Dufour c. Groupe Sutton Actuel inc. |
2013 QCCQ 8362 |
JD2786
COUR DU QUÉBEC
« Division des petites créances »
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE LONGUEUIL
LOCALITÉ DE LONGUEUIL
« Chambre civile »
N° : 505-32-029250-124
DATE : 28 juin 2013
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.
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MARIE-PAULE DUFOUR
Demanderesse
c.
GROUPE SUTTON ACTUEL INC.
ET NANCY PARENTEAU
ET JEAN PARENTEAU, GROUPE SUTTON ACTUEL INC.
ET GROUPE IMMOBILIER PARENTEAU INC. faisant affaires sous le nom de Jean Parenteau Groupe Sutton Actuel
Défendeurs
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JUGEMENT
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[1] Marie-Paule Dufour, par sa mandataire Louise Baillargeon, réclame 23 500,00$ en dommages, alléguant que les défendeurs ont commis des fautes professionnelles lors de la vente de sa résidence en 2004. Elle réduit sa réclamation à 7 000,00$ pour bénéficier du recours devant la Division des petites créances.
[2] Les défendeurs contestent au motif qu'ils ont agi de façon prudente et diligente en l'instance : la propriété de la demanderesse a été inscrite à partir des informations fournies par celle-ci, et vérifiées par le courtier Nancy Parenteau.
[3] Elle plaide également que les dommages réclamés sont exagérés et n'ont aucun lien avec la faute reprochée.
Questions en litige
[4] Il s'agit de déterminer si, dans le cadre du contrat de courtage intervenu entre les parties, les défendeurs ont agi de façon prudente et diligente, notamment quant à la cueillette et la vérification des informations à l'effet que l'immeuble était un quadruplex.
[5] Dans la négative, il y aura lieu de déterminer si la demanderesse a droit au montant réclamé.
Le contexte
[6] Par contrat de courtage signé le 15 janvier 2004 (pièce P-1) Marie-Paule Dufour confie à l'agence immobilière Jean Parenteau, Groupe Sutton Actuel inc., représentée par les courtiers immobiliers Nancy Parenteau et Jean Parenteau, le mandat de vendre sa propriété. Au chapitre de la description sommaire de l'immeuble, l'adresse indiquée est : 660-662-664-666 de la rue Saint-Thomas à Longueuil, soit le lot P-348-568 de la Paroisse Saint-Antoine de Longueuil.
[7] Peu après, Nancy Parenteau fait paraître la fiche descriptive (pièce P-9) qui mentionne que l'immeuble est un quadruplex.
[8] Le 11 mars 2004, Jacques Botbol offre de l'acheter au prix de 250 000,00$ (pièce P-2). Par contre-proposition du 23 mars 2004, acceptée par Jacques Botbol le 27 mars suivant, le prix de vente est modifié à 278 000,00$.
[9] Dans cette promesse d'achat l'adresse indiquée est " 660-4 Saint-Thomas, Longueuil ". Plus loin, au chapitre des déclarations du vendeur, Marie-Paule Dufour déclare que les loyers rapportent au moins 2 420,00$ par mois. Quant à l'échéance des baux, on retrouve la mention " 1 le 30-5-04, 1 le 30-6-05 et 2 flexibles ".
[10] Par acte de vente daté du 1 er juin 2004, Jacques Botbol achète de Marie-Paule Dufour cet immeuble (pièce P-5). Il est décrit comme étant le lot 2 008 396 du Cadastre du Québec (il s'agit du nouveau numéro depuis la réforme cadastrale) avec bâtisses portant les numéros civiques 660, 664 et 666 rue Saint-Thomas à Longueuil.
[11] En avril 2006, Jacques Botbol le remet en vente par l'entremise du courtier Gilles Boilard de l'agence Groupe Sutton Actuel inc. et sur la fiche descriptive, l'immeuble est encore décrit comme étant un quadruplex (pièce P-6).
[12] Par acte de vente daté du 28 juillet 2006, Jacques Botbol vend à Rémi Pelletier cet immeuble (pièce P-7). Les adresses civiques mentionnées à cet acte sont les 660 à 666 Saint-Thomas à Longueuil.
