Morand c. Légaré

2013 QCCQ 7837

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D'ABITIBI

 

LOCALITÉ D'AMOS

 

« Chambre civile »

N° :

605-32-002635-133

 

 

 

DATE :

3 juillet 2013

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MADAME LA JUGE LUCILLE CHABOT J.C.Q.

 

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JACQUES MORAND

Demandeur

 

c.

 

NICOLAS LÉGARÉ

Défendeur

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Monsieur Jacques Morand, demandeur, réclame de monsieur Nicolas Légaré l'entier solde dû du prix de vente d'un véhicule de type camion F-350.

[2]            La vente a été conclue le 6 avril 2010 par la signature d'un contrat entre les parties. Ce contrat prévoit que le prix de vente de 20 000 $ sera payable en 48 versements mensuels échelonnés du 1 er mai 2010 au 30 avril 2014, ces versements étant d'un montant de 435 $ chacun, pour une obligation totale de 20 880 $. On doit en inférer qu'une partie de cette somme, soit 880 $, constitue des intérêts bien qu'aucune mention n'en soit faite au contrat. La transaction a été enregistrée le même jour par la Société d'assurance automobile du Québec.

[3]            Afin de démontrer sa bonne foi, le défendeur remet à monsieur Morand un chèque personnel daté du 1 er mai 2010, au montant de 435 $. Il est entendu entre les parties que monsieur Légaré transmettra, au cours des prochains jours, au demandeur une série de chèques post-datés émis par et tirés sur le compte de son entreprise, Les levages de bâtiments N.L. inc. Monsieur Morand témoigne que ces 48 chèques lui ont été effectivement remis le ou vers le 17 avril 2010. Il était aussi entendu entre les parties que le chèque personnel fait par le défendeur ne serait jamais présenté pour paiement, entente qui a été respectée.

[4]            Le demandeur a introduit la présente réclamation le 26 février 2013. Il déclare que la somme totale qui lui est due par monsieur Légaré est de 7 395 $, somme qu'il consent à réduire à 7 000 $ afin d'en faire une petite créance au sens du Code de procédure civile [1] .

[5]            Il allègue que le 1 er novembre 2012, le défendeur a cessé de faire ses versements. Il demande que le défendeur soit déchu du bénéfice du terme et que l'entière somme due lui soit payée.

[6]            À l'audience, le demandeur reconnaît avoir reçu, le ou vers le 11 décembre 2012, deux versements qui étaient en souffrance et qu'il impute aux mois d'août et septembre 2012. De même, il reconnaît avoir reçu, le ou vers le 20 février 2013, un autre versement de 435 $ qu'il impute au mois d'octobre 2012 et c'est pourquoi sa réclamation faite le 26 février 2013 couvre les versements dus à partir du 1 er novembre 2012.

[7]            Le défendeur ne reconnaît devoir qu'un seul et dernier versement de 435 $. Il allègue que le 7 avril 2010, soit le lendemain de la transaction intervenue et de l'enregistrement de celle-ci auprès de la Société d'assurance automobile du Québec, il aurait remis 5 000 $ en argent comptant au demandeur.

[8]            Il produit un contrat de vente qu'il avait lui-même préparé et présenté au vendeur le 5 avril 2010. Monsieur Morand avait alors refusé de signer ce contrat, préférant en rédiger lui-même les termes, ce qu'il a fait.

[9]            Au contrat préparé par le défendeur, il n'apparaît effectivement aucune signature sous le nom de monsieur Morand, agissant comme vendeur.

[10]         Monsieur Légaré allègue que le 5 000 $ remis en argent comptant le 7 avril 2010 a été constaté par une note inscrite sur ce même contrat que le demandeur Morand avait refusé de signer deux jours auparavant.

[11]         Le demandeur nie avec véhémence que ce soit sa signature qui apparaisse sur cette note. Afin de démontrer ce fait, il produit le contrat original, deux copies de passeport et des copies de baux. La comparaison est loin d'être difficile à faire. Il est évident qu'il ne s'agit pas de la même signature.

[12]         Autre fait troublant dans la version donnée par monsieur Légaré est que cette note signée sur la proposition de contrat du 5 avril l'aurait été dans le stationnement attenant à son domicile. Il reconnaît que le contrat original était dans son appartement. Lorsqu'on lui demande pourquoi il a fait signer cette note sur un contrat qui n'avait pas été signé, il dit qu'il n'avait pas le contrat original sur lui. Pourtant, celui-ci était facilement accessible puisque, si les parties étaient là où il dit qu'elles étaient, il n'avait alors qu'à entrer chez lui et y prendre la copie de ce contrat.

