TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

Grief : 2012-01

Nature du grief : congédiement

 

N o de dépôt : 2013-5848

 

Date de la décision : 31 mai 2013

 

 

DEVANT L’ARBITRE : Me JEAN-FRANÇOIS LA FORGE

 

 

Syndicat de l’Hôtellerie de la Mauricie (CSD)

Ci-après appelé le Syndicat

 

-et-

 

9096-0469 Québec inc (Auberge des Gouverneurs-Shawinigan)

Ci-après appelé l’Employeur

 

Convention collective : du 1 er janvier 2010 au 31 décembre 2015

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 


I. OBJET DU LITIGE

 

 

[1]        L’arbitre soussigné a été nommé par le ministre pour entendre et disposer du grief 2012-01 daté du 24 octobre 2012 et déposé sous la cote S-2 . Il se lit ainsi :

Description du grief  :

Je conteste le congédiement qui m’a été signifié verbalement par madame Catherine Abel le 6 octobre 2012. Je considère cette mesure non fondée, abusive, sans cause juste et suffisante et contraire aux dispositions de la convention collective, notamment mais sans s’y limiter aux articles 1, 11 et 22 ainsi qu’à la loi.

Description de la réclamation  :

Je réclame l’annulation de cette mesure et le retrait de mon dossier de cette mesure, ma réintégration immédiate rétroactive au 6 octobre 2012 à mon poste de travail avec pleine compensation pour les pertes, avantages et autres bénéfices prévus à ma convention collective, des dommages incluant des dommages exemplaires, le tout portant intérêt selon le code du travail.

[2]        Le 9 mai 2013, l’arbitre soussigné recevait copie d’une lettre adressée au procureur patronal :

Cher confrère,

La présente fait suite et confirme nos récentes conversations téléphoniques en relation avec les griefs mentionnés en titre.

Nous avons convenu de saisir l’arbitre Me La Forge, dans le cadre de l’audition du 29 mai prochain, de la question préliminaire suivante :

« La procédure disciplinaire prévue à la convention collective de travail relative au congédiement de madame Kristel Richard a-t-elle été respectée et, dans la négative, le congédiement imposé à Mme Richard doit-il être annulé ? »

Nous avons convenu de demander à l’arbitre de statuer de façon préliminaire sur cette seule question et de rendre une décision intérimaire écrite à cet effet avant l’administration de toute preuve portant sur le mérite du congédiement et des autres mesures disciplinaires imposées à Mme Richard.

Évidemment nous comptons administrer une courte preuve afin d’étayer notre point de vue à l’effet que la procédure d’imposition du congédiement subi par Mme Richard n’a pas été respectée.

Nous comprenons que pour l’administration de cette courte preuve, nous pourrons compter sur la présence de mesdames Sonia Tremblay et Catherine Abel sans qu’il soit nécessaire de les assigner par subpoena.

[3]        C’est donc dans ce cadre que se tiendra la séance du 29 mai 2013. Malgré cette lettre et la référence à une mesure disciplinaire, le procureur patronal, après avoir consenti aux admissions d’usage, informait le tribunal que l’employeur soumettrait en argumentation que la fin d’emploi de la salariée en était une administrative et qu’elle n’était donc pas soumise aux dispositions soulevées par le moyen préliminaire.

II. LES FAITS

Mme Catherine Abel

[4]        Elle est directrice de la réception depuis novembre 2008. Elle a de plus sous sa juridiction depuis juin 2012 la gouvernante, madame Monica Buchelie, responsable des femme de chambre et donc responsable immédiate de la plaignante.

[5]        Mme Manon Marceau est quant à elle contrôleur financier depuis 2008. Mme Marceau relève de Mme Sonia Tremblay, la directrice générale. C’est madame Marceau qui émet des relevés d’emploi. C’est donc elle qui a émis le relevé d’emploi daté du 9 octobre 2012 déposé sous la cote S-10 . À la case 16 il y est indiqué «  congédiement  » comme raison du relevé d’emploi. Toutes les informations y apparaissant sont conformes à la réalité, du moins conforme aux informations connues de madame Abel.

