TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2013-6488

O-172-12

 

Date :

11 juillet 2013

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

M e Richard Marcheterre

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L’Union des employés et employées de service, section locale 800

Ci-après appelé(e) « le syndicat »

Et

Autocars Orléans Express Inc.

Ci-après appelé(e) « l’employeur »

 

Plaignant(e) :

Monsieur Tremblay

 

Grief(s) :

n o du syndicat

12-01-03 (16 janvier 2012)

 

 

 

 

Convention collective :

1 er avril 2010 au 31 mars 2015

 

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SENTENCE ARBITRALE INTERLOCUTOIRE

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[1]    Les parties ont été entendues le 17 juin 2013 à Québec. Elles ont alors fait valoir leurs prétentions en regard du moyen préliminaire intra juridictionnel du Syndicat à l’effet que l’employeur aurait remis la mesure disciplinaire au-delà du délai prescrit à cet effet par l’article 9.01 de la convention collective.

[2]    L’avis disciplinaire a été remis au plaignant le 17 janvier 2012 alors que la plainte de l’usager ayant conduit à cet avis a été transmis à madame Joan Aubin du service à la clientèle, laquelle occupe la fonction de coordonnatrice SAC Transport Interurbain (pièce S-6).

[3]    Madame Aubin explique que son travail n’inclut pas l’analyse des plaintes émanant d’usagers en regard des conducteurs d’autobus et qu’elle les transmet plutôt au responsable du secteur concerné. Dans le présent cas elle a reçu la plainte le 30 novembre 2011 et l’a acheminée 22 jours plus tard, soit le 21 décembre 2011, au responsable des conducteurs, monsieur Yvan Marcotte.

[4]    Elle précise qu’elle ne gère pas les dossiers disciplinaire ni qu’elle ait eu à quelque moment elle-même discipliné un conducteur, ajoutant qu’elle n’est pas informé du suivi de celle-ci une fois qu’elle a référé la plainte au responsable.

[5]    L’article 9.01 de la convention collective se lit comme suit :

La décision d’imposer une mesure disciplinaire après plus de trente (30) jours de la connaissance par l’employeur du ou des faits qui y donnent lieu est nulle, non valide et illégale.

Le cas échant, il incombe à l’employeur de démontrer le moment où il a eu connaissance du ou des faits donnant lieu à la mesure.

Le délai prévu ci-dessus est suspendu dans le cas d’un salarié en vacances, en congé sans solde, en retraite progressive, en absence pour maladie, accident de travail ou en maladie professionnelle.

[6]    Puisque l’Employeur a remis la mesure disciplinaire le 17 janvier 2012, soit au-delà du délai prescrit à l’article 9.01, il lui revient de démontrer la raison pour laquelle il en a été ainsi. Il plaide à cet égard que le délai ne court pas à partir de la date de la réception d’une plainte mais à compter de la conclusion de son enquête qui y a donné suite, au pire à partir du moment où la plainte a été transmise à monsieur Marcotte.

[7]    Il n’y a donc pas en l’espèce une tentative d’expliquer pourquoi le délai aurait été outrepassé, l’Employeur étant plutôt d’avis qu’il a agi à l’intérieur dudit délai.

[8]    Le litige porte donc d’abord sur l’interprétation de l’article 9.01 en regard du délai.

[9]    Le Syndicat fait appel à une interprétation strictement littérale, soutenant que quelle que soit la situation, le délai court à partir du moment où l’entreprise reçoit la plainte. Pour l’Employeur ce délai ne court plutôt que du moment où il a une connaissance suffisante pour lui permettre de prendre une décision, donc, au plus tard à compter de la fin de son enquête, ou comme il l’a aussi soutenu, au plus tôt au moment où le responsable du secteur ou de l’activité concerné reçoit ladite plainte ou information relative au comportement de l’un des employés qu’il supervise, en l’occurrence monsieur Marcotte en l’espèce.

[10]         Le procureur du Syndicat propose que le soussigné arrime sa décision à l’opinion de l’arbitre Germain Jutras dans une affaire Ville de Montréal [1] . La clause en cause se lisait comme suit :

Un employé d’un service central dont la conduite est sujette à une mesure disciplinaire en est avisé par écrit dans les dix (10) jours ouvrables qui suivent le moment de la prise de connaissance par la Ville de l’infraction commise.

