Béton Brunet ltée c. Vignola |
2013 QCCS 3774 |
||||||
JG2163
|
|||||||
|
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
||||||
|
|||||||
N° : |
500-17-067931-116 500-17-067946-114 |
||||||
|
|
||||||
DATE : |
LE 15 MAI 2013 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
GÉRARD DUGRÉ, J.C.S. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
500-17-067931-116 |
|||||||
|
|||||||
BÉTON BRUNET LTÉE |
|||||||
Demanderesse |
|||||||
c. |
|||||||
JACQUES VIGNOLA, ès qualités de juge administratif à la Commission des relations du travail |
|||||||
Défendeur |
|||||||
-et- |
|||||||
COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL - et - |
|||||||
LAFARGE CANADA INC. - et - |
|||||||
SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER (SCEP), SECTION LOCALE 700 - et - |
|||||||
SYNDICAT DES MÉTALLOS, SECTION LOCALE 15403 |
|||||||
Mis en cause |
|||||||
|
|||||||
500-17-067946-114 |
|||||||
|
|||||||
LAFARGE CANADA INC. |
|||||||
Demanderesse |
|||||||
c. |
|||||||
JACQUES VIGNOLA, ès qualités de juge administratif à la Commission des relations du travail
|
|||||||
-et- |
|||||||
COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
|||||||
Défendeurs |
|||||||
|
|||||||
-et- |
|||||||
|
|||||||
SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER (SCEP), SECTION LOCALE 700 - et - |
|||||||
BÉTON BRUNET LTÉE - et - |
|||||||
SYNDICAT DES MÉTALLOS, SECTION LOCALE 15403 |
|||||||
Mis en cause |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1]
Le Tribunal est saisi de deux requêtes
introductives d’instance en révision judiciaire
[1]
sollicitant l’annulation de la décision rendue le 19 août 2011 par le
commissaire Jacques Vignola de la Commission des relations du travail (
[2] La première requête a été intentée par Béton Brunet dans le dossier 500-17-067931-116; la seconde, l’a été par Lafarge dans le dossier 500-17-067946-114. Ces deux requêtes ont fait l’objet d’une audition commune et le Tribunal en dispose par le présent jugement.
[3]
Le Tribunal a terminé son analyse de la volumineuse
documentation soumise par les demanderesses et le mis en cause, Syndicat
canadien des communications, de l’énergie et du papier (
scep
), section locale 700. Conformément à l’arrêt
R
.
c.
Teskey
,
[4] Le Tribunal est d’avis de rejeter les deux requêtes en révision judiciaire.
[5]
Comme le souligne Lafarge, les faits sont
incontestés et résumés dans la décision du commissaire Vignola :
[6]
La jurisprudence a clairement établi que la norme
de contrôle applicable à la révision d’une décision de la Commission des
relations du travail (« CRT ») tranchant une requête fondée sur
l’art.
[7]
Quant aux motifs de la décision du commissaire,
trois remarques s’imposent. D’abord, elle en comporte; il ne s’agit donc pas
d’un cas
d’absence
, mais bien de
suffisance
des motifs. Dans un
tel cas, c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique. Ensuite, ceux-ci permettent
un examen raisonnable en révision judiciaire. Enfin, ces motifs démontrent la
justification de la décision, sa transparence et l’intelligibilité du processus
décisionnel suivi par le commissaire, et ils confirment l’expérience et
l’expertise du commissaire Vignola dans l’interprétation et l’application de
l’art.
[8] Le Tribunal, bien au fait des dossiers, n’a aucune hésitation à conclure que les motifs de la décision contestée possèdent les attributs de la raisonnabilité.
[9] Concernant les faits de l’affaire soumis au commissaire Vignola, le Tribunal conclut, après avoir examiné la preuve, qu’il s’agit d’un cas de suffisance de preuve et non d’un cas d’ absence de preuve. Partant, le Tribunal, siégeant en révision, ne peut soupeser à nouveau la preuve pour y substituer son appréciation à celle du commissaire Vignola.
[10] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, étayent les conclusions de fait du commissaire Vignola.
[11]
En ce qui a trait à la conclusion du commissaire
-
que l’article 45 s’applique compte tenu de
l’aliénation ou la concession totale de l’entreprise de Lafarge à Béton Brunet
-
, le Tribunal juge qu’elle appartient aux issues
possibles acceptables au regard de la preuve et du large pouvoir d’appréciation
et de pondération que possède le commissaire dans la mise en œuvre de l’art.
[12]
La présente affaire concerne donc essentiellement
le pouvoir d’appréciation du commissaire Vignola. Or, comme l’a souligné la
plus haute Cour du pays, le commissaire chargé d’appliquer l’art.
[13] L’usine de béton - accréditée - de Lafarge a été exploitée par Béton Brunet comme une usine de béton après la signature du bail en octobre 2009. Il s’agit donc d’une question de pondération qui est au cœur de la compétence spécialisée du commissaire Vignola. Après analyse, le Tribunal est incapable de statuer que la conclusion à laquelle en est arrivé le commissaire - après cet exercice hautement empirique - est déraisonnable dans les circonstances.
[14] En conséquence, les deux arguments soulevés par Béton Brunet sont rejetés, à savoir que, selon elle, le commissaire Vignola aurait interprété et appliqué de façon déraisonnable la notion d’entreprise et qu’il aurait omis de motiver sa décision. Quant aux trois arguments de Lafarge - (1) le premier portant sur la notion d’entreprise; (2) le second concernant la continuité de l’entreprise; et (3) le troisième ayant trait à la concession totale de son entreprise à Béton Brunet - , ils sont eux aussi écartés.
[15] En somme, le Tribunal conclut que sous le couvert de requêtes en révision judiciaire, les demanderesses tentent indirectement d’en appeler de la décision du commissaire Vignola. Or, un tribunal siégeant en révision judiciaire ne siège pas en appel, et il doit faire preuve de déférence lorsqu’il applique la norme de la raisonnabilité. La CRT est un tribunal spécialisé et ses commissaires possèdent une vaste expérience et une expertise supérieure dans la mise en œuvre de l’article 45. Dans un tel cas, la CRT et ses commissaires jouissent d’un grand pouvoir d’appréciation et de pondération des éléments mis en preuve devant eux puisqu’il s’agit essentiellement d’une question de fait, chaque cas étant un cas d’espèce.
[16]
Après avoir révisé l’ensemble des dossiers, le
Tribunal conclut que la décision rendue par le commissaire Vignola (
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
A. Sur la requête de Béton Brunet ltée (500-17-067931-116) :
[17] REJETTE la requête en révision judiciaire de Béton Brunet ltée;
[18] AVEC DÉPENS .
B. Sur la requête de Lafarge Canada inc. (500-17-067946-114):
[19] REJETTE la requête en révision judiciaire de Lafarge Canada inc.;
[20] AVEC DÉPENS .
|
[s] Gérard Dugré _________________________________ GÉRARD DUGRÉ, J.C.S. |
|
|
M e Charles Caza dunton rainville avocats Procureurs de Béton Brunet ltée
|
|
M e Serge Benoît le corre et associés, s.e.n.c.r.l. Procureurs de Lafarge Canada inc.
M e Sibel Ataogul melançon marceau grenier et sciortino Procureurs du SCEP
M e Jean-François Beaudry philion leblanc beaudry avocats s.a. Procureurs du Syndicat des métallos, section locale 15403 |
Béton Brunet ltée c. Vignola |
2013QCCS3774 |
||||
COUR SUPÉRIEURE |
|||||
|
|||||
CANADA |
|||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
||||
|
|||||
N° : |
500-17-067931-116 500-17-067946-114 |
||||
|
|
||||
DATE : |
LE 23 AOÛT 2013 |
||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
GÉRARD DUGRÉ, J.C.S. |
|||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
500-17-067931-116 |
|||||
|
|||||
BÉTON BRUNET LTÉE |
|||||
Demanderesse |
|||||
c. |
|||||
JACQUES VIGNOLA, ès qualités de juge administratif à la Commission des relations du travail |
|||||
Défendeur |
|||||
-et- |
|||||
COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL - et - |
|||||
LAFARGE CANADA INC. - et - |
|||||
SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER (SCEP), SECTION LOCALE 700 - et - |
|||||
SYNDICAT DES MÉTALLOS, SECTION LOCALE 15403 |
|||||
Mis en cause |
|||||
|
|||||
500-17-067946-114 |
|||||
|
|||||
LAFARGE CANADA INC. |
|||||
Demanderesse |
|||||
c. |
|||||
JACQUES VIGNOLA, ès qualités de juge administratif à la Commission des relations du travail
|
|||||
-et- |
|||||
COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
|||||
Défendeurs |
|||||
|
|||||
-et- |
|||||
|
|||||
SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER (SCEP), SECTION LOCALE 700 - et - |
|||||
BÉTON BRUNET LTÉE - et - |
|||||
SYNDICAT DES MÉTALLOS, SECTION LOCALE 15403 |
|||||
Mis en cause
|
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
MOTIFS DE JUGEMENT |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||
|
|||||
[1] Le 15 mai 2013, le Tribunal a rejeté les requêtes en révision judiciaire des demanderesses sollicitant l’annulation de la décision rendue le 19 août 2011 par la Commission des relations du travail, avec motifs plus élaborés à suivre [2] . Voici maintenant ces motifs [3] .
i. introduction
[2]
Le Tribunal est saisi de deux requêtes
introductives d’instance en révision judiciaire
[4]
; l’une intentée par Béton Brunet ltée (« Béton Brunet »),
l’autre par Lafarge Canada inc. (« Lafarge »). Chacune de ces
requêtes sollicite l’annulation de la décision rendue le 19 août 2011 par le
juge administratif Jacques Vignola de la Commission des relations du
travail (« CRT ») :
[3]
La décision contestée accueille la requête du
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale
700 (« SCEP ») fondée sur l’art.
[4] Les demanderesses contestent la décision du commissaire essentiellement parce qu’il conclut à l’aliénation ou la concession totale de l’entreprise de Lafarge à Béton Brunet en vertu de l’art. 45.
[5] SCEP a comparu et vivement contesté les deux requêtes en révision judiciaire pour des motifs qui seront explicités ci-après.
[6] Syndicat des Métallos, section locale 15403, a comparu par procureur, mais n’a pas fait de représentations en l’espèce.
[7] D’emblée, on peut constater que les arguments des demanderesses se heurtent à au moins deux obstacles sérieux : (1) l’application de la norme de la raisonnabilité qui oblige le Tribunal à faire preuve d’un très haut degré de déférence à l’égard de la décision du commissaire; et (2) l’importante marge de manœuvre de ce dernier dans l’interprétation et l’application de l’article 45 à la situation factuelle en cause. Or, comme on le verra, non seulement ces obstacles sont sérieux, mais ils s’avèrent en l’espèce insurmontables.
ii . les faits
[8] Les faits sont simples et incontestés [6] . Ils sont résumés ainsi dans la décision du commissaire Vignola :
[1]
Le 31 mars 2010, le
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), section
locale 700 (le requérant) dépose une requête en vertu des articles 39 et
[2] À l’audience, le requérant s’est désisté de sa demande relative aux salariés de Saint-Laurent de Lafarge. Ne subsiste donc que la conclusion visant l’établissement de Vaudreuil en application de l’article 45 du Code .
[3] Le requérant est accrédité pour représenter :
Tous les salariés au sens du Code du travail, à l'exclusion des contremaîtres, employés de bureau, vendeurs, doseurs, répartiteurs, acheteurs, des employés de laboratoire, des opérateurs d'usine et des salariés couverts par un autre certificat de reconnaissance syndicale.
