Drolet c. Saucier

2013 QCCQ 7860

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D'ABITIBI

 

 

 

« Chambre civile  »

NO :

615-22-001795-110

 

DATE :

30 août 2013

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MADAME LA JUGE

LUCILLE CHABOT, J.C.Q.

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Ghyslain Drolet

 

Demanderesse

 

c.

 

Huguette Saucier

 

Défenderesse

 

 

 

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JUGEMENT (RECTIFIÉ)

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[1]            Monsieur Ghyslain Drolet réclame 17 500 $ pour atteinte à sa réputation et 5 000 $ à titre de dommages punitifs pour des propos tenus à son égard par madame Huguette Saucier.

[2]            On reproche à madame Saucier des propos tenus lors d'entrevues radiophonique et télévisée ainsi que dans deux articles parus dans des hebdomadaires régionaux.

Les faits :

[3]            Les faits suivants sont ceux retenus par le Tribunal comme étant prépondérants et pertinents à la résolution du litige.

[4]            Le demandeur, à l'époque des faits donnant naissance aux présentes procédures, était le directeur général de la municipalité de Preissac. Il occupait ce poste depuis juin 2008.

[5]            Le 1 er novembre 2009, la défenderesse est élue mairesse de cette municipalité. Elle occupait auparavant une fonction de conseillère et était de ceux qui avaient procédé à l'engagement de monsieur Drolet.

[6]            Sa campagne électorale est menée par monsieur Sylvain Beaupré. Fait alors partie de son programme électoral, un projet de parc régional.

[7]            Drolet et Beaupré, ce dernier agissant comme bénévole, sont à l'origine de ce projet de parc régional visant à mettre en valeur les attraits de la municipalité.

[8]            Au printemps 2010, la bonne entente qui régnait jusqu'alors entre Saucier et Drolet s'étiole peu à peu.

[9]            En mars, on rencontre les représentants de trois ministères afin de leur présenter le projet de parc régional. Sont notamment présents à cette rencontre, Saucier, Drolet et Beaupré.

[10]         En mai, une autre rencontre a lieu. Cette fois y assistent des représentants de la municipalité régionale de comté. Saucier et Drolet sont présents afin de discuter du projet de parc régional. Ils sont alors informés de la lourdeur d'un tel projet, notamment en ce qui concerne le cadre légal. Le préfet de la MRC leur suggère plutôt d'envisager de développer une forêt de proximité.

[11]         À cette rencontre, madame Saucier réalise que ce projet, s'il voyait le jour, serait sous l'égide de la MRC et non sous la responsabilité directe de la municipalité. Cette information la trouble.

[12]         Les coûts associés à la création de ce parc régional et décrits dans un document préparé par Drolet daté de mars 2010 lui semblent, à tort ou à raison, ce point n'étant pas d'une réelle pertinence, trop élevés par rapport aux capacités financières de la municipalité et de ses habitants.

[13]         Ce point de vue ne semble pas partagé par tous et, à la session régulière du conseil du 8 juin, des résolutions sont adoptées en lien avec le projet de parc. Il s'agit essentiellement de demandes de fonds adressées à divers organismes pour la réalisation des phases préliminaires du projet.

[14]         Bien que ces résolutions visent l'obtention d'aide financière et ne comportent en conséquence aucune dépense pour la municipalité, y apparaît la mention :

« Je soussigné, directeur général, certifie qu'il y a des crédits suffisants pour la dépense ci-haut décrite. »

[15]         Cette mention ne devrait apparaître que lorsqu'une résolution de la municipalité comporte une dépense pour celle-ci.

[16]         Drolet explique qu'il a cru nécessaire d'ajouter cette mention suite à des vérifications qu'il a faites à l'externe.

[17]         Pourtant, d'autres résolutions analogues, où la municipalité procède à des demandes d'aide financière, ne contiennent pas telle mention. Par exemple, une résolution d'avril 2010 (résolution # 89-04-2010 déposée sous cote P-8) adoptée seulement deux mois avant celles concernant le projet de parc ne contient pas cette mention bien qu'il s'agisse d'une demande de fonds de 50 000 $ adressée au programme d'amélioration du réseau routier.

[18]         L'explication donnée par Drolet sur les mentions apparaissant aux résolutions de juin 2010 en rapport avec le projet de parc est singulière étant donné l'espace temporel ténu entre les résolutions de juin et la précédente d'avril 2010.

[19]         Le texte des articles 960.1 et 961 du Code municipal du Québec [1] n'est pourtant pas ambiguë. Il prévoit :

« 960.1 Le conseil peut adopter tout règlement relatif à l'administration des finances de la municipalité.

Il doit toutefois, de façon à assurer une saine administration de ces finances, adopter un règlement en matière de contrôle et de suivi budgétaires qui prévoit notamment le moyen utilisé pour garantir la disponibilité des crédits préalablement à la prise de toute décision autorisant une dépense, lequel moyen peut varier selon l'autorité qui accorde l'autorisation de dépenses ou le type de dépenses projetées.

961.  Un règlement ou une résolution du conseil qui autorise une dépense n'a d'effet que si, conformément au règlement adopté en vertu du deuxième alinéa de l'article 960.1, des crédits sont disponibles pour les fins auxquelles la dépense est projetée. »

[20]         De toute évidence, ces mentions apparaissant aux résolutions ont fait naître des suspicions et craintes chez certains, dont la défenderesse.

[21]         À la session suivante, ces résolutions sont abrogées. Le projet de parc est sérieusement remis en question et ne verra vraisemblablement pas le jour. Drolet témoigne qu'il a dès lors tourné la page pour se consacrer aux affaires courantes de la municipalité. Il se pliait ainsi à la volonté du conseil.