[6]        Mme Kristel Richard, la plaignante, travaillait comme femme de chambre. Elle était une salariée à temps partiel sans garantie d’un minimum d’heures hebdomadaires.

[7]        Les femmes de chambre donnent leur disponibilité selon ce qui est prévu à la convention collective et les horaires sont alors confectionnés en fonction des disponibilités dénoncées. L’horaire de travail varie de semaine en semaine en fonction de cette disponibilité et du taux de fréquentation de l’hôtel.

[8]        Des bordereaux de paye seront déposés sous les cotes S-11 et S-12 pour démontrer que madame Richard avait complété sa période de probation après avoir accompli plus de 800 heures en 2011 et en 2012.

[9]        Madame Abel n’était pas présente au travail le 5 octobre 2012 mais y était samedi le 6 octobre 2012. Elle avait une note de rencontrer madame richard car elle avait été prévenue par Mme Buchelie que la plaignante avait quitté avant la fin de son horaire et qu’elle devait donc montrer un billet médical pour justifier son absence. Elle ignorait alors si elle se présenterait compte tenu du départ de la veille. Mais elle s’est présentée un peu avant 9h30 et madame Abel l’a rencontré à son bureau situé près de la réception.

[10]      Elle lui demandera si elle a un billet médical et dans la négative, elle lui répondra que tout est terminé, qu’elle doit quitter en précisant qu’elle recevrait une lettre dans quelques semaines. Elle ne lui a remis aucun document cette journée du 6 octobre 2012. Elle ne se souvient pas que madame Richard ait argumenté au sujet des normes du travail et que la demande d’un billet médical allait selon elle à l’encontre de la loi.

[11]      Le billet médical était exigé pour justifier le départ de la veille, compte tenu qu’elle avait déjà des avis de refus de travail à son dossier. Ces avis furent déposés sous la cote S-3 et indiquent un refus de travail le 8 juillet, un autre le 11 juillet, un troisième le 24 juillet et un quatrième le 27 juillet. Tous ces avis sont datés du 27 juillet 2012.

            Mme Kristel Richard

[12]      La carte de poinçon pour la semaine du 30 septembre au 6 octobre 2012 a été déposée sous la cote E-1 pour démontrer qu’elle a quitté le 5 octobre 2012 à 10h37. Elle avait débuté à 8h30.

[13]      Elle ne se sentait pas bien et elle l’avait signalé à Mme Buchelie qui l’avait autorisé à prendre une pause plus longue. C’est en sortant de la deuxième chambre qu’elle avait croisé Mme Buchelie et qu’elle lui avait dit ne vraiment pas se sentir bien. Mme Andrée Robert, une autre femme de chambre, l’aurait d’ailleurs aidé à finir une des chambres. Mme Buchelie lui aurait dit que si elle quittait maintenant, elle devrait avoir un billet médical à son retour, sinon elle serait renvoyée.

[14]      Avant de quitter elle aurait demandé à Mme Buchelie de lui téléphoner pour savoir si elle était congédiée ou si elle devait être au travail le lendemain. Il n’y aura pas d’appel et elle entrera à l’heure prévue à son horaire, soit à 9h30.

[15]      Le 6 octobre, dès son arrivée à l’hôtel, une compagne de travail l’informera que madame Abel veut la rencontrer. Celle-ci la rencontrera effectivement à son bureau, rencontre qui durera environ trois minutes.

[16]      Elle soumettra à la directrice qu’elle n’a pas de billet médical et qu’en vertu des normes du travail, elle n’a pas à en fournir un. Elle se fera dire que son emploi est terminé. Elle sera invitée à retourner chez elle et devrait recevoir une lettre d’ici une semaine.

[17]      Il n’y a pas eu d’offre faite à madame pour qu’elle soit accompagnée d’un représentant syndical et aucun document ne lui a été remis lors de cette rencontre.

[18]      Ce n’est que le 12 octobre 2012 qu’elle sera convoquée pour aller chercher une enveloppe cachetée mais non mise à la poste. Mme Buchelie lui a remis une enveloppe contenant deux chèques avec talons, le relevé d’emploi déposé sous la cote S-10 ainsi que copie des avis précédents déposés en liasse sous la cote S-3 . Rien d’autre.

[19]      Elle s’était présentée au travail le 5 octobre 2012 pour ne pas être congédiée pour refus de travail. Elle était consciente de cette possibilité depuis la remise des documents déposés sous la cote S-3 et parce que madame Abel l’avait sensibilisée à cette possibilité. Elle se sentait donc obligée d’entrer travailler.

[20]      Quand elle a demandé à Mme Buchelie de quitter, elle s’est fait répondre qu’elle téléphonerait à madame Abel. Elle lui a proposé une pause prolongée. Madame Richard avait alors de la toux et des étourdissements. Mme Buchelie lui a même proposé d’avoir recours à une ambulance. Mais la plaignante ne voulait pas se rendre inutilement à l’hôpital ou consulter un médecin. Elle voulait retourner chez elle se reposer.

[21]      Elle ignorait avoir le droit d’être représentée par un représentant syndical lors de telles rencontres et c’est l’employeur qui lui a parlé de la CSD pour la suite des choses.

            Mme Monica Buchelie

[22]      Elle est gouvernante depuis juin 2012 et supervise le travail de madame Richard et des autres femmes de ménage.

[23]      Le 5 octobre 2012 elle a débuté son horaire à 8h30. Elle a croisé la plaignante vers 9h15 qui lui a déclaré être malade. Elle lui suggère donc de prendre une pause plus longue et qu’elles verraient par la suite.

[24]      Un peu plus tard elle fut requise de se présenter à la réception où elle a constaté que madame Richard était assise. Lorsqu’elle a voulu se lever à son arrivée, elle a constaté que madame Richard avait eu un vertige. Elle a donc demandé de lui aménager un fauteuil dans la cafétéria. Elle lui suggérera à nouveau d’aller à l’hôpital, la plaignante répliquant qu’elle ne voulait pas perdre sa journée à attendre et qu’elle préférait s’en aller chez elle.

[25]      Elle lui demandera alors de rester jusqu’à midi, ce que madame a refusé. À deux reprises, madame Richard lui a mentionné ne pas vouloir perdre huit heures en attente à l’hôpital pour une grippe.

[26]      Elle n’a pas l’habitude d’exiger des billets médicaux d’autres salariés sauf pour les cas disciplinaires. Elle ne lui a pas dit le 5 octobre 2012 ce qui arriverait si elle se représentait au travail sans billet médical.

[27]      Elle téléphonera à deux reprises à madame Abel. La première fois est pour l’informer que madame Richard ne se sent pas bien et qu’elle veut quitter, l’autre fois pour l’informer qu’elle quitte sans aller à l’hôpital. Lors des deux appels, madame Abel lui a dit de requérir un billet médical.

[28]      Elle apprendra en fin de journée que madame Abel veut rencontrer la plaignante le lendemain sans qu’on lui dise pourquoi.

[29]      C’est elle qui a remis l’enveloppe à Mme Richard le 11 ou le 12 octobre. Elle ignore le contenu de l’enveloppe qui était cachetée mais savait qu’il y avait au moins un chèque.

III. ARGUMENTATION

            Argumentation syndicale

[30]      Le procureur syndical rappelle l’objet de la lettre du 9 mai 2013 et la question soumise au tribunal. Est-ce que la procédure de congédiement a été respectée et si la réponse est négative, quelle en est la sanction.

[31]      Le congédiement doit être annulé car la procédure prévue à la convention collective S-1 a un caractère impératif et la jurisprudence considère cette question comme une condition de fond.

[32]      Mme Richard est une salarié non probationnaire pour avoir complété sa période de probation et avoir effectivement travaillé un total de 898 heures.

[33]      Il y a aussi un aveu de l’employeur que la mesure prise en est une disciplinaire décidée après que madame eut refusé de présenter un billet médical. Le dossier complet et est d’ordre disciplinaire. Quatre avis parlent d’absence injustifiée et non de refus de travail. En revenant au travail le lendemain du 5 octobre sans billet, madame défiait l’autorité. C’est dans ce contexte que le congédiement intervient.

[34]      Pourtant, contrairement à ce qui est prévu à la clause 11.02 de la convention collective S-1 , il n’y a aucun écrit donné. Le seul « document » qui lui sera remis est le chèque de paye une semaine plus tard.

[35]      On n’offre pas à madame d’être accompagnée par un représentant syndical alors qu’il y a en a un présent au travail soit M. Patrick Pratte. C’est pourtant une obligation de la clause 11.01 de la convention collective S-1 .

[36]      La preuve est éloquente. Il y a eu un défi à l’autorité en refusant d’aller à l’hôpital et un autre défi à cette même autorité en se présentant le lendemain sans billet médical.

[37]      Il s’agit donc d’une mesure disciplinaire traitée de façon disciplinaire. Il y avait un problème d’assiduité et l’employeur utilisait des formules disciplinaires pour dénoncer son insatisfaction. La pièce S-3 parle bien d’avis disciplinaire.

[38]      L’obligation de l’avis écrit est plus qu’une simple formalité comme en fait foi la conclusion de l’arbitre Me Nicolas Cliche dans Union des agents de sécurité du Québec, métallurgistes unis d’Amérique, section locale 8922 et Sécurité Kolossal inc , 16 avril 2004, AZ-50234807  :

[69] L’économie de notre droit et la rédaction même de 19.03 fait dire à l’arbitre, qu’il faut en matière disciplinaire, donner des précisions au travailleur lorsqu’on enclenche le processus de mesure disciplinaire.

[70] L’employeur doit informer par écrit. Il doit mentionner l’incident, ce qui manifestement ne fut pas fait, dans les deux cas sous étude, ou la raison qui motive. La raison qui motive, selon le présent arbitre, c’est la raison qui doit être expliquée et exposée. Il ne s’agit pas de dire uniquement « rupture du lien de confiance » pour prétendre qu’on a donné une raison qui motivait.

[39]      L’arbitre René Beaupré dans Médicar et Syndicat des travailleuses et travailleurs du transport adapté du Montréal métropolitain - CSN , 10 décembre 2008, AZ-50530428 , précisait les exigences d’un avis de congédiement en ces termes :

[30] Le terme « doit » utilisé au paragraphe 3.05 a) traduit une obligation pour l’Employeur de fournir, par écrit, les raisons qui ont provoqué la suspension.

[31] D’autre part, l’article 3.07 prévoit que l’employeur remet un écrit au salarié contenant les faits à l’origine de la mesure disciplinaire. Il ne peut se contenter de mentionner qu’il y a eu faute ou qu’il y a eu manquement à un règlement de l’entreprise. Il doit expliquer en quoi il y a eu faute ou tel manquement.

[33] En vertu de la convention collective applicable, l’avis remis au salarié doit donc contenir à la fois les évènements, circonstances, situations et données matérielles sur lesquels s’appuie l’employeur (les faits) et les motivations ou jugements motivant ce dernier à imposer une mesure disciplinaire (les raisons).

[42] L’employeur, lors de sa plaidoirie, allègue qu’il y a eu des discussions avec le plaignant concernant les faits qui se sont produits à l’origine de la mesure disciplinaire et qu’il connaît donc ce que l’employeur lui reproche.

[43] Outre le fait qu’il n’y a aucune preuve de telles rencontres ou discussions produite devant le tribunal, ces dernières ne sauraient suppléer à l’absence de motifs ou faits mentionnés dans l’avis de suspension.

[44] L’arbitre Diane Fortier, dans la décision Centre hospitalier de l’Université de Montréal, précitée, souligne les dangers d’une telle prétention :

[69] Prétendre en preuve qu’une personne salariée connaissait verbalement tous les éléments contenus dans 5.12 pourrait, à la limite, faire disparaître le contenu de cette clause. En effet, il suffirait de faire la preuve que la personne salariée connaissait les faits, les raisons de son congédiement, puisque l’Employeur lui en avait fait part lors du congédiement. Il n’avait donc pas besoin de lui envoyer un avis l’informant, car elle savait tout et elle savait qu’elle était congédiée.

[45] La convention collective est impérative sur l’obligation pour l’employeur de fournir, par écrit, les raisons de la mesure disciplinaire, dans les cinq jours de la suspension.

[46] Une fois décidé que l’employeur a contrevenu aux dispositions impératives de la convention collective, le tribunal doit décider de l’impact d’un tel non respect sur la validité de la mesure imposée.

[47] Une abondante jurisprudence conclut que le non respect d’une telle obligation rend la décision de l’employeur nulle ab initio .

[40]      Au même effet, l’arbitre Me Claude Martin dans Centre de santé et de services sociaux de Papineau et Syndicat des professionnelles de la santé du réseau Papineau (FIQ) , 26 avril 2011, AZ-5075134 s’exprime ainsi :

[41] ...Selon une jurisprudence arbitrale maintenant bien établie, l’obligation qui y est faite est impérative. Si les conditions qu’elles imposent ne sont pas satisfaites, l’avis que l’employeur doit remettre au salarié est entaché de nullité et, conséquemment, la fin d’emploi l’est également.

[41]      L’arbitre Denis Provençal dans Syndicat des travailleuses et travailleurs en petite enfance de la Montérégie - CSN et Centre de la petite enfance les Gnomes inc., 5 janvier 2006 partage cette lecture du caractère impératif de la clause. Il y a également l’arbitre Me Gabriel-M. Côté dans Syndicat des travailleuses et travailleurs du centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay-Lac-St-Jean et Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay-Lac-St-Jean , 18 novembre 2008, AZ-50522749 .

[42]      De plus, tel qu’il appert de la décision rendue par l’arbitre Me Rodrigue Blouin dans Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9153 et Manac , 14 août 1998, AZ-98141257 , le relevé d’emploi émis par l’employeur ne peut pas constituer un avis par ailleurs exigé par une convention collective. Au même effet : 336473 Canada inc. et Syndicat canadien des communications, de l’Énergie et du papier, section locale 145 , M. André Cournoyer, arbitre, 30 avril 1999, AZ-99141188 .

[43]      L’arbitre doit donc adopter une interprétation stricte et rigoureuse de la disposition et le fardeau de la preuve revient à l’employeur. Il doit démontrer le respect des dispositions relatives à l’avis.

[44]      Étant donné qu’il n’y a pas eu de refus de travail au sens de la disposition visée, la clause 12.06 (9) de la convention collective S-1 ne peut recevoir application.

[45]      Ce sont là les raisons pour lesquelles le syndicat demande d’accueillir le grief, du moins le moyen préalable, et d’ordonner la réintégration de madame à son poste de femme de chambre et de conserver juridiction pour parfaire le dossier.

Argumentation patronale

[46]      L’arbitre doit qualifier la mesure intervenue et l’employeur allègue qu’il s’agit d’une mesure strictement administrative fondée sur la clause de perte d’ancienneté prévue à la convention collective S-1  :

12.06 Perte d’ancienneté

Un salarié perd son ancienneté et son emploi dans les cas suivants :

9 . si, étant salarié régulier à temps partiel ou salarié occasionnel, il refuse de se présenter au travail à trois (3) reprises au cours d’une période de trois mois alors qu’il est assigné à le faire, compte tenu des jