Cryocath et Knezevic

2013 QCCLP 3883

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

28 juin 2013

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

472578-71-1205

 

Dossier CSST :

139290183

 

Commissaire :

Robert Langlois, juge administratif

 

Membres :

Alain Crampé, associations d’employeurs

 

Jennifer Smith, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Medtronic CryoCath

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Maja Knezevic

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

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DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]            Le 28 mai 2012, l’entreprise MedtronicCryoCath (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle est contestée une décision rendue le 22 mai 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]            Par cette décision, la CSST maintient la décision qu’elle a initialement rendue le 1 er mai 2012 et déclare que madame Maja Knezevic (la travailleuse) est admissible au retrait préventif de la travailleuse enceinte.

[3]            L’audience s'est tenue à Montréal le 12 juin 2013 en présence de l’employeur et de sa représentante. La travailleuse y est absente.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]            L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse n’est pas admissible au retrait préventif de la travailleuse enceinte.

LA PREUVE

[5]            L’entreprise dont l’employeur est propriétaire procède à la fabrication de cathéters qui seront utilisés pour traiter les patients atteints de maladies cardio-vasculaires.

[6]            La travailleuse y occupe l’emploi d’ingénieure chimique. Il appert que ses fonctions sont exercées à deux établissements différents, soit celui de Pointe-Claire et un autre situé à Kirkland.

[7]            Le 19 mars 2012, la travailleuse est enceinte de 15 semaines lorsqu’elle soumet un Certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite . Sur ce certificat, la docteure Fatima Haouara recommande un retrait immédiat en raison des dangers physiques pour l’enfant à naître. Ce certificat est accompagné d’une étude de poste réalisée par le CSSS de la Montagne et qui comprend les informations suivantes :

Son travail consiste à créer et valider des protocoles de fabrication. Une partie de son travail est dans les bureaux et une autre partie est dans la production.

 

[…]

 

Facteurs de risque chimique

 

Source de l’exposition : Gaz réfrigérant pour tester les cathéters

 

Risque : Azote, protoxyde d’ (oxyde nitreux)

 

Lorsque le cathéter est terminé d’assembler, il est soumis à un test de réservoir d’eau, alors que l’on fait circuler du protoxyde d’azote pour s’assurer qu’il fonctionne correctement.

 

Ce gaz est introduit dans le cathéter, où il circule, pour être ensuite évacué vers l’extérieur de la salle par un conduit spécialisé (« Scanvenger »).

Lors de la visite, nous avons procédé à de nombreux prélèvements d’air dans les trois salles afin de quantifier les concentrations de protoxyde d’azote auxquelles ont [ sic ] peut être exposés. Ces prélèvements ont été effectués dans des sacs qui ont été ensuite envoyés à l’analyse en laboratoire. Le remplissage des sacs prenait environ 60 minutes pour chacun d’eux.

 

Salle 1, nous avons une concentration de 1 ppm. Le prélèvement a été fait près du pont de contrôle des cathéters avec le protoxyde d’azote.

Salle 3, nous avons une concentration de 1,8 ppm. Le prélèvement était là aussi près du poste de contrôle des cathéters.

Salle 4, nous avons deux concentrations de 1,5 et 1,6 ppm. Les prélèvements ont été faits près et à distance du poste de contrôle des cathéters.

En gros, les concentrations ambiantes dans les salles d’assemblage des cathéters semblent osciller entre 1 et 2 ppm de protoxyde d’azote. Il faut aussi voir que les volumes d’air dans les salles d’assemblage sont filtrés plusieurs fois par heure. Les données de l’employeur indiquent des changements par filtration pouvant varier entre 30 et 80 fois par heure. Nous avons donc là une situation avec un effet de dilution très important de la contamination.

 

[…]

 

Conclusion : on retrouve du protoxyde d’azote partout dans les bâtiments.

 

[...]

 

Conclusion

 

L’affectation est recommandée immédiatement, pour le(s) facteur(s) de risque ou agresseur(s) identifié(s)

       Facteurs de risque chimique : Azote, protoxyde d’(oxyde nitreux) (Source de l’exposition : Gaz réfrigérant pour tester cathéters)

 

La travailleuse ne doit pas être exposée au protoxyde d’azote. Une étude antérieure dans l’établissement montre la présence de ce gaz partout dans le bâtiment.

