TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

n/d 2012-57

 

N o de dépôt : 2013-6166

Date 

21 juin 2013

 

 

DEVANT L’ARBITRE :

Me Bernard Lefebvre

 

 

Union des employés et employées de service, section locale 800

 

 

                                                                                   « le Syndicat»

 

Et

 

 

Service d'entretien Distinction Inc.

 

« l’employeur »

 

Grief :

 

 N6281 2012-285

 

Plaignante : Hernan Andres Sarria

                     

Convention collective :

Association des entrepreneurs de services d’édifices Québec Inc. et Union des employés et employées de service section locale 800 - Date d’expiration : 30 octobre 2017

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

[1]    Cette sentence traite et décide de l’objection de l’employeur à l’amendement apporté le 11 mars 2013, au grief déposé le 9 août 2012, à l’encontre de l’avis donné à M. Sarria le 20 juillet 2012, de la réduction de son horaire de travail de quart de jour, de 37.5 heures à 30 heures par semaine, à compter de son retour de vacances le 30 de ce mois.

 

[2]    M. Sarria occupe l’emploi « préposé à l’entretien », classe A, au YMCA de Cartierville.

 

[3]    L’avis du 20 juillet 2012 mentionne que la réduction de l’horaire de travail s’inscrit dans une restructuration du quart de jour, demandée par le client.

 

Finalités de l’avis du 20 juillet 2012 - Sommaire

 

[4]    La réduction en question déplace M. Sarria du groupe d’heures # 1, au groupe d’heures # 3. La disposition 15.01 de la convention collective assimile ce déplacement à une mise à pied et confère au salarié le choix d’appliquer la procédure de mise à pied, soit d’exercer son droit de supplantation ou, d’accepter la réduction d’heures.

 

[5]    Dans l’avis du 20 juillet 2012, l’employeur demande à M. Sarria d’indiquer son choix par écrit au plus tard le 30 juillet 2012, sinon, à défaut, il sera présumé avoir accepté la réduction d’heures.

 

[6]     Le 2 août 2012, l’employeur n’a pas reçu le choix de M. Sarria et il avise celui-ci de l’effet de son silence, soit la réduction de son horaire de travail. L’employeur prévient en même temps M. Sarria de la fermeture de son dossier s’il ne se présente pas au travail le vendredi 3 août.

 

[7]    Nous présentons les documents afférents aux situations précitées, en suivant l’ordre chronologique, et nous exposons ensuite les considérations de faits et de droit soulevées par le syndicat à l’appui de l’amendement, suivies de celles de l’employeur au soutien de l’objection à cet amendement.

 

[8]    Nous chercherons la solution du litige en appréciant les mérites des considérations respectives des parties, en se reportant aux textes de loi, aux analyses doctrinales ainsi qu’à la jurisprudence traitant des critères de  recevabilité ou non d’un amendement à un grief.

 

I. Les documents

 

   L’avis du 20 juillet 2012

 

« GDI distinction

Services aux immeubles

 

La Salle, le 20 juillet 2012

 

M. Hernan Andres Sarria (SAR054)

OBJET : RÉDUCTION D’HEURES

 

Monsieur Sarria,

 

Suite à la demande de notre client, nous avons dû procéder à une restructuration du quart de jour au projet YMCA Cartierville. Étant le seul employé, en classe A, travaillant sur le quart de jour, nous devons procéder à une réduction de votre horaire de travail de 37.5 heures à 30 heures par semaine.

Ainsi, votre nouvel horaire de travail sera du lundi au vendredi, de 8h00 à 15h00, pour un total de 30 heures par semaine et ce, à compter du 23 juillet 2012. Par conséquent, comme cela vous amène une diminution de votre groupe d’heures (3), conformément à l’article 15 de la convention collective, voici les choix qui s’offrent à vous (veuillez cocher le choix qui vous convient) :

□ Accepter la réduction d’heures

Ou

 

□ De supplanter le salarié ayant le moins d’ancienneté dans votre classification (A), de votre quart (jour) et votre groupe d’heures (1) dont le lieu de travail se situe :

 

□ À l’intérieur d’un rayon 30 km de votre domicile.