[22]         De manière concomitante, les esprits s'échauffent et quelques citoyens, ne disposant pas d'informations exactes ou vérifiées, déclenchent un mouvement de protestation.

[23]         Rapidement, le directeur général devient leur cible. On fait circuler une pétition à l'intérieur de la municipalité qui exige le remplacement du directeur général Drolet. Des événements sont rapportés de manière parcellaire. On ajoute des informations non vérifiées en lien avec l'emploi précédent qu'a occupé le directeur général. De même, le texte se fait alarmant en référant à un litige entre une employée et le directeur général « qui pourrait coûter très cher à la municipalité ».

[24]         Bien que la défenderesse ait connaissance de cette pétition, qu'elle commente à Drolet ainsi : « c'est pas fort », elle ne pose aucun geste. Drolet transmet des mises en demeure à deux des auteurs.

[25]         Les séances du conseil deviennent de plus en plus houleuses. La période habituellement consacrée aux questions sert plutôt de défoulement collectif où des citoyens prennent à partie certains conseillers, ceux qui sont étiquetés contre la mairesse, des employés et le directeur général. Des injures sont proférées, des accusations d'incompétence sont lancées, et ce, sans que la présidente de l'assemblée, la mairesse, ne prenne les moyens nécessaires pour que ne se rétablissent l'ordre et le calme.

[26]         À partir de cette période que l'on situe à la fin de l'été et à l'automne 2010, l'état de Drolet se détériore. Il appréhende les assemblées du conseil, en revient miné, découragé.

[27]         En tant que directeur général, il mandate une avocate qui voit à l'élaboration de trois résolutions. La première vise une campagne de communication s'adressant à la population. La seconde vise la prise en charge par la municipalité des frais reliés à la défense d'un conseiller et du directeur général qui ont reçu des mises en demeure de citoyens. La dernière résolution a pour objet la protection des employés contre le harcèlement.

[28]         Ces résolutions sont adoptées par le conseil à la session régulière du 12 octobre. Dans les jours suivants, la mairesse oppose son droit de veto.

[29]         On tente de convoquer une assemblée spéciale pour le 20 octobre. L'avis de convocation n'étant pas transmis à la mairesse, cette assemblée n'aura pas lieu. Drolet plaide le simple oubli et Saucier est convaincue que l'on a tenté de l'écarter délibérément de cette réunion.

[30]         Une autre assemblée est convoquée pour le 28 octobre laquelle n'aura pas lieu faute de quorum.

[31]         Le but avoué de ces réunions était de faire adopter à nouveau les résolutions du 12 octobre qui avaient fait l'objet de l'exercice du droit de veto par la mairesse.

[32]         Il est utile de rappeler ici que le Tribunal n'a pas à juger du bien-fondé ou non de l'exercice de ce droit par madame Saucier, mais il est tout de même surprenant que l'on s'oppose à une résolution visant à contrer le harcèlement.

[33]         Une session régulière doit se tenir le 8 novembre. À cette date, le directeur général est en arrêt de travail pour une période de 30 jours pour épuisement.

[34]         Dans les jours qui suivent, un directeur général par intérim sera embauché par la mairesse elle-même.

[35]         Le Tribunal a tenu à dresser un tableau des événements contemporains à la période visée et où seraient survenus les faits en litige puisqu'ils peuvent aider à la compréhension.

SHOW DU MATIN :

[36]         Le 12 novembre, à l'émission le Show du matin à Radio X, les animateurs parlent de la situation qui prévaut dans la municipalité de Preissac.

[37]         Le ton des animateurs et les termes choisis font dans le sensationnalisme sans doute afin d'attirer et de retenir l'attention des auditeurs.

[38]         On dresse un portrait parcellaire de la situation, et ce, suivant la version d'un citoyen, celui-là même qui a travaillé à l'élaboration de la pétition ayant circulé à Preissac quelques mois plus tôt. D'autres informations sont transmises aux animateurs par voie de messages textes.

[39]         Différentes personnes interviennent :

-         David Bolduc, conseiller;

-         Pierre Gauthier, résident de Preissac;

-         Pierre Fleury, citoyen de Preissac et candidat à la mairie défait en novembre 2009;

-         Pascal Tanguay, conseiller.

[40]         L'intervention qui suivra sera celle de madame Huguette Saucier.

[41]         Afin d'illustrer le contexte dans lequel madame Saucier a livré ses propos, il convient de brosser à grands traits le contenu des interventions antérieures.

[42]         Le premier citoyen : On affirme que le directeur général mène tout par en arrière avec son ami et trois conseillers. Il ajoute qu'un dossier relatif à l'intimidation a été transmis au ministère. C'est la loi de l'omerta, tout le monde a peur. Il parle de mises en demeure transmises à des citoyens.

[43]         David Bolduc : il indique que les citoyens n'ont pas à être inquiets. Depuis longtemps les gens travaillaient sur le projet de parc régional, et ce, bien avant que madame Saucier ne soit mairesse. Ce projet avait tout d'abord été accepté par le conseil pour, par la suite, discuter d'une solution alternative soit d'une forêt de proximité.

[44]         Monsieur Pierre Gauthier : il indique que le climat lors des réunions du conseil n'est pas sain. Il parle d'une tempête dans un verre d'eau. Il dit avoir eu l'occasion de s'exprimer lors de ces réunions et n'avoir reçu aucune menace. Il parle du projet de parc qui finalement n'a pas été retenu. À une question de l'animateur disant qu'il paraît que le DG en mène large sur la mairesse, il répond que ce sont les conseillers qui magouillent pour envenimer la situation, qu'il y a des tensions, mais sur plusieurs sujets. Pour lui, le parc n'est pas le principal sujet de tension. Il termine en disant que le directeur général et la mairesse ne mangent pas la même sorte de céréales.