[13] En 2007, Rémi Pelletier intente une action en diminution du prix de vente contre Jacques Botbol [1] . Il allègue que l'immeuble n'est pas conforme aux lois et règlements en vigueur : un des quatre logements, soit le 662, a dû être éliminé. Il lui réclame 100 000,00$ en diminution du prix de vente, 50 000,00$ en dommages-intérêts pour perte de revenus et 10 000,00$ pour troubles et inconvénients.
[14] Jacques Botbol appelle en garantie Marie-Paule Dufour alléguant que si l'action de Rémi Pelletier est accueillie, celle-ci doit en être tenue seule et unique responsable et l'indemniser, puisqu'elle lui a représenté en 2004 que l'immeuble était un quadruplex, alors que la Ville de Longueuil n'avait pas permis l'usage du quatrième logement.
[15] Marie-Paule Dufour produit une défense en garantie (pièce P-15) alléguant que lors des visites précédant l'achat de 2004, elle lui a représenté qu'il s'agissait d'un triplex et non d'un quadruplex (pièce P-15).
[16] Pour éviter les frais et inconvénients d'un procès, les parties règlent ce dossier à l'amiable. Selon le reçu-quittance et transaction daté du 28 novembre 2011 signé par toutes les parties (pièce P-11), Marie-Paule Dufour participe au règlement intervenu dans le cadre de l'action principale et paie à Rémi Pelletier la somme de 17 500,00$.
[17] Marie-Paule Dufour adresse une mise en demeure à Nancy Parenteau du Groupe Sutton Actuel inc. (pièce P-12), lui réclamant la somme de 17 500,00$ payée dans le cadre de ce règlement, les honoraires extra-judiciaires de 6 000,00$ payés à ses avocats et 10 000,00$ pour le stress et les inconvénients causés par ce litige.
Droit applicable
[18] Le contrat intervenu en 2004 pour la vente de l'immeuble de Marie-Paule Dufour est un contrat de courtage immobilier.
[19]
Il s'agit d'un contrat de service
[2]
défini par l'article
" 2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer. "
[20] L'article 11 des Règles de déontologie de l'Association des courtiers et agents immobiliers du Québec [3] prévoit l'obligation du courtier de vérifier les informations qu'il fournit :
" 11. Le membre doit vérifier, conformément aux usages et aux règles de l'art, les renseignements qu'il fournit au public ou à un autre membre. Il doit toujours être en mesure de démontrer l'exactitude de ces renseignements. .
[21] Le courtier est tenu de vérifier le contenu de la fiche descriptive en s'assurant que celle-ci reflète bien la situation de l'immeuble tel qu'il existe. Il ne peut se fier aux seules déclarations du vendeur, qui seraient formulées " au meilleur de sa connaissance ". Il doit vérifier toute information que celui-ci lui transmet puisque le vendeur lui transmet des " renseignements " au sens de l'article 11 des Règles de déontologie , dont il a l'obligation de vérifier l'exactitude [4] .
[22] Selon notre collègue Henri Richard [5] , les clients inscripteurs invoquent cette inexécution pour éviter le paiement de la commission, si la vente échoue en raison d'une faute du courtier qui n'a pas vérifié une information.
[23] Par ailleurs, rien n'empêche un client inscripteur de poursuivre son courtier, comme en l'instance, s'il affirme lui avoir donné l'information exacte que le courtier a omis de reproduire correctement, notamment à la fiche descriptive.
[24]
Dans l'un ou l'autre cas, le fardeau appartient au client de démontrer,
par preuve prépondérante, la faute reprochée au courtier, les dommages subis et
le lien de causalité, aux termes des articles
" Art. 2803 Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
Art. 2804 La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. "
Analyse et décision
[25] La demanderesse Marie-Paule Dufour n'a pas témoigné au procès, en raison d'une maladie sérieuse qui l'en empêchait. Sa fille et mandataire Louise Baillargeon déclare avoir accompagné sa mère tout au long du processus de mise en vente de l'immeuble en 2004, puis à l'occasion du litige survenu avec son acheteur Jacques Botbol et Rémi Pelletier. Elle a une connaissance personnelle de la plupart des faits, mais reconnaît qu'elle n'a pas été témoin de toutes les interventions ou échanges entre sa mère et les courtiers immobiliers impliqués dans la vente de 2004.
[26] Selon Louise Baillargeon, son père achète l'immeuble en cause en 1953, qui porte déjà les quatre numéros civiques 660, 662, 664 et 666 rue Saint-Thomas.