De : Lafarge à son usine de béton situé au
1987, montée Labossière à Vaudreuil-Dorion
[4] Lafarge est une entreprise dont l’une des divisions, celle du béton préparé, possède 13 usines au Québec, dont celle de Vaudreuil.
[5] En 2009, Lafarge prend la décision de fermer l’usine de Vaudreuil au 1 er septembre. Le contexte économique dicte en partie cette décision. En effet, le marché est en baisse de 18 % par rapport à 2008, le volume de Lafarge a diminué substantiellement, et les prix ont fléchi de près de 10 %.
[6] D’autre part, Lafarge avait formé un consortium pour approvisionner le chantier de l’autoroute 30, ce qui aurait nécessité une bonne partie de la capacité de production de l’usine de Vaudreuil. En juin 2009, le contrat est plutôt attribué à un consortium concurrent dont fait partie Béton Brunet.
[7] Enfin, l’usine de Vaudreuil est déficitaire et Lafarge, en quête de liquidité, ne voit pas de moyen de rentabiliser cette unité à court terme.
[8] Cependant, le marché autour de Vaudreuil s’avère stratégique et offre à plus long terme un potentiel intéressant pour l’entreprise. Aussi, la fermeture de l’usine n’est-elle que temporaire.
[9] Béton Brunet se décrit comme une entreprise familiale de fabrication de tuyaux et de barrières en ciment et de béton prêt à l’emploi. L’entreprise possède plusieurs usines dont une à Salaberry-de-Valleyfield.
[10] En juin 2009, un consortium, formé de Béton Brunet et UniBéton, obtient le contrat de fourniture de béton pour l’autoroute 30, ce qui représente 250 000 m 2 sur 4 ans. Pour les fins de ce contrat, Béton Brunet doit disposer d’une usine près du chantier. Un terrain a déjà été acquis à Les Cèdres pour recevoir l’usine.
[11] Apprenant la fermeture de l’usine de Vaudreuil, Béton Brunet y voit la possibilité de disposer d’une usine et approche Lafarge pour l’acquérir. Une semaine plus tard, les parties s’entendent sur la location de l’usine pour une période de 4 ans. Au contrat, l’usine est ainsi décrite :
- chaudière de 65 HP alimentée au gaz métro
- 1 bâtiment comprenant 1 bureau et 1 salle de chauffeur (chauffage électricité et gaz)
- 1 bureau de production du béton (batch et répartition)
- bassins de sédimentation à traitement de PH par CO2
- rampe de transbordement de camions
- réservoir de carburant diesel de 2500 litres
- système d’adjuvantation BASF avec 6 distributions (appartenant à BASF)
- alimentation en eau par puit
- traitement d’adoucisseur d’eau Nalco
- alimentation granulats par un stacker d’environ 30 mètres de long (environ 420T/heure)
- 3 réserves extérieures (cases à granulats) de 500T (pierres) à 800T (sable) chacune sur dalle chauffante alimentée a la vapeur pour le sable
- capacité de production théorique : environ 12 voyages a l’heure (données constructeur de 90 m3 par heure)
- système de fabrication a sec (dry-batch)
- terrain regroupant l’ensemble des installations et aires de stockage
(Reproduit tel quel)
[12] Béton Brunet prend possession de l’usine le 15 octobre 2009. Les chauffeurs, doseurs et répartiteurs employés à l’usine proviennent en partie de l’usine de Valleyfield, les autres ayant été embauchés vers la mi-septembre.
[13] Ajoutons que fin novembre 2009, Béton Brunet a acquis de Lafarge 6 bétonnières qui ont été utilisées dans les diverses usines qu’il possède. Jusque-là, la livraison, à partir de l’usine de Vaudreuil, était assumée par des bétonnières en provenance de Valleyfield.
[14] Mentionnons également qu’aucune clientèle n’est rattachée à l’usine de Vaudreuil. Pour Lafarge comme pour Béton Brunet, les clients sont ceux de Lafarge ou de Béton Brunet et sont desservis par l’usine la plus proche ayant la capacité de fournir le chantier. Pour de multiples raisons ayant trait au taux d’occupation d’une usine ou à la qualité des produits requis, une autre usine peut se voir confier une commande.
iii . décision contestée ( 2011 qccrt 0391 )
[9]
Après avoir résumé les faits pertinents, le
commissaire cite le texte de l’art.
[17] Dans le présent dossier, il est manifeste que l’entreprise visée par l’accréditation est celle qui consiste à fabriquer et livrer du béton préparé. Il s’agit d’une usine de béton et cette usine est opérée par Béton Brunet pour les mêmes fins qu’elle l’était lorsqu’elle était opérée par Lafarge. La nature et la finalité des deux entreprises sont les mêmes. Il apparaît que le terrain, l’usine et l’équipement tel que décrit au contrat de location qui est intervenu entre Lafarge et Béton Brunet en constituent les composantes principales et essentielles.
[18] À l’inverse, les ajouts de Béton Brunet pour reprendre la production, même s’ils sont essentiels, sont d’une bien moindre importance que ceux acquis de Lafarge. Il s’agit rappelons-le d’un chargeur à benne, de moules, de matériel informatique et de bureau et de bétonnières.
[19] Certes, il ne fait pas de doute que Lafarge a fermé son entreprise, l’usine de Vaudreuil pour des motifs de rentabilité à court terme. Cette entreprise ferme d’ailleurs pour une période variable à toutes les années. Cependant, la question n’est pas de savoir s’il s’agit d’une fermeture d’entreprise ou d’un transfert d’entreprise chez un même employeur. Il s’agit plutôt de déterminer si l’entreprise continue d’exister maintenant exploitée par un tiers qui loue les installations. Or, on ne peut que conclure que Lafarge a cédé, par bail, la totalité de l’entreprise pour laquelle le requérant est accrédité et l’article 45 trouve donc application.
iv. thèses des parties
[10] D’entrée de jeu, Béton Brunet soutient que deux normes de contrôle sont applicables en l’espèce. Premièrement, celle de la décision raisonnable qui s’applique en ce qui concerne l’interprétation et l’application de la notion d’entreprise au sens de l’article 45. Deuxièmement, la norme de contrôle de la décision correcte laquelle s’applique en ce qui concerne l’omission par le commissaire de motiver sa décision puisqu’une telle omission constitue, selon elle, un manquement aux règles de justice naturelle et concerne « une question d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ».
[11] Selon Béton Brunet, l’application de chacune de ces normes de contrôle justifie l’annulation de la décision du commissaire. D’une part, ce dernier a interprété et appliqué d’une façon déraisonnable la notion d’entreprise. D’autre part, l’omission du commissaire de motiver sa décision ne permet pas de comprendre son raisonnement sur des éléments fondamentaux et équivaut à une violation des règles de justice naturelle. Selon elle, cette omission du commissaire emporte que sa décision est entachée de quatre vices fondamentaux, à savoir (1) omission d’analyse et de pondérer les composantes principales et essentielles de l’entreprise ; (2) omission de qualifier l’opération juridique d’aliénation ou encore de concession d’entreprise ; (3) omission d’expliquer les faits et les circonstances pouvant entraîner l’aliénation ou la concession totale de l’entreprise de Lafarge à Béton Brunet ; et (4) omission de constater l’absence de lien de droit entre Béton Brunet et Lafarge.
[12]
En conséquence, Béton Brunet réclame la cassation
de la décision du commissaire et prie le Tribunal de rejeter la requête du SCEP
fondée sur l’art.
[13] Pour sa part, Lafarge soutient que la norme de contrôle applicable pour l’ensemble des erreurs commises, selon elle, par le commissaire Vignola est celle de la décision raisonnable .
[14] Au soutien de sa requête, Lafarge invoque essentiellement trois erreurs qu’aurait commises, selon elle, le commissaire. Premièrement, le commissaire a interprété de façon déraisonnable la notion d’entreprise au sens de l’article 45 faisant fi des enseignements de la Cour suprême. Deuxièmement, il a fait un constat erroné en concluant à la continuité de l’entreprise de Lafarge au sein de Béton Brunet, les éléments de preuve perçus de façon raisonnable ne pouvant étayer une telle conclusion. Enfin, le commissaire a erré en concluant à une concession totale de l’entreprise de Lafarge à Béton Brunet.
[15]
En conséquence, Lafarge prie le Tribunal d’annuler
la décision du commissaire et de rendre la décision qui aurait dû être rendue
en l’espèce, soit de rejeter la requête du SCEP fondée sur l’art.
[16] SCEP, quant à lui, soutient que la norme de contrôle applicable à la décision contestée est celle de la décision raisonnable . Il ajoute qu’en matière d’application de l’art. 45, la jurisprudence reconnaît qu’il faut appliquer le plus haut degré de déférence. Ainsi, force est de conclure, selon lui, que la décision rendue par le commissaire en l’espèce est au cœur de sa compétence et qu’elle ne doit pas être révisée, même dans le cas où le Tribunal ne partagerait pas son appréciation des faits ni son opinion quant aux conclusions tirées par ce dernier.
[17] Selon SCEP, la décision du commissaire devrait être maintenue essentiellement parce que la conclusion à laquelle il en arrive est étayée par des éléments suffisants de la preuve et que ce dernier a procédé à une pondération raisonnable des éléments de l’entreprise transférée par Lafarge à Béton Brunet. En conséquence, la conclusion du commissaire, accueillant sa requête fondée sur l’art. 45, est raisonnable puisqu’elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Les deux requêtes en révision devraient donc être rejetées.
v. questions en litige
A. Quelle est la norme de contrôle applicable à la révision judiciaire de la décision contestée?
B. L’application de la norme de contrôle appropriée commande-t-elle l’annulation de la décision contestée?
C. Quel est le redressement approprié, le cas échéant?
vi. analyse
A. Quelle est la norme de contrôle applicable à la révision judiciaire de la décision contestée?
[18] La tâche du Tribunal consiste en l’espèce à choisir et à appliquer la norme de contrôle appropriée et, le cas échéant, à accorder le redressement adéquat.
[19]
La norme de contrôle proposée par les parties -
essentiellement la norme de contrôle de la raisonnabilité - ne lie pas le
Tribunal :
Celgene Corp
. c.
Canada (Procureur général)
,
[20]
Toutefois, lorsque la jurisprudence a déterminé la
norme de contrôle applicable à un cas concret, il n’est pas nécessaire pour la
cour siégeant en révision de procéder à l’analyse relative à la norme de
contrôle :
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick
,
[21]
En l’espèce, les deux demanderesses invoquent la
décision rendue dans la cause
9172-0904 Québec inc
. c.
Commission des
relations du travail
,
[22] Quant à la prétention de Béton Brunet que la norme de la décision correcte s’applique en ce qui concerne l’omission du commissaire de motiver sa décision, elle ne peut être retenue en l’espèce. D’abord, cette prétention confond l’ absence de motifs à l’ insuffisance de motifs. En l’espèce, le commissaire a motivé sa décision, certes succinctement, et on ne peut donc conclure à l’absence de motifs. Or, l’insuffisance de motifs ne permet pas à elle seule d’annuler une décision. Il n’est pas nécessaire que les motifs du commissaire fassent référence à tous les arguments et détails de l’affaire qu’il a entendue.
[23]
De plus, les motifs sont jugés suffisants s’ils
permettent au Tribunal de comprendre le fondement de la décision du commissaire
et de déterminer si sa conclusion d’accueillir la requête du SCEP fait partie
des issues raisonnables :
Newfoundland and Labrador Nurses’ Union
c.
Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor)
,
[24] Bref, l’insuffisance de motifs n’emporte pas un manquement à une obligation d’équité procédurale et ne peut être remise en question qu’en appliquant la norme du caractère raisonnable de la décision : Newfoundland , précité, par. 22.
[25]
Enfin, contrairement à ce que plaide Béton Brunet,
la norme de la décision correcte s’applique à une question de « droit
générale
“
à la fois, d’une
importance capitale pour le système juridique dans son ensemble
et étrangère
au domaine d’expertise de l’arbitre
”
» [soulignement ajouté] et non simplement à « une question d’une
importance capitale pour le système juridique dans son ensemble » comme
elle le prétend dans son mémoire
[8]
:
Nor-Man Regional Health Authority Inc
. c.
Manitoba
Association of Health Care Professionals
,
[26]
Quant au motif invoqué par les demanderesses
relatif à l’absence de preuve, il importe de distinguer l’
absence
de l’
insuffisance
de preuve :
Conseil de l’éducation de Toronto (Cité)
c.
F.E.E.E.S.O, district 15,
[27] D’ailleurs, comme le rappelait récemment le juge Binnie, pour la majorité, dans l’arrêt Khosa [9] : «[traduction] [j]e ne crois pas qu’il rentre dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve ».
[28] En conséquence, la norme de la décision raisonnable servira donc à trancher toutes les questions soulevées dans la présente affaire.
[29] Avant d’y passer toutefois, il importe de préciser la retenue et la déférence qu’implique la norme de décision raisonnable. Comme le souligne l’honorable Louis LeBel : « Le concept de déférence implique aussi la nécessité de reconnaître qu’une question peut souvent recevoir plus d’une réponse et que la cour exerçant le pouvoir de contrôle devrait respecter un résultat et un processus décisionnel qui se situe dans le domaine du raisonnable » [10] .
[30] De plus, les juges Bastarache et LeBel dans Dunsmuir , par. 49, citent l’auteur Mullan pour expliquer très clairement le principe de la déférence qui :
[traduction] « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause»
|
|
“recognizes the reality that, in many instances, those working day to day in the implementation of frequently complex administrative schemes have or will develop a considerable degree of expertise or field sensitivity to the imperatives and nuances of the legislative regime”
|
[31] Et ils ajoutent, toujours au par. 49 :
La déférence commande en somme le respect de la volonté du législateur de s’en remettre, pour certaines choses, à des décideurs administratifs, de même que des raisonnements et des décisions fondés sur une expertise et une expérience dans un domaine particulier, ainsi que de la différence entre les fonctions d’une cour de justice et celles d’un organisme administratif dans le système constitutionnel canadien.
|
|
In short, deference requires respect for the legislative choices to leave some matters in the hands of administrative decision makers, for the processes and determinations that draw on particular expertise and experiences, and for the different roles of the courts and administrative bodies within the Canadian constitutional system.
|
B. L’application de la norme de contrôle appropriée commande-t-elle l’annulation de la décision contestée?
[32] Pour trancher cette question, il convient d’abord de citer le texte de l’art. 45 en vigueur au moment de la transaction intervenue entre Lafarge et Béton Brunet et d’énoncer les principes de sa mise en œuvre.
[33] Ensuite, puisque la norme de raisonnabilité requiert que la décision contestée appartienne aux issues raisonnables au regard des faits et du droit, le Tribunal s’attardera à vérifier si, de prime abord, la décision attaquée est conforme aux principes régissant l’art. 45 eu égard aux faits mis en preuve lors de l’audition tenue devant le commissaire Vignola [11] .
[34] Enfin, le Tribunal examinera les arguments soulevés par chacune des demanderesses - d’abord ceux de Béton Brunet puis ensuite ceux de Lafarge -, afin de déterminer si elles ont démontré le caractère déraisonnable de la décision contestée en l’espèce.
[35] Comme on le verra, la question de savoir si l’art. 45 s’applique à une situation factuelle donnée est particulièrement complexe et fait appel fondamentalement à l’expérience et à l’expertise des commissaires de la CRT. Ainsi, avant de conclure qu’un commissaire a rendu une décision déraisonnable en tranchant cette question, le Tribunal doit franchement être convaincu que les exigences de l’art. 45 ne sont pas remplies et que les faits prouvés, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions du commissaire.
1.
Le
libellé de l’art.
[36] L’article 45 se lit ainsi :
[37]
Il convient de souligner qu’il appartient à la CRT,
sur requête d’une partie intéressée, de trancher toute question relative à
l’application et à l’applicabilité de l’article 45 (art.
[38]
En effet, suite au jugement de la Cour suprême
rendu dans l’affaire
Bibeault
, le législateur québécois a remplacé
l’art.
« 46. Il appartient au commissaire du travail, sur requête d’une partie intéressée, de trancher toute question relative à l’application de l’article 45.
À cette fin, il peut en déterminer l’applicabilité et rendre toute ordonnance jugée nécessaire pour assurer la transmission des droits ou des obligations visée à cet article. Il peut aussi régler toute difficulté découlant de l’application de cet article.» [12]
[39] Avec une telle compétence conférée aux commissaires conjuguée aux clauses d’inattaquabilité qui les protègent, il n’est pas étonnant que la norme de la décision raisonnable s’applique à leurs décisions rendues en application de l’art. 45.
2. Les principes régissant la mise en œuvre de l’art. 45
[40] Les deux demanderesses fondent leur argumentation sur le jugement rendu par le Tribunal dans l’affaire du Ritz-Carlton [13] . Dans cette affaire, le Tribunal avait résumé - sous forme de treize propositions - les principes relatifs à la mise en œuvre de l’article 45. Par souci de commodité, il convient de les reproduire [14] :
1. l’opération juridique doit être une aliénation ou une concession d’une entreprise, ou d’une partie d’entreprise, et non pas uniquement d’une partie ou d’un bien de l’entreprise;
2. le terme « entreprise » est défini selon son sens organique et signifie : un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d’activités précises; dans tous les cas, il faut retrouver chez le nouvel employeur des éléments suffisants qui, en vertu de la définition organique d’une entreprise, permettront d’identifier chez l’acquéreur ou le concessionnaire l’entreprise ou la partie d’entreprise du cédant;
3. le concept de « partie d’entreprise » a un sens juridique précis qui doit inclure tant des moyens que des activités de l’entreprise accréditée, aliénée ou cédée;
4. l’aliénation ou concession doit s’effectuer entre deux employeurs successifs ayant un lien de droit;
5. on doit retrouver, en tout ou en partie, chez les deux employeurs successifs la continuité de la même entreprise ;
6. l’aliénation ou la concession doit s’effectuer dans un cadre tripartite dont les éléments essentiels doivent subsister lors d’une aliénation ou concession : un employeur, son entreprise et l’association de salariés se rattachant à cette entreprise de l’employeur;
7. concession temporaire d’entreprise, théorie de la rétrocession et le concept de l’employeur potentiel sont indissociables;
8. l’art. 45 est d’application automatique et est d’ordre public;
9. deux corollaires découlent de l’application automatique de l’art. 45 : premièrement, son application doit être examinée en fonction de chacune des opérations juridiques; deuxièmement, son effet immédiat implique que sa mise en œuvre s’effectue en fonction d’une opération juridique actuelle et non éventuelle;
10. l’art. 45 vise à maintenir l’accréditation existante et non à l’étendre;
11. l’accréditation que vise à maintenir l’art. 45 se rattache à l’entreprise et non à l’employeur ou aux biens;
12. l’art. 45 ne permet pas de contourner les
exigences des arts.
13. enfin, la CRT a certes une importante marge de manœuvre pour établir et pondérer les critères applicables à la définition d’une entreprise, mais cette discrétion ne s’étend pas jusqu’à permettre d’appliquer l’art. 45 lorsque les conditions requises ne sont pas remplies ni de pouvoir amender un certificat d’accréditation. [souligné dans l’original]
[41] Les procureurs des parties se sont dits en accord avec ces principes. Leur désaccord porte donc essentiellement sur l’application de ceux-ci aux faits prouvés devant le commissaire.
[42] L’application de l’art. 45 nécessite d’identifier et de définir l’entreprise en cause. Il s’agit de l’entreprise de l’employeur visée par une accréditation : Bibeault , précité, p. 1117-1119 ; Ivanhoe [15] , par. 63.
[43] Il s’agit donc de déterminer s’il y a continuation de l’entreprise comme entité organique active chez l’acquéreur ou le concessionnaire. Cette détermination participe d’un exercice de pondération qui relève de l’expertise des commissaires de la CRT et repose essentiellement sur l’examen des faits.
[44] Voici les enseignements que l’auteur Robert P. Gagnon [16] tire des arrêts Ivanhoe et Ville de Sept-Iles [17] quant à l’identification et la définition de l’entreprise visée à l’art. 45, lorsqu’il y a allégation de transmission partielle d’entreprise :
Le litige fut finalement porté en Cour suprême par les affaires Ivanhoe Inc. , d’une part, et Ville de Sept-Iles , d’autre part. Les arrêts de la Cour suprême dans ces deux affaires confirment ceux de la Cour d’appel. En ressortent notamment les enseignements suivants :
- En présence d’une allégation de transmission partielle d’entreprise, la vérification de la continuité d’entreprise s’effectue à partir des éléments caractéristiques de la partie d’entreprise concernée, en les pondérant selon sa nature et l’importance relative de ses composantes.
- Il n’est pas nécessaire que la partie d’entreprise concédée soit essentielle ou vitale pour la réalisation de la finalité principale de l’entreprise cédante. Il suffit que les activités concédées soient normales et habituelles pour le donneur d’ouvrage.
- La partie d’entreprise concédée n’a pas à se présenter comme une sorte de miniaturisation de celle d’où elle origine, non plus qu’à constituer une entité économiquement viable par elle-même.
- Le concessionnaire doit cependant disposer d’une autonomie juridique suffisante, particulièrement dans ses relations avec les salariés, pour être considéré comme leur nouvel employeur. Cette exigence ne suppose pas son contrôle complet sur les activités qui lui sont confiées, non plus qu’elle exclut parallèlement l’exercice d’un droit de contrôle du donneur d’ouvrage sur leur réalisation.
- Un droit d’exploitation, entendu
comme celui d’effectuer des tâches précises à un endroit précis et dans un but
spécifique, peut être l’objet d’une concession au sens de l’article
- En application des énoncés qui
précèdent, il n’est ni contraire à l’arrêt
Bibeault
ni manifestement
déraisonnable de conclure à l’application de l’article
[notes omises]
[45] Évidemment, ces précisions concernant la notion d’entreprise aux fins de l’application de l’art. 45, données dans le contexte d’une concession partielle d’entreprise, doivent être adaptées au contexte de la présente affaire qui porte sur la concession totale de l’entreprise accréditée de Lafarge.
3. De prime abord, la décision contestée apparaît-elle conforme à l’art. 45 eu égard aux faits prouvés devant le commissaire?
[46] La principale question est en l’instance de déterminer si un instrument économique opérationnel a été transféré à l’entrepreneur par la cession d’éléments suffisants. Pour y répondre, le commissaire a appliqué la méthode d’interprétation basée sur la recherche d’éléments suffisants, qui peuvent varier selon les faits de chaque dossier ( Bibeault , précité, 1105-1106, par. 172 ; Lester [18] , p. 676-677).