[45]         Monsieur Pierre Fleury : il établit d'abord que monsieur Drolet, directeur général, aurait suggéré à madame Saucier qu'elle prenne Beaupré, un ami, comme organisateur officiel pour sa campagne électorale. Il souligne que le directeur général était alors président d'élection. Toute l'équipe de monsieur Fleury a perdu sauf une conseillère. En ce qui concerne le parc, il dit être plus ou moins au courant, mais comprendre qu'il en coûterait de 400 000 à 700 000 $ et que le parc serait sous l'autorité de la MRC.

[46]         Il ajoute que si on prononce le nom « Sylvain Beaupré », tu reçois une mise en demeure. Questionné à savoir quel est le véritable problème, il dit que la mairesse est seule de son côté. Qu'elle a quatre conseillers contre elle et que c'est le directeur général qui mène et qui ne donne aucun papier à la mairesse. Il dira qu'il y a eu deux démissions au sein du conseil.

[47]         Pascal Tanguay : il dira que depuis janvier ou février, il a vu un conflit surgir entre la mairesse et le directeur général et qu'il y a de 20 à 25 citoyens qui demandent que soit congédié le directeur général. Les conseillers auraient dit à ces citoyens de leur amener des preuves de leurs prétentions. À ce jour, ils n'ont rien reçu et le conflit perdure. Il ajoute qu'il y a beaucoup de harcèlement : les conseillers n'ont pas le droit de répondre aux citoyens parce que les citoyens ne veulent pas. Il indique que les citoyens sont en rogne parce que les conseillers n'ont pas voulu mettre à la porte le directeur. Il ajoute que sur le groupe des citoyens mécontents, quatre sont des personnes qui ont perdu leurs élections de novembre 2009 alors qu'elles s'y présentaient à un poste ou à un autre.

[48]         Il réitère que ce n'est pas le directeur général qui prend les décisions, mais bien le conseil. Le directeur général n'est là que pour leur amener les points à discuter.

[49]         Il croit que le parc régional n'est pas le réel enjeu. L'enjeu réel est de mettre à la porte le directeur général.

[50]         Il ajoute qu'il y a beaucoup de problèmes d'ordre personnel que les gens tentent de régler sur la place publique et qu'à la dernière réunion du conseil, il a pensé à tout laisser tomber parce que des citoyens lui disaient de se « fermer la gueule ».

[51]         Huguette Saucier : il y a lieu de préciser que dans son témoignage, madame Saucier indique qu'elle avait commencé à écouter l'émission Le Show du Matin de Radio X au moment où monsieur Gauthier s'exprimait, soit près d'une heure avant son intervention.

[52]         Madame Saucier donne une entrevue téléphonique, laquelle est diffusée en direct.

[53]         Les propos qui lui sont reprochés et qui sont à l'origine de la présente réclamation sont les suivants :

-         « On commence à perdre notre personnel. Ça se trouve que c'est le DG qui avait la gestion du personnel. »

-         « Le DG n'est pas vraiment à leur service ( citoyens ) [2] . »

-         « S'ils (citoyens) [3] allaient au bureau et demandaient les informations ou quoi que ce soit, il n'y avait pas de suivi là-dedans. Puis s'ils voulaient un projet ou une demande, souvent au conseil, nous autres, on n'était pas au courant. Ça crevait dans l'œuf. Le service à la population n'était pas rendu. »

-         À l'animateur qui lui dit :  « Il ( DG ) [4] travaille tout seul de son bord? Elle répond : « À peu près. »

-         L'animateur ajoute : « C'est toujours bien vous qui décidez? » Madame Saucier répond : « Oui, mais pour décider, il faudrait que je sois au courant des demandes de la population et que j'ai les documents en main pour faire ma job en bonne et due forme. » L'animateur continue en lui disant « Donc le DG omet de vous transmettre les informations? » Et elle répondra : « Ben voilà! » L'animateur ajoute : « Dans le but de vous nuire? » Ce à quoi elle répond : « Exactement! »

-         Elle parle du parc régional indiquant que « monsieur Drolet était très très impliqué là-dedans ».

-         Elle dira avoir rencontré à deux reprises des représentants du ministère à Rouyn pour faire part de certaines résolutions mal faites, des vices de procédure et des choses du genre, des irrégularités…

-         « Monsieur Drolet est très très avocatisé » alors qu'il est question de mises en demeure qui auraient été transmises. En parlant de Beaupré, elle dit qu'il est le grand copain de monsieur Drolet. Puis, elle ajoute : « Monsieur Drolet est très très avocatisé. C'est un maniaque à ce niveau-là. »

-         Plus loin dans l'entrevue, elle émet le désir que tout ça se règle à l'interne et dit : « De toute façon, j'avais rencontré mes conseillers à deux reprises il y a plusieurs mois. Maintenant, c'est impossible. Écoutez. Il y a énormément de vices de procédure. »

-         Elle dira de Drolet qu'il est en congé maladie et qu'on ne sait pas trop quelle maladie et ajoute : « On va travailler là-dessus. »

Entrevue diffusée au TVA édition 18 heures le 12 novembre 2010 :