[11]         L’arbitre Jutras a fait une revue de la jurisprudence qui lui avait été soumise sur la question des principes d’interprétation applicables. Il rapporte notamment l’opinion de l’arbitre Huguette Gagnon [2] qu’il résume comme suit (page 10): «  à l’effet que la connaissance de l’évènement exige plus que des soupçons, mais que l’existence de soupçons exige que l’employeur fasse enquête diligente : l’employeur ne doit prendre une attitude attentiste.  »

[12]         Cette opinion reflète le courant jurisprudentiel à l’effet qu’une interprétation stricte de la convention face à une disposition de rigueur qui inclut la sanction du défaut d’agir dans le délai prescrit, doit laisser place à une interprétation qui tient compte de l’esprit du texte, soit que le délai doit être calculé à partir d’un moment où l’employeur acquiert une réelle connaissance des faits sur lesquels la mesure disciplinaire sera imposée, et non pas à partir de la réception d’un simple avis à l’effet qu’une mesure disciplinaire pourrait être imposée, suivant l’opinion d’un usager du service de transport, comme le Syndicat le soutient en l’instance.

[13]         L’arbitre Jutras n’a pas suivi ce courant jurisprudentiel. Il favorise une interprétation qui se situe à l’enseigne du droit de l’employé d’être rapidement informé des reproches contre lui afin de pouvoir bénéficier d’une réelle défense pleine et entière, bénéficiant ainsi d’une meilleure mémoire personnelle des évènements ou de celle de témoins qu’il pourrait assigner en sa faveur. L’arbitre Jutras exprime cette préoccupation de la manière suivante (page 12) : «  Plus le temps passe, plus peuvent s’effacer les souvenirs ou se confondre les évènements pour rendre plus difficile la recherche de témoins.  »

[14]         Avec respect, ce n’est pas cela qui constitue un délai de rigueur, un tel délai devant plutôt être expressément stipulé. En l’absence d’une telle stipulation, il s’agit plutôt d’un des éléments importants en regard de l’obligation générale d’un employeur d’agir avec diligence et bonne foi afin de ne pas étirer le temps de réponse d’une manière qui priverait le salarié de son droit à une défense  pleine et entière. C’est une question différente de celle du délai dit de rigueur.

[15]         Pour l’arbitre Jutras, les parties pouvaient utiliser un langage exprimant clairement que leur intention était d’obliger l’employeur à agir de manière diligente en écrivant, par exemple, qu’il devait le faire «  dans un délai raisonnable  ». Cela aurait été l’occasion pour chaque arbitre de juger, dans chaque cas, si l’employeur avait ou non agi à l’intérieur d’un délai raisonnable. En d’autres mots, pour l’arbitre Jutras cela signifie que lorsque les parties à une convention collective stipulent un délai de rigueur, c’est qu’elles ont elles-mêmes déterminé ce qui leur paraissait être un « délai raisonnable  ». Cela fait, l’arbitre n’aurait plus qu’à constater si l’employeur a ou non agi à l’intérieur dudit délai.

[16]         L’Employeur a fait valoir que la structure de direction fait en sorte que ce n’est pas madame Aubin qui devait enquêter sur cette plainte mais monsieur Yvan Marcotte qui occupe la fonction de directeur des opérations à partir de Québec, pour l’ensemble des activités au Québec.

[17]         Il dit avoir reçu celle en cause par courriel le 21 décembre 2011. Pour lui, la rage au volant qui y est dénoncée par un usager constitue une faute grave et, conséquemment, «  moins ça traîne, mieux c’est!  »

[18]         Le procureur de l’Employeur soumet d’abord que devant un délai de rigueur, le Tribunal doit tenir compte du contexte de son application et non pas de ne s’en tenir qu’à une interprétation littérale comme le soutient le Syndicat. Je partage ce point de vue d’autant plus que pour prendre une décision éclairée l’Employeur doit faire enquête afin d’avoir une connaissance suffisante de faits pour prendre sa décision. Mais cela n’écarte pas qu’il revient d’abord aux parties de déterminer ce qui constitue un délai raisonnable à cette fin, ce qu’elles ont fait en l’espèce à l’article 9.01.

[19]         Dans sa sentence citée précédemment, l’arbitre Jutras s’est aussi attardé à la structure de la Ville de Montréal en regard de l’exercice disciplinaire afin de déterminer qui est l’employeur. Cela met en relief la prétention de l’Employeur en l’espèce à l’effet que l’employeur visé par l’article 9.01 est la personne ayant l’autorité décisionnelle en regard de la discipline, soit, en l’espèce, monsieur Marcotte et non pas madame Aubin.

