, que la problématique était assez sérieuse pour que M. Dumoulin demande que des outils de communication soient mis en place afin de lui permettre d’agir à temps et cela comme il le fait avec des employés qu’il qualifie «  à problèmes  ». Dans ce contexte, il m’apparaît tout à fait concevable que M. Bennett ait convenu qu’en cas de problème, que M. Santinelli communique avec M. Dumoulin. Ce qu’il a fait à une reprise et ce que le Syndicat a fait également. Enfin, il serait pour le moins étonnant qu’un employé n’ayant aucune difficulté entourant ses horaires de travail ne s’entende avec son Syndicat pour lui faire parvenir systématiquement ses horaires.

[102]      Ainsi, je retiens de la preuve contradictoire, que la situation était assez critique pour que les deux parties conviennent de mettre en place des mesures particulières. Et, à la lumière des avis émis précédemment, que l’Employeur estimait donner une dernière chance à la plaignante sans pour autant que cette compréhension de la situation ne puisse être qualifiée «  d’entente de dernière chance  » tel qu’élaboré par la jurisprudence. J’estime donc qu’il ne faut pas confondre les «  ententes de dernière chance  » avec une mesure considérée par l’Employeur comme dernière chance et imposée dans le cadre du processus disciplinaire. Toutefois, il est bien connu, que l’appréciation des mesures retenue par l’Employeur est sujette à révision par un tribunal d’arbitrage. [7] .

[103]      En l’espèce, avant le congédiement signifié le 18 janvier 2013, le dossier disciplinaire de la plaignante comprend les mesures suivantes : une suspension de trois jours imposée le 6 juin 2012 pour un retard survenu le 19 mai 2012 ; un avis écrit émis le 7 juin 2012 ; une suspension de trois jours imposée au mois d’aout 2012 à l’égard d’une absence non signifiée dans les délais impartis ; une suspension d’une journée imposée le 21 février 2012 suite à un retard survenu le 18 février 2012 ; un deuxième avis écrit imposé le 10 janvier 2012 sanctionnant le défaut de se présenter au travail le 3 janvier 2012 ; un premier avis écrit imposé le 6 décembre 2011 à l’égard d’un retard survenu le 3 décembre 2011. À chaque fois, la plaignante est avisée qu’elle doit s’amender sinon son emploi pourrait être terminé.

[104]      La jurisprudence confirme que l’assiduité et la ponctualité au travail sont des qualités attendues par tout employeur. Le salarié doit prendre les moyens nécessaires afin d’être à son poste de travail à l’heure fixée. Bien qu’il n’existe pas de barème précis, les auteurs Bernier, Blanchet, Granosik & Séguin résument la jurisprudence de la manière suivante :

«  1.665. Dans l’affaire Musée des beaux-arts de Montréal [8] , l’arbitre, citant les auteurs D’Aoust, Leclerc et Trudeau, a énoncé les critères à respecter dans une affaire impliquant des retards. Les arbitres refusent généralement, en matière d’absentéisme ou de retards, de confirmer le congédiement ou la mesure disciplinaire lorsqu’il s’agit d’une faute isolée, à moins que la convention collective ne le prévoie expressément. Ils n’hésitent cependant pas à rejeter le grief lorsqu’il est démontré :

Ø   Que les retards sont très fréquents ;

Ø   Qu’ils ne sont pas justifiés ;

Ø   Que le salarié n’a pas prévenu l’employeur ;

Ø   Qu’une progression dans les sanctions a été adoptée par l’employeur ;

Ø   Que le salarié a été avisé des conséquences futures de ses fautes ;

Ø   Que le salarié n’a pas amélioré son comportement malgré des avertissements et mesures disciplinaires. [9]  »

 

[105]      Aux fins du présent litige, je retiens en particulier les trois derniers critères énumérés au paragraphe précédent. Le congédiement d’un salarié est généralement maintenu lorsqu’il y a progression des sanctions et que le salarié ne se corrige pas malgré les avertissements et les mesures disciplinaires.

