COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
267550 |
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Cas : |
CM-2012-0378 et CM-2012-2127 |
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Référence : |
2013 QCCRT 0289 |
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Montréal, le |
17 juin 2013 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Louise Verdone, juge administrative |
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Charles Guttman
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Plaignant |
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c. |
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Nulook solutions bureau inc.
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1] Le 22 novembre 2011, Charles Guttman dépose deux plaintes selon la Loi sur les normes du travail , RLRQ, c. N-1.1, une selon l’article 123.6 et l’autre selon l’article 124. Il prétend que son employeur, Nulook solutions bureau inc. ( Nulook ), l’a congédié sans cause juste et suffisante le 28 octobre 2011 en le forçant à démissionner. De plus, il aurait été victime de harcèlement psychologique lors d’une seule conduite grave à cette occasion. Selon Nulook, monsieur Guttman a démissionné librement ce jour-là, sans harcèlement psychologique.
[2] Monsieur Shapiro fonde Nulook en 2000 : un contractant de projets de mobiliers neufs de bureau, de cafétéria ou de séjour, par exemple, pour le milieu institutionnel et corporatif. Les projets impliquent le travail d’un représentant, d’une dessinatrice, d’un architecte et les gérants des établissements des clients.
[3] Monsieur Guttman commence chez Nulook vers le 14 juillet 2007 comme représentant. Il compte beaucoup d’années d’expérience dans le domaine de la vente, mais pas avec les produits de Nulook. Il convient avec monsieur Shapiro d’une période d’essai de trois mois et d’une rémunération de 500 $ par semaine avec une allocation automobile de 250 $ par mois. Il gagnait normalement une rémunération supérieure, mais celle-ci le satisfait parce qu’il cherche à ralentir ses activités professionnelles étant en fin de carrière. L’allocation automobile est augmentée à 300 $ en 2010 et à 350 $ en 2011.
[4] Nulook compte trois employés avec l’embauche de monsieur Guttman. Celui-ci travaille avec la réceptionniste et en particulier avec la dessinatrice qui l’accompagne chez les clients. Elle s’occupe de la conception des projets et le soutient sur le plan de la connaissance des produits. Plus tard, en 2009, monsieur Shapiro embauche une représentante qui démissionne en février ou mars 2010.
[5] Au début, monsieur Shapiro remet à monsieur Guttman une liste de contacts et va avec lui chez quelques clients. Par la suite, monsieur Guttman cherche de nouveaux clients et travaille avec les clients existants. Au fil du temps, il développe sa clientèle sur son territoire à Montréal.
[6] Monsieur Guttman se rend chez Nulook tôt le matin pour faire le suivi de ses dossiers clients. Par la suite, il travaille sur la route de façon autonome. Monsieur Shapiro ne le supervise pas étroitement. Monsieur Guttman le tient informé d’éléments importants. Son approche client est différente de la norme dans le domaine, mais monsieur Shapiro ne lui en tient pas rigueur.
[7] Étant une petite entreprise, Nulook n’a pas de politique de gestion des ressources humaines, comme des évaluations de rendement. Toutefois, monsieur Guttman parle d’une évaluation à la fin de 2008 où monsieur Shapiro se dit satisfait de ses ventes, malgré qu’il n’ait jamais eu d’objectifs à atteindre à cet égard. Il n’a jamais reçu d’avis disciplinaire, de reproches sur son travail ou de plainte de clients.
[8] Monsieur Shapiro mentionne que monsieur Guttman ne suit pas des cours en ligne sur les produits, préférant s’appuyer sur la dessinatrice qui s’en plaint. Il évalue que monsieur Guttman ne sait pas bien écrire : le personnel doit vérifier ses estimations. Selon lui, monsieur Guttman met la faute sur le personnel et est réfractaire au changement. Monsieur Guttman participe à deux voyages d’affaires aux frais de Nulook. Lors d’un voyage chez un fournisseur important américain en 2009, monsieur Guttman, en état d’ébriété, tient des propos injuriant envers un vice-président du fournisseur, pendant une rencontre, pour démontrer que celui-ci aime s’entendre parler. La dessinatrice et monsieur Shapiro, qui sont présents, en sont choqués. Toutefois, l’incident n’a pas de conséquences, parce que le vice-président n’a rien entendu et le voyage fut une réussite.
[9] Peu après ce voyage, monsieur Guttman demande une augmentation de salaire à monsieur Shapiro lors d’une rencontre le 17 septembre 2009. Monsieur Shapiro l’accepte sans discussion. Par prudence, monsieur Guttman rédige une entente, datée du 6 octobre 2009, qui est signée par lui et monsieur Shapiro. Elle fait référence à leur rencontre de septembre. Elle prévoit une augmentation de salaire de 1 200 $ par mois à compter du 1 er octobre 2009 qui sera mise en fiducie pendant 16 mois jusqu’au 1 er février 2011. À ce moment, le total sera versé par tranches toutes les deux semaines. Monsieur Guttman explique que ces chèques devaient lui être versés en même temps que son salaire normal augmenté, à savoir environ 776,92 $ par semaine (1 200 $ par mois x 12 mois = 14 400 $ ÷ 52 semaines = 276,92 $ + 500 $ par semaine). Ce mode de versement retardé servait à des fins fiscales.
[10] Monsieur Shapiro accepte l’augmentation et le mode de versement sur la base de revenus des ventes à venir, déclare-t-il. En 2009, tout lui semble bien aller pour monsieur Guttman : en bon vendeur, il lui laisse croire en la venue prochaine de nouvelles commandes pour remplacer les perdues. En révisant les revenus des ventes à la fin de l’année, selon son habitude, il constate que ceux de 2009 sont satisfaisants.