[20]         L’arbitre Jutras rapporte que la Ville de Montréal avait retenu les services d’une firme externe pour effectuer une surveillance des employés et que, conséquemment, elle ne pouvait agir qu’après la réception d’un rapport de ladite firme. Cela se rapproche de notre débat en ce qui a trait au fait que madame Aubin n’agirait que comme courroie de transmission, ce qui justifierait, selon l’Employeur, que le délai ne puisse courir qu’à partir du moment où monsieur Marcotte a été informé, soit que madame Aubin lui a transmis la plainte d’un usager le 21 décembre, donc, comme le prétendait la Ville de Montréal, à compter du moment où la ou les personnes en autorité aux fins disciplinaires reçoivent ce rapport.

[21]         L’arbitre Jutras, avec raison, n’a pas retenu un tel moyen de défense de la part de la Ville. je cite ses propos (page 15) :

L’article 20.02 de la convention collective vise à protéger le salarié contre un avis d’infraction qui serait remis tardivement, dans le but évident de sauvegarder le plus possible ses moyens de défense. La Ville ne peut déroger à ce principe et agir de façon à retarder sa prise de connaissance ou à ne pas se soucier de l’application du principe convenu.

La Ville ne peut faire indirectement ce qui lui est défendu de faire directement. Voir l’article 18.01 de la convention collective. Si elle veut agir de façon à ne pas brimer le droit du salarié à une défense pleine et entière, elle doit prendre les précautions nécessaires et aviser la firme externe du délai dans laquelle elle doit agir. Cette tâche n’est pas compliquée : elle n’a qu’à demander de recevoir copie du rapport dans un court délai.

[22]         Il faut noter que comme dans le cas de la firme de surveillance dans l’affaire Ville de Montréal, madame Aubin a confirmé qu’elle n’avait reçu aucune directive quant au délai à l’intérieur duquel elle devait transmettre la plainte d’un usager à monsieur Marcotte ou à tout autre responsable de la discipline dans son propre secteur d’activités. Elle ne l’a donc transmise que lorsqu’elle en a eu le temps. Or, il revenait certes à l’Employeur de dicter un tel délai et qu’il soit le plus court possible afin de respecter son obligation d’agir avec diligence, suivant l’article 9.01 de la convention collective.

[23]         L’arbitre Jutras a en quelque sorte conclu de la même manière dans les termes suivants :

(page 16) Dans le présent cas, la preuve ne révèle pas que la Ville a cherché consciemment à court-circuiter le processus prévu à la convention collective, mais elle ne révèle pas non plus que la Ville a pris des précautions spéciales pour demander que ce processus soit respecté. De fait, la preuve ne révèle pas à quelle fréquence et dans quel délai la firme externe devait faire rapport à la Ville suivant le mandat qu’elle a reçu, ni même qu’elle a été informée d’un délai quelconque.

[…]

(page 18) […] l’employeur n’a pas fait preuve de la diligence raisonnable et de volonté d’agir pour respecter le droit de l’employé de connaître dans un court délai ce qui lui est reproché : la Ville ne peut se fermer les yeux, elle ne peut pas ne pas lire un rapport ou pas exiger un rapport dans un court délai et prétendre ensuite n’avoir pris connaissance des faits reprochés que beaucoup plus tard. 

[24]         On aura constaté qu’au premier paragraphe de l’article 9.01 de la convention collective sous étude, il est prescrit que le délai courre du moment «  de la connaissance par l’employeur du ou des faits qui y donnent lieu.  » On constatera donc que les parties n’ont pas établi ce délai de rigueur à compter de la réception d’une plainte car, à la connaissance de tous, si tel était le cas, les employés recevraient de nombreuses mesures disciplinaires dont plusieurs seraient probablement ensuite retirées après enquête, surtout lorsque la source est une plainte d’un usager. Ce n’est certes pas un système aussi chaotique que les parties ont voulu.

[25]         On a fait état que madame Aubin n’est pas la représentante de l’Employeur en regard de l’administration des mesures disciplinaires et on a même prétendu, avec déférence, qu’elle ne serait que la boîte postale pour l’acheminement des plaintes auprès des personnes responsables.

[26]         Je ne partage pas cette opinion. Madame Aubin fait partie du système de réception des plaintes que l’Employeur a établi, comme c’était le cas de la firme de surveillance embauchée par la Ville de Montréal dans l’affaire discutée précédemment, à l’exception que cette firme était retenue dans un cas particulier (ad hoc) alors que madame Aubin reçoit toutes les plaintes des usagers, faisant ainsi continuellement partie du système élaboré par l’Employeur pour sa gestion de la discipline.