[13]         Autre fait troublant est que l'on ait remis, deux semaines plus tard, une série de chèques qui couvraient pourtant l'entière période prévue au contrat, soit 48 chèques. Quelle est la logique de remettre 48 chèques si on a déjà acquitté 5 000 $ comptant? Bref, les explications fournies par monsieur Légaré sont loin d'être convaincantes.

[14]           Lorsque le Tribunal lui demande pourquoi avoir payé le 7 avril un aussi gros montant alors que s'il l'avait fait la veille, jour de l'enregistrement de la transaction auprès de la Société d'assurance automobile du Québec, une économie réelle en taxes de vente aurait pu être réalisée, monsieur Légaré répond qu'il s'agit d'un contrat obtenu par son entreprise le 7 avril et payé au noir, par le co-contractant, au mépris de lois fiscales. Cet aveu de contournement des lois fiscales n'aide en rien à la crédibilité du défendeur.

[15]         Le Tribunal conclut que le demandeur a fait la preuve des allégations principales de son action, et ce, de manière prépondérante.

[16]         La défense de monsieur Légaré ne peut être retenue puisqu'elle ne rencontre pas les critères de prépondérance de preuve.

[17]         Ceci étant, le demandeur est-il fondé par le contrat ou par quelque disposition légale à réclamer la déchéance du bénéfice du terme ou, au contraire, ne peut-il réclamer que les versements dus et échus à la date d'introduction de sa demande?

[18]         L'auteur Pierre-Gabriel Jobin, dans son livre intitulé Les obligations [2] , écrit :

« En principe, il est loisible aux parties à un contrat de prévoir que certains agissements du débiteur auront pour effet d'entraîner la déchéance du terme. Il en va parfois ainsi lorsque l'exécution d'une obligation a été répartie en plusieurs échéances et que le créancier souhaite protéger ses droits advenant que le débiteur fasse défaut de payer l'un des versements échus. Le simple défaut du débiteur d'effectuer un paiement devenu exigible n'étant pas suffisant pour entraîner la déchéance légale du terme, une clause de déchéance du terme ( acceleration clause ) devient nécessaire pour que le solde entier de la dette devienne exigible. »

[19]         L'auteur réfère à l'article 1514 du Code civil du Québec [3] qui prévoit :

« 1514. Le débiteur perd le bénéfice du terme s'il devient insolvable, est déclaré failli, ou diminue, par son fait et sans le consentement du créancier, les sûretés qu'il a consenties à ce dernier.

Il perd aussi le bénéfice du terme s'il fait défaut de respecter les conditions en considération desquelles ce bénéfice lui avait été accordé. »

[20]         Il écrit, à propos du second alinéa :

« La formulation large de cet alinéa ne va pas toutefois jusqu'à permettre de considérer que le simple défaut du débiteur d'exécuter un versement échu, en présence de paiements échelonnés, constitue un manquement à une condition en considération de laquelle le terme a été consenti et une cause de déchéance légale du terme pour les versements à échoir. En effet, une telle extension du second alinéa de l'article 1514 aurait pour conséquence de priver d'utilité les clauses de déchéance du terme et de mettre en échec les mesures de protection qui entourent cette sanction fort sérieuse que représente, pour le débiteur, la déchéance légale du terme qui lui a été consenti. »

[21]         Le contrat signé entre les parties ne contenant pas telle clause prévoyant la déchéance du bénéfice du terme en cas de non-paiement d'un versement, le Tribunal ne peut accorder que les versements qui sont dus et échus en date d'introduction de la demande, soit les versements du 1 er novembre, 1 er décembre 2012, 1 er janvier 2013 et 1 er février 2013 au montant de 435 $ chacun, pour une somme totale de 1 740 $.

[22]         Compte tenu de la preuve;

[23]         Compte tenu des témoignages;

[24]         COMPTE TENU des documents déposés par l'une et l'autre des parties;

[25]         Le Tribunal :

[26]         ACCUEILLE partiellement la réclamation;

[27]         CONDAMNE monsieur Nicolas Légaré à payer à monsieur Jacques Morand la somme de 1 740 $ avec intérêts au taux légal depuis la date d'introduction de l'action, soit le 26 février 2013;

[28]         CONDAMNE de plus le défendeur au paiement des frais judiciaires au montant de 167 $.

 

 

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LUCILLE CHABOT, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

28 mai 2013

 



[1] Code de procédure civile , L.R.Q. c. C-25

[2] Pierre-Gabriel JOBIN, Les obligations , 6 e édition , Cowansville, Éditions Yvon Blais , 2005, p. 601

[3] Code civil du Québec , L.R.Q. c. C-1991