[47] La décision du commissaire examinée à la lumière du libellé de l’art. 45, des principes gouvernant sa mise en œuvre [19] et des arrêts Bibeault , Lester , Ivanhoe et Ville de Sept-Iles , amène le Tribunal à conclure qu’au premier abord, cette décision n’apparaît pas déraisonnable. Voici pourquoi.
[48] Premièrement, Lafarge est un employeur dont l’entreprise - usine de béton préparé ( dry-batch [20] ) de Vaudreuil-Dorion - est accréditée par le SCEP, et qui est même lié par une convention collective.
[49] Deuxièmement, Béton Brunet est un employeur qui exploite une entreprise qui, elle aussi, est accréditée par les Métallos, quoique ceci ne soit pas pertinent aux fins de l’application de l’art. 45.
[50] Troisièmement, il y a un lien de droit entre Lafarge et Béton Brunet notamment parce qu’un contrat de location a été conclu entre les deux quant à divers éléments de l’usine de Lafarge accréditée par le SCEP [21] . En l’instance, le lien de droit direct entre Lafarge et Béton Brunet a été établi comme en fait foi le contrat de location. Or, en l’espèce, l’entreprise (usine de béton, comprenant la fabrication et la livraison de béton préparé) a été exploitée au même lieu, pour la même finalité et en continuité avec les travaux accomplis, lesquels étaient d’ailleurs visés, du moins en partie, par la convention collective (S-3).
[51] Quatrièmement, les opérations juridiques intervenues entre Lafarge et Béton Brunet portaient sur une « entreprise » (au sens de l’art. 45) et non pas seulement sur des biens de l’entreprise de Lafarge. En effet, les opérations juridiques intervenues entre Lafarge et Béton Brunet ont fait en sorte qu’un ensemble organisé suffisant de moyens permettant substantiellement la poursuite d’activités précises se retrouvent chez le nouvel employeur, Béton Brunet, et permettent ainsi d’identifier chez ce dernier l’entreprise accréditée du cédant Lafarge.
[52] Cinquièmement, l’accréditation maintenue en l’espèce par l’application de l’art. 45 se rattache effectivement à l’entreprise de l’usine de béton de Vaudreuil et non à l’employeur Lafarge ou à ses biens. En l’espèce, le contrat de location de l’usine de béton accréditée de Lafarge, exploitée comme entreprise, fait manifestement office de pont entre celle-ci et l’usine de béton exploitée délibérément, elle aussi, comme entreprise par Béton Brunet, continuant ainsi l’objet de l’accréditation du SCEP.
[53] Sixièmement, la fermeture temporaire [22] de l’usine de béton de Vaudreuil par Lafarge n’est pas décisive en soi aux fins de l’application de l’art. 45 (et de l’exigence de la continuité de l’entreprise) puisque l’accréditation survit tant qu’elle n’est pas révoquée conformément à la loi; elle peut donc lier Béton Brunet, nouvel employeur, par le biais de l’art. 45 si les conditions requises par cette disposition législative sont remplies. Quoi qu’il en soit, la preuve révèle que l’usine de béton de Lafarge à Vaudreuil a été louée en opération à Béton Brunet [23] .
[54] Enfin, la révision de la preuve que le commissaire a eu l’avantage d’entendre les 18 avril et 18 mai 2011 confirme qu’il y a des éléments de preuve suffisants pour étayer les conclusions de sa décision.
[55] Il convient donc maintenant d’examiner les arguments de Béton Brunet et ensuite ceux de Lafarge puisque, selon elles, la décision du commissaire doit être annulée parce que déraisonnable.
4. La demanderesse Béton Brunet a-t-elle démontré le caractère déraisonnable de la décision du commissaire?
[56] Essentiellement, on le sait, Béton Brunet soulève deux arguments, à savoir que le commissaire a interprété et appliqué de façon déraisonnable la notion d’entreprise et qu’il a omis de motiver sa décision. Il convient d’examiner chacun de ces arguments afin de déterminer s’ils justifient de conclure au caractère déraisonnable de la décision du commissaire, mais dans l’ordre inverse de celui proposé par la demanderesse, la question de forme devant être traitée avant celle portant sur le fond.
a) Omission de motiver sa décision
[57] Selon Béton Brunet, la décision du commissaire doit être annulée parce que ce dernier aurait omis de motiver sa décision conformément aux principes de droit administratif. En effet, selon elle, le commissaire n’a fait aucune analyse et n’a effectué aucune pondération des composantes principales et essentielles de l’entreprise. De plus, le commissaire aurait omis de qualifier l’opération juridique d’aliénation ou encore de concession d’entreprise. De surcroît, il aurait omis d’expliquer les faits et les circonstances pouvant entraîner l’aliénation ou la concession totale de l’entreprise de Lafarge à Béton Brunet. Enfin, le commissaire aurait omis de constater l’absence de lien de droit entre Lafarge et Béton Brunet.
[58]
Or, comme l’a souligné le juge Rothstein, pour la
majorité, dans
Alberta (Information and Privacy Commissioner)
c.
Alberta
Teachers’ Association
,
[59] Après analyse, le Tribunal conclut que ce reproche de l’omission de motiver est sans fondement.
[60] L’examen des plaidoiries des procureurs des demanderesses montre qu’ils ont essentiellement plaidé une motion de non-lieu à l’encontre de la requête du SCEP visant à faire constater l’application de l’art. 45. Selon le procureur de Béton Brunet, le commissaire devait rejeter la requête du SCEP parce qu’il n’y avait eu ni aliénation ni concession par Lafarge à Béton Brunet d’«un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d’activités précises » ( Bibeault , par. 212) [soulignement ajouté].
[61] Or, une simple lecture de la décision du commissaire montre qu’il a rejeté cet argument pour le motif que l’on retrouvait, suite au bail de l’usine de béton accréditée de Lafarge, les assises de cette même entreprise auprès du nouvel employeur Béton Brunet. Cette conclusion du commissaire n’est clairement pas déraisonnable.
[62] En effet, la réponse à cet argument de Béton Brunet est donnée par deux arrêts récents de la Cour suprême : l’arrêt Newfoundland et l’arrêt Alberta (Information) , précités. Ces arrêts confirment qu’un tribunal administratif ne cesse pas d’avoir droit à la déférence parce que sa décision est implicite. Ainsi, en l’espèce, toutes les questions sur lesquelles le commissaire ne s’est pas expressément prononcé constituent des décisions implicites qui doivent être révisées, on l’a vu, en utilisant la norme de la décision raisonnable. Or, le Tribunal est d’avis qu’aucune des quatre questions à l’égard desquelles Béton Brunet reproche au commissaire d’avoir omis de motiver sa décision n’apparaît avoir reçu une réponse explicite ou implicite déraisonnable de la part du commissaire.
i) Aliénation ou concession ?
[63] Par ailleurs, le procureur de Béton Brunet conteste cette conclusion tirée par le commissaire : « constate l’aliénation ou la concession totale de l’entreprise de Lafarge Canada inc. à Béton Brunet ltée ». Le procureur plaide essentiellement que le commissaire se devait de choisir entre l’aliénation et la concession, d’une part, et surtout, d’expliquer les motifs de son choix, d’autre part.
[64] Autrement dit, le procureur de Béton Brunet reproche essentiellement au commissaire de ne pas avoir décidé s’il s’agissait en l’espèce d’une aliénation ou d’une concession totale d’entreprise et, par voie de conséquence, de ne pas avoir motivé sa décision sur cet aspect du litige.
[65] À la réflexion, cette prétention est mal fondée puisqu’elle est faussée dans ses prémisses.
[66] En effet, elle présuppose que la conjonction de coordination « ou » utilisée par le commissaire pour lier les termes « aliénation » et « concession » dans la conclusion de sa décision - la même conjonction étant utilisée pour lier les mêmes termes à l’art. 45 et qui doit être interprétée de la même façon - aurait un sens exclusif . Or, cette prémisse est erronée.
[67] La conjonction « ou » a en effet au moins deux acceptions : alternative inclusive et alternative exclusive. Or, cette conjonction n’a pas par défaut un sens exclusif : elle signifie en principe l’un ou l’autre ou les deux. Cette conjonction peut aussi marquer une alternative exclusive - l’un ou l’autre mais pas les deux -, cependant le contexte doit alors l’indiquer clairement (par exemple, mort ou vif).
[68] C’est ce que confirme la définition de cette conjonction que l’on retrouve dans Le Petit Robert :
ou ~ conj. Sert à unir des parties du discours, des membres de phrases ou des propositions de même rôle ou de même fonction, en séparant les idées exprimées de façon exclusive ou non (souvent renforcée par l’adv. bien ). [25] [soulignement ajouté]
[69]
On peut aussi référer à cet extrait des motifs du
juge Marc Beauregard, alors à la Cour d’appel, dans l’arrêt
Succession
Clément Guillemette
c.
J.M. Asbestos inc
.,
[70] Il convient maintenant d’examiner la conclusion du commissaire ( constate l’aliénation ou la concession [...]) à la lumière de ces précisions sémantiques et logiques.
[71] Comme le souligne, avec raison, le commissaire Raymond Gagnon, j.a. :
Les
termes
concession
et
aliénation
, qui sont utilisés à l’article
[72] En somme, ces termes supposent l’action d’un tiers dans la gestion, l’administration ou l’exécution des opérations de l’entreprise, en totalité ou en partie, par contrat à titre gratuit ou onéreux [27] . En l’espèce, il ne fait point de doute que le contrat de location intervenu entre Lafarge et Béton Brunet répond à cette définition de l’expression « aliénation ou concession ».
[73] Il est évident des motifs de la décision du commissaire qu’il a conclu que le bail intervenu entre Lafarge et Béton Brunet constitue une concession totale de l’entreprise de Lafarge, soit l’usine de béton, et il s’en explique clairement. Sa décision est d’ailleurs conforme à la définition du terme « concession » que l’on retrouve dans les arrêts Bibeault , p. 1115-1116, par. 191-196, et Ivanhoe , au par. 71. Il ajoute toutefois le terme « aliénation » dans sa conclusion. À la lumière de ce qui précède, il n’avait pas à expliquer cet ajout puisqu’une concession totale d’entreprise entraîne nécessairement l’application de l’article 45 qu’il y ait ou non - en plus - aliénation d’entreprise, car, on le sait maintenant, la conjonction « ou » utilisée par le commissaire ainsi qu’à l’art. 45 est inclusive et non exclusive.
[74] Quoique le terme « aliénation » associé à un contrat de location puisse heurter les juristes de droit civil, dans ce domaine spécialisé du droit du travail, il n’est pas inusité de qualifier, pour les fins de l’art. 45, un contrat de location de « cession » ou d’«aliénation ». Voici comment s’exprime le juge Brossard dans l’arrêt Ultramar , à la p. 120 :
Il importe de souligner immédiatement que, en l'espèce, et tel qu'analysé précédemment, la seule chose qui aurait été «aliénée» par Marie-Antoinette, par location, serait un terrain et une petite partie de bâtiment, susceptibles d'être utilisés à plusieurs fins et dont la destination n'était ni nécessairement ni exclusivement l'exploitation d'une station-service. Une fois l'équipement de Texaco (Esso) enlevé, il n'en demeurait qu'un terrain vacant , sans lien nécessaire avec l'entreprise qui y était auparavant exploitée. [souligné dans l’original]
[75] Quoi qu’il en soit, l’ajout du terme « aliénation » par le commissaire dans sa conclusion n’apparaît pas dénué de tout fondement - et ne peut avoir pour effet d’invalider le volet « concession » de cette conclusion - parce que, selon la preuve, des bétonnières ont été acquises de Lafarge par Béton Brunet, lesquelles ont été utilisées pour le transport du béton préparé à l’usine de béton accréditée concédée par Lafarge à Béton Brunet, et dont les chauffeurs font partie de l’unité de négociation couverte par la convention collective [28] en vigueur chez Lafarge au moment de la signature du contrat de location (E-5) - concession aux fins de l’art. 45 - le 5 octobre 2009.