[54]         Il convient de dire dans un premier temps que le topo de la situation est fait par la journaliste elle-même. L'intervention de la mairesse est somme toute courte. Elle tient les propos suivants : « Je suis confiante malgré tout. La vérité va finir par sortir. Je suis confiante à ce niveau-là parce que cette espèce de zizanie-là peut pas continuer continuellement. »

ARTICLE DU 18 NOVEMBRE 2010 :

[55]         Drolet allègue que la défenderesse lui aurait imputé des intentions malicieuses et déploré un manque de collaboration majeur notamment :

-         « Le directeur général s'est reviré contre moi. »

-         « J'étais incapable d'obtenir les documents du DG. »

ARTICLE DU 7 DÉCEMBRE 2010 :

[56]         Drolet se plaint que la mairesse Saucier a dit, en parlant de la situation qui régnait à Preissac : « J'espère que nous pourrons compter sur des adultes avec un peu de maturité. »

[57]         Le Tribunal a eu l'occasion d'entendre le témoignage de madame Marie-Josée Veilleux qui a, elle aussi, travaillé au sein de la municipalité de Preissac. Elle y a œuvré en tant qu'agente de secrétariat de juin 2009 en décembre 2010 pour, par la suite, cumuler avec ce poste d'agent de secrétariat celui d'agent de développement. Pour elle, les demandes dans l'exécution de son travail de secrétariat venaient du directeur général.

[58]         Cependant, en mai, madame a fait l'objet d'une mesure disciplinaire. Elle a alors rencontré le directeur général, monsieur Drolet, accompagné de la mairesse, madame Saucier. C'est la mairesse qui imposera une mesure disciplinaire et non le directeur général. Peu après, elle sera en congé maladie, et ce, jusqu'à l'automne,  moment où son médecin lui donne le feu vert pour le retour au travail.

[59]         Elle indique qu'après la rencontre et la mesure disciplinaire qui lui a été imposée, avoir rediscuté avec le directeur général. Elle dira que le climat était correct, mais pas aussi amical.

[60]         Lorsqu'elle reçoit le feu vert pour retourner au travail, elle décide de démissionner. À l'audience, elle indique que le conflit au sein du conseil a été le motif de son départ.

[61]         Monsieur André Labbé a travaillé lui aussi pour la municipalité de Preissac à raison de trois jours par semaine, et ce, de janvier 2009 à mai 2011. Il était donc un collègue de travail du directeur général Ghyslain Drolet. Il a entendu les propos livrés par la mairesse Saucier lors de l'entrevue radiophonique du 12 novembre. Il s'inscrit en faux devant sa déclaration disant que le directeur général ne lui donnait pas d'information. Tous les vendredis, une réunion avait lieu entre le Directeur général et la mairesse et l'information était donnée. Il a été lui-même témoin de transmission d'informations puisqu'à certaines occasions, il assistait à ces réunions. À d'autres occasions, comme les bureaux de la municipalité sont relativement exigus, il entendait les propos que s'échangeaient le directeur général et la mairesse. De même, lorsqu'il se rendait au photocopieur, il était encore là témoin de ce qui se disait.

[62]         Le témoin confirme la détérioration du climat au sein de la municipalité. Il a vu la pétition qui a circulé à l'été 2010 et il en a lui-même parlé au directeur général. Au début Drolet était étonné, avait de la misère à y croire pour être, par la suite, froissé et choqué de cette situation.

[63]         Il ajoute qu'il se doutait qu'un congé maladie surviendrait pour le directeur général parce qu'il le voyait décliner peu à peu.

[64]         Jeanne Godbout, pour sa part, est une ancienne collègue de travail de monsieur Drolet. Elle l'a connu alors qu'il travaillait au projet de Spirit Lake à Trécesson. Elle a lu les articles de journaux et dit en avoir été renversée. De manière impromptue, elle a rencontré monsieur Drolet dans un commerce de la ville d'Amos. Elle dit avoir constaté qu'il était défait.

[65]         Les proches de monsieur Drolet sont venus témoigner de la dégradation de sa situation jusqu'au congé maladie du 8 novembre. On dira qu'il était à bout et après les propos tenus par madame Saucier le 12 novembre à la radio, qu'il était démoli. Plusieurs d'entre eux se sont fait poser des questions par des connaissances ou collègues de travail relativement à la situation de monsieur Drolet et de ce qui se passait à la municipalité de Preissac.

[66]         La conjointe de monsieur Drolet a été particulièrement touchée par les propos tenus par madame Saucier en ce qu'elle a, pour un moment, ébranlé la confiance qu'elle avait envers son conjoint. Madame a vu son conjoint se refermer et sombrer peu à peu dans la détresse et la dépression.

[67]         La preuve révèle que monsieur Drolet a été en arrêt de travail pour une période significative. Ce n'est qu'à l'automne 2011 qu'il a reçu l'autorisation de tenter un retour au travail. Au début de l'année 2012 intervenait un accord de fin d'emploi avec la municipalité de Preissac.

[68]         Drolet dit que ces événements lui ont rendu difficile l'obtention d'un autre emploi. Après avoir envoyé plus de 75 curriculums vitae, il avait reçu peu ou pas de réponses. C'est finalement par l'entremise d'un ami qu'il entrera en fonction en mars 2012 auprès de la députée fédérale, madame Christine Moore.