 

Comme vous êtes présentement en vacances et que vous serez de retour au travail le 30 juillet 2012, nous vous demandons de ne pas vous présenter au YMCA Cartierville et de nous aviser par, écrit, au plus tard le 30 juillet 2012 de votre décision , à défaut de quoi, nous présumerons que vous avez accepté la réduction d’heures.

 

Veuillez recevoir, Monsieur Sarria, nos salutations les plus sincères.

 

Marie-Hélène Comtois

Conseillère en relations de travail

… »

 

   L’avis du 2 août 2012

 

« GDI distinction

Services aux immeubles

 

La Salle, le 2 août 2012

 

M. Hernan Andres Sarria (SAR054)

OBJET : RÉDUCTION D’HEURES

 

Monsieur Sarria,

 

En date du 20 juillet 2012, nous vous avons envoyé, par courrier rapide, une lettre mentionnant que nous devions procéder à une réduction d’heures dans le quart de jour au projet du YMCA Cartierville et ce, à compter du 23 juillet 2012. Comme vous deviez être de retour de vacances le 30 juillet 2012, ma collègue, Madame Marie-Hélène Comtois, vous a donc laissé un délai supplémentaire jusqu’au 30 juillet 2012 afin de nous rendre votre décision concernant ce changement.

Or, nous sommes présentement le jeudi 2 juillet 2012, vous ne vous êtes pas présenté au travail depuis le 30 juillet 2012 et n’ayant pas donné de vos nouvelles à votre employeur depuis cette date, nous considérons que vous êtes actuellement absent sans justification.

Nous avons également tenté de vous rejoindre à la maison et avons parlé tant à votre père qu’à votre frère qui nous ont confirmé que vous étiez à Toronto depuis 2 jours, que vous aviez eu des problèmes avec l’avion et que vous attendez votre retour à Montréal. Ainsi, compte tenu de cette situation, nous considérons que vous auriez pu minimalement pu téléphoner à votre superviseur ou votre supérieur immédiat pour l’informer de votre situation et justifier votre absence.

Par conséquent, compte tenu de ce qui précède et du fait que vous avez négligé d’informer vos supérieurs de votre absence, alors que vous en aviez la possibilité, nous considérons, tel qu’indiqué dans la lettre du 20 juillet 2012, que n’ayant pas répondu dans les délais requis, vous acceptez donc votre réduction d’heures. Nous vous rappelons que votre horaire de travail est dorénavant 30 heures par semaine, soit du lundi au vendredi, de 08h00 à 15h00, avec une heures de repas non payé.

De plus, lors de la conversation que nous avons eue avec votre frère, ce dernier nous a mentionné que vous étiez de retour à Montréal ce matin, soit le 2 août 2012.

Ainsi, compte tenu du fait que vous êtes de retour à Montréal, vous êtes donc attendu au travail dès demain, soit le 3 août 2012. Nous vous informons également que dans l’éventualité où vous ne serez pas présent au travail le vendredi 3 août, étant absent sans autorisation et sans justification depuis 5 jours, nous vous informons que nous serons dans l’obligation de procéder à la fermeture de votre dossier pour la compagnie Distinction et ce, sans autre préavis et ce, en fonction de la clause 11.03 7) de la convention collective.

Nous vous demandons de bien vouloir téléphoner à la soussignée dès la réception de cette lettre et de confirmer votre présence sur les lieux de travail pour le vendredi 3 août 2012 afin que nous puissions aviser votre remplaçant de ne pas se présenter sur les lieux de travail.

 

Veuillez recevoir, Monsieur Sarria, nos salutations les plus sincères.