[11] En 2009, monsieur Guttman soumet à monsieur Shapiro un projet d’une connaissance pour un produit de matières recyclées pour la fabrication de mobiliers. Il n’a jamais eu une participation dans ce projet. Il présente à monsieur Shapiro sa connaissance qui cherche du capital d’investissement. Monsieur Shapiro s’y intéresse, rencontre les initiateurs du projet et fait tester des prototypes. Toutefois, rien ne s’est concrétisé jusqu’à présent.
[12] Monsieur Delduca est un ami de très longue date de monsieur Shapiro. Ils ont un arrangement par lequel monsieur Delduca mène ses affaires à partir de Nulook. Il y est quelques fois par semaine et a une relation cordiale avec le personnel. Les employés se plaignent à lui du travail étant donné qu’il est étranger à la compagnie et en le sachant un bon ami de monsieur Shapiro. Sans leur connaissance, il lui en parle pour l’informer de ce qui se passe dans sa compagnie.
[13] Selon monsieur Delduca, monsieur Guttman se plaint de la façon dont monsieur Shapiro gère sa compagnie : il ne sait pas ce qu’il fait; il passe trop de temps avec la nouvelle représentante, par exemple. Il en parle plusieurs fois à monsieur Shapiro. Il ne peut pas préciser le moment de ces conversations, mais elles ont lieu pendant la période d’emploi de la représentante (2009 et les premiers mois de 2010). Monsieur Shapiro lui mentionne son insatisfaction du rendement de monsieur Guttman. En examinant ses revenus des ventes, ils constatent qu’ils ne sont pas conformes à sa rémunération. Monsieur Delduca lui conseille de corriger la situation ou de se départir de monsieur Guttman. Il lui offre de le congédier à sa place s’il s’en croit incapable. Toutefois, monsieur Shapiro lui dit que monsieur Guttman travaille sur plusieurs projets qui devraient porter fruit.
[14] Monsieur Guttman explique que, pendant cette période, monsieur Shapiro fait des dépenses extravagantes en organisant des fêtes somptueuses pour les clients. De plus, à son avis, il passe trop de temps avec la représentante à faire la fête et à trop dépenser en lui donnant, notamment, de l’argent pour des achats personnels.
[15] Monsieur Shapiro raconte qu’il souffre d’une dépression à cette époque. Il croyait avoir une bonne relation avec monsieur Guttman, mais il apprend, par monsieur Delduca, qu’il profite de sa vulnérabilité pour le dénigrer derrière son dos et le manipuler sur le plan psychologique. Par contre, étant en déni et incapable d’agir, il le défend et lui donne des chances.
[16] Selon monsieur Guttman, monsieur Shapiro le talonne sans cesse, depuis le départ de la représentante, pour révoquer l’entente salariale de 2009 en disant qu’elle n’était plus viable. Il veut qu’il accepte le même type de rémunération que la représentante, à savoir, un salaire de base et des commissions. Il refuse d’accepter une baisse de rémunération et de faire les frais des dépenses déraisonnables du temps de la représentante. En ce qui concerne monsieur Shapiro, il parle plusieurs fois de l’entente à monsieur Guttman en lien avec les revenus de ventes. Celui-ci lui répète qu’il l’a signée et doit la respecter.
[17] À l’été 2010, messieurs Guttman et Shapiro ont une confrontation dans le stationnement d’un fournisseur au sujet de la perte d’un important projet pour lequel tout le personnel avait travaillé sur la soumission. Monsieur Guttman raconte que monsieur Shapiro lui réitère, à cette occasion, qu’il ne peut plus le payer comme prévu à l’entente salariale. Monsieur Guttman revient sur les dépenses déraisonnables pendant le temps de la représentante. Selon monsieur Shapiro, il parle à monsieur Guttman de la baisse de son rendement. Celui-ci le menace en lui disant de ne pas se mêler de ses affaires et que des connaissances pourraient lui casser la main ou le doigt. Monsieur Shapiro dit aux deux représentants du fournisseur inquiets, présents dans le stationnement, qu’il n’y avait pas de problème. Monsieur Guttman et lui quittent chacun avec leur automobile et l’incident est clos.
[18] Par ailleurs, en juillet 2010, monsieur Guttman reçoit de Nulook une tranche de 1 200 $ du montant dû selon l’entente salariale de 2009. Il demande à monsieur Shapiro une avance pour faire un voyage personnel. Toutefois, monsieur Guttman raconte qu’il la demande en craignant que monsieur Shapiro renie l’entente.
[19] En janvier 2011, avant le début du versement des montants prévus à l’entente salariale, monsieur Shapiro évalue qu’il n’avait pas les moyens de les verser à monsieur Guttman en plus de son salaire normal augmenté, qui devenait lui aussi effectif à compter du 1 er février 2011. Il constate que les ventes de monsieur Guttman sont en baisse et inférieures aux attentes de 2009. Ils ont toujours été sous les attentes, dit-il, n’ayant jamais atteint le niveau moyen minimal de 500 000 $ dans l’industrie. Il pense que les revenus de ventes de Guttman se situent probablement entre 100 000 $ et 200 000 $ à la fin. Selon monsieur Guttman, ils totalisent plutôt environ 300 000 $. Ils sont inférieurs à ceux de la représentante parce qu’il travaille moins d’heures qu’elle.
[20] Monsieur Shapiro retient les services d’une firme en ressources humaines. La consultante lui conseille de procéder sur la base d’une restructuration économique, à savoir que monsieur Guttman reçoit un salaire de base et des commissions fondées sur le profit brut des contrats selon la pratique dans l’industrie de sorte que sa rémunération globale augmenterait de pair avec ses ventes.