LE DROIT :

[69]         Les articles 3, 6, 7 et 10 du Code civil du Québec [5] énoncent :

« 3.  Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

[…]

6 .  Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7 .  Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

[…]

10 .  Toute personne est inviolable et a droit à son intégrité. Sauf dans les cas prévus par la loi, nul ne peut lui porter atteinte sans son consentement libre et éclairé. »

[70]         L'article 35 prévoit :

« 35.  Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise. »

[71]         Le droit à la réputation est un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne [6] . Ainsi, l'article 4 énonce :

« 4.  Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. »

[72]         En cas d'atteinte à la dignité, l'honneur ou la réputation d'une personne, l'article 49 prévoit :

« 49.  Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

[73]         Le litige met donc en cause deux valeurs fondamentales : le droit à la sauvegarde de sa réputation et la liberté d'expression. À propos du concept de réputation et de la Charte canadienne des droits et libertés [7] , le juge Cory écrivait dans l'affaire Hill [8] :

« Bien qu'elle ne soit pas expressément mentionnée dans la Charte, la bonne réputation de l'individu représente et reflète sa dignité inhérente, concept qui sous-tend tous les droits garantis par la Charte.  La protection de la bonne réputation d’un individu est donc d’importance fondamentale dans notre société démocratique. »

[74]         La diffamation consiste dans la communication de propos, d'écrits qui sont de nature à faire perdre l'estime ou la considération de quelqu'un. Ils peuvent aussi susciter à son égard des sentiments défavorables, désagréables. Il s'agit d'une atteinte injuste à la réputation d'une personne l'exposant à la haine, au mépris ou au ridicule. La diffamation peut être des commentaires ou des critiques injustifiés ou malicieux. Elle peut aussi être la simple communication d'informations erronées ou sans intérêt, bien qu'exactes.

[75]         Le fondement du recours se retrouve à l'article 1457 du Code civil du Québec , article qui établit les règles applicables en matière de responsabilité civile :

« 1457 .  Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. »

[76]         Ainsi, le régime général de la responsabilité s'applique et impose de démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute commise.

[77]         Il incombe donc à la victime d'une pareille atteinte illicite de faire la démonstration par prépondérance de preuve de ces trois éléments.

[78]         Dans Charrette c. Lemoyre [9] :

« [51]    La faute sera examinée eu égard à la conduite du défendeur. Elle est souvent le premier élément examiné par le Tribunal qui, s'il en découle une réponse positive, entraîne l'examen du dommage que telle faute aurait engendré.

[52]               Dans l'arrêt Prud'homme , la Cour, après avoir indiqué que le fondement du recours en diffamation se trouve à l'article 1457 C.c.Q., mentionne :

« […] Ainsi, dans un recours en diffamation, le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité, comme dans le cas de toute autre action en responsabilité civile, délictuelle ou quasi délictuelle. »

[53]       Le Tribunal analysera les éléments de la responsabilité dans l'ordre suggéré par la Cour suprême.

2.         L'existence d'un préjudice

[54]         À cet égard, la Cour suprême émet les commentaires suivants :

« Pour démontrer le premier élément de la responsabilité civile, soit l’existence d’un préjudice, le demandeur doit convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires.  Le concept de diffamation a fait l’objet de plusieurs définitions au fil des années. De façon générale, on reconnaît que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables ». »

[55]       La Cour ajoute que la nature diffamatoire des propos s'analyse selon une norme objective.

[56]               Il faut se demander, nous rappelle la Cour suprême, si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation du plaignant. Même si les propos sont jugés diffamatoires, ils n'engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur, sauf si on démontre en plus la commission d'une faute.

[57]         L'étude du dommage ou du préjudice est généralement analysée suivant huit critères dégagés par la jurisprudence :

         «  1. La gravité intrinsèque de l'acte diffamatoire ;

 2. Sa portée particulière relativement à celui qui en a été la victime ;

3. L'importance de la diffusion publique dont le libelle a été l'objet ;

4. Le genre de personnes qui, présumément, en ont pris connaissance et les conséquences que la diffamation a pu avoir sur leur esprit et sur leur opinion à l'égard de la victime ;

5. Le degré de la déchéance plus ou moins considérable à laquelle cette diffamation a réduit la victime par comparaison avec son statut antérieur ;

6. La durée éventuelle et raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie ;

7. La contribution possible de la victime par sa propre attitude ou sa conduite particulière, à la survenance du préjudice dont elle se plaint ;

8. Les circonstances extérieures qui auraient, de toutes façons et indépendamment de l'acte fautif du présent défendeur, constitué des causes probables du préjudice allégué, ou, au moins, d'une partie de ce préjudice. » »

[79]         L'analyse selon une norme objective consiste à se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble et dans le contexte dans lequel ils ont été prononcés, ont déconsidéré la réputation d'une autre personne.

[80]         Le Tribunal le répète, les propos diffamatoires peuvent être conformes à la vérité tout comme ils peuvent être faux. S'ils sont vrais, ils peuvent entraîner la responsabilité de celui qui les a tenus si l'auteur n'avait pas un intérêt légitime à les rapporter. S'ils sont faux, leur publication ou télédiffusion constitue en soi une faute.

[81]         Un propos diffamatoire peut adopter un style direct, soit l'affirmation ou un style indirect : allusion, insinuation, ironie, doute, supposition, sous-entendu. Ces derniers peuvent avoir le même effet dévastateur.

[82]         Ces affirmations, insinuations, suppositions ou sous-entendus visent à faire perdre l'estime ou la considération de quelqu'un ou de susciter à son égard des sentiments défavorables ou désagréables.

[83]         Cette faute peut résulter de la mauvaise foi, de l'intention de nuire. Elle peut aussi résulter d'un comportement dont la volonté de nuire n'est pas apparente ou présente, mais où on porte malgré tout atteinte à la réputation de la victime par sa négligence, son impertinence, son incurie ou sa témérité [10] .