 

Marie-Ève Lalancette

Conseillère aux relations de travail

… »

 

   Le grief du 9 août 2012

 

« GRIEF N6281 2012-285

 

Lieu de travail : YMCA Cartierville

 

Nature du grief

 

L’employeur a violé notamment les articles 1 et 15 de la convention collective.

 

Nature

 

La personne salariée, Hernan Andres Sarria, conteste les mouvements de personnel ayant comme conséquence son renvoi du contrat de travail (réduction d’heures) et/ou son affectation d’emploi (dans sa classification, son groupe d’heures et son quart de travail).

 

Réclamation :

 

Que l’employeur remette sans délai au syndicat l’ensemble des informations liées de près ou de loin à ce litige;

Que l’employeur respecte la convention collective en semblable matière;

Que l’employeur rembourse à la personne salariée toute somme perdue;

De rendre toute ordonnance, sans préjudice des autres droits, avantages et privilèges, le tout avec intérêts calculés au taux légal applicable.

 

Date : 09-08-2012 »

 

   Amendement - 11 mars 2013

 

«GRIEF N6281 2012-285

 

Lieu de travail :

 

Nature du grief

 

L’employeur a violé notamment les articles 1 et 15 de la convention collective.

 

Nature

 

La personne salariée, Hernan Andres Sarria, conteste la décision de l’employeur datée du 20 juillet 2012 (réduction d’heures de 37.5 à 30 h/semaine) et/ou son affectation d’emploi (dans sa classification, son groupe d’heures et son quart de travail).

 

Réclamation :

 

De déclarer comme nulle(es) et non avenue(s) la réduction d’heures de travail (de 37.5 h à 30 h/semaine);

 

Que l’employeur respecte la convention collective en semblable matière;

 

Que l’employeur rembourse à la personne salariée toute somme perdue;

 

De rendre toute ordonnance, sans préjudice des autres droits, avantages et privilèges, le tout avec intérêts calculés au taux légal applicable.

 

Subsidiairement

 

De permettre au salarié l’exercice de son droit de supplantation conformément à la convention collective. Date : 09-08-2012»

 

II. Les considérations

 

A. Considérations du syndicat

 

[9]    Le grief du 9 août 2012 conteste la réduction du nombre d’heures de travail de M. Sarria, découlant de la décision de l’employeur, de restructurer le quart de jour, à la demande du client.

 

[10]        À la suite du dépôt d’un grief, la disposition 8.03 b) de la convention collective prescrit à l’employeur de donner sa réponse au syndicat dans les dix jours du dépôt.

 

« Article 8 - Procédure pour le règlement de grief

 

8.03 Dans le cas d’un grief individuel, collectif ou syndical, la procédure suivante s’applique :

 

b) Ce dernier (représentant autorisé de l’employeur) doit donner sa réponse par écrit dan les dix (10) jours suivant la réception du grief. » (parenthèses de l’arbitre)

 

[11]        L’employeur n’a pas répondu au syndicat, ni ne l’a rencontré le pour trouver une solution satisfaisante au grief, selon les termes de la disposition 8.04 de la convention:

 

« 8.04 À la demande de l’une ou l’autre des parties, l’employeur et le syndicat doivent se rencontrer à un moment convenu dans le but de trouver une solution satisfaisante au grief. »

 

[12]        Ainsi, le silence de l’employeur conduit à la conclusion que celui-ci considère que le grief  du 9 août 2012 porte sur tout le contenu de l’avis du 20 juillet 2012.

 

[13]        L’amendement du 11 mars 2013 conteste l’un et l’autre des éléments de l’avis du 20 juillet 2012 et est donc en rapport avec les énonciations du grief du 9 août 2012. En tout état de cause, quel est le droit régissant la recevabilité d’un amendement à un grief?

 

[14]        La convention collective stipule une procédure de grief mais n’énonce pas les critères de recevabilité d’un amendement.