[21] Monsieur Shapiro dresse un tableau de restructuration économique effective le 31 janvier 2011. Il s’agit de scénarios de rémunération : une allocation automobile de 350 $ par mois; un salaire de base de 500 $ par semaine; des pourcentages de commissions, de 0 % à 35 %, pour six niveaux de vente de 0 $ à 600 000 $. Ceci donne des échelles de rémunération selon deux pourcentages de profit brut des contrats. Ce tableau constitue des attentes implicites de revenus des ventes, dit-il.
[22] Monsieur Shapiro présente le tableau à monsieur Guttman lors d’une rencontre le 28 janvier 2011 dans le bureau de son comptable. Ils discutent des revenus des ventes et des difficultés de paiement. De prime abord, monsieur Guttman est réfractaire, mais il accepte, le 31 janvier suivant, cette nouvelle forme de rémunération.
[23] Au même moment, monsieur Guttman propose à monsieur Shapiro une nouvelle façon de lui verser les montants dus selon l’entente salariale de 2009 sur la base de conseils de son comptable à des fins fiscales. Monsieur Shapiro accepte de verser des chèques à la conjointe de monsieur Guttman, contre la présentation de factures à une autre de ses compagnies, Nulook Office Rejunevation inc.
[24] Selon cette nouvelle entente, Nulook verse 5 000 $ à monsieur Guttman, en février 2011. Par la suite, 1 200 $ devait être versé à la conjointe de monsieur Guttman à compter du 1 er février 2011 et le 1 er du mois pendant 12 mois en plus d’un dernier versement de 1 000 $ en mars 2012. Nulook Office Rejunevation inc. lui verse effectivement ces montants du 1 er février au 1 er octobre 2011 en plus d’une indemnité de vacances en avril 2011.
[25] En juillet 2011, monsieur Guttman refuse un emploi plus rémunérateur offert par un chasseur de têtes. Il n’en cherchait pas. Monsieur Shapiro en est au courant. L’emploi, qui implique beaucoup de voyages, ne l’intéresse pas. Il est heureux chez Nulook malgré les démêlés avec monsieur Shapiro et les chamailleries continuelles au bureau parce qu’il travaille seul sur la route. Selon monsieur Delduca, monsieur Guttman lui mentionne des offres d’emploi, mais il ne lui a jamais parlé de quitter Nulook.
[26] Le jeudi 27 octobre 2011, monsieur Guttman est au bureau. La réceptionniste lui demande la facture pour le versement du 1 200 $ de novembre afin que monsieur Shapiro signe le chèque avant de partir en voyage le 1 er novembre prochain. De plus, monsieur Shapiro lui demande d’aller visiter avec lui le lendemain l’emplacement d’une future succursale sur la réserve de Kahnawake. Monsieur Guttman n’en était pas au courant. Devant se rendre chez un client le matin, il convient de retrouver monsieur Shapiro à 11 h 30 à la succursale. Il accepte par politesse; il déteste traverser le pont Mercier.
[27] Le vendredi 28 octobre, monsieur Guttman arrive chez Nulook vers 8 h 25. Il remet la facture à la réceptionniste. Il met de l’ordre dans ses dossiers clients et constate que le nom de monsieur Shapiro y apparaît. Il en parle à la dessinatrice qui le rassure que cela sera corrigé. Ensuite, il se rend chez son client, et, de là, au rendez-vous avec monsieur Shapiro dans un petit centre commercial sur le bord de l’autoroute 138 dans la réserve de Kahnawake.
[28] Monsieur Guttman arrive vers 11 h 15 et gare son automobile près du futur local de Nulook. Un camion de Nulook est garé dans le stationnement. Il reste dans son automobile et appelle la réceptionniste au sujet de la commande du client qu’il vient de visiter. Il voit deux employés de Nulook, un homme et une femme. Il connaît l’homme qui l’introduit à la femme, une nouvelle employée.
[29] Monsieur Shapiro arrive vers 11 h 30 et gare son automobile à côté de la sienne. Monsieur Guttman laisse son téléphone cellulaire personnel et ses lunettes de lecture dans le tiroir de son automobile. Il va à la rencontre de monsieur Shapiro et ils entrent dans le local où se retrouvent les deux employés affairés à l’aménagement. Monsieur Shapiro l’introduit à la femme qui devait travailler à cet emplacement dont l’ouverture était prévue vers le 8 ou 10 novembre. Monsieur Shapiro lui fait visiter le local qui comprend une aire ouverte et une pièce fermée. Ils vont à l’extérieur voir une remorque remplie de meubles à l’arrière du local. Monsieur Shapiro lui explique qu’il ouvrira une succursale et que la femme et un autre employé y travailleront. Ils retournent au stationnement. Monsieur Guttman trouve étrange ce rendez-vous pour une courte visite de quelques minutes d’une succursale presque vide.
[30] Monsieur Shapiro lui demande d’entrer dans son automobile pour aller visiter un autre emplacement. Il trouve cela étrange, mais sans plus. Ils circulent sur l’autoroute et emprunte une plus petite route. Le trajet lui semble être d’environ trois kilomètres (lorsqu’il y retourne beaucoup plus tard, il réalise qu’il s’agit d’environ un kilomètre). Pendant le trajet, ils parlent de l’automobile de monsieur Shapiro. Monsieur Guttman remarque qu’il y a surtout des boisés sur le trajet.
[31] En arrivant à destination vers 11 h 45, monsieur Guttman constate qu’il s’agit d’un aréna. Il commence à se sentir inconfortable. Monsieur Shapiro gare son automobile en diagonale dans le stationnement, le capot faisant face à l’aréna. Un boisé longe le stationnement devant l’aréna. Pour le reste, il y a des champs autour. Monsieur Guttman ne sait pas si l’aréna est ouvert. Il y a quelques véhicules garés dans le stationnement.