[84]         En ce qui concerne les dommages, la jurisprudence reconnaît qu'une certaine partie de l'évaluation de ceux-ci demeure du domaine du discrétionnaire bien que certains éléments seront évalués tels : gravité de l'acte, intention de l'auteur, diffusion de la diffamation, la condition des parties, la portée de la diffamation sur la victime et ses proches et la durée de l'atteinte et ses effets.

ANALYSE :

[85]         Au matin du 12 novembre, madame Saucier a décidé de donner une entrevue et de répondre aux questions des animateurs du Show du matin . Comme elle écoutait cette émission de radio depuis un certain temps, elle ne pouvait ignorer le ton et la nature des propos déjà tenus, que ce soit par les animateurs ou les personnes qui y ont participé avant elle.

[86]         Elle a donc choisi, en toute connaissance de cause, d'y participer. Elle savait, avant même de recevoir l'appel des animateurs, qu'on cherchait à la rejoindre puisqu'elle syntonisait ce poste depuis au moins l'intervention de monsieur Gauthier. Elle n'a pas été piégée et savait pertinemment bien autour de quels sujets les questions tourneraient.

[87]         Si les intervenants précédents ont l'excuse de ne pas posséder tous les tenants et aboutissants des affaires de la municipalité, elle, en tant que mairesse, ne peut le prétendre.

[88]         Certains des propos tenus sont inexacts et, en tant que premier magistrat de la municipalité, elle ne pouvait l'ignorer.

[89]         Quand elle prétend que la municipalité commence à perdre son personnel et qu'elle sous-entend que c'est relié à la gestion du personnel fait par le directeur général, c'est non seulement exagéré, mais faux : une seule employée a démissionné et ce n'est pas en lien avec le directeur général, mais bien en réaction au climat qui régnait au conseil municipal dont Saucier présidait les séances. Le directeur général n'étant pas membre du conseil, il en est le fonctionnaire principal. En tant que directeur général, il n'assume pas en vertu du Code municipal et en l'absence d'un règlement à cet effet, la gestion du personnel.

[90]         L'article 212.1 du Code municipal du Québec [11] établit :

212.1.  Le conseil peut, par règlement, ajouter aux pouvoirs et aux obligations du directeur général de la municipalité ceux prévus aux deuxième et troisième alinéas de l'article 113 de la Loi sur les cités et villes (chapitre C-19), ainsi que ceux prévus aux paragraphes 2° et 5° à 8° de l'article 114.1 de cette loi au lieu de ceux prévus aux paragraphes 2°, 5° et 6° de l'article 212 du présent code.

Le règlement peut prévoir que l'ajout de ces pouvoirs et obligations entraîne l'obligation pour le conseil de nommer une autre personne que le directeur général comme titulaire du poste de secrétaire-trésorier.

Dans le cas d'une municipalité locale, le règlement doit être adopté à la majorité absolue.

[91]         Aucun règlement adopté en vertu de l'article 113 de la Loi sur les cités et villes [12] , auquel renvoie l'article 212.1 du Code municipal , n'a été adopté par la municipalité de Preissac. 

[92]         D'ailleurs, lorsque des mesures disciplinaires ont été imposées à madame Veilleux, c'est la mairesse qui l'a fait et non le directeur général, du témoignage même de la principale concernée.

[93]         Elle dénigre le directeur général en disant que celui-ci n'est pas au service des citoyens. Elle se plaint d'avoir été tenue dans l'ignorance des demandes de la population et qu'il a fait défaut de lui remettre les documents afin de lui permettre de faire son travail. Appelée à préciser dans son témoignage à quoi elle fait référence, elle ne peut nommer que deux situations qui sont, somme toute, loin d'être majeures. Elle fait référence à une demande de la fabrique et une de l'Âge d'Or. Il est loin de s'agir d'un boycottage ou de rétention d'informations afin de nuire à la demanderesse. Les propos qu'elle tient quant à l'information apparaissent là aussi grossièrement exagérés. De même, elle prête des intentions malveillantes à son égard lorsqu'elle répond à l'animateur qui lui dit : « Dans le but de vous nuire? » ce à quoi madame répondra « Exactement! » La preuve prépondérante ne révèle aucune intention malveillante ni de stratagème de rétention d'informations de la part de Drolet.

[94]         De même, lorsqu'elle parle qu'elle a rencontré à deux reprises des représentants du ministère, elle fait une longue liste de récriminations. Pourtant, en preuve, ne ressort que l'avis de convocation d'une assemblée spéciale que l'on ne lui aurait pas transmis. Aucune autre preuve ne suggère de vice de procédure ou des irrégularités si ce n'est l'ajout de la mention concernant les crédits suffisants à certaines résolutions, ce fait n'est pas générateur de dépenses pour la municipalité.

[95]         Elle dira de monsieur Drolet qu'il est « très très avocatisé, que c'est un maniaque à ce niveau là ». Le choix des mots et l'amplification sont lourds de signification quant au message qu'elle voulait passer.

[96]         À l'audience, elle dira dans un premier temps ne pas avoir voulu référer aux mises en demeure envoyées par le directeur général à deux citoyens pour, par la suite, revenir sur ses propos.

[97]         Que quelqu'un qui se sent attaqué injustement fasse parvenir une mise en demeure est là l'exercice d'un droit fondamental que la mairesse ne peut nier à son directeur général.

[98]         À quoi peut-on faire référence autre qu'à ces mises en demeure? Elle dira que le directeur général avait tendance à consulter des avocats pour des dossiers qui auraient pu se régler autrement. Le Tribunal ne croit pas un instant que ce soit là le sens des propos que madame Saucier a voulu livrer aux animateurs. Cette entrevue, rappelons-le, faisait référence au climat qui régnait à la municipalité de Preissac et non pas à des dossiers spécifiques de citoyens aux prises avec un problème de réglementation municipale.