[106]      Je partage et retiens également, les objectifs sous-jacents au principe de la progression des sanctions, résumés  par mon collègue Me Denis Provençal :

« [83] L’application du principe de la gradation des sanctions doit être comprise comme étant un principe d’équité au processus disciplinaire. L’employé doit être averti que son comportement est suspect aux yeux de l’employeur. Lorsque l’employeur invoque l’incident culminant dans le contexte de la gradation des sanctions pour justifier le congédiement, il doit démontrer qu’il a pris toutes les mesures disponibles avant d’imposer la mesure ultime afin que l’employé modifie son comportement. On le sait, les mesures disciplinaires doivent être individualisées. L’employeur et encore moins l’arbitre ne peut ériger en exemple une mesure disciplinaire servie à un employé. Les mesures disciplinaires sont imposées pour des fins curatives pour emprunter les propos de l’arbitre Brault. Il n’existe pas non plus de table d’équivalence en matière d’imposition de mesures disciplinaires et encore moins lors de l’évaluation de l’incident culminent en regard de l’application du principe de la gradation des sanctions pour justifier le congédiement. Il doit être tenu compte du contexte dans lequel les parties agissent. […] Par ailleurs, l’employeur ne peut se contenter d’une inscription de type automatisée sur des formulaires disciplinaires remis à l’employé indiquant qu’à la prochaine infraction il y aura des mesures disciplinaires plus sévères. L’employeur doit être en mesure de démontrer qu’il a eu des communications explicites avec l’employé en imposant les dernières mesures disciplinaires que son avenir dans l’entreprise est en jeu. Afin de retenir la faute qui a donné lieu au congédiement de l’employé et même s’il ne s’agit pas d’infractions de même nature, il doit ressortir une certaine constance, un dénominateur commun, dans le comportement reproché à l’employé. » [10]

 

[107]      Et, bien qu’il n’existe pas de barème précis, les tribunaux s’attendent généralement à l’imposition d’une sanction assez significative avant celle du congédiement. Une mesure que certains auteurs qualifient «  d’intermédiaire  ». Ainsi, habituellement, une courte suspension ne suffit pas avant la rupture du lien d’emploi. [11]

[108]      Dans la présente affaire, au moment du congédiement la plaignante n’a acquis que trois années de service dont deux à temps partiel et les mesures disciplinaires sont essentiellement imposées au cours de l’année 2012, alors qu’elle travaille à temps plein. Au cours de cette période, elle se voit imposer trois avis et trois suspensions de courte durée, d’une journée à trois jours.

[109]       Par ailleurs, la preuve démontre que les retards affectent non seulement les autres membres de l’équipe mais à certaines heures le service à la clientèle, le restaurant demeurant fermé jusqu’à l’arrivée d’un serveur. Également, vu le nombre restreint des serveurs, il est évident que toute absence ou tout retard affecte l’équipe et que l’Employeur dispose de peu de ressources pour pallier à ces situations.

[110]      Aussi, la preuve révèle que la plaignante n’a eu aucun problème d’assiduité au cours des sept mois et demi précédant le congédiement, ce qui démontre qu’elle était consciente de la situation. Et, l’on peut conclure à la lumière de la fréquence des avis précédents, qu’elle s’est améliorée au cours de cette dernière période. Toutefois, à l’audition, elle a déposé une version qui m’apparaît, tel qu’expliqué précédemment, tout simplement invraisemblable. Et, ce faisant, la plaignante a révélé une certaine résistance.

[111]      En somme, chaque cas étant un cas d’espèce, et en tenant compte des éléments qui ressortent de la preuve et des critères élaborés par la jurisprudence, j’estime que le congédiement de la plaignante était injustifié ou disproportionné. J’y substituerais cependant une suspension «  intermédiaire  », vu l’importance de son obligation d’assiduité et de ponctualité et les conséquences qu’un défaut en l’espèce entraîne sur l’équipe et la clientèle. Je tiens également compte des mesures imposées et des avis non équivoques que l’Employeur lui a signifiés tout comme des explications peu plausibles fournies par la plaignante au cours de l’audition et qui laissent planer un doute quant à sa reconnaissance de l’importance de respecter ses obligations de ponctualité et d’assiduité.