 

 

[8]            Dans une lettre datant du 14 août 2012, monsieur Gilles Séguin, coordonnateur Santé et sécurité au CSSS de la Montagne, inscrit ce qui suit concernant la recommandation de réaffecter la travailleuse :

Les recommandations émises dans le cadre du programme pour une maternité sans danger se basent, avant tout, sur des guides provinciaux élaborés par les membres du comité médical provincial d’harmonisation pour une maternité sans danger. Lorsque ces guides font défaut, les médecins désignés ont la responsabilité d’émettre des recommandations en appliquant «  le cadre de référence en gestion des risques pour la santé dans le réseau Québécois de la santé publique  ».

 

Concernant le protoxyde d’azote, comme aucun guide provincial n’a été développé, que les études scientifiques disponibles semblent contradictoires et qu’aucun seuil de toxicité n’est connu, nous avons décidé (les membres du comité d’harmonisation pour le programme maternité sans danger), conformément au guide sus cité et à ses principes directeurs, particulièrement le principe de précaution, d’un commun accord, que la travailleuse enceinte susceptible d’être exposée au protoxyde d’azote est réaffectée de façon immédiate pour éviter son exposition à ce contaminant chimique.

 

 

[9]            Monsieur Tony Analia, gérant de fabrication chez l’employeur, témoigne en cours d’audience. Il précise tout d’abord qu’à l’établissement de Kirkland, on procède à la fabrication des cathéters alors qu’à Pointe-Claire, on retrouve le bureau chef, le département de recherche et de développement de nouveaux produits, les ressources humaines ainsi que d’autres services administratifs.

[10]         Dans le cours de ses tâches, la travailleuse est présente à l’établissement de Pointe-Claire pour 70 % de son temps de travail alors qu’elle œuvre à celui de Kirkland durant 30 % de cette période. Lorsqu’elle est au bureau de Pointe-Claire, ses fonctions l’appellent à se retrouver dans son bureau durant 60 % de son horaire de travail. Le reste du temps (10 %), elle est présente dans les laboratoires du département de recherche et de développement.

[11]         Par ailleurs, lorsque sa présence est requise à Kirkland, 25 % de son temps est passé dans les salles propres et 5 % dans des bureaux ou dans une salle de conférence.

[12]         Son quart de travail s’échelonne sur une période hebdomadaire de 40 heures.

[13]         Monsieur Analia décrit les tâches exécutées par la travailleuse lorsqu’elle n’œuvre pas dans des bureaux administratifs. À cet effet, il explique que pour pénétrer dans les salles propres, la travailleuse doit suivre un protocole d'habillement afin de s'assurer que de stricts critères de décontamination sont appliqués. Dans les salles, on retrouve des consoles qui contrôlent la quantité de protoxyde d'azote (N 2 O) nécessaire à la fabrication des cathéters. Cette substance prend la forme gazeuse lorsqu'elle est insérée dans le cathéter. Après son utilisation, elle est évacuée vers la console et, par la suite, est rejetée à l'extérieur du bâtiment. Parce que le protoxyde d'azote est utilisé en circuit fermé, selon monsieur Analia, on en retrouve très peu dans l'air ambiant des salles propres.

[14]         Lorsque la travailleuse est présente dans les salles propres, elle se place à des distances variables du procédé de fabrication.

[15]         La situation est similaire lorsqu’elle œuvre à l'intérieur des laboratoires du département de recherche et développement de Pointe-Claire.

[16]         Monsieur Analia affirme qu'il n'y a jamais eu de problème technique qui aurait fait en sorte qu'une fuite de protoxyde d'azote se produise dans les locaux de l'entreprise.