[76] En effet, suite au contrat de location de l’usine de béton intervenu entre Lafarge et Béton Brunet, cette dernière a transféré 12 bétonnières de son usine de Valleyfield à l’usine de Vaudreuil, louée de Lafarge [29] . De plus, Béton Brunet a reconnu avoir 10 à 12 opérateurs de bétonnières à l’usine de Vaudreuil [30] . En novembre 2009, Béton Brunet a acheté six bétonnières de Lafarge [31] . Béton Brunet dit avoir envoyé ses bétonnières à ses usines de Valleyfield et de Ste-Adèle. Toutefois, M. Serge Bissonnette, directeur général chez Béton Brunet, admet que cette dernière utilise ces bétonnières partout au Québec, incluant l’usine de Vaudreuil louée de Lafarge [32] . La preuve révèle donc que ces six bétonnières ont été utilisées partout, incluant l’usine de Vaudreuil. C’est ce que confirme d’ailleurs les représentations du procureur de Béton Brunet lors de sa plaidoirie devant le Commissaire Vignola : « […] mes clients ont décidé d’acheter des bétonnières […] on les a utilisées, d’ailleurs, pas juste à l’usine de Vaudreuil, là. M. Bissonnette a témoigné là-dessus, il les utilise partout » [33] .
[77] En conséquence, ce reproche adressé au commissaire par le procureur de Béton Brunet est sans fondement.
ii) Totale ou partielle ?
[78] Le procureur de Béton Brunet plaide aussi que le commissaire a erré en concluant à une « aliénation ou concession totale » de l’entreprise. Selon lui, ce dernier a omis d’analyser l’affaire en fonction des critères d’une concession partielle d’entreprise et ainsi de déterminer s’il y avait eu transfert « en plus de fonctions ou d’un droit d’exploitation, la plupart des autres éléments caractéristiques de la partie d’entreprise visée » au sens du troisième alinéa de l’art. 45.
[79] Par souci de commodité, il convient de reproduire derechef le libellé de ce troisième alinéa :
Le deuxième alinéa ne s'applique pas dans un cas de concession partielle d'entreprise lorsque la concession n'a pas pour effet de transférer au concessionnaire, en plus de fonctions ou d'un droit d'exploitation, la plupart des autres éléments caractéristiques de la partie d'entreprise visée.
|
|
The second paragraph does not apply in the case of the transfer of part of the operation of an undertaking where such transfer does not entail the transfer to the transferee, in addition to functions or the right to operate, of most of the elements that characterize the part of the undertaking involved.
|
[80] Cet alinéa, relativement nouveau, a été adopté le 17 décembre 2003 et est entré en vigueur le 1 er février 2004 [34] . Cet amendement vise à limiter la portée des deux arrêts rendus par la Cour suprême en 2001 dans les affaires Ivanhoe et Ville de Sept-Iles , précités, qui constataient la transmission de droits et d’obligations dans le cas où la cession du droit d’exploitation d’une partie d’entreprise ne s’accompagnait pas du transfert de quelque autre élément caractéristique de la partie d’entreprise visée [35] .
[81] D’emblée, il est facile de comprendre pourquoi le commissaire n’a pas appliqué cet alinéa; il a en effet conclu qu’il y a eu, dans les circonstances, concession totale de l’entreprise de Lafarge à Béton Brunet. De plus, il convient de le souligner, cet argument soulevé maintenant devant le Tribunal ne l’a pas vraiment été devant le commissaire Vignola. Il ne faut donc pas se surprendre que ce dernier n’en ait pas traité.
[82]
Quoi qu’il en soit, ce 3
e
alinéa de
l’article 45 ne s’applique pas en l’espèce à cause du constat du commissaire -
que le Tribunal estime raisonnable - que Lafarge a concédé par bail la
totalité
de l’entreprise pour laquelle le SCEP est accrédité et l’article 45 trouve donc
application (
[83] Cette conclusion mixte de fait et de droit - étayée par la preuve - tranche donc de façon péremptoire la question de savoir si, aux fins du 3 e alinéa de l’art. 45, en assumant qu’il y ait eu concession partielle d’entreprise, ce qui n’est pas le cas, il y a eu transfert à Béton Brunet, en plus de fonctions ou d’un droit d’exploitation, la plupart des autres éléments caractéristiques de la partie d’entreprise visée , compte tenu de la conclusion du commissaire qu’il y a eu concession totale d’entreprise.
[84] Mais il y a plus. Il est manifeste qu’il n’y a pas eu concession partielle d’entreprise. Avant sa fermeture et le contrat de location, Lafarge à exploité son usine de béton accréditée laquelle avait deux divisions : (1) la fabrication de béton préparé et (2) la livraison de ce béton.
[85] Par le contrat de location, Lafarge a loué à Béton Brunet son usine de béton - ou selon elle ce qui en restait - au complet et non simplement une des deux divisions de cette entreprise (ce qu’elle aurait bien pu faire).
[86] Après avoir conclu le contrat de location, Béton Brunet a exploité l’usine de béton au complet, tant pour fabriquer du béton préparé que pour en livrer. Ainsi, le fait que certaines composantes de l’usine de béton n’aient pas été louées par Lafarge n’affecte pas le caractère total de la concession, mais peut susciter la question de savoir s’il y a eu concession d’ entreprise . Or, la réponse à cette question fait appel, on le sait, aux pouvoirs d’appréciation et de pondération des éléments de l’entreprise ainsi qu’à l’expérience et l’expertise supérieure du commissaire Vignola, lequel a droit à un très haut degré de déférence lorsqu’il exerce ce pouvoir.
[87] À la lumière de la preuve perçue de façon raisonnable, le Tribunal estime qu’il était loisible au commissaire de conclure en l’espèce que la totalité de l’usine de béton accréditée de Lafarge avait été concédée par bail à Béton Brunet malgré que certains éléments n’aient pas été transférés à cette dernière.
[88] En conséquence, l’argument de Béton Brunet fondé sur le 3 e alinéa de l’art. 45 est rejeté.
b) Interprétation et application déraisonnable de la notion d’entreprise
[89] Selon Béton Brunet, le commissaire a interprété et appliqué de façon déraisonnable la notion d’ entreprise de l’art. 45. Après révision du dossier, le Tribunal conclut que cet argument est mal fondé.
[90] En l’espèce, il s’agit de déterminer s’il y a eu dans les faits transfert d’entreprise - aliénation ou concession - et la poursuite des activités de l’entreprise de Lafarge par Béton Brunet. Plus précisément, la notion d’entreprise et la recherche de la continuité de l’entreprise sont au cœur du présent débat.
[91] Il convient donc de citer la définition du terme « entreprise » retenu par le juge Beetz dans l’affaire Bibeault et sur laquelle se fonde le commissaire Vignola dans la présente affaire :
172 Au lieu d’être réduite à une liste de
fonctions, l’entreprise recouvre l’ensemble des moyens dont dispose un
employeur pour atteindre la fin qu’il recherche. J’adopte la définition de
l’entreprise proposée par le juge Lesage dans une affaire subséquente,
Mode
Amazone c. Comité conjoint de Montréal de l’Union internationale des ouvriers
du vêtement pour dames,
L’entreprise consiste en un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d’activités précises. Ces moyens, selon les circonstances, peuvent parfois être limités à des éléments juridiques ou techniques ou matériels ou incorporels. La plupart du temps, surtout lorsqu’il ne s’agit pas de concession en sous-traitance, l’entreprise exige pour sa constitution une addition valable de plusieurs composantes qui permettent de conclure que nous sommes en présence des assises mêmes qui permettent de conduire ou de poursuivre les mêmes activités : c’est ce qu’on appelle le going concern . Dans Barnes Security, le juge René Beaudry, alors juge puîné, n’exprimait rien d’autre en mentionnant que l’entreprise consistait en « l’ensemble de ce qui sert à la mise en œuvre des desseins de l’employeur ».
[…]
Chaque cas est un cas d’espèce lorsqu’il s’agit d’additionner un certain nombre de composantes pour retrouver les assises de l’entreprise, en tout ou en partie. Il n’est pas toujours nécessaire que les meubles et l’immeuble soient cédés, que les moyens techniques soient transférés, que l’inventaire et le know-how soient compris dans la transaction. Il faut cependant que des éléments suffisants, orientés à une certaine activité par un premier employeur, se retrouvent chez un second qui s’en sert, de façon identifiable, aux mêmes objectifs quant au travail requis des salariés, même si sa finalité commerciale ou industrielle est différente.
En raison précisément de la nécessité de retrouver chez le second employeur la même utilisation des moyens de fonctionnement transmis par le premier (sinon on aurait été en présence que d’un simple transfert d’actif physique utilisable sans spécificité), l’on a été porté à simplifier et à affirmer que, dès que les mêmes activités étaient effectuées par un second employeur, il s’ensuivait qu’il avait dû acquérir suffisamment de moyens de fonctionnement du premier pour caractériser la continuité d’entreprise. On est même allé plus loi et certains exégètes, à la recherche de directives simples et de formules accessibles, ont voulu voir dans les passages de certains jugements l’affirmation d’une théorie dite occupationnelle de l’entreprise. C’est une façon indirecte de contourner le problème du lien de droit, en réduisant voire annulant sa nécessité pratique pour qu’il y ait continuité d’entreprise.
Et plus loin,
176 Au lieu de porter erronément sur un seul facteur, le test du maintien de l’entreprise suppose l’identification des éléments essentiels d’une entreprise lesquels doivent se retrouver, de façon suffisamment importante, chez le nouvel employeur. Chaque élément doit être pondéré selon son importance respective. Si la clientèle d’une certaine entreprise est par essence volatile, il sera sans conséquence que le nouvel employeur n’ait retenu aucun client de son prédécesseur. À l’opposé, une entreprise dont la caractéristique principale est l’équipement exclusif sera transmise chez un nouvel employeur en autant que ce dernier ait acquis entre autres le matériel en question [36] .
[92] Il est vrai que le juge Beetz, dans l’arrêt Bibeault , a retenu le critère organique pour définir l’entreprise aux fins de l’application de l’art. 45 afin de se conformer à l’exigence d’un lien de droit entre deux employeurs successifs imposé par cette disposition législative.
[93] Toutefois, il est erroné de conclure que ce faisant, le juge Beetz a écarté toute pertinence de la similitude de tâches ou de fonctions chez le nouvel employeur, en l’espèce, Béton Brunet. Le savant et regretté magistrat s’exprime ainsi :
Je répète que la similitude des tâches est nécessaire lors de la recherche du maintien de l'entreprise dans ses éléments essentiels, mais il est erroné d'en faire le critère absolu de l'application de l'art. 45 . Ce critère ne permet généralement pas de distinguer deux entreprises rivales. La similitude des fonctions ne serait révélatrice en soi d'une succession d'entreprise que dans la mesure où l'entreprise en question ne posséderait pas d'autre caractéristique propre . [37] [soulignement ajouté]
[94] D’ailleurs, en matière de concession partielle, le législateur québécois a confirmé la pertinence du critère fonctionnel conjugué au critère organique par l’adoption, en 2003, du 3 e alinéa de l’art. 45. Aucune raison de principe ne permet d’écarter la pertinence de ces deux critères combinés en matière de concession totale d’entreprise aux fins de l’application de cet article.