[32] Messieurs Shapiro et Guttman sortent de l’automobile. Ils regardent une égratignure à l’arrière de l’automobile et le parechoc. Les deux debout du côté conducteur de l’automobile, monsieur Shapiro lui dit d’attendre un moment; quelqu’un devait arriver. Sur le fait, une automobile arrive et se gare en diagonale à une trentaine de pieds, le capot faisait face à l’aréna. Un autochtone costaud de la réserve sort et reste debout devant son automobile. Monsieur Shapiro le salue par son nom. Messieurs Shapiro et Guttman se dirigent vers lui. Monsieur Shapiro lui sert la main. Ils s’échangent quelques salutations. Monsieur Shapiro ne le lui présente pas. Monsieur Guttman se sent plus inconfortable.
[33] Monsieur Shapiro retourne vers le côté conducteur de son automobile et monsieur Guttman le suit. Monsieur Shapiro lui dit, en sortant une enveloppe de son manteau, qu’il veut qu’il lise et signe un document. Monsieur Guttman lui demande de le lire pour lui parce qu’il a laissé ses lunettes dans son automobile. Monsieur Shapiro lit le document : il lui donne les 2 200 $ restants de l’entente salariale et il démissionne. Monsieur Guttman dit qu’il ne comprend pas ce qu’il veut faire et qu’il ne signe rien parce qu’il n’a rien reçu. Monsieur Shapiro lui dit qu’il doit signer et démissionner parce qu’il n’est pas productif. Monsieur Guttman refuse de signer le document. Toujours dans le champ de vision de l’autochtone, monsieur Guttman est anxieux et inconfortable. Lui et monsieur Shapiro se parlent fort. L’autochtone dit deux fois à monsieur Guttman de rester calme et que rien ne va arriver. Monsieur Guttman se sent dans le trouble; on l’a amené dans un endroit isolé pour le piéger et l’intimider.
[34] Monsieur Shapiro lui donne un stylo pour signer le document sur le capot de l’automobile. Ce faisant, il saisit sa main et tord son pouce. Monsieur Guttman refuse. L’autochtone lui dit de le faire et qu’il n’aura pas de problème. Apeuré, monsieur Guttman signe le document lorsque son pouce commence à lui faire mal en craignant que monsieur Shapiro le lui casse. Monsieur Shapiro refuse de lui donner une copie du document et il ne lui remet pas d’argent. Il lui dit de ne pas communiquer avec ses clients ou faire des plaintes à la Commission des normes du travail sous peine de poursuites. Il lui demande de lui remettre son téléphone cellulaire. Monsieur Guttman lui dit qu’il l’a laissé dans son automobile. Il lui demande ce qu’il arrivera demain pour le travail. Monsieur Shapiro lui répond qu’il vient de démissionner. Monsieur Guttman est en état de choc.
[35] Monsieur Shapiro entre dans son automobile et part en disant à monsieur Guttman de retourner au centre commercial à pied. Seul dans le stationnement avec l’autochtone, monsieur Guttman lui demande, en panique, s’il peut couper à travers le champ pour retourner au centre commercial en grimpant par-dessus une petite clôture. Il ne pense pas à aller voir dans l’aréna. Il enjambe la clôture et marche à travers le champ et sur le bord de l’autoroute jusqu’au centre commercial. Rendu à son automobile, vers 12 h 15, il n’y a plus personne sur les lieux. Il est secoué par les événements. Il trouve ses lunettes dans le tiroir de son automobile, mais pas son téléphone cellulaire. Il n’y avait pas de signes d’entrée par infraction dans son automobile. Il n’a pas vérifié si la portière était déverrouillée avant d’insérer sa clé, mais les portes de son automobile ne se verrouillent pas automatiquement. Monsieur Guttman retourne chez lui avec son automobile en empruntant la même autoroute dans l’autre sens. En repassant devant le centre commercial, il remarque l’automobile de l’autochtone garée devant l’emplacement du futur Nulook.
[36] Monsieur Guttman a 62 ans à ce moment. Il est de petite stature comparée à monsieur Shapiro et l’autochtone. Il n’a jamais eu l’intention de démissionner, dit-il; il était heureux dans son travail, le produit l’intéressait et sa clientèle augmentait. Après sa démission forcée, comme il la qualifie, il retourne chez lui et révise l’incident et sa situation. Il annule son téléphone cellulaire, mais il considère comme une perte de temps de rapporter son vol. Il en achète un nouveau en novembre. Il reçoit un courriel de la réceptionniste qui lui demande les clés du bureau. Il les envoie chez Nulook par courrier. On lui dit de ramasser sa dernière paie au local à Kahnawake. Craignant un autre piège, il n’y va pas et il ne l’a donc jamais reçue.
[37] Vers le 1 er ou le 2 novembre 2011, il communique avec le chasseur de têtes qui lui avait offert un emploi en juillet pour s’enquérir de la disponibilité de ce travail. Par transparence, il lui parle de l’incident du 28 octobre. Il n’a pas eu d’entrevue. Il fait une demande d’emploi au projet pour le produit de matières recyclées, mais aucun travail n’est disponible. Il croit que personne ne lui donnera du travail à cause de l’incident.
[38] Il se rend à l’assurance-emploi. Par une décision du 20 janvier 2012, l’organisme compétent informe Nulook qu’il accorde à monsieur Guttman des prestations d’assurance-emploi parce qu’il a quitté son travail de façon volontaire avec cause n’ayant aucune autre alternative dans les circonstances.