[17]         Le 17 février 2011, le CSSS Jeanne-Mance procède à une intervention environnementale de l'établissement de Kirkland. On rapporte des concentrations suivantes de protoxyde d'azote:

Salle 1, près du point de contrôle des cathéters: 1 ppm

Salle 3, près du poste de contrôle des cathéters: 1,8 ppm

Salle 4, près du point de contrôle des cathéters: 1,5 ppm

Salle 4, à distance du point de contrôle des cathéters: 1,6 ppm

 

Assemblage des consoles: 11,1 ppm

Contrôle de qualité des consoles: 16,2 ppm

 

Assemblage électronique: 1,2 ppm

Bureau à aire ouverte: 1,5 ppm

 

 

[18]         Monsieur Analia précise que les salles 1, 3 et 4 réfèrent à des salles propres. La travailleuse n’a pas à accéder aux endroits où on procède à l’assemblage et au contrôle de qualité des consoles ainsi qu’à la salle d’assemblage électronique.

[19]         Lors d’une nouvelle visite effectuée le 20 septembre 2012, mais cette fois-ci à l’établissement de Pointe-Claire, les concentrations de protoxyde d’azote mesurées sont celles-ci :

Laboratoire mécanique

9:35-10:32 : 1,86 ppm

10:32-11:25 : 1,94 ppm

11:25-12:10 : 1,96 ppm

 

Aire ouverte

9:40-10:35 : 1,57 ppm

10:35-11:27 : 1,64 ppm

11:27-12:14 : 1,86 ppm

 

Cafétéria

9:42-10:37 : 0,76 ppm

10:37-11:29 : 0,89 ppm

11:29-12:15 : 0,88 ppm

 

Bureau - représentante en ressources humaines

10:03-10:41 : 0,62 ppm

10:41-11:31 : 0,75 ppm

11:31-12:25 : 0,62 ppm

 

Sortie d’air (ventilation) - Bureau- représentante en ressources humaines

10:01-10:40 : 0,79 ppm

10:40-11:30 : 0,77 ppm

11:30-12:20 : 0,80 ppm

 

 

[20]         Le dossier comprend un avis rédigé le 24 mai 2013, à la demande de l’employeur, par le docteur René Chémaly, gynécologue-obstétricien. On peut notamment y lire ce qui suit :

(i)          Identifier la concentration maximale de protoxyde d’azote (en ppm) à laquelle la femme enceinte (sans condition de santé particulière ni grossesse à risque) peut être exposée dans son environnement de travail sans risque de danger réel pour sa santé ainsi que celle du foetus.

En ce qui concerne la valeur moyenne Pondérée (VEMP) pour la population en général, les différents organismes suggèrent différentes valeurs. Le Québec semble avoir adopté la valeur de l’American Conference of Government of Industrial Hygienists (ACGIH), soit 50 ppm, alors que la National Institute for Occupational Safety and Health (NIOSH) suggère plutôt 25 ppm. Plus spécifiquement pour la femme enceinte ces organismes ne se prononcent pas pour les limites maximales sans danger pour la femme enceinte.

 

La Occupational Safety and Health Administration (OSHA) se prononce, quant à elle, sur le niveau d’exposition pour la femme enceinte dans une lettre adressée au Docteur Zavorsky (copie jointe et extrait ci bas) en mai 2009 où on accepte le même niveau que pour la population en général:

 

“OSHA’s Air Contaminants standard (29 CFR 1910.1000) provides limits for employee exposures. In Table Z-1 of 1910.1000, limits for air contaminants are provided for many substances, including nitric oxide. OSHA’s permissible exposure limit of 25 ppm for occupational exposure to nitric oxide measured as an 8-hour TWA is applicable to all employee exposures to nitric oxide, including employees who may be pregnant”

 

L’institut national de recherche et de sécurité (INRS) dont une copie du rapport est jointe, recommande pour sa part que la limite pour la femme enceinte soit de 10 ppm. Il considère cette valeur comme étant inférieure à NOAEL/100

(NOAEL= Not observable adverse effect level) (cf. copie).

 

(ii)            Identifier s’il existe des risques de danger réel pour la femme enceinte sans condition de santé particulière ni grossesse à risques qui est exposée dans son environnement de travail à une contamination de protoxyde d’azote allant jusqu’à 10   ppm. Si oui, quels sont-ils?