[95] De surcroît, comme il le souligne dans l’arrêt Bibeault , à la p. 1120, l’interprétation et l’application du terme « entreprise » de l’article 45 doit être compatible avec le contexte de la négociation collective. L’auteur Gagnon avait d’ailleurs souligné l’importance de cet élément dans l’extrait de son ouvrage cité ci-dessus [38] .
[96] Or, en l’espèce, non seulement y a-t-il eu concession d’ « un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout [...] d’activités précises » ( Mode Amazone , précité, p. 231) - une usine de béton -, mais la similitude des tâches à l’usine de béton exploitée par Béton Brunet - préparation du béton et livraison du béton - permet à Béton Brunet de pouvoir s’acquitter de ses obligations envers les chauffeurs de bétonnières imposées par l’accréditation et la convention collective s’appliquant à ces derniers [39] .
[97] Le commissaire était parfaitement au fait de l’entreprise de Lafarge et de celle de Béton Brunet. À la lumière de la preuve faite devant lui, qu’il a soupesée et pondérée, il a conclu qu’il y avait eu transfert d’entreprise entre deux employeurs successifs ayant un lien de droit et que l’accréditation de Lafarge pour son usine de Béton de Vaudreuil liait Béton Brunet par l’effet de l’art. 45.
[98] De plus, il est incontestable que l’usine de béton - accréditée - de Lafarge a clairement été exploitée par Béton Brunet comme une usine de béton après la signature du bail en octobre 2009. Il s’agit donc d’une question de mesure et de pondération qui est au cœur de la compétence spécialisée du commissaire. En l’espèce, le Tribunal est incapable de statuer que la conclusion à laquelle en est arrivé le commissaire - après cet exercice hautement empirique - est déraisonnable dans les circonstances.
[99] Le commissaire a bien défini et identifié l’entreprise ainsi que sa finalité et les composantes transférées par Lafarge par Béton Brunet. Il convient de rappeler que les composantes utilisées par le second employeur - en l’occurrence Béton Brunet - peuvent l’être en ayant une finalité commerciale ou industrielle différente ( Bibeault , p. 1105, par. 172), bien que cela ne soit pas le cas en l’espèce.
[100] De plus, le commissaire chargé d’appliquer l’art. 45 possède une importante marge de manœuvre pour établir et pondérer les critères applicables à la définition d’une entreprise et peut donc élaborer des critères particuliers pour répondre à la situation particulière qui prévaut dans une industrie donnée, en l’occurrence une usine de béton : Ivanhoe , par. 67 et 94.
i) L’employeur successif : Béton Brunet ou Équipement Béton Brunet 2001 inc. ?
[101] Béton Brunet soutient que la compagnie Équipement Béton Brunet 2001 inc. est une entreprise distincte de celle exploitée par Béton Brunet inc.
[102] La position de Béton Brunet est la suivante. Lafarge et Équipement Béton Brunet 2001 inc., une entité juridiquement distincte de Béton Brunet, ont conclu une entente d’une durée de quatre ans pour la location d’un bâtiment, d’un terrain et de quelques équipements situés sur le site de l’ancienne usine de Lafarge à Vaudreuil-Dorion.
[103] Équipement Brunet 2001 inc. n’était pas visée par la requête en vertu de l’art. 45 devant la CRT et elle n’est donc pas partie aux présentes procédures. Le contrat de location [40] concerne strictement l’usage du site industriel et n’impliquait aucun transfert de personnel, clientèle, bétonnières, loaders, matières premières, savoir-faire, procédés, méthodes de production, certification ou autres éléments essentiels de l’entreprise de Lafarge à Équipement Béton Brunet 2001 inc.
[104] Selon Béton Brunet, Équipement Béton Brunet 2001 inc. louait le site industriel de Lafarge - fermé à la fin août 2009 - afin de mener sa propre entreprise, pour ses propres fins, pour sa propre clientèle et avec sa main-d’œuvre spécialisée, ses propres bétonnières, son savoir-faire, ses recettes et formules de béton, son expertise, ses équipements, etc. En conséquence, selon Béton Brunet, l’absence d’un lien de droit entre Lafarge et Béton Brunet, et l’absence d’un transfert des éléments caractéristiques essentiels de l’entreprise qui était opérée par Lafarge avant la fermeture de son usine de Béton de Vaudreuil-Dorion, rend l’art. 45 inapplicable dans les circonstances.
[105] Il est vrai qu’un commissaire doit, en principe, respecter la légalité des opérations juridiques effectuées par les parties. Toutefois, le caractère d’ordre public de l’art. 45 [41] oblige le commissaire à appliquer cette disposition législative en fonction de la substance de ces opérations plutôt que de leur forme. Ainsi, l’interposition d’une compagnie de gestion des équipements pour fins comptables, comme l’est en l’espèce Équipement Béton Brunet 2001 inc. [42] , n’empêchait pas le commissaire de conclure que c’est bel et bien à Béton Brunet que les éléments de l’entreprise de Lafarge ont été concédés pour les fins de l’application de l’art. 45.
[106] D’ailleurs, dans les faits, c’est Béton Brunet qui a utilisé ces composantes d’entreprise pour exécuter le contrat de l’Autoroute 30.
[107] Il importe maintenant d’examiner la raisonnabilité de la conclusion du commissaire qu’il y a eu concession totale de l’entreprise accréditée de Lafarge.
[108] Le commissaire conclut ainsi sa décision : «Or, on ne peut que conclure que Lafarge a cédé, par bail, la totalité de l’entreprise pour laquelle le requérant est accrédité et l’article 45 trouve donc application» (par. 19). Cette conclusion n’est clairement pas déraisonnable. En effet, un bail peut constituer une concession d’entreprise si l’opération est conforme à la définition du terme « concession » adoptée par la Cour suprême pour l’application de l’art. 45.
[109] En l’espèce, il n’était pas déraisonnable pour le commissaire de conclure à la concession de l’entreprise de Lafarge - son usine de béton - à Béton Brunet puisqu’il y a eu un transfert d’un droit d’exploitation jumelé à la similitude de fonctions faisant partie des activités habituelles de l’entreprise accréditée.
[110] Il convient dès lors d’analyser l’argument de Béton Brunet que plusieurs éléments de l’entreprise de Lafarge n’ont pas fait l’objet du contrat de location (E-5).
ii) Concession d’éléments suffisants ?
[111] Quant aux employés et la clientèle, il s’agit d’éléments que le commissaire doit pondérer en fonction de la nature de l’entreprise donnée. Or, il convient de le répéter, chaque cas est un cas d’espèce. En conséquence, le Tribunal ne peut conclure, dans les circonstances, que la décision du commissaire est déraisonnable quoiqu’il n’y ait eu aucun transfert d’employés ou de clientèle de Lafarge à Béton Brunet.
[112] Béton Brunet fait aussi grand état que les recettes secrètes de béton appartenant à Lafarge n’ont pas été transférées à Béton Brunet. Or, il s’agit encore ici d’un des nombreux éléments que le commissaire devait soupeser et pondérer afin de déterminer si l’art. 45 trouvait application dans les circonstances.
[113] Selon Béton Brunet, le commissaire a erré en adoptant une conception purement fonctionnelle de l’entreprise plutôt qu’une conception organique telle que retenue dans l’arrêt Bibeault . Après analyse et à la lumière de ce qui précède, le Tribunal conclut que le commissaire a bel et bien appliqué la définition d’ entreprise adoptée dans l’arrêt Bibeault de façon raisonnable dans les circonstances.
iii) Les autorités
[114] Le procureur de Béton Brunet et celui de Lafarge ont cité beaucoup de doctrine et de jurisprudence à l’appui de leur position. Toutefois, outre les arrêts de principe rendus par la Cour suprême du Canada dans les affaires Bibeault , Lester , Ivanhoe , et Ville de Sept-Iles , toutes ces autorités sont des cas d’espèce dont la force persuasive est tributaire des faits propres à chacune de ces affaires. Elles doivent par conséquent être distinguées. L’exemple suivant illustre cette affirmation.
[115]
Dans l’affaire
Travailleuses et travailleurs unis de
l'alimentation et du commerce, section locale 501 et Inventaires Laparé inc
,
La Commission ne trouve aucun élément permettant de conclure à une concession d’entreprise justifiant la transmission des droits et obligations. Rien n’est cédé par Sobeys à Laparé : aucun transfert de salariés, aucune cession d’équipement si infime soit-il , aucune transmission de savoir-faire. Il n’y a qu’un transfert de fonction et à peine peut-on parler du transfert d’un droit d’exploitation d’une partie de l’entreprise. [soulignement ajouté]
[116] Or, en l’espèce, Lafarge a loué à Béton Brunet la totalité de son usine de béton et lui a même vendu six bétonnières (pièce R-6, par. 23 b)). Ainsi, lorsqu’il s’agit d’appliquer l’art. 45, chaque cas en est un d’espèce. C’est ce que souligne le juge Beetz dans l’arrêt Bibeault (par. 172) lorsqu’il adopte la définition de l’entreprise proposée par le juge Lesage dans l’affaire Mode Amazone [43] :
[l]’entreprise consiste en un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d’activités précises. Ces moyens, selon les circonstances , peuvent parfois être limités à des éléments juridiques ou techniques ou matériels ou incorporelles […] chaque cas en est un d’espèce lorsqu’il s’agit d’additionner un certain nombre de composantes pour retrouver les assises de l’entreprise, en tout ou en partie . […] [soulignement ajouté]
[117]
Un jugement cité par le procureur de Béton Brunet mérite cependant
qu’on s’y attarde. Il s’agit de l’arrêt de la Cour d’appel rendu dans
Ultramar
Canada inc
. c.
Yergeau
,
[118] Toutefois, le juge LeBel (plus tard juge à la Cour suprême) estime nécessaire d’exprimer son opinion dans des motifs concordants quant au résultat. Il importe de citer ses motifs :
J'ai pris connaissance de l'opinion de
mon collègue, le juge Brossard. La situation juridique des parties paraissait
cristallisée avant l'adoption des modifications à l'article
Je suis alors d'opinion, comme mon
collègue, le juge Brossard, qu'il n'y avait pas eu transfert d'éléments
suffisants au sens de l'arrêt
U.E.S., local 298
c.
Bibeault
,
Pour ces motifs, je suis d'accord pour rejeter l'appel avec dépens. [45]
[soulignement ajouté]
[119] Pour bien saisir la portée de ces motifs du juge LeBel, il est utile de reproduire une nouvelle fois cet extrait des motifs du juge Brossard dans l’arrêt Ultramar :
Il importe de souligner immédiatement que, en l'espèce, et tel qu'analysé précédemment, la seule chose qui aurait été «aliénée» par Marie-Antoinette, par location, serait un terrain et une petite partie de bâtiment, susceptibles d'être utilisés à plusieurs fins et dont la destination n'était ni nécessairement ni exclusivement l'exploitation d'une station-service. Une fois l'équipement de Texaco (Esso) enlevé, il n'en demeurait qu'un terrain vacant , sans lien nécessaire avec l'entreprise qui y était auparavant exploitée. [46] [souligné dans l’original]
[120] Or, en l’espèce, les biens concédés par Lafarge à Béton Brunet en vertu du contrat de location sont considérables comparativement à ceux cédés dans l’affaire Ultramar . Partant, la norme de la raisonnabilité étant applicable en l’instance, l’arrêt Ultramar donne franchement à penser que le principe de retenue judiciaire doit s’appliquer dans les circonstances et entraîner le rejet des requêtes des demanderesses.