[27]         Or, comme le rappelle l’arbitre Jutras dans l’extrait précédent de sa sentence, il revient à l’Employeur et à lui seul d’établir une façon de faire qui lui permettra de diligemment rencontrer l’obligation qu’il a acceptée à l’article 9.01 de la convention collective, de remettre une mesure disciplinaire dans le délai qui y est prescrit par les parties.

[28]         J’ajoute que même s’il fallait considérer que madame Aubin ne serait qu’une boîte postale, comme le prétend l’Employeur, elle est toutefois la boîte postale de l’Employeur et il appartient à ce dernier de la vider, d’y puiser régulièrement ce qu’il y reçoit, ou de faire en sorte qu’elle se vide rapidement afin de respecter l’article 9.01. Un manque de personnel ne justifie pas un délai trop long car il revient à l’Employeur de s’organiser pour que sa boîte postale fonctionne suivant les règles établies, dont ledit délai. Conséquemment, que madame Aubin ait été débordée à ce moment ne constitue pas une justification valable du délai.

[29]         Cela veut aussi dire que le système que l’Employeur utilise afin de recevoir et d’acheminer l’information le menant à sa décision, doit être tel que son enquête sera faite diligemment afin qu’il puisse prendre sa décision, à l’intérieur du délai prescrit par les parties

[30]         La position de l’Employeur impose de nous attarder à la manière qu’il a effectué son enquête, notamment au moment où il l’a débuté, ce qui a une incidence certaine sur sa durée. En d’autres mots, a-t-il agi d’une manière sérieuse et raisonnable afin de prendre rapidement connaissance des faits sur lesquels il allait ou non imposer une mesure disciplinaire.

[31]         Ainsi, le délai couru depuis la réception de la plainte par madame Aubin le 30 novembre 2011 jusqu’à ce que monsieur Marcotte la reçoive le 21 décembre 2011, soit 3 semaines, est particulièrement long, de fait, il ne laisse que 9 jours de calendrier pour enquête et aviser le salarié de la mesure disciplinaire qu’il a décidé de lui imposer. Comment explique-t-il ce délai? Par une lourdeur administrative et un débordement de travail chez madame Aubin tout comme chez monsieur Marcotte, durant la période des fêtes.

[32]         Comme déjà signalé, les moyens de communications dont l’Employeur dispose et qu’il utilise, notamment par courriel, ne justifient pas de longs délais. L’arbitre Jutras avait aussi retenu un tel élément d’analyse (page 17) : «  Il faut bien constater qu’avec les moyens modernes de communication, il est très facile pour la Ville de s’assurer d’obtenir toutes les informations dont elle a besoin pour respecter les principes régissant l’mission d’avis d’infraction à un employé.  »

[33]         Monsieur Marcotte invoque que c’était le temps des fêtes, donc une période chargée. Bien que cela soit vrai, il demeure que son incapacité à agir plus rapidement ne tient pas que de cela et surtout, il ne revient pas à l’employé d’en subir l’inconvénient car ce n’est pas lui qui détermine les moyens d’agir à la suite d’une plainte le mettant en cause. Il faut ajouter que la convention ne fait aucune réserve quant au volume des opérations en regard du délai établi par les parties à l’article 9.01, ou suivant la nature de la plainte; dans tous les cas, le délai est le même, soit 30 jours de la connaissance des faits, sauf la suspension du délai dans les cas énumérés au paragraphe 3 de l’article 9.01, relatifs à la situation de l’employé et non pas de l’employeur : vacances, congé sans solde, retraite progressive, absence pour maladie, accident de travail ou maladie professionnelle. Cela signifie que l’explication de monsieur Marcotte n’est qu’une explication et non pas une justification retenue par les parties.

[34]         Mais il y a plus, cet argument écarte le fait qu’il se soit écoulé 3 semaines entre la réception de la plainte par madame Aubin et le moment où elle l’a transmise à monsieur Marcotte. Or, ces trois semaines ne sont pas pendant le temps des fêtes mais avant celui-ci. Si la transmission de la plainte avait été faite dès sa réception par madame Aubin par un simple courriel adressé à monsieur Marcotte, comme cela a été fait le 21 décembre 2011, ce dernier aurait certes été en mesure d’analyser la plainte plus tôt. Du moins, rien n’explique le contraire sans compter que monsieur Marcotte a reconnu que ce délai «  n’est pas le plus court, moins ça traine, mieux c’est!  » C’est l’objet même du délai.