 

Selon toutes les données scientifiques de la littérature médicale avec les valeurs limites, largement calculées, il n’y a aucun risque connu identifiable pour la patiente ou son fœtus lors d’une exposition dans le milieu de travail à des concentrations inférieures à 10 ppm. Il n’y a, de ce fait, aucune justification de retirer une travailleuse enceinte qui pourrait être exposée à des valeurs inférieures à 10 ppm ou à des traces de protoxyde d’azote. II n’y a dans la littérature médicale aucune donnée justifiant cette conduite. Par analogie, dans notre milieu hospitalier, les femmes enceintes oeuvrant au bloc opératoire ne sont plus admises dans les salles d’opérations où des gaz anesthésiques, dont le protoxyde d’azote, sont utilisés et ce malgré les systèmes d’aspiration et de récupération. Cependant, elles continuent à travailler au bloc opératoire dans les salles où se font des chirurgies sous anesthésie locale ou à la salle de réveil. Ces salles fonctionnent avec le même système de ventilation du reste du bloc opératoire et sont, de ce fait, avec toujours des valeurs similaires de protoxyde d’azote auxquelles se rajoutent des traces d’autres gaz anesthésiant.

 

[…]

 

(iii)           Est-ce que les risques associés à un certain niveau d’exposition de la femme enceinte au protoxyde d’azote sont présents durant toute la durée de la grossesse?

 

De nombreuses études, quoiqu’il s’agit d’études rétrospectives, ont démontré une augmentation du risque de fausse couche lorsqu’il y a une exposition prolongée et importante, bien au-delà des niveaux actuellement établis, de la femme enceinte. En fait il s’agissait de l’exposition des assistantes dentaires qui opéraient avec le protoxyde d’azote avant l’ère des systèmes d’aspiration et de récupération qui ont permis une diminution substantielle de cette exposition.

 

Nous savons que la période de fausse couche s’étend jusqu’à 20 semaines de grossesse. Cependant lorsque la fausse couche est secondaire à des malformations majeures comme celles occasionnées par des tératogènes, elle survient durant le 1 er trimestre de la grossesse, soit avant la 13 ème semaine. Dans le cas qui nous concerne, le retrait a été fait au-delà de cette période soit à 14 semaines de grossesse. II est donc inutile de faire un retrait après 13 semaines puisque l’exposition au protoxyde d’azote que l’on veut éviter a déjà eu lieu. Il n’y a donc aucune raison de la traiter différemment d’une autre employée sur cette base.

 

De plus, dans la monographie, le protoxyde d’azote est classé pour les femmes enceintes dans la catégorie C à cause des effets défavorables décrits chez les animaux, notamment les rats, à des doses cependant nettement supérieures soit à des doses de 500 à 1000 ppm (0,05 à 0,1%). Considérant que l’embryogénèse se termine à environ 10 semaines de grossesse, des retraits après cette période rendent une telle prévention entièrement inutile, si c’était le cas, pour prévenir des malformations in utero.

 

Outre les éléments mentionnés, nous savons que dans la vie courante de tous les jours, chacun de nous est exposé au protoxyde d’azote. En effet l’analyse des gaz d’échappement des voitures a montré une forte teneur de protoxyde d’azote (cf. références jointes) de 400 ppm. Cette teneur idéale est considérée comme basse mais certainement supérieure à bien des milieux de travail.

 

Par conséquent, la femme enceinte qui est retirée du travail en raison de trace de protoxyde d’azote demeure en contact avec le protoxyde d’azote dans la vie courante.

 

 

[21]         Le docteur Chémaly annexe à son avis un extrait de la norme émise par l’Institut national de recherche et de sécurité de France (l’INRS). On peut y lire ceci : 

Exposition durant la grossesse

Le protoxyde d’azote a été testé selon des études de bonne qualité chez les rongeurs, qui montrent une augmentation des résorptions. Des malformations lors d’exposition à fortes doses sont observées mais dans des études de qualité plus discutable. De plus, les études disponibles chez l’Homme relatent des avortements. Bien que ces résultats humains soient controversés, ils contribuent à conclure qu’il existe des signaux d’alerte forts d’atteinte au développement fœtal lors d’une exposition au protoxyde d’azote.