[121]
Il importe aussi de souligner que l’arrêt de la Cour d’appel dans
l’affaire
Ultramar
a été rendu le même jour que l’arrêt
Ivanhoe
(
[122]
L’opinion du juge LeBel, dans l’arrêt
Ivanhoe
, s’étend sur 150
pages, dont 142 portent spécifiquement sur l’interprétation et l’application de
l’art.
[123] En conséquence, force est de conclure que la question de savoir s’il y a eu un transfert d’éléments suffisants au sens de l’arrêt Bibeault pour justifier l’application de l’art. 45 en est une difficilement révisable lorsqu’elle est soumise à l’application de la norme de la décision raisonnable.
[124] Les deux demanderesses s’appuient aussi sur le jugement rendu par le Tribunal dans l’affaire du Ritz-Carlton, précitée.
[125] Dans cette affaire, le Tribunal a jugé déraisonnable la décision du commissaire de la Commission des relations du travail qui avait appliqué l’art. 45 à la vente d’un immeuble. Premièrement, le commissaire avait confondu la notion d’une partie d’entreprise hôtelière avec celle d’un bien de l’entreprise (l’immeuble où était exploitée l’entreprise hôtelière était distinct de celle-ci). Deuxièmement, NomineeCo n’était pas un employeur - et ne l’avait jamais été -, et, surtout, n’avait jamais été accrédité. Troisièmement, le Tribunal y a souligné qu’un bail ne constitue pas nécessairement une concession d’entreprise au sens de l’art. 45 en l’absence de transfert de travaux ou d’opérations couverts par une accréditation.
[126] Or, à l’évidence, le contexte factuel de la présente cause est manifestement et substantiellement différent.
[127] D’abord, Lafarge n’a pas simplement loué un immeuble à Béton Brunet. Ensuite, Lafarge est un employeur dont l’entreprise de Vaudreuil faisait l’objet d’une accréditation [48] au moment du contrat de location signé le 5 octobre 2009.
[128] Enfin, le bail intervenu entre Lafarge et Béton Brunet n’a pas pour seul objet un « immeuble nu », mais des éléments suffisants pour constituer un instrument économique permettant la réalisation des objectifs de l’entreprise.
[129] De plus, les deux demanderesses omettent de considérer que dans l’affaire du Ritz-Carlton, il était incontestable que la vente par Promo à Hôtel R.C.M. inc. de tous les biens et équipements nécessaires à l’opération de l’hôtel de luxe entraînait manifestement l’application de l’art. 45.
[130] Contrairement à Béton Brunet, NomineeCo n’était ni un employeur ni un employeur potentiel. Or, en l’espèce, l’usine de béton de Lafarge située à Vaudreuil est accréditée et les chauffeurs de Lafarge sont couverts par une convention collective [49] . De plus, Béton Brunet emploie des opérateurs de bétonnières pour livrer le béton fabriqué à l’usine de Vaudreuil qu’elle a louée de Lafarge.
*
* *
[131] En somme, le Tribunal conclut que Béton Brunet n’a pas démontré le caractère déraisonnable de la décision contestée.
5. Lafarge a-t-elle démontré le caractère déraisonnable de la décision du commissaire?
[132] Comme on l’a souligné précédemment, Lafarge soutient que la décision du commissaire Vignola doit être annulée parce que déraisonnable pour trois motifs sur lesquels il convient maintenant de se pencher.
a) Le commissaire a-t-il interprété de façon déraisonnable la notion d’entreprise au sens de l’art. 45, faisant fi des enseignements de la Cour suprême ?
[133]
Lafarge soumet que le commissaire a gravement erré et qu’il a rendu une
décision déraisonnable, illégale et injuste, qui justifie l’intervention du
Tribunal puisque son interprétation d’entreprise au sens de l’art.
[134] Selon Lafarge, elle a loué un site vide à Béton Brunet, lequel site ne possède aucune autonomie ou potentiel d’autonomie et qui ne peut donc constituer une concession partielle, et encore moins totale, d’une entreprise au sens de l’art. 45. Elle soutient qu’en concluant que le terrain, l’usine et l’équipement - en l’absence de tout autre élément - constituent les composantes principales et essentielles d’une entreprise de fabrication et de livraison de béton, le commissaire a commis une erreur déraisonnable nécessitant l’intervention du Tribunal. Selon elle, le commissaire reconnaît que des éléments essentiels de l’entreprise n’ont pas été cédés par Lafarge : par. 18 de la décision contestée.
[135] Lafarge plaide aussi que le commissaire a confondu l’entreprise de Lafarge avec l’usine de cette dernière, faisant ainsi écho à l’affaire du Ritz-Carlton dans laquelle le Tribunal a jugé que le commissaire avait confondu l’ entreprise hôtelièr e avec l’ immeuble dans lequel était exploité l’hôtel de luxe.
[136] En l’espèce, l’entreprise accréditée est l’usine de béton de Lafarge située à Vaudreuil-Dorion [50] . Cette usine a été louée à Béton Brunet pour produire et livrer du béton comme le faisait antérieurement Lafarge. La demanderesse plaide essentiellement que les termes « une entreprise » du premier alinéa de l’art. 45 doivent être interprétés comme signifiant « une entreprise identique ». En effet, tant dans son mémoire qu’à l’audition, le procureur de Lafarge a soutenu que le contrat de location concernait strictement l’usage du site industriel et n’impliquait aucun transfert de personnel, clientèle, bétonnière, loaders , matière première, savoir-faire, procédés, méthodes de production, certifications ou autres éléments essentiels de l’entreprise de Lafarge. Or, cette interprétation est insoutenable en fait et en droit.
[137] D’abord, parce qu’elle ajoute au texte de l’article 45 : on ne peut par interprétation ajouter au texte de loi des termes qui n’y sont pas implicites.
[138] Ensuite, le juge Beetz résume ainsi l’essentiel de l’interprétation de l’art. 45 qu’il a dégagé dans l’arrêt Bibeault : « [p]our qu’une transmission de droits et obligations visée à l’art. 45 se fasse, il faut retrouver, suite à “l’aliénation ou la concession … partielle d’une entreprise” les assises de cette même entreprise, en tout ou en partie, auprès d’un nouvel employeur» (par. 213).
[139] Or, comme il le souligne, toujours dans l’arrêt Bibeault , les assises de cette même « entreprise dont il est question à l’art. 45 “consiste en un ensemble organisé suffisant des moyens qui permettent substantiellement la poursuite en tout ou en partie d’activités précises” ( Mode Amazone , précité, à la p. 231)» (par. 212).
[140] Ce qui importe, comme l’a décidé avec raison le commissaire Vignola, c’est que la nature et la finalité des deux entreprises soient les mêmes : décision contestée, par. 17.
[141] Pour trancher cette question mixte de fait et de droit, le commissaire bénéficie d’une importante marge de manœuvre quant à l’appréciation de la preuve et quant à la pondération de la suffisance des moyens et l’identification de la poursuite substantielle des activités précises, en l’occurrence, la fabrication du béton et la livraison du béton : Ivanhoe , par. 67 et 94.
[142]
Lors de sa plaidoirie
[51]
tant devant le commissaire que lors de l’audition, le procureur de
Lafarge a insisté sur la décision rendue par le commissaire Miller dans
l’affaire
Métallurgistes Unis d’Amérique, local 15381
c.
Lafarge
Groupe Matériaux de Constructions
,
b) Le commissaire a-t-il fait un constat erroné en concluant à la continuité de l’entreprise de Lafarge par Béton Brunet, les éléments de preuve perçus de façon raisonnable ne pouvant étayer une telle conclusion ?
[143] Selon Lafarge, les éléments de preuve perçus de façon raisonnable ne peuvent étayer la conclusion du commissaire quant à la continuité de l’entreprise de Lafarge chez Béton Brunet. Au soutien de son argumentation, le procureur de Lafarge soutient que la preuve a démontré - et que le commissaire le reconnaît dans sa décision - que : i ) la fermeture temporaire du site de Vaudreuil était réelle et pour des motifs de rentabilité à court terme; ii ) Béton Brunet a obtenu le contrat de l’Autoroute 30 et qu’elle devait posséder une nouvelle usine pour satisfaire la demande; et iii ) les activités de Béton Brunet sont faites avec ses propres employés, dont certains étaient déjà à son emploi, avec ses propres bétonnières et qu’il n’y a aucune clientèle rattachée à une usine. D'après Lafarge, le commissaire a donc commis une erreur déraisonnable en concluant à la continuité de l’entreprise par le simple fait que les activités de livraison de béton continuent d’exister au site de Vaudreuil, d’une part, et en distinguant les notions de fermeture et de transfert d’entreprise, puisque si une fermeture est réelle, il ne peut y avoir continuité de l’entreprise, d’autre part.
[144] Après analyse, ces arguments doivent être rejetés.
[145] D’abord, ces arguments s’apparentent à des motifs d’appel. Or, en l’instance, le Tribunal siège en révision judiciaire de la décision du commissaire, et non en appel de celle-ci.
[146] Ensuite, la fermeture temporaire de l’usine de béton ne peut, en soi, on le sait, empêcher la mise en œuvre de l’art. 45 si les conditions d’application de cette disposition sont par ailleurs remplies. D’ailleurs, le procureur de Béton Brunet et celui de Lafarge n’ont guère insisté, et avec raison, sur la fermeture temporaire par Lafarge de son usine de béton accréditée de Vaudreuil le 1 er septembre 2009, laquelle a d’ailleurs été louée à Béton Brunet le 5 octobre suivant. En effet, l’accréditation se rattachant à cette entreprise [53] n’a pas été révoquée, et un tel genre de « fermeture » n’est donc qu’un facteur parmi d’autres que le commissaire doit apprécier et pondérer - ce qu’il a clairement fait - pour décider de l’application de l’art. 45 qui, il importe de le rappeler, est une disposition d’ordre public.
[147] De plus, le fait que Béton Brunet ait obtenu le contrat de l’Autoroute 30 - et avait donc besoin de béton - de préférence à Lafarge n’empêche aucunement l’application de l’article 45 à l’égard de l’usine de béton accréditée de cette dernière. Au contraire, ce fait milite en faveur de l’application de cette disposition.
[148] Enfin, en ce qui concerne les employés, les bétonnières et la clientèle, il s’agissait d’éléments que le commissaire devait apprécier et pondérer, ce qu’il a fait en l’espèce dans les limites de son importante marge de manœuvre.
c) Le commissaire a-t-il fait un constat erroné en concluant à une concession totale de l’entreprise de Lafarge à Béton Brunet ?
[149] Lafarge soutient que la conclusion du commissaire constatant l’aliénation ou la concession totale de son entreprise accréditée à Béton Brunet est erronée et déraisonnable. En effet, elle soumet que la personne juridique « Lafarge Canada inc. » continue d’exister au Québec - ainsi qu’ailleurs dans le monde -, et elle dessert ses clients via d’autres sites que celui de Vaudreuil. De surcroît, Lafarge affirme que le commissaire omet de distinguer la concession partielle de la concession totale de l’entreprise, deux notions qui ont, selon elle, des implications juridiques distinctes dans la transmission des droits et obligations.
[150] Ces deux arguments sont infondés et doivent donc être rejetés.
[151] Le premier dénote une compréhension erronée de la notion d’entreprise aux fins de l’art. 45. En effet, l’entreprise visée par cette disposition est l’entreprise accréditée ( Bibeault , par. 64). Or, le certificat d’accréditation du SCEP est clair : l’entreprise accréditée est l’usine de béton de Lafarge, située à Vaudreuil-Dorion.