 

[15]        Pour autant, le droit des relations collectives du travail reconnaît au syndicat le droit d’amender un grief et confirme la recevabilité de l’amendement s’il ne dénature pas les éléments caractéristiques du grief, soit : le nom des personnes visées, l’objet de la réclamation et le correctif principal. [1] L’amendement qui remplit ces critères est considéré comme l’accessoire du grief originel. [2] L’amendement du 11 mars 2013 est de cette nature et n’a pas surpris l’employeur pour autant. [3]

 

[16]        Au regard du rôle de l’arbitre de grief concernant la façon de décider d’un litige lié à un amendement, l’auteure Verschelden préconise une approche non formaliste afin de :

 

« … conserver à l’arbitrage de griefs son caractère informel et d’assurer que l’arbitrage demeure ce qu’il doit être : un débat de fond et non un débat de procédure. [4] »

 

[17]        L’arbitre Francine Beaulieu suit la substance de la position de l’auteure Verschelden et rejette l’objection de l’employeur à l’amendement au grief car :

 

« … cet amendement vient compléter la nature du grief. [5] »

 

[18]        L’arbitre Jean-Denis Gagnon s’inscrit dans l’approche de l’auteure Verscheldent et de celle de l’arbitre Francine Beaulieu en considérant que la procédure de griefs ne saurait être plus restrictive que celle en vigueur dans les instances de droit commun [6] , et en tenant compte du fait que les griefs sont rédigés par des représentants syndicaux …

 

« … qui ne possèdent pas une expertise particulière en ce domaine. [7] »

 

[19]        C’est le cas en l’espèce, même si …

 

« … cet amendement est susceptible de changer totalement la perspective d’analyse que le grief laissait deviner. » [8]

 

[20]        Il est indéniable que la question de droit posée par l’amendement du 11 mars 2013 reste la même que celle évoquée dans le grief du 9 août 2012, et alors, l’amendement est recevable. [9]

 

B. Considérations de l’employeur

 

[21]         Trois éléments fondamentaux caractérisent un grief: les personnes concernées; l’objet ou la nature de la contestation et les correctifs recherchés. [10]

 

[22]        Au départ, la jurisprudence arbitrale des relations collectives du travail rejette un amendement qui modifie substantiellement l’un ou l’autre de ces éléments.

 

[23]        En l’espèce, on constate la similitude de personne dans le grief du 9 août 2012 et l’amendement du 11 mars 2013.

 

[24]        Au regard de sa «NATURE», le grief du 9 août 2012 conteste en définitive la conclusion de l’employeur que M. Sarria a accepté une réduction d’heures parce qu’il n’a pas répondu à la lettre du 20 juillet 2012 alors que la nature de  l’amendement du 11 mars 2013 est la contestation de la décision de l’employeur de restructurer le quart de jour.

 

[25]        La nature de l’amendement du 11 mars 2013 diffère de celle du grief du grief du 9 août 2012 en ce que le grief conteste la conséquence du silence de M. Sarria, alors que l’amendement conteste la cause de la restructuration du quart de travail. L’amendement modifie donc substantiellement le grief car il a pour effet de faire supporter à l’employeur le fardeau de justifier la réduction du quart de travail à la demande du client, alors que le grief situe le litige au niveau de la relation entre M. Sarria et l’employeur.

 

[26]        Or, toutes les décisions arbitrales soumises par le syndicat au soutien de la recevabilité de l’amendement du 11 mars 2013 portent sur une modification non pas à la nature du grief mais à une réclamation mentionnée dans le grief initial, laquelle modification a été jugée ou bien complémentaire à la réclamation initiale, ou bien accessoire à la réclamation principale, ou bien il s’agit d’un ajout implicitement inclus dans la réclamation originelle. Les décisions soumises par le syndicat ne constituent pas le droit au regard de la recevabilité ou non d’une modification apportée à la nature ou à l’objet d’un grief.

 

[27]        Par ailleurs, le syndicat se réfère au passage de l’ouvrage de l’auteure Verschelden ( supra note 3 ) au soutien de sa position. Mais ce passage traite d’une autre approche moins formaliste en matière de traitement d’une demande d’amendement, en référence au volume de Palmer E. E. et Palmer B.M. [11] En définitive, ce passage traite d’une position fort particulière et nécessairement isolée.