 

Ainsi, une recherche de substitution de cette substance est recommandée. Si la substitution est impossible, il faudra évaluer précisément les risques de pénétration dans l’organisme. Dans le cas où le produit est susceptible de pénétrer dans l’organisme, on évaluera le niveau d’exposition selon les règles de l’art. Les résultats devront être inférieurs à NOAEL/100, soit 10 ppm en prenant en compte l’étude de Vieira (Klimisch 2 et exposition idem milieu professionnel). Les contacts cutanés seront également évités.

Les conditions de travail devront être suffisamment sûres pour éviter tout risque accidentel susceptible de dépasser ces doses même sur un temps court (quelques heures). En l’absence de mesures précises d’exposition, il est conseillé de ne pas exposer une femme enceinte à ce produit et ce durant toute la grossesse.

 

 

[22]         Le docteur Chémaly témoigne lors de l’audience. Il fait d’abord état de son expérience à titre de gynécologue-obstétricien et de chargé d’enseignement clinique à l’Université de Montréal.

[23]         Par la suite, il reprend essentiellement les informations incluses à son avis en précisant qu’il n’existe pas de normes québécoise ou canadienne limitant les expositions des femmes enceintes au protoxyde d’azote. À ce sujet, il énumère diverses recommandations qu’on retrouve dans la littérature. Il constate alors que la norme la plus sévère est issue de l’INRS et suggère de respecter une concentration de 10 ppm.

[24]         Il mentionne que l’analyse des gaz d’échappement des automobiles dégagent des taux de 400 ppm de NO 2 et qu’à ce titre, il y a plus de NO 2 dans l’air ambiant général que dans le milieu de travail. Interrogé sur cette dernière assertion, le docteur Chémaly indique qu’il ne dispose d’aucune donnée afin de la confirmer. Davantage questionné par le soussigné, le docteur Chémaly admet qu’il y a eu erreur dans son avis puisque la formule chimique du protoxyde d’azote ( N 2 O) est différente des oxydes d’azote ( NO 2 ) rejetés par les émissions des automobiles.

[25]         Concernant les dangers rencontrés par la femme enceinte, le docteur Chémaly affirme que les malformations des fœtus surviennent durant le premier trimestre de grossesse (13 premières semaines). Après cette période, les organes sont déjà formés et ne feront par la suite que se développer. Il émet alors l’opinion que tout retrait préventif après une période de grossesse de 15 semaines serait inutile en regard d’une exposition au protoxyde d’azote.

L’AVIS DES MEMBRES

[26]         Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs estiment qu’en l’absence de la travailleuse en cours d’audience, la preuve prépondérante milite en faveur des normes retenues par l’INRS et qui démontrent que la travailleuse enceinte ne doit pas être exposée à un taux de protoxyde d’azote supérieur à 10 ppm en raison des dangers pour l’enfant à naître. Puisque ce n’est pas le cas en l’espèce, ils sont d’avis que le retrait préventif ne peut être accordé à la travailleuse et opinent que la requête de l’employeur doit être accueillie.

[27]         Les membres tiennent toutefois à souligner que la présente décision a été rendue alors que la travailleuse n’était pas présente à l’audience et qu’il n’y a pas eu de preuve contraire à celle présentée par l’employeur.

 

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[28]         La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse peut bénéficier du droit de retrait préventif en raison de son état de grossesse.

[29]         La Loi sur la santé et la sécurité du travail [1] (la loi) prévoit ce qui suit :

40.  Une travailleuse enceinte qui fournit à l'employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l'enfant à naître ou, à cause de son état de grossesse, pour elle-même, peut demander d'être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu'elle est raisonnablement en mesure d'accomplir.

 

[…]

__________

1979, c. 63, a. 40.