[152] Le second est contredit par la preuve incontestée : c’est l’usine de béton globalement qui est l’objet du contrat de location et non pas une division de celle-ci telle que la fabrication de béton ou la livraison de béton. La conclusion du commissaire qu’il s’agit d’une concession totale n’est donc pas déraisonnable. Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si cette concession totale constitue une entreprise, il s’agit, on l’a vu, d’une question mixte à l’égard de laquelle le commissaire possède une importante marge de manœuvre. En l’espèce, sa conclusion ne peut être qualifiée de déraisonnable.
*
* *
[153] En conséquence, il résulte de ce qui précède qu’une réponse négative s’impose à cette question en litige. Lafarge n’a pas démontré le caractère déraisonnable de la décision du commissaire Vignola.
C. Quel est le redressement approprié, le cas échéant ?
[154] La révision du dossier ayant amené le Tribunal à conclure que la décision rendue par le commissaire Vignola le 19 août 2011 n’est pas déraisonnable, il y a donc lieu de rejeter tant la requête en révision judiciaire de Béton Brunet que celle de Lafarge.
[155] En ce qui concerne les dépens, il n’y a pas lieu de déroger à la règle que la partie qui succombe supporte les dépens.
[156] Toutefois, ceux-ci ne seront accordés qu’à la procureure de SCEP, étant la seule qui a contesté les deux requêtes en révision judiciaire, et ce, sur chacune de celles-ci.
vii. conclusion
[157] Depuis plus de cinquante ans, la CRT et ses commissaires ont acquis une expertise supérieure dans l’interprétation et l’application de l’article 45 à une situation factuelle concrète, chaque cas, évidemment, en étant un d’espèce. À cet égard, le législateur a émis deux directives formelles : ce sont les commissaires de la CRT qui ont le mandat d’appliquer l’article 45 et les tribunaux ne doivent pas toucher à leurs décisions sauf sur une question de compétence, en l’instance, si la décision est déraisonnable. Les tribunaux, comme c’est leur devoir, ont suivi les directives du législateur en statuant que les commissaires ont une importante marge de manœuvre dans l’application de l’article 45 et que leurs décisions doivent bénéficier d’un très haut degré de déférence.
[158] En l’espèce, le commissaire Vignola a décidé que l’article 45 s’applique au contrat de location de l’usine de béton accréditée de Lafarge intervenu avec Béton Brunet, essentiellement parce qu’il fut d’avis qu’il y avait eu concession totale de cette entreprise au sens de cette disposition législative. Bref, qu’il y avait eu transfert d’opérations et de travaux provenant de l’usine de béton, accréditée, soit une concession par bail à Béton Brunet d’un ensemble organisé suffisant des moyens permettant à cette dernière la poursuite des activités précises de l’usine de béton de Lafarge : la fabrication et la livraison de béton préparé.
[159] Après un examen assez poussé du dossier et de la décision du commissaire, le Tribunal conclut, d’une part, que les éléments du dossier, perçus de façon raisonnable, peuvent étayer la décision du commissaire et, d’autre part, que celle-ci est validement motivée et que la conclusion à laquelle il en arrive se situe tout à fait dans l’éventail des décisions acceptables au regard de son appréciation des faits et de son vaste pouvoir de pondération dont l’a investi le législateur pour l’application de l’article 45.
[160] Bien sûr, la décision du commissaire peut, possiblement, donner lieu à un désaccord raisonnable entre des personnes raisonnables, mais c’est justement pour cette raison qu’elle n’est pas déraisonnable.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
A. Sur la requête de Béton Brunet ltée (500-17-067931-116) :
[161] REJETTE la requête en révision judiciaire de Béton Brunet ltée;
[162] AVEC DÉPENS .
B. Sur la requête de Lafarge Canada inc. (500-17-067946-114):
[163] REJETTE la requête en révision judiciaire de Lafarge Canada inc.;
[164] AVEC DÉPENS .
|
________________________________ GÉRARD DUGRÉ, J.C.S. |
|
|
M e Charles Caza dunton, rainville avocats Procureurs de Béton Brunet ltée
|
|
Jacques Vignola Ès qualités de juge administratif, Commission des relations du travail Non représenté
M e Serge Benoît le corre et associés s.e.n.c.r.l. Procureurs de Lafarge Canada inc.
M e Sibel Ataogul melançon marceau grenier et sciortino Procureurs du SCEP
M e Jean-François Beaudry philion leblanc beaudry avocats s.a. Procureurs du Syndicat des métallos, section locale 15403 |
[1] Ces requêtes sont fondées sur les art. 834.1 et ss., 846 C.p.c.
[2] Ce jugement sommaire est diffusé : 2013 QCCS 3774.
[3]
Les motifs sommaires du 15 mai 2013 ont été rendus conformément à l’arrêt
R
.
c.
Teskey
,
[4] Ces requêtes sont fondées sur les art. 834.1 et suiv. et 846 C.p.c.
[5] L.R.Q., c. C-27.
[6]
La transcription des audiences tenues devant le Commissaire Vignola les 18
avril et 18 mai 2011 a été produite comme pièce R-5 au soutien de la requête de
Béton Brunet. Cette dernière, dans sa réponse à la requête formulée par SCEP en
vertu des art.
[7] L’arrêt Bibeault est évidemment publié; toutefois, le site web de la Cour suprême du Canada diffuse une version de cet arrêt dont les paragraphes sont numérotés. C’est donc à cette version et à ces numéros auxquels le Tribunal réfère lorsqu’un numéro de paragraphe est indiqué.
[8] Mémoire de la demanderesse Béton Brunet, par. 15.
[9]
Canada (Citoyenneté et immigration)
c.
Khosa
,
[10]
L’honorable Louis
LeBel
,
« De
Dunsmuir
à
Khosa
»,
[11] Pièce R-5, transcription des audiences tenues les 18 avril et 18 mai 2011.
[12]
Loi modifiant le Code du travail
,
L.Q. 1990, c. 69,
sanctionnée et entrée en vigueur le 20 décembre 1990. L’art.
[13]
9172-0904 Québec inc
. c.
Commission des relations du travail
,
[14]
Bien que, comme le rappelait avec beaucoup d’à-propos le juge Binnie :
« il convient certes d’éviter de se citer soi-même » (
Alberta
(Information and Privacy Commissioner)
c.
Alberta Teachers’ Association
,
[15]
Ivanhoe Inc.
c.
T.U.A.C.,
section locale 500
,
[16]
Robert P.
gagnon
,
[17]
Sept-Îles (Ville de)
c.
Québec (Tribunal du travail),
[18]
Lester (W.W.) (1978) ltd. c.
Association unie des compagnons et apprentis
de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740
,
[19] 9172-0904 Québec inc, supra , note 12.
[20] Il existe deux types de méthodes pour fabriquer le béton prêt à l’emploi : dry-batch ou pre-mix . L’usine de béton de Lafarge située à Vaudreuil utilise la méthode dry-batch qui consiste à mélanger les agrégats et adjuvants chargés par convoyeurs directement dans le camion-toupie.
[21] Nous traiterons plus loin de la question de savoir si, aux fins de l’application de l’art. 45, une distinction doit être faite entre Béton Brunet et Équipement Béton Brunet 2001 inc.
[22] Voir transcription des notes sténographiques de l’audition tenue devant le commissaire le 18 avril 2011, pièce R-5, p. 29, lignes 23 à 25 et p. 30, lignes 1 à 7.
[23] Id ., p. 29, lignes 1 à 6.
[24] Pièce R-5, transcription de l’audience du 18 mai 2011, p. 1 à 82.
[25] Josette rey-debove et Alain rey (dir.), Le Petit Robert de la langue française , Paris, Dictionnaires Le Robert, 2011 , p. 1768. Sur la question de la conjonction « ou » et de sa polysémie, voir notamment Trésor de la langue française , CNRTL, en ligne : http://www.cnrtl.fr/definition/ou ; Dictionnaire de l’Académie française , 9 e éd., version informatisée, en ligne : http://atilf.atilf.fr/academie9.htm
[26] Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Métro-Richelieu inc. , 2010 QCCRT 136, par. 113.
[27] Voir Bibeault , précité, p. 1115-1116, par. 194.
[28] Pièce S-3, convention collective signée le 3 avril 2006, art. 29.01, qui est ainsi libellé : «Cette présente convention collective de travail d’une durée de trois (3) ans entre en vigueur à la date de sa signature et demeure en vigueur jusqu’à la signature d’une nouvelle convention ou jusqu’à ce qu’une grève ou lock-out soit déclaré ». Pour le sens et la portée de cette clause, voir R.P. Gagnon, Le Droit du travail du Québec , op. cit., note 15, p. 569, 570, par. 676.
[29] Pièce R-5. Transcription de l’audience du 18 avril 2011, p. 173.
[30] Id ., p. 177.
[31] Id ., p. 184; Pièce R-6, par. 23 b).
[32] Pièce R-5, transcription de l’audience du 18 avril 2011, p. 190, lignes 4 à 23.
[33] Pièce R-5, transcription de l’audience du 18 mai 2011, p. 59, lignes 8 à 15.
[34] Loi modifiant le Code du travail , L.Q. 2003, c. 26, art. 2 et 11.
[35]
Robert
dury
, « L’article
45 et la sous-traitance » dans
Conférence de l’Association du Barreau
canadien section Québec
, 6 mai 2004, p. 1-20, particulièrement p. 8 à 11;
Pierre
pronovost
, « L’Impact
des modifications de l’article
[36]
Extraits de l’arrêt
Bibeault
reproduits dans la décision
contestée :
[37] Bibeault , précité, p. 1107, par. 175.
[38] Voir par. 44 du présent jugement.
[39] Voir pièce S-2, accréditation de l’usine de béton de Vaudreuil-Dorion, et pièce S-3, convention collective s’appliquant aux chauffeurs.
[40] Pièce E-5.
[41] Voir l’arrêt Ville de Sept-Îles , préc. par. 27.
[42] Pièce R-5, 18 avril 2011, p. 171, lignes 1 à 6.
[43]
Mode Amazone
c.
Comité conjoint de Montréal de l’union
internationale des ouvriers du vêtement pour dames
,
[44]
L’arrêt de la Cour d’appel rendu dans l’affaire
Ultramar
fait partie d’un groupe de six arrêts portant sur l’art. 45 et rendus le même
jour, le 2 décembre 1998, par la même formation :
Union des employées
et employés de la restauration, métallurgistes unis d’Amérique, section locale
8470
c.
Ultramar Canada inc.
,
[45]
Ultramar Canada inc
. c.
Yergeau
,
[46] Ultramar Canada inc. , précité, p. 120.
[47] Depuis la fusion des normes manifestement déraisonnable et déraisonnable simpliciter dans l’arrêt Dunsmuir , par. 45.
[48] Voir pièce S-1 (accréditation) et pièce S-2 (certification d’accréditation) invoquées par SCEP au soutien de sa requête fondée sur l’art. 45 et accueillie par le commissaire Vignola le 19 août 2011.
[49] Voir pièces S-2 et S-3.
[50] Voir certificat d’accréditation du 6 juillet 2004 - pièce S-2.
[51] Pièce R-5, 18 mai 2011, p. 41 et 50.
[52]
Appel devant le Tribunal du Travail accueilli en partie (T.T., 1995-05-15)
200-28-000009-95; requête en évocation accueillie,
[53] 9172-0904 Québec inc ., préc., par. 57-58, note infrapaginale 34 de ce jugement.