[99]         Elle reproche au Directeur général d'avoir commandé la confection de trois résolutions auprès d'un avocat. Le directeur général, de par la réglementation adoptée par la municipalité, avait le pouvoir d'engager la municipalité pour certains montants et retenir ainsi les services d'un avocat. La preuve n'a pas révélé d'exagération dans l'exercice de ce pouvoir par le directeur général. D'ailleurs, madame Saucier, comme c'était son droit, a choisi d'opposer son veto à ces résolutions.

[100]      Plus loin dans l'entrevue donnée au Show du matin , elle dira avoir le désir que cela se règle à l'interne, mais déplore le fait que bien qu'elle ait rencontré ses conseillers à deux reprises il y a plusieurs mois, que c'était maintenant impossible. Et elle ajoute : « Écoutez, il y a énormément de vices de procédure. » Là encore,  elle réfère directement au travail du directeur général. À l'audience, mis à part la convocation de la réunion d'octobre et la mention aux résolutions concernant le parc régional, elle n'a pu offrir aucune autre explication ou exemple de vice de procédure. Le Tribunal retient que les propos livrés par la mairesse procédaient alors d'une généralisation qui n'avait pas lieu d'être, ternissant ainsi l'image de monsieur Drolet.

[101]      Elle termine l'entrevue en disant que monsieur Drolet est en congé maladie, mais qu'on ne sait pas trop de quelle maladie il s'agit, ajoutant : « On va travailler là-dessus. » Ces propos laissent insinuer que l'on ne croit pas que le directeur général ait pu être réellement dans une situation qui commandait un congé maladie. Pourtant, avec les événements des derniers mois, le climat qui régnait au sein du conseil municipal lorsque des citoyens interpellaient en injuriant le directeur général, avec l'entrain de celui-ci qui déclinait, ce que d'autres avaient remarqué, ce propos est déplacé. Non seulement remet-on en doute l'honnêteté de monsieur Drolet, mais de manière indirecte, celle du professionnel de la santé qui a commandé cet arrêt de travail.

[102]      Quant à l'entrevue diffusée au TVA édition de 18 heures, la situation est plus délicate puisqu'il s'agit d'un montage et que le Tribunal ne dispose pas de tout le matériel qui a été tourné et enregistré. Quand la mairesse dit que la vérité va finir par sortir, elle peut faire référence tant au directeur général qu'au climat qui régnait avec les conseillers. Le Tribunal ne peut donc inférer des propos de la mairesse quelque mauvaise intention à l'égard de monsieur Drolet bien que la proximité dans le temps, avec l'entrevue donnée le matin même, fait que d'autres personnes ont pu faire des liens, ce que le Tribunal n'est pas prêt à faire.

[103]      Quant à l'article du 18 novembre 2010, elle impute au directeur général des intentions malveillantes à son égard disant : « Le directeur général s'est reviré contre moi. » Le journaliste a témoigné. Il ne peut certifier qu'il s'agit des paroles exactes, mais il dira que ce qu'il situe entre guillemets est le plus proche possible de l'idée formulée par la personne. Il ajoute que quand il écrit : « Mes conseillers me boycottent… » ce n'est qu'une partie de ce que la mairesse a dit, mais que ces phrases ont bien été prononcées par la mairesse. Ainsi, se dégage de cet article le fait qu'elle attribue au directeur général des intentions malveillantes, un manque de loyauté. Le Tribunal n'a pas eu cette preuve lors de l'audition.

[104]      Quant aux plaintes concernant les difficultés d'obtenir les documents du directeur général, elle ne fera référence, dans son témoignage, qu'aux états de compte bancaire de la municipalité. Madame Saucier a tenté de prétendre que la seule année où la municipalité avait eu à puiser dans sa marge de crédit dans l'attente de la perception des taxes foncières était en 2010.

[105]      Monsieur Drolet nie ce fait affirmant qu'en 2004, 2005 et 2007, la municipalité a eu recours à la marge de crédit pour la période de début d'année civile, marge qui a été remboursée dès la perception des comptes de taxes foncières.

[106]      Le Tribunal retient que madame Saucier avait apporté pour l'audition afin de prouver son point, les documents bancaires référant à d'autres années que celles dont le directeur général avait parlé dans son témoignage. Le Tribunal n'a donc pas retenu cette preuve puisque ne référant pas aux années pertinentes.

[107]      Le témoignage de monsieur Labbé, qui était un employé de la municipalité, établit que la transmission des informations du directeur général vers la mairesse se faisait, qu'il y a même assisté de manière volontaire ou involontaire en entendant les propos entre eux tenus.

[108]      Le Tribunal retient que les propos de madame Saucier dans l'article paru le 18 novembre 2010 sont là aussi exagérés en ce qu'ils déforment la réalité.

[109]      Quant à l'article du 7 décembre, celui-ci apparaît peu pertinent au Tribunal et somme toute, sans conséquence en comparaison avec les propos tenus le 12 novembre 2010.

[110]      Le demandeur a fait la preuve prépondérante d'une faute commise par la défenderesse.

[111]      Objectivement, les propos tenus par la défenderesse à l'égard du demandeur contiennent des généralisations trompeuses, des exagérations, des sous-entendus et des affirmations qui se révèlent être faux.