 

[28]        Ainsi, cette autre approche ne renverse pas la jurisprudence portant sur les critères relatifs à la façon de décider d’un amendement à l’objet ou à la nature d’un grief.

 

[29]        En l’occurrence :

 

« Une modification substantielle à l’un ou l’autre de ces trois éléments fondamentaux ne peut être autorisée par un arbitre puisqu’elle change la nature du grief.

L’amendement ne doit pas faire en sorte que, s’il était reçu, que l’on se retrouverait avec un tout nouveau grief complètement étranger au grief original.» [12]

 

[30]        Le jugement Mascouche [13] entérine les principes de base en matière d’amendement à un grief, résumés par les auteurs Blouin et Morin, [14] et élève l’absence de modifications à des éléments caractéristiques du grief, au niveau d’une question de substance et non pas de forme, au sujet duquel l’arbitre n’y peut rien.

 

[31]        En l’espèce, la contestation mentionnée dans le grief du 9 août 2012, à savoir : la réduction d’heures en raison de l’absence de réponse de M. Sarria à la lettre du 20 août 2012 est une question de substance et ne signifie pas que ce grief conteste la réorganisation du quart de travail à la demande du client.

 

[32]        Comme,

 

« … le fait de dire qu’un grief conteste la rupture du lien d’emploi qui existait entre le salarié et son employeur, ainsi que la perte de son ancienneté, ne signifie pas que ce grief conteste également l’abolition du poste qu’occupait le salarié, et encore moins la justesse des motifs économiques invoqués par l’employeur pour procéder à cette abolition. [15] »

 

[33]        Dans notre cas, la contestation de la conclusion de l’employeur que M. Sarria a accepté la réduction d’heures, peut exister indépendamment de la contestation de la réorganisation du quart de travail. Puisque le grief du 9 août 2012 ne s’attaque qu’à la facette de l’acceptation d’heures, il suit que c’est cette seule facette qui devient l’unique objet du grief et c’est la seule dont l’arbitre peut être saisi.

 

[34]        Et ce, par analogie avec un grief qui conteste la validité de la procédure d’abolition d’un poste par rapport au fait que l’abolition d’un poste serait fictive. [16]

 

[35]        En définitive, accepter l’amendement du 11 mars 2013 a pour effet de forcer l’employeur à traiter d’un problème que ne contestait pas le grief du 9 août 2012.

 

III. Analyse et décision

 

[36]         Il convient de mentionner au départ les principales attributions de la juridiction arbitrale de grief, énoncées au Code du travail du Québec [17] , le Code.

 

[37]        Tout grief relatif à l’interprétation ou à l’application d’une convention collective [ art. 1 f) le Code ], doit être déféré au tribunal d’arbitrage institué par le Code [ art. 1 i) ], en la manière prévue dans la convention collective ( art. 100, le Code ) et, « sauf disposition contraire de la convention collective, l’arbitre doit procéder selon la procédure et le mode de preuve qu’il juge appropriés » ( art. 100.2 le Code ).

 

[38]        Par ailleurs, la convention collective postule une procédure de grief mais aucune stipulation relative à un amendement.

 

[39]        Vu que ni le Code, ni la convention collective ne contiennent de dispositions relatives à la procédure d’amendement d’un grief, il suit que l’arbitre peut trancher cette question selon la procédure et le mode de preuve qu’il juge appropriés.

 

[40]        Mais en ce cas, l’arbitre ne doit pas perdre de vue …

 

« le ferme désir des parties de régler, dans les plus brefs délais possible, tout grief » (par. 8.01convention collective)

 

[41]        Il est entendu que la disposition 8.01 ci-haut se rattache au but de la convention collective, énoncé à l’article 1 en ces termes :

 

« Article 1 - But de la convention. Les présentes dispositions ont pour objet d’établir des rapports ordonnés entre les parties, de déterminer de bonnes conditions de travail et de faciliter le règlement des problèmes de relations de travail, favorisant ainsi de bonnes relations entre l’employeur et les salariés. Le syndicat de sa part s’engage à encourager les salariés à fournir un travail adéquat.»