[35]         Le second paragraphe de l’article 9.01 doit avoir un sens et une utilité. Il est clair aux yeux du soussigné que les parties ont déterminé un délai strict à l’intérieur duquel l’Employeur doit «  imposer une mesure disciplinaire  » soit 30 jours de la connaissance du ou des faits qui y donnent naissance.

[36]         Elles ont accentué l’expression de leur intention en prévoyant une sanction fatale au défaut d’agir à l’intérieur dudit délai. Cela signifie qu’il était essentiel aux yeux des parties que le salarié soit avisé le plus rapidement possible de son sort, notamment afin de préserver son droit à une défense pleine et entière. Si elles n’avaient pas voulu une telle rigueur elles auraient plutôt stipulé que l’Employeur devait agir à l’intérieur d’un délai raisonnable ou, à titre d’exemple, prévoir des situations où ledit délai pouvait être allongé pour un motif lié aux activités de l’Employeur, ou de consentement, ce qu’elles n’ont pas fait. L’interprétation de l’article 9.01 ne considère donc pas que le texte mais aussi l’esprit de la convention.

[37]         Je suis d’avis que le second paragraphe ne change pas le fait que le délai de trente jours court depuis la connaissance des faits et de l’imposition de la mesure disciplinaire à l’intérieur du délai. L’expression «  le cas échéant  » signifie que lorsque la question du délai est soulevée, il revient à l’Employeur de démontrer le moment où il a eu connaissance des faits donnant lieu à une mesure disciplinaire.

[38]         Il s’agit donc d’un délai de rigueur dont le défaut de le respecter rend la décision nulle, non valide et illégale, suivant la volonté des parties, mais ledit délai n’est de rigueur qu’une fois que l’Employeur a acquis une connaissance utile des faits générateurs de la mesure disciplinaire.

[39]         Que signifie «  connaissance utile  »? Il est évident suivant l’article 9.01, que l’utilité réfère à l’imposition de la mesure disciplinaire. Cela a un sens pratique bien connu des parties car aucun n’osera prétendre que dans tous les cas l’Employeur puisse immédiatement discipliner un employé, soit dès qu’il est informé d’une plainte contre celui-ci. Nécessairement et cela n’est pas nié, il arrive plutôt généralement que l’Employeur doive enquêter, ne serait-ce que pour éviter de prendre une décision disciplinaire envers un salarié avant d’être en mesure de juger du bien-fondé de celle-ci, ce qui constituerait aussi un préjudice important pour le salarié que de se voir sanctionner sans motif valable.

[40]         Bien que cela soit élémentaire, il faut rappeler qu’un arbitre ne peut modifier la convention collective afin d’atténuer l’effet d’un délai que les parties ont retenu à l’intérieur duquel une action doit être posée. Il faut assumer que les parties ont pesé le pour et le contre d’un délai de 30 jours de la connaissance des faits générateurs d’une mesure disciplinaire. Il faut aussi assumer qu’elles ont évalué le poids de ce délai en regard de la nature variable des cas de discipline dont, notamment, la difficulté d’en saisir la portée en regard de l’exercice disciplinaire.

[41]         Mais elles ont exprimé leur volonté clairement : Dans tous les cas le délai est de 30  jours de la connaissance des faits qui donnent naissance à l’imposition d’une mesure disciplinaire, aucune exception ou nuance n’ayant été retenue. Si les parties avaient voulu que l’Employeur doive agir dès la réception d’une plainte concernant un employé, elles n’auraient pas stipulé un délai précis pour agir. Ce délai concerne donc la période pendant laquelle l’Employeur analyse les faits et décide d’imposer ou non une mesure disciplinaire. C’est donc sa période d’enquête et de décision.

[42]         À cet égard il faut souligner que si les parties ont prévu au troisième paragraphe de l’article 9.01 des circonstances qui entrainent la suspension du délai, elles ne l’ont fait qu’en lien avec des situations que les salariés peuvent vivre, et non pas en rapport avec celles que l’Employeur peut rencontrer, par exemple une surcharge de travail à un  moment donné. L’énumération de ces circonstances signifie que les parties n’ont pas voulu que l’Employeur puisse invoquer un fait relié à son administration pour justifier la suspension du délai. Cela signifie aussi que l’article 9.01 est stipulé uniquement en faveur des employés et non pas de l’Employeur.