[27] En 2004, les deux logements du haut, le 664 et le 666, sont occupés par des locataires, et rapportent des loyers de 360,00$ par mois chacun. Le 660 est habité par Marie-Paule Dufour, et ne rapporte donc aucun loyer.
[28] Quant au 662, il s'agit d'un espace aménagé depuis plusieurs années, d'environ 350 pieds carrés, constitué d'une grande chambre et d'une salle de bain. Dans un coin de la chambre, se trouve une cuisine de fortune, avec un petit réfrigérateur et un poêle à deux ronds. Au moment de la mise en vente, il était occupé par un ami de la fille de Louise Baillargeon, à qui Marie-Paule Dufour ne charge aucun loyer.
[29] Marie-Paule Dufour allègue que les défendeurs ont mis en vente l'immeuble en représentant qu'il était un quadruplex, alors qu'en réalité il s'agissait d'un triplex. Dans sa déclaration écrite, Marie-Paule Dufour affirme avoir précisé à Nancy Parenteau que même s'il y avait quatre adresses civiques, il s'agissait d'un triplex et non d'un quadruplex; le 662 n'existait pas.
[30]
Marie-Paule Dufour n'a pas témoigné au procès en raison de son état de
santé. Le Tribunal a accepté, pour valoir comme témoignage, ses propos
rapportées par Louise Baillargeon, comme le permettent les articles
" 2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal. "
[31] Louise Baillargeon n'a jamais transmis elle-même d'informations à Nancy Parenteau, à l'effet qu'il s'agissait d'un triplex plutôt que d'un quadruplex. Pour corroborer le témoignage de sa mère, elle invoque le contenu de l'acte de vente de l'immeuble à Jacques Botbol, intervenu devant le notaire Alain Desgroseillers le 1 er juin 2004 (pièce P-5).
[32] Cet acte de vente comporte, comme désignation de l'immeuble, la mention " Avec bâtisse y érigée, portant les numéros civiques 660, 664 et 666 rue Saint-Thomas à Longueuil… ".
[33] De son côté, Nancy Parenteau, courtier immobilier chargé de la vente, nie que Marie-Paule Dufour lui ait jamais indiqué qu'il s'agissait d'un triplex plutôt que d'un quadruplex. Son témoignage clair, précis, concorde avec d'autres éléments de la preuve présentée en défense, dont la preuve documentaire.
[34] Ainsi, dans le contrat de courtage dûment signé par Marie-Paule Dufour (pièce P-1) le 15 janvier 2004, la description sommaire de l'immeuble mentionne les quatre numéros civiques 660, 662, 664 et 666 Saint-Thomas à Longueuil. Louise Baillargeon n'est pas présente à la signature de ce document, mais elle reconnaît que sa mère, alors âgée de 90 ans, était très active, suivait de près le dossier de vente de sa maison, et était apte à comprendre ce qu'on lui présentait.
[35] La fiche descriptive (pièce P-9), préparée par Nancy Parenteau à partir des informations transmises par Marie-Paule Dufour, mentionne comme adresse le " 660-666 St-Thomas " et l'indication qu'il s'agit d'un quadruplex. Elle affirme avoir transmis cette fiche descriptive à Marie-Paule Dufour, comme elle le fait toujours, pour en vérifier le contenu, tel que l'exigent les règles de déontologie des courtiers d'immeuble.
[36] Louise Baillargeon affirme que sa mère n'a pas vu ce document avant 2011, lors des négociations pour régler le dossier de l'action intentée par Rémi Pelletier. Marie-Paule Dufour n'a pas été entendue à ce sujet.
[37] La crédibilité de Nancy Parenteau sur cet élément n'est pas ébranlée par le témoignage rapporté de Marie-Paule Dufour.
[38] Dans l'offre d'achat présentée par Jacques Botbol (pièce P-2) dont Marie-Paule Dufour reconnaît avoir reçu copie, on retrouve au chapitre des déclarations du vendeur (par. 6.1 j) la mention que quatre baux viennent à échéance : " 1 le 30-5-04, 1 le 30-6-05 et 2 flexibles ". Cela est indicatif que Marie-Paule Dufour considère qu'il s'agit d'un quadruplex et non d'un triplex.
[39] Nancy Parenteau a vérifié les déclarations de sa cliente, comme l'exigent les règles de sa profession. Cela confirme son professionnalisme d'une part, mais aussi les représentations de Marie-Paule Dufour à l'effet qu'il s'agissait d'un quadruplex et non d'un triplex.