 

[42]        Par ailleurs, la disposition 9.05 de la convention collective inscrit la règle de justice naturelle, « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée » dans les attributions de l’arbitre. Comme l’indiquent les auteurs Morin et Blouin (supra note 14 ), cette règle sous-tend que l’arbitre doit donner aux parties l’occasion de mettre en preuve l’ensemble des éléments entourant le grief. À plus forte raison lorsque les parties insèrent cette règle dans leur loi.

 

[43]        Sur ce point, la disposition 9.04 a) de la convention stipule les mentions qui doivent apparaître dans l’avis de grief soumis à l’arbitrage :

 

« 9.04 a) L’avis de grief doit mentionner la ou les clauses violées ou mal interprétées et le remède requis. »

 

[44]        Il est évident que l’absence de la mention « nature ou objet du grief » dans la disposition 9.04 a) ne veut pas dire que le syndicat est dispensé d’exprimer cette mention dans son grief. D’ailleurs, le titre « Nature »  imprimé sur le formulaire de grief et sur celui de l’amendement indique que le syndicat considère que la nature d’un grief en fait partie intégrante.

 

[45]        Ce qui nous amène à traiter de l'admission d’un amendement
à un grief après que l’arbitre en soit saisi et ce, avant la tenue de l’arbitrage.

 

[46]        De prime abord, la nature du grief soumis à l’arbitrage est celle apparaissant sur l’avis de grief dont est saisi l’arbitre et porté à la connaissance de l’employeur. En principe, les parties visées, la nature ou l’objet du grief et la réclamation, indiqués dans l’avis de grief, forment contestation liée et sont des éléments immuables.

 

[47]        Comme on le sait, c’est le droit jurisprudentiel d’arbitrage de grief qui a élaboré la dérogation à l’immutabilité de l’avis de grief, en empruntant à la procédure civile certaines techniques particulièrement éclairantes quand il s’agit d’en saisir le mécanisme. Tout particulièrement, l’article 199 du Code de procédure civile qui suit :

 

« TITRE IV INCIDENTS

CHAPITRE I DE L'AMENDEMENT

199. Les parties peuvent, en tout temps avant jugement, amender leurs actes de procédure sans autorisation et aussi souvent que nécessaire en autant que l'amendement n'est pas inutile, contraire aux intérêts de la justice ou qu'il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire. »

 

[48]        L’approche de l’amendement à un grief est donc ouverte à la tendance civiliste et au particularisme de l’arbitrage de griefs.

 

[49]        Sur la tendance civiliste, l’article 199 C.p.c est placé sous le signe des incidents de l’instance ( Titre I ) et l’amendement est d’abord un incident de procédure.

 

[50]        Sur le particularisme de l’arbitrage de grief référons-nous au droit jurisprudentiel en matière d’amendement et nous appliquerons l’enseignement qui en découle à notre cause.

 

[51]        Bref, le droit jurisprudentiel arbitral de grief établit qu’une demande nouvelle présentée sous forme d’amendement, dérivant du grief initial, est recevable sans que puisse être opposée, dans notre cas, l’inexécution de l’étape des discussions …, « dans le but de trouver une solution satisfaisante au grief. » (par. 8.04 de la convention)

 

[52]        Le principe retenu est celui de faire décider de la totalité du contentieux qui oppose les parties, né d'un même événement, dans le cadre d'un arbitrage unique, à peine d'irrecevabilité de tout grief ultérieur sur une matière qui dérive de cet événement.