[112]      Par ailleurs, le tribunal constate que l’Employeur aurait intérêt à améliorer ses façons de faire en matière d’affichage d’horaires de travail et cela afin d’éviter en cas de litige, une preuve ardue quant au moment de l’affichage des horaires de travail et de la prise de connaissance par les employés concernés. 

[113]      À la lumière de toutes et chacune de ces considérations et de la jurisprudence rendue en la matière, une suspension de trois (3) mois m’apparaît proportionnelle et juste.

[114]      Enfin, quant au grief de harcèlement psychologique, j’estime qu’aucune preuve n’a été soumise. La preuve ne démontre aucune conduite vexatoire pouvant être assimilable à du harcèlement psychologique tel que défini à la Loi sur les normes du travail . Au plus, révèle-t-elle une certaine tension entre M. Santinelli et la plaignante et que le contexte explique.

 

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

ACCUEILLE le grief portant le numéro CIL 23-01-13.02 ;

ANNULE le congédiement imposé le 18 janvier 2013 et y substitue une suspension de trois (3) mois ;

ORDONNE en conséquence la réintégration de la plaignante à compter du 26 juin 2013 ;

RÉSERVE juridiction sur le quantum ;

REJETTE le grief portant le numéro CIL 23-01-13.01.

 

 

Me Maureen Flynn, arbitre

Procureur syndical :   Me Michel Davis

Procureur patronal :   Me Alexandre Lacasse

Dates d’audience :    13 mai et 4 juin 2013

Date de délibéré :      4 juin 2013

 

Notre dossier : MF-0313-30325-QP

Sentence n o 134-13



[1]     C. D’Aoust et L. Dubé, La réintégration conditionnelle du salarié, Montréal, Wilson &Lafleur, 1991, p.80-81)

[2]     Colossal Carriers Ltd . et Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, local 106 , D.T.E. 83T-364 (T.A ») (G.E. Dulude

[3]     L’entente de réintégration conditionnelle : une dernière chance chèrement acquise ? Développements récents en droit du travail, (2005), Service de formation permanente du Barreau du Québec, 2005.

[4]     Syndicat des salariées et salariés de Power Battery (CSD) et Power Battery , [2008] R.J.D.T. 17000 à la page 1706).

[5]     Voir note 1.

[6]     Teamsters Québec, local 1999 (FTQ) et Kingsway (Terminus de Jonquière) , T.A. 21 septembre 2009, 2008 CanLII 50774 (QC SAT).

[7]     Voir comme exemple : Société du Grand Théâtre de Québec et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2413 (Valérie Hallé), T.A. Me Gilles Desnoyers, 3 septembre 2010, AZ-50675456 , 2010EXPT-2330  ; Union internationale des opérateurs ingénieurs, section locale 484 et Carrières St-Eustache Ltée (Mathieu Thibault), T.A. Me Robert Choquette, 8 mars 2012, AZ-50840, 2012EXPT-710  ;

[8]     Syndicat du musée des beaux-arts de Montréal (CSD) et Musée des beaux-arts de Montréal , D.T.E. 86T-544 (J.Y. Durand).

[9]     Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2 e Édition, Éditions Yvon Blais.

[10]    Syndicat démocratique du Château Frontenac (CSD) et Legacy Hotels Corporation, établissement Fairmont Le Château Frontenac , T.A., 18 février 2005, AZ-50296435 .

[11]    Voir à titre d’exemple, Prémoulé Inc. et Association indépendante des employés de Prémoulé , T.A., Me Nicolas Cliche, 30 avril 1999, AZ-99141203