[39] Il se rend aussi à la Commission des normes du travail. S’il avait trouvé un travail, il n’aurait pas déposé de plaintes; il ne voudrait pas annoncer à un nouvel employeur la possibilité d’aller en cour contre un ancien employeur.
[40] De plus, il va faire des rapports d’incident à la Gendarmerie royale du Canada et à la Sûreté du Québec, qui le dirige vers la police de Kahnawake. Il s’y rend seulement en décembre 2011 avec sa conjointe. Il évite l’endroit. Il n’aime pas traverser le pont Mercier de sorte qu’il attend que son beau-frère puisse l’y conduire. Il constate que le poste de police est proche de l’aréna. Il ne l’avait pas remarqué le 28 octobre. Sa conjointe rédige un rapport pour lui. Il ne s’agit pas d’une plainte. Rien n’est arrivé de ses rapports.
[41] Monsieur Guttman considère que monsieur Shapiro l’a traité comme un criminel. Il l’a menacé et il a atteint son intégrité physique et son moral. Depuis, il s’inquiète pour sa sécurité et vit dans la peur. Il est hanté par l’incident. Il surveille constamment autour de lui pour des automobiles comme celle de monsieur Shapiro. Il a perdu sa qualité de vie : il souffre d’insomnie; il a des cauchemars; il est moins productif au quotidien. Il a peur de communiquer avec ses petits-enfants par crainte de les mettre en danger parce que monsieur Shapiro lui dit, le 28 octobre, qu’il le paiera s’il se plaint. Il les prévient en leur racontant l’incident. Il les visite par la suite, malgré tout. Il ne consulte pas un psychologue, mais il consulte son médecin qui lui parle de la possibilité de médication, mais il ne croit pas en cela. Il recherche du travail, malgré sa peur, parce qu’il doit aller de l’avant. Il a refait son curriculum vitae sans Nulook et il a soumis plus de cent demandes d’emploi, sans succès.
[42] Monsieur Shapiro a plusieurs connaissances à la réserve de Kahnawake où il fait affaire depuis de nombreuses années. L’une d’elles lui mentionne, vers la fin septembre 2011, la disponibilité d’un local dans le centre commercial pour ouvrir une succursale de Nulook, un projet depuis quelques années. Il visite le local et il décide d’aller de l’avant. Tout doit être mis en place rapidement. En octobre, il embauche une connaissance d’un employé comme gérante et l’ameublement de la succursale est commandé. Le moment n’est pas idéal étant donné son voyage de golf de trois jours le 1 er novembre et l’ouverture de la succursale prévue le samedi 5 novembre. Monsieur Guttman n’est au courant de rien.
[43] Selon monsieur Shapiro, monsieur Guttman l’appelle le 26 octobre 2011 pour l’informer qu’il en a assez, qu’il démissionne de Nulook, que le 28 octobre serait son dernier jour de travail, qu’il reste 2 200 $ à lui verser selon l’entente salariale de 2009 et qu’il le veut en argent comptant. Étant fort occupé par l’ouverture de la nouvelle succursale, monsieur Shapiro n’est pas préoccupé par la démission de monsieur Guttman. Il lui répond qu’il fallait mettre cela par écrit et qu’il rédigera une lettre avec les détails des montants de l’entente salariale. Étant donné que monsieur Guttman ne sait pas bien écrire, monsieur Shapiro ne lui demande pas d’écrire une lettre de démission d’autant plus qu’il veut s’assurer que tous les montants de l’entente salariale versés et non versés sont bien ventilés en fonction des chèques émis par ses compagnies. Par contre, monsieur Shapiro déclare, à un autre moment, que c’est monsieur Guttman qui lui demande d’écrire la lettre avec tous les détails.
[44] Monsieur Shapiro informe aussi monsieur Guttman qu’ils doivent se rencontrer. Étant donné qu’il n’a pas le temps de le rencontrer chez Nulook et que monsieur Guttman doit visiter un client le vendredi matin, il lui demande de se rendre au centre commercial à Kahnawake à 11 h 30. Il lui explique qu’il doit y joindre des employés pour installer l’ameublement d’une nouvelle succursale avant de partir en voyage le 1 er novembre. Il ne lui demande pas de le rencontrer pour visiter la nouvelle succursale.
[45] Le document écrit par monsieur Shapiro est daté du 28 octobre 2011. Il y est mentionné que monsieur Guttman démissionne de Nulook immédiatement pour poursuivre d’autres champs d’intérêt et que la somme due selon l’entente de 2009 lui a été complètement versée. Les détails de chaque chèque émis sont énumérés. Le dernier item mentionne une somme de 2 200 $ versée comptant à monsieur Guttman. C’est la consultante en ressources humaines qui lui conseille de tout mettre sur papier afin d’éviter des problèmes. Il apprend plus tard que l’employé devrait écrire sa propre lettre de démission.
[46] Monsieur Shapiro arrive vers 11 h 45 au centre commercial. Monsieur Guttman y est déjà avec les deux employés. Il en profite pour lui faire visiter rapidement l’intérieur et l’extérieur du local. Dans le local, monsieur Shapiro lui dit qu’il a l’argent et qu’il doit signer un document. Monsieur Guttman lui dit qu’il est inconfortable d’échanger de l’argent devant les deux employés. Monsieur Guttman nie que monsieur Shapiro lui parle de cela ou lui montre un document au local, au centre commercial ou en route vers l’aréna.
[47] Sachant qu’il y a un aréna à proximité près du poste de police de la réserve, monsieur Shapiro appelle un policier avec qui il joue au hockey dont le quart se termine à midi. Il l’appelle pour avoir un témoin parce qu’il ne fait pas confiance à monsieur Guttman. Il ne le joint pas, mais il parle à un autre ami policier, l’autochtone costaud mentionné par monsieur Guttman. Il lui demande d’agir comme témoin sans autres précisions. Son ami accepte en disant qu’il le rencontrera à l’aréna sous peu. Monsieur Shapiro ne dit pas à monsieur Guttman qu’un ami policier sera témoin. Un policier lui semble plus fiable comme témoin que ses deux employés. Son ami policier aurait pu le rencontrer à tout endroit pour faire la transaction.