[43]         L’Employeur doit donc agir à l’intérieur dudit délai et il ne peut justifier un plus long délai par ses choix administratifs dès lors que ceux-ci le placent en contravention avec son obligation d’agir à l’intérieur d’un délai de rigueur puisque sous la menace convenue de la nullité, de l’invalidité et/ou de l’illégalité de la mesure qu’il entend imposer, du seul fait de l’imposer en dehors dudit délai.

[44]         L’Employeur est informé de la situation qui est potentiellement de nature à l’imposition d’une mesure disciplinaire, dès que la plainte ou que l’information lui est transmise. En l’espèce, l’Employeur a déterminé que le processus débutait par la réception d’une plainte par madame Aubin car c’est elle qu’il a affecté à la réception des plaintes. Il a aussi prévu dans sa structure disciplinaire qu’elle doit transmettre la plainte ou l’information reçue concernant le comportement d’un employé, au responsable du service concerné sans même avoir à l’analyser ou à enquêter.

[45]         Mais, pour respecter son obligation d’agir à l’intérieur du délai convenu, l’Employeur doit s’assurer que madame Aubin comme toute autre personne à l’intérieur du processus, agisse de manière à respecter le délai. Pour cela, il devait donner à madame Aubin la directive stricte de transmettre la plainte d’un usager sans délai à monsieur Marcotte, du moins dans l’affaire qui nous occupe. Cela signifie que le délai court dès la réception de la plainte par madame Aubin car dès lors l’Employeur doit être en mesure d’agir, notamment en effectuant l’enquête qui lui permettra de décider s’il imposera ou non une mesure disciplinaire à l’employé concerné et de l’imposer à l’intérieur dudit délai.

[46]         C’est ce que les parties ont déterminé en ne stipulant aucune exception à cet égard, que ce soit en rapport avec la nature des évènements ou avec la charge de travail de madame Aubin ou de monsieur Marcotte, ou de toute autre personne en autorité disciplinaire à une période donnée d’activités, dont celle des fêtes. De cela les parties pouvaient en convenir mais elles ne l’ont pas fait et le soussigné ne peut s’arroger le droit de modifier la convention collective afin d’atténuer l’impact du délai de l’article 9.01 pour l’Employeur, même dans des cas ou des situations particulières, ce qu’il n’aurait pu faire que si le délai accordé à l’Employeur pour agir avait été un «  délai raisonnable  », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

 

DÉCSION

[47]         Pour tous ces motifs, le moyen préliminaire du Syndicat est accueilli.

[48]         Le tribunal est d’avis que l’Employeur n’a pas respecté son obligation d’agir à l’intérieur du délai prévu à l’article 9.01. Le soussigné estime également que le moment de sa connaissance des faits ne peut être repoussé par son inaction, qu’elle résulte d’une absence d’une directive à la personne qui reçoit la plainte d’un usager au départ, ou de la lourdeur des opérations de transport à une période donné.

[49]         En d’autres mots, l’Employeur a l’obligation ferme de s’organiser pour rencontrer son obligation, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce, priorisant plutôt les opérations à son devoir d’agir dans le délai prescrit par l’article 9.01. C’était son choix et, il en avait le droit, mais il ne peut faire ce choix au détriment du droit de l’employé d’être informé des reproches qui sont retenus contre lui à l’intérieur du délai de 30 jours. Si l’Employeur fait ce choix, il renonce en quelque sorte à sanctionner le salarié car il connaît la sanction d’agir à l’intérieur du délai qu’il a convenu de stipuler à l’article 9.01 de la convention collective.

[50]         Pour tous ces motifs, le Tribunal constate que l’Employeur n’a pas agi à l’intérieur du délai de 30 jours prescrit à l’article 9.01 de la convention collective et, conséquemment, comme cela y est aussi prescrit, la mesure disciplinaire qu’il a imposée à monsieur Tremblay au-delà dudit délai, est nulle, invalide et illégale.

 

 

 

Fait à Sherbrooke ce 11 juillet 2013

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M e Richard Marcheterre, arbitre

 

 

 

 

Pour le syndicat :

Monsieur Pierre Breton

 

Pour l’employeur :

Maître Jacques Provencher

 

 

Date(s) d’audience :

17 juin 2013

 

Date(s) de délibéré :

10 et 11 juillet 2013

 



[1]     Syndicat  des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 et Ville de Montréal , AZ-50566018 , DTE 2009T569

[2]     Syndicat des travailleuses et travailleurs de Granirex inc. (CSN) et Granirex , DTE 2004-1091