 

[53]        Dans cette perspective et du point de vue de la règle « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée » , il faut que l’employeur dispose du temps nécessaire pour préparer sa position au regard de l’amendement déposé le 11 mars 2013, avant la tenue de l’arbitrage, le 14 suivant. En passant, l’employeur s’est plaint du court délai entre l’amendement et la tenue de l’arbitrage, mais il n’en fait pas une objection fondamentale. Je me permets de dire que la règle précitée est sauve mais tout juste.

 

[54]        Dans notre cas, le tribunal doit inférer du silence de l’employeur au grief qu’il a reçu le 9 août 2012, que le libellé est suffisamment explicite pour préparer sa défense. Sinon il aurait demandé au syndicat de préciser le nom des personnes visées, la nature ou l’objet du grief et la réclamation. Ou encore, l’employeur aurait déposé une requête en précision.

 

[55]        La question est celle de savoir si l’amendement du 11 mars 2013 dérive ou non du grief du 9 août 2012.

[56]        À cette fin, et en tout respect pour l’opinion contraire, l’approche de l’auteure Verschelden ( op. cit. note 3 ) et celle de l’arbitre Jean-Denis Gagnon ( op. cit. note 5 ) conviennent le mieux au particularisme de l’arbitrage de grief.

 

[57]        Ainsi  l’approche en matière d’amendement à un grief ne saurait être plus restrictive que celle en vigueur dans les instances de droit commun. Mais encore, l’amendement ne doit pas modifier substantiellement la nature du grief et ne doit pas faire en sorte que, s’il était reçu, l’on se retrouverait avec un tout nouveau grief complètement étranger au grief initial. ( Hydro-Québec, op. cit. note 10 )

 

[58]        Examinons l’amendement du 11 mars 2013 au point de vue de la forme.

 

[59]        L’amendement remplace le membre de phrase :

 

« conteste les mouvements de personnel ayant comme conséquence son renvoi (M. Sarria) du contrat de travail »(parenthèses de l’arbitre)

 

[60]        inscrit dans le grief du 9 août 2012, par le membre de phrase :

 

« conteste la décision de l’employeur datée du 20 juillet 2012 (réduction d’heures de 37.5 à 30 h/semaine) »

 

[61]        et ajoute la réclamation :

 

« De déclarer comme nulle(s) et non avenue(s) la réduction d’heures de travail (de 37.5 h à 30 h/semaine »

 

[62]        en lieu et place de la réclamation :

 

« Que l’employeur remette sans délai au syndicat l’ensemble des informations liées de près ou de loin au litige »

 

[63]        Il m’apparaît indubitable que notre décision sera digne de motivation que si l’on décompose le grief et l’amendement en ses éléments.

 

[64]         Examinons l’amendement du 11 mars 2013 au niveau de son contexte et de son application. Il convient de rapprocher en premier lieu les lettres du 20 juillet 2012 et du 2 août 2012 à la nature du grief du 9 août 2012 et ensuite de rapprocher les rapprochements qui en découlent à l’amendement du 11 mars 2013.

 

[65]        Replaçons-nous au moment de la décision de l’employeur, énoncée dans la lettre du 20 juillet 2012. Nul doute que cette décision est susceptible d’entraîner un mouvement de personnel sous la forme de la supplantation d’un salarié par M. Sarria, dans la mesure où celui-ci choisit cette option, au plus tard le 30 juillet 2012. Il est admis que M. Sarria n’a pas manifesté son choix à la date du 30 juillet 2012. En conséquence, l’employeur présume que M. Sarria a accepté la réduction d’heures et le lui fait savoir le 2 août 2012.

 

[66]        Il est clair que l’intérêt principal de la lettre du  2 août 2012 est la conséquence du silence de M. Sarria à la lettre du 20 juillet 2012 c’est-à-dire, la réduction d’heures de travail et le changement de son groupe d’heures, dont l’origine est mentionnée dans cette dernière. La conséquence du silence de M. Sarria est expressément contenue dans la lettre du 20 juillet 2012.