[40] Dans le document de mise à jour préparé pour la taxation en date du 18 septembre 2003 (pièce D-1), la Ville indique qu'il s'agit d'un quatre logements, avec les numéros civiques 660, 662, 664 et 666.
[41] Nancy Parenteau a également pris connaissance du certificat de localisation préparé à la demande de sa cliente par l'arpenteur-géomètre Marcel Roy (pièce D-5). Celui-ci rapporte que l'immeuble porte les numéros civiques 660 à 666 rue Saint-Thomas et que ceux-ci apparaissent comme tel sur la maison.
[42] Nancy Parenteau ajoute que pour fixer le prix demandé de 289 900,00$ au contrat de courtage signé par Marie-Paule Dufour, elle a obtenu la valeur de quadruplex comparables du secteur. Elle produit les fiches descriptives des immeubles considérés (pièce D-20), qu'elle affirme avoir transmises à Marie-Paule Dufour. Son témoignage n'est pas contredit sur cet aspect.
[43] Nancy Parenteau reconnaît avoir parlé à Marie-Paule Dufour lorsque celle-ci a reçu signification de l'action en garantie. Contrairement aux affirmations de Louise Baillargeon, elle lui a rappelé que l'immeuble avait été annoncé comme étant un quadruplex, que ces informations avaient été vérifiées auprès de la Ville qui le considérait comme un quadruplex et le taxait en conséquence.
[44] Beaucoup de temps s'est écoulé après cette conversation, et en aucun temps Marie-Paule Dufour ni sa fille Louise Baillargeon n'ont reproché quoi que ce soit à Nancy Parenteau, non plus qu'aux autres défendeurs. Ce n'est qu'à l'issue du règlement intervenu le 28 novembre 2011 que la lettre de mise en demeure datée du 6 décembre 2011 lui a été adressée (pièce P-12).
[45] Marie-Paule Dufour n'a pas démontré, par preuve prépondérante, que Nancy Parenteau ou les autres défendeurs ont erronément représenté en 2004 que l'immeuble à vendre était un quadruplex, alors qu'elle leur avait indiqué qu'il s'agissait d'un triplex.
[46] Par ailleurs, Nancy Parenteau a effectué les vérifications appropriées notamment auprès de la Ville de Longueuil. Si plusieurs années plus tard, l'information obtenue s'est avérée être erronée, elle ne peut en être tenue responsable.
[47] Pour ces motifs, l'action de la demanderesse est rejetée, mais sans frais à l'égard de la défenderesse Groupe Sutton Actuel inc., franchiseur auquel est affiliée la franchisée Groupe Immobilier Parenteau inc.
[48] Nancy Parenteau agissait comme agent immobilier en 2004 pour Groupe Immobilier Parenteau, faisant affaires sous le nom de Jean Parenteau, Groupe Sutton Actuel inc. Il était très difficile pour la demanderesse de saisir quelle était l'entité corporative derrière Nancy Parenteau. C'est pourquoi l'action dirigée contre Jean Parenteau, Groupe Sutton Actuel, compagnie qui n'existe pas, est rejetée sans frais.
[49] Quant à Nancy Parenteau, la preuve ne révèle pas que sa responsabilité personnelle ait pu, à quelque moment que ce soit, être en cause. Cependant, sa défense étant celle de l'agence Groupe Immobilier Parenteau inc., l'action ne sera rejetée avec dépens qu'en faveur de cette dernière.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[50] REJETTE l'action de la demanderesse à l'égard de tous les défendeurs;
[51] CONDAMNE la demanderesse à payer seulement à la défenderesse Groupe Immobilier Parenteau inc. les frais judiciaires de 199,00$.
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MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.
[1] Dossier : 505-17-003461-078, Cour supérieure, district de Longueuil.
[2] Henri RICHARD, Le courtage immobilier au Québec, 3 e éd., Éditions Yvon Blais, p. 23.
[3] R.R.Q., c.C-73.1, r.5 (règlement en vigueur au moment de la signature du contrat de courtage en 2004; ce règlement a été remplacé par le règlement sur les conditions d'exercice d'une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité . L.R.Q., c.C-73.2, r.1.
[4]
Cyr c. Boucher
,
[5] Le courtage immobilier au Québec, déjà cité, p. 123.