[112]      Madame Saucier a déclaré avoir participé à l'émission radiophonique parce qu'elle trouvait que les intervenants précédents salissaient la municipalité. Elle dit qu'elle était motivée par le désir de les informer que le conflit se situait à l'interne. Force est de constater qu'elle a elle-même porté le conflit sur la place publique en profitant du micro pour étaler ses récriminations à l'égard du demandeur. Ce faisant, elle était loin de communiquer son intention de départ que le conflit était à l'interne et qu'il se réglerait à l'interne. Les propos qu'elle a tenus allaient pour plusieurs dans le sens des intervenants précédents ou de la pétition qui a circulé au cours de l'été 2010. De par la position privilégiée qu'elle occupait à titre de mairesse, elle savait ou devait savoir que certaines des affirmations qu'elle faisait étaient erronées. Une plus grande retenue était de rigueur.

[113]      L'évaluation des dommages et intérêts à la suite d'une diffamation est un exercice qui se révèle délicat. Les décisions des tribunaux révèlent un éventail assez large des dommages accordés.

[114]      Dans l'évaluation des dommages à la réputation de même que dans l'évaluation des dommages punitifs, le Tribunal doit soupeser tous les faits et toutes les circonstances de l'espèce.

[115]      Le monde municipal est une sphère d'activités où les gens se connaissent, surtout dans une région comme l'Abitibi-Témiscamingue. Nul doute que les propos tenus par madame Saucier à l'égard de monsieur Drolet n'ont en rien aidé sa recherche d'emploi après sa période de congé maladie.

[116]      Le Tribunal doit aussi tenir en compte que l'état du demandeur n'est pas uniquement dû aux propos de la défenderesse. Les événements antérieurs ont aussi contribué aux dommages subis par le demandeur : le Tribunal fait ici référence au projet de parc avorté, à la pétition ayant circulé au cœur de la municipalité quelques mois auparavant, aux résolutions adoptées puis désavouées par la mairesse, au climat malsain qui régnait lors des séances du conseil municipal à l'été et l'automne 2010.

[117]      Cependant, peu de gens étaient informés de ce qui se passait lors des séances du conseil municipal. La diffusion des propos de la mairesse sur les ondes radiophoniques a contribué à publiciser et à étendre dans un large auditoire des propos qui s'avéraient non véridiques qui ont entachés la réputation du demandeur.

[118]      Ceci constitue une atteinte à son image, à sa réputation et à sa compétence.

[119]      Le Tribunal doit tenir en compte que le demandeur était déjà en congé maladie lors de la diffusion de propos par madame Saucier. Bien que les propos ont ajouté à sa détresse, cette détresse était déjà présente à la veille du 12 novembre 2010.

[120]      Il est bon de rappeler que l'étendue des dommages monétaires accordés sont et doivent être déterminés en fonction du préjudice subi et des conséquences sur monsieur Drolet et non pas en regard de la gravité de la faute de madame Saucier.

[121]      Ce dernier élément, la gravité de la faute, peut cependant être tenu en compte dans l'attribution de dommages-intérêts punitifs dont le but n'est plus de compenser le préjudice subi, mais bien de décourager toute personne d'agir de telle manière.

[122]      Le Tribunal tiendra compte du fait que madame Saucier ne bénéficie pas d'assurances en ce qui concerne les dommages-intérêts punitifs et qu'elle devra les acquitter de sa poche, ce qui n'est pas le cas pour les dommages-intérêts pour lesquels elle est assurée en raison de sa fonction de mairesse de la municipalité de Preissac.

[123]      Le Tribunal, usant de sa discrétion judiciaire quant à l'octroi d'une réparation pour les préjudices causés au demandeur Drolet par la défenderesse Saucier, accorde les dommages suivants :

a)     Pour l'atteinte à la réputation :                          12 000 $.

b)     Pour dommages punitifs et exemplaires :         3 000 $

[124]      Ainsi, le Tribunal accueille la réclamation pour la somme de 15 000 $.

[125]      Pour ces motifs, le Tribunal :

[126]      ACCUEILLE en partie la requête introductive d'instance;

[127]      CONDAMNE la défenderesse, Huguette Saucier, à payer au demandeur, Ghyslain Drolet, la somme de 15 000 $ soit :

-         Pour l'atteinte à la réputation :                          12 000 $

-         Pour dommages punitifs et exemplaires :        3 000 $

Avec intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, et ce, à compter de la date d'assignation;

[128]      LE TOUT avec les entiers dépens.

 

 

 

__________________________________

LUCILLE CHABOT, J.C.Q.

 

 

M e Simon Corriveau

Cliche, Lortie, Ladouceur

Procureur du demandeur

 

 

M e Denise Descôteaux

Fontaine, Descôteaux

Procureure de la défenderesse

 

Date d’audience :

15, 16, 17 janvier 2013, 27 et 28 mars 2013

 

 



[1] Code municipal du Québec , L.R.Q. c. C-27.1

[2] Parenthèses ajoutées par la soussignée

[3] Id .

[4] Id .

[5] Code civil du Québec , L.R.Q. c. C-1991

[6] Charte des droits et libertés de la personne , L.R.Q. c. C-12

[7] Charte canadienne des droits et libertés, dans Loi de 1982 sur le Canada , L.R.C. (1985), App. II, no 44, annexe B, partie I.

[8] Hill c. Église de scientologie de Toronto , [ 1995] 2 R.C.S. 1130

[9] Charrette c. Lemoyre, 2012 QCCQ 186

[10] Paul Sofio c. Daniel Messier,   2008 QCCS 56

[11] Code municipal du Québec , précité, note 1

[12] Loi sur les cités et villes , L.R.Q. c. C-19