 

[67]        Le grief du 9 août 2012 se rapporte au mouvement de personnel découlant de la décision de l’employeur énoncé dans la lettre du 20 juillet 2012 en ce que ce grief conteste « les mouvements de personnel ayant comme conséquence son renvoi du contrat de travail (réduction d’heures) et/ou son affectation d’emploi (dans sa classification, son groupe d’heures et son quart de travail). » Le grief du 9 août 2012 contient implicitement le nombre d’heures de la réduction en question.

 

[68]        L’amendement du 11 mars 2013 ne réduit pas la portée du grief du 9 août 2012 en ce que la proposition « conteste la décision de l’employeur datée du 20 juillet 2012 (réduction d’heures de 37.5 h à 30 h/semaine) ajoute  un nombre à l’expression « ( réduction d’heures) incluse dans la nature du grief du 9 août 2012.

 

[69]        Cet ajout ne modifie donc pas la nature du grief du 9 août 2012.

[70]        Il suit que l’amendement du 11 mars 2013 inclut la nature du grief du 9 août 2012.

 

IV. DISPOSITIF

 

[71]        Pour tous ces motifs, l’arbitre valide l’amendement du 11 mars 2013 et rejette en conséquence, l’objection de l’employeur.

 

[72]        Ainsi décidé le 21 juin 2013.

 

 

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Me Bernard Lefebvre

 

Pour le syndicat :

 

M. François Rollet

 

 

Pour l’employeur :

Me Dennis Griffin

 

 

 



[1] Fédération de la santé et des services sociaux Inc. et Syndicat des travailleuses et travailleurs de la CSN AZ-02141131 .

[2] Quali-Métal Inc. et Syndicat des travailleurs de la métallurgie de Québec Inc. (CSD) AZ-02141214 ;

[3] Verschelden Louise, La preuve et la procédure en arbitrage de griefs W&L Ltée, Montréal, 1994, p. 31;

[4] Supra note 3 p.32.

[5] Association des policiers-pompiers de Thetford Mines et Daniel Richer et Ville de Thetford Mines, AZ-01142078 .

[6] Syndicat des travailleuses et des travailleurs de Vifan Canada Inc. et Vifan Canada Inc. AZ-02141052 , en référence à l’article 199 Code procédure du Québec;

  Syndicat des professionnelles en soins de l’Estrie (SPSE-FIQ) et le Centre de santé et de services sociaux -

  Institut Universitaire de gériatrie de Sherbrooke (CSSS _IUGS) AZ-50922043 .

[7] Supra, note 5, Vifan, p.3 Jean-Denis Gagnon, référence à Galloway Lumber Co. Ltd. V. The Labour Relations Board of British Columbia [1965] R.C.S. 222 .

[8] Syndicat des professionnelles en soins de l’Estrie (SPSE-FIQ) et le Centre de santé et de services sociaux -

  Institut Universitaire de gériatrie de Sherbrooke (CSSS _IUGS) AZ-50922043 , p. 12.

[9] Ville de Montréal et SCFP sl 301, AZ-00142154 , sous l’angle de remède additionnel;

[10] Hydro-Québec et Syndicat des spécialistes d’Hydro-Québec section locale 4250 - SCFP-FTQ, Denis Tremblay, arbitre, SA 05-02065.

[11] Collective Agreement Arbitration in Canada, Butterworths, 1991, p. 31 et 32.

[12] Op. cit. note 10 p. 7.

[13] Mascouche (Ville de) c. Dufresne AZ-50543770 .

[14] Rodrigue Blouin et Fernand Morin, Droit de l’arbitrage de grief, (4 e Éd.,) Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville.

[15] Jos Nicoletti & Fils Ltée et Union internationale des journaliers d’Amérique du Nord, section locale 62 (Georges Martel) D.T.E. 2012T-405 .

[16] C.S.R. Provencher et Syndicat des employés de soutien de la région de Nicolet (C.E.Q.), D.T.E. 83T-681 .

[17] L.R.Q., c. C-27.