 

 

[30]         De la preuve présentée, la Commission des lésions professionnelles retient essentiellement que les opérations chez l’employeur requièrent l’utilisation du protoxyde d’azote qu’on retrouve en phase gazeuse aux conditions ambiantes. La travailleuse, qui est ingénieure chimique, n’a pas l’obligation de participer activement aux opérations faisant usage du protoxyde d’azote. Toutefois, durant 30 % de son temps de travail, elle se trouve dans des locaux où on fait usage de ce gaz.

[31]         Bien que ce gaz soit utilisé en circuit fermé et est évacué à l’extérieur des établissements dans lesquels la travailleuse œuvre, les études démontrent que dans les locaux qu’elle fréquente, la teneur en protoxyde d’azote se situe entre 0,62 et 1,96 ppm. Une telle concentration constitue-t-elle un risque ou un danger ?

[32]         Sur ce point, une formation de trois juges [2] s’est penchée sur cette notion de risques et des dangers. Dans la décision qu’ils rendent, les juges écrivent ceci :

[90]      Le législateur a voulu protéger la travailleuse enceinte, au même titre que les autres travailleurs, en visant l’élimination à la source même des dangers pour sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.

 

[91]      Cela étant, la question à laquelle le présent tribunal doit maintenant répondre est de savoir à partir de quel moment les « risques » présents dans un milieu de travail deviennent un « danger » pour la travailleuse ou pour l’enfant à naître.

 

 

[92]      La Commission des lésions professionnelles conclut que pour constituer un « danger », les risques doivent être réels. Un risque virtuel, une crainte ou une inquiétude n’est pas suffisant pour conclure à un « danger ». La preuve doit démontrer que le risque est réel, que malgré tous les efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer, il demeure présent et peut entraîner des conséquences néfastes pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître. Enfin, pour qu’il constitue un « danger physique » au sens de l’article 40 de la LSST, ce risque doit présenter une probabilité de concrétisation qui est non négligeable.

 

[93]      Chaque cas est un cas d’espèce et doit faire l’objet d’une évaluation. La nature des risques, la probabilité de concrétisation des risques identifiés dans le milieu de travail et la gravité des conséquences sont les éléments déterminants pour décider si les conditions de travail comportent des « dangers physiques » pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître.

 

 

[33]         Le Règlement sur la santé et la sécurité du Québec [3] (le règlement) prévoit une valeur d’exposition moyenne pondérée de 50 ppm pour le protoxyde d’azote. Toutefois, on note que l’article 3 du règlement précise que son objet a notamment pour but d'établir des normes concernant la qualité de l'air et des contaminants en vue d'assurer la qualité du milieu de travail, de protéger la santé des travailleurs et d'assurer leur sécurité et leur intégrité physique. Cet objectif est différent que celui retrouvé à l’article 40 de la loi qui vise l’absence de danger pour la femme enceinte ou l’enfant à naître. Soulignons également que l’objet de la loi est l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs. Le tribunal estime donc que la valeur maximale à laquelle la travailleuse enceinte peut être exposée devra être moindre que ce qu’exige le règlement en raison des effets indésirables que cette substance pourra avoir sur le fœtus en formation.

[34]         Quant au niveau de protoxyde d’azote au-delà duquel un danger sera présent pour la travailleuse enceinte ou pour l’enfant à naître, la Commission des lésions professionnelles constate que divers organismes se sont penchés sur la question avec des résultats différents. Toutefois, on note que l’INRS est une institution française de référence dans la prévention des maladies professionnelles. Par ailleurs, cet organisme suggère qu’une concentration maximale de 10 ppm soit respectée lors d’une exposition durant la grossesse. Il s’agit de la dose la plus sévère de tous les organismes de normalisation présentés par l’employeur.

[35]         Le tribunal estime alors que la preuve prépondérante milite en faveur d’une concentration maximale de 10 ppm au-delà de laquelle des dangers pour l’enfant à naître apparaissent. Puisque la concentration maximale mesurée par le CSSS Jeanne-Mance dans les locaux où la travailleuse doit oeuvrer est de 1,96, le taux de 10 ppm est ici respecté.

 

[36]         C’est ainsi que, malgré les erreurs et affirmations non objectivées faites par le docteur Chémaly dans son avis, la Commission des lésions professionnelles retient les conclusions de ce médecin. Toutefois, le docteur Chémaly explique que le fœtus est déjà formé après la 13 e semaine de grossesse et que tout retrait préventif après cette période deviendrait inutile. Ce n’est pourtant pas ce qu’énonce INRS alors qu’on précise clairement qu’il est conseillé de ne pas exposer la femme enceinte au protoxyde d’azote durant tout le temps de la grossesse. C’est donc dire que les allégations du docteur Chémaly sont en directe contradiction avec la norme de l’IRNS, norme qu’il retient lui-même aux fins de la présente décision.

[37]         En ce qui a trait à l’opinion du CSSS de la Montagne, à savoir que toute travailleuse susceptible d’être exposée au protoxyde d’azote doit être réaffectée de façon immédiate, dans la décision Iracani [4] , la Commission des lésions professionnelles s’exprimait ainsi :

[87]      Le tribunal en vient également à la conclusion qu’il ne faut pas interpréter l’article 40 de la loi comme signifiant qu’aucun risque ne doit être présent. L’exigence d’une preuve de « risque zéro » viderait de son sens l’article 40. Le droit prévu à l’article 40 est celui de demander d’être affecté à des tâches ne comportant pas de « dangers » pour la travailleuse enceinte ou l’enfant à naître. Si l’on interprétait la notion de « danger » comme signifiant qu’aucun risque ne devrait être présent, il deviendrait impossible de réaffecter la travailleuse. Elle devrait tout simplement cesser de travailler pendant toute la durée de sa grossesse. Pourtant, le tribunal a depuis longtemps reconnu que «d’indemniser une travailleuse lorsqu’il y a absence de danger serait contraire au but du droit au retrait préventif» 24

__________

24    Cité de la santé de Laval et Houle

 

 

[38]         C’est cette approche que le présent tribunal entend adopter. Il n’y a donc pas lieu de retenir le risque zéro suggéré par le CSSS de la Montagne.

[39]         De plus, le CSSS de la Montagne réfère à des études scientifiques qui n’ont pas été identifiées ainsi qu’à un document " Cadre de référence en gestion des risques pour la santé dans le réseau Québéçois de la santé publique " qui n’a pas été rendu disponible au tribunal. Il ne peut donc s’agir ici d’une preuve prépondérante.

[40]         Lors de l’audience, l’employeur a à quelques reprises présenté une argumentation afin que le tribunal rende une décision applicable à l’ensemble des travailleuses enceintes de l’entreprise. À cet effet, la Commission des lésions professionnelles souligne à l’employeur que dans la décision Iracani , il est clairement mentionné que chaque cas est un cas d’espèce et doit faire l’objet d’une évaluation. Il n’y a donc pas lieu de conclure que la présente décision s’appliquera aux futures demandes de retrait préventif faites par les travailleuses enceintes de l’entreprise. De plus, rappelons que dans le cas présent, la travailleuse n’était pas présente lors de l’audience et, qu’à ce titre, aucune preuve divergente de celle de l’employeur n’a été présentée.

[41]         De tout ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles détermine que la travailleuse ne pouvait bénéficier du retrait préventif de la travailleuse enceinte. La requête de l’employeur doit alors être accueillie.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de l’employeur, MedtronicCryoCath;

INFIRME la décision rendue le 22 mai 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse, madame Maja Knezevic, n’avait pas droit de bénéficier du retrait préventif de la travailleuse enceinte le 19 mars 2012.

 

 

 

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Robert Langlois

 

 

 

 

 

 

Me Éveline Poirier

Stikeman, Elliott

Représentante de la partie requérante

 

 

 



[1]          L.R.Q., chapitre S-2.1.

[2]          Centre hospitalier de St. Mary et Iracani, C.L.P. 214540-71-0308 , 6 juillet 2007, S. Di Pasquale, L. Landriault, G. Robichaud.

[3]          L.R.Q., c. S-2.1, a. 223, 1 er al., par. 1°, 3°, 4°, 7°à 16°, 18° à 21.1°, 41° et 42°, 2 e al. et 3 e al.

[4]          Précitée, note 2.