[48] Monsieur Shapiro sort du local avec monsieur Guttman et prend son automobile pour se rendre à l’aréna avec ce dernier. Ils ne se disent rien sur la route. Monsieur Guttman est calme. Ils passent devant le poste de police. L’aréna est derrière un boisé d’où on ne voit pas le poste en tant que tel, sauf son toit.
[49] Selon monsieur Shapiro, ils arrivent dans le stationnement de l’aréna vers midi. Un autobus d’écoliers et des automobiles y sont garés. Il y avait donc des personnes dans l’aréna et l’endroit n’était forcément pas isolé, note-t-il. Il gare son automobile à la verticale, la valise devant l’aréna. Lui et monsieur Guttman sortent de l’automobile. Il regarde dans la direction d’où ils viennent et monsieur Guttman lui demande pourquoi ils attendent. Il lui répond qu’il attend un ami. Celui-ci arrive peu après et gare son automobile à la verticale à deux emplacements de la sienne, la valise devant l’aréna. Son ami, qui est costaud et habillé en civil, sort de son automobile. Monsieur Shapiro a possiblement dit à monsieur Guttman qu’il s’agissait d’un ami, mais il ne les a pas présentés. Il ne lui dit pas qu’il était un policier. Il lui dit qu’il était témoin pour l’échange d’argent et la signature du document.
[50] Monsieur Shapiro sort une enveloppe avec l’argent et le document. Monsieur Guttman veut lire le document, mais il n’a pas ses lunettes avec lui. Monsieur Shapiro le lui lit au complet. Il l’avait déjà signé. Il prête son stylo à monsieur Guttman. Il met un dossier sous le document et monsieur Guttman le signe sur la valise de son automobile. Il lui donne l’enveloppe avec l’argent et une copie du document signé. Monsieur Guttman met le tout dans sa poche. Son ami policier les regarde et demande où ils vont. Monsieur Shapiro lui dit qu’ils retournent au centre commercial. Il leur demande s’ils veulent du café; il ira en chercher et les rencontrera là-bas. Monsieur Shapiro répond par l’affirmative, mais monsieur Guttman ne dit rien. Monsieur Guttman s’enquiert de son relevé d’emploi. Ils retournent au centre commercial dans l’automobile de monsieur Shapiro. Ils ne se disent rien sur la route. À leur retour, monsieur Shapiro salue une connaissance du local voisin. Monsieur Guttman se rend à son automobile et quitte le centre commercial. L’ami policier de monsieur Shapiro arrive avec des cafés. Par la suite, monsieur Shapiro retourne à Montréal, soit chez Nulook ou à un rendez-vous au centre-ville.
[51] Monsieur Guttman nie que monsieur Shapiro lui lit l’intégralité du document et qu’il en a reçu copie. Il n’a jamais reçu 2 200 $ en argent comptant ou par chèque à ce moment ou plus tard. Il n’a jamais demandé un versement en argent comptant; tout se faisait par chèque.
[52] Le document de démission est signé en date du 28 octobre 2011 par messieurs Guttman et Shapiro. Celui-ci apprend plus tard qu’il aurait dû le faire signer par son ami policier. Étant sa première expérience, il a fait des erreurs. Il est soulagé et heureux que monsieur Guttman démissionne; son rendement était terrible et il avait d’autres préoccupations à ce moment. Il s’assure que monsieur Guttman n’a plus besoin de retourner chez Nulook. Son accès au système informatique et aux courriels est interrompu pendant le temps de leur rencontre. Monsieur Guttman n’avait pas d’effets personnels chez Nulook. Celui-ci envoie la clé de Nulook par courrier. Son relevé d’emploi est laissé au local à Kahnawake, mais il n’est jamais passé le prendre. Le bureau de l’assurance-emploi communique avec Nulook qui l’envoie à monsieur Guttman par courrier.
[53] Selon monsieur Shapiro, il ne pourrait pas réintégrer monsieur Guttman dans son emploi en raison de son mauvais rendement. De plus, il le harcèle en abusant du système judiciaire par le dépôt des présentes plaintes parce qu’il bénéficie de services gratuits d’un conseiller juridique, contrairement aux employeurs.
[54] Par sa plainte selon l’article 123.6 de la loi, monsieur Guttman invoque une seule conduite grave de monsieur Shapiro le 28 octobre 2011. Selon l’article 81.18 de la loi , une seule conduite grave peut constituer du harcèlement psychologique si elle porte une atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et produit un effet nocif continu pour lui.
[55] Quant à sa plainte selon l’article 124 de loi, monsieur Guttman prétend avoir été congédié injustement de façon déguisée par une démission forcée le 28 octobre 2011. Les parties admettent que monsieur Guttman est un salarié au sens de la loi qui justifie au moins deux ans de service continu dans l’entreprise où il n’existe pas une autre procédure similaire de réparation.
[56] Nulook n’admet pas que les plaintes sont déposées dans les délais prescrits. Toutefois, la fin d’emploi ou la manifestation invoquée de harcèlement psychologique étant le 28 octobre 2011, les plaintes déposées le 22 novembre suivant respectent les délais légaux.
[57] Monsieur Guttman réclame la réintégration dans son emploi; elle serait réaliste parce qu’il travaille sur la route. Il demande une indemnité pour la perte de salaire et autres avantages et des dommages moraux qui résultent de sa démission forcée.
[58] Il est convenu que la Commission rende une décision sur le fond et la réparation et réserve sa compétence pour le quantum.
[59] La Commission doit décider si la fin d’emploi de monsieur Guttman constitue une démission volontaire ou un congédiement injuste par démission forcée. Elle doit aussi déterminer si les événements du 28 octobre 2011 constituent du harcèlement psychologique.
[60] La Commission est devant des versions contradictoires des événements menant à la signature par monsieur Guttman du document de démission du 28 octobre 2011. Elle retient celle de monsieur Guttman comme étant la plus fiable et compatible avec un congédiement par une démission forcée. La force du témoignage de monsieur Guttman la convainc de la véracité de son récit des événements du 28 octobre. Il n’a pas démissionné de façon libre et volontaire ce jour-là. Il a été contraint à le faire en raison des circonstances. Il a été congédié injustement de façon déguisée.
[61] Monsieur Guttman n’a jamais eu l’intention de démissionner de Nulook. Au contraire, il refuse un emploi plus rémunérateur offert par un chasseur de têtes quelques mois auparavant, en juillet 2011, alors qu’il n’en cherchait pas. Monsieur Shapiro en est au courant. Monsieur Guttman préfère rester chez Nulook malgré les chamailleries de bureau et les démêlés avec monsieur Shapiro au sujet de sa rémunération parce qu’il aime son travail autonome sur la route . Monsieur Delduca reconnaît que monsieur Guttman ne lui a jamais confié une intention de quitter Nulook. Monsieur Guttman n’a pas tenté de se trouver un nouvel emploi en vue d’une démission. Il n’en a d’ailleurs toujours pas trouvé malgré ses tentatives depuis sa fin d’emploi.
[62] À l’opposé, monsieur Shapiro invoque plusieurs insatisfactions envers monsieur Guttman : manque de connaissance des produits; difficultés de rédaction; deux incidents de comportement inapproprié, un envers un client et l’autre envers lui-même; monsieur Guttman parle contre lui derrière son dos à monsieur Delduca; rémunération incompatible avec les revenus des ventes; revenus des ventes insatisfaisants. Fondées ou non, signifiées ou non à monsieur Guttman, ces insatisfactions indiquent une motivation de rompre le lien d’emploi avec lui. D’ailleurs, il est question de son congédiement lors de conversations entre messieurs Shapiro et Delduca. Monsieur Shapiro se dit même soulagé et heureux du départ de monsieur Guttman.
[63] Ainsi, il est difficile de croire que monsieur Guttman appelle monsieur Shapiro le 26 octobre 2011 pour lui dire qu’il démissionne et que le 28 octobre serait son dernier jour de travail. Il est d’ailleurs étonnant que monsieur Shapiro ne réagisse pas devant un si court préavis. Il se retrouve pourtant sans représentant alors qu’il est accaparé par l’ouverture prochaine d’une nouvelle succursale entrecoupée d’un court voyage.
[64] Selon monsieur Shapiro, il offre à monsieur Guttman d’écrire la lettre de démission parce que celui-ci ne sait pas bien écrire. Par contre, il se contredit plus tard dans son témoignage en disant que c’est monsieur Guttman qui le lui demande. Or, monsieur Guttman est vraisemblablement capable de rédiger lui-même une lettre de démission; il a écrit l’entente salariale de 2009 et des courriels. Sa conjointe pouvait aussi l’écrire. Le fait que monsieur Shapiro écrit la lettre de démission milite contre une démission volontaire de monsieur Guttman et pour un scénario de démission forcée.
[65] En outre, le document mentionne une démission immédiate, alors que selon la propre version de monsieur Shapiro, monsieur Guttman annonce plutôt que son dernier jour de travail est le 28 octobre, donc toute cette journée. Par ailleurs, monsieur Shapiro ne mentionne pas dans le document ni lors de la rencontre, la question du relevé d’emploi ou de la dernière paie, ce à quoi on s’attendrait dans le cas d’une démission volontaire.
[66] Par ailleurs, si monsieur Guttman démissionne librement à la fin de la journée du 28 octobre, il n’y a aucune raison de couper son accès au système informatique dans le milieu de cette journée ou de lui envoyer son relevé d’emploi et sa dernière paie à la nouvelle succursale pour éviter qu’il retourne chez Nulook. Ceci indique le comportement d’un employeur qui veut se débarrasser d’un employé.
[67] S’il s’agit d’une démission volontaire de monsieur Guttman, rien ne pressait. Selon la version de monsieur Shapiro, ce n’est pas monsieur Guttman qui demande une rencontre pour signer une démission le 28 octobre. Quoi de plus simple que de lui demander de passer au bureau de Nulook pour prendre son relevé d’emploi et les chèques pour les montants dus et remettre la clé au cours de la semaine suivante en présence de la réceptionniste, de la dessinatrice ou même de monsieur Shapiro avant ou après son voyage de golf de trois jours. La signature d’un document de démission pouvait se faire à ce moment.
[68] Monsieur Shapiro dit ne pas avoir le temps de rencontrer monsieur Guttman chez Nulook le 28 octobre parce qu’il est occupé par l’installation de la nouvelle succursale. Toutefois, il n’y est pas le matin ou l’après-midi du 28 octobre. Il y est juste le temps de la rencontre avec monsieur Guttman. Il dit même être retourné à Montréal, à Nulook ou au centre-ville, en après-midi. Il pouvait donc rencontrer monsieur Guttman à Montréal en après-midi, à tout le moins. Il n’était pas nécessaire de le rencontrer sur la Rive-Sud.
[69] Si monsieur Shapiro voulait la présence d’un témoin à la succursale pour la remise des sommes dues, il est étonnant qu’il n’ait pas pris des arrangements en ce sens avant la rencontre du 28 octobre. Manifestement, il n’entendait pas utiliser ses deux employés sur place comme témoins. En outre, selon sa propre version, c’est seulement après que monsieur Guttman aurait manifesté un inconfort devant l’échange d’argent en présence des employés qu’il veut trouver un témoin. Il est difficile de croire que monsieur Shapiro interrompt leur conversation pour faire un appel pour en trouver un. En effet, selon sa propre version, il ne dit pas à monsieur Guttman qu’il fait un appel en ce sens, qu’il en a trouvé un et qu’il fallait aller le joindre à l’aréna. Monsieur Shapiro n’a donc pas fait cet appel à ce moment. De plus, si le témoin pouvait aller à l’aréna, il pouvait forcément se rendre à la succursale. Il s’y rend d’ailleurs, selon les deux versions, après la rencontre dans le stationnement de l’aréna.
[70] En outre, si monsieur Guttman était vraiment inconfortable d’échanger de l’argent devant les deux employés sur place, il était simple de le faire hors de leur présence dans la pièce fermée de la succursale, à l’arrière de celle-ci, dans le stationnement à l’avant ou dans l’automobile de monsieur Shapiro ou celle de monsieur Guttman. Il n’y avait donc aucune raison valable pour le faire à l’aréna.
[71] Enfin, rendu à l’aréna, monsieur Shapiro reconnaît ne pas avoir présenté à monsieur Guttman son ami policier comme étant un témoin. D’ailleurs, cette personne ne signe pas le document. Manifestement, monsieur Shapiro ne remet pas une copie du document signé à monsieur Guttman. Celui-ci signe le document sur place. Il n’y a aucune preuve qu’il en signe deux exemplaires, un pour lui et un pour monsieur Shapiro, ou qu’ils utilisent une photocopieuse quelque part pour faire une copie.
[72] Bref, la version de monsieur Shapiro ne tient pas la route. Elle est incompatible avec une simple démission libre et volontaire d’un salarié.
[73] Par contre, la version de monsieur Guttman coule de source. Monsieur Shapiro utilise le prétexte d’une visite de la nouvelle succursale pour l’amener dans un endroit isolé pour le forcer à démissionner en présence d’un garde du corps intimidant par sa stature imposante, qui ne lui est pas présenté. Il est tout à fait plausible que monsieur Guttman ne remarque pas le poste de police en route et il n’est pas visible du stationnement de l’aréna. Selon les deux versions, il n’y a pas de va-et-vient dans le stationnement. De plus, monsieur Shapiro emploie la force physique pour faire signer le document de démission par monsieur Guttman. Celui-ci le signe sous la pression et la peur devant deux hommes plus corpulents que lui qui le laissent seul pour retourner à son automobile à pied.
[74] Manifestement, cette conduite de monsieur Shapiro envers monsieur Guttman est grave et constitue du harcèlement psychologique. Elle porte atteinte à son intégrité morale et physique et produit un effet nocif continu pour lui. Il n’est pas nécessaire d’avoir des marques de blessure ou d’être diagnostiqué d’une maladie psychologique avec prise de médication pour en arriver à cette conclusion. De toute évidence, monsieur Guttman est toujours troublé par cette histoire et son moral a été affecté. Il n’est pas difficile de croire qu’elle lui cause toujours de la peur, de l’anxiété et des troubles du sommeil, même s’il trouve la force d’aller de l’avant.
[75] Dans les circonstances, la réintégration de monsieur Guttman dans son emploi est un remède illusoire. Pour compenser la perte d’un emploi qui convenait à monsieur Guttman à ce stade de sa vie professionnelle, la Commission lui accorde une indemnité de 4 000 $ en fonction de son âge et du nombre d’années de service chez Nulook. Il a aussi droit à une indemnité de perte de salaire et autres avantages dont l’a privé son congédiement. En raison de la nature des effets nocifs déjà décrits que lui a causés la conduite grave de monsieur Shapiro le 28 octobre 2011, la Commission lui accorde 1 000 $.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
ACCUEILLE les plaintes;
ANNULE le congédiement imposé le 28 octobre 2011;
DÉCLARE que Charles Guttman a été victime de harcèlement psychologique;
DÉCLARE
que
Nulook
solutions bureau inc.
a fait défaut de respecter ses obligations prévues à
l’article
DÉCIDE qu’il n’y a pas lieu de réintégrer Charles Guttman dans son emploi;
ORDONNE
à
Nulook solutions
bureau inc.
de verser à
Charles Guttman
à titre d’indemnité de perte
de salaire, dans les huit (8) jours de la signification de la présente
décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé son
congédiement, le tout portant intérêt à compter de la date du dépôt de la
plainte conformément à l’article
ORDONNE
à
Nulook solutions
bureau inc.
de verser à
Charles Guttman
à titre d’indemnité de perte
d’emploi, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision,
une somme de
4 000 $
, le tout portant intérêt au taux fixé suivant
l’article
ORDONNE
à
Nulook solutions
bureau inc.
de verser à
Charles Guttman
, dans les huit (8) jours de
la signification de la présente décision, la somme de
1 000 $
à titre
de dommages moraux, le tout portant intérêt au taux fixé suivant l’article
RÉSERVE sa compétence pour déterminer le quantum des indemnités, le cas échéant.
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__________________________________ Louise Verdone |
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M e Anne-Marie Plouffe |
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RIVEST, TELLIER, PARADIS |
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Représentante du plaignant |
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M e Jamie Benizri |
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LEGAL LOGIK INC. |
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Représentant de l’intimée |
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Date de la dernière audience : |
24 mai 2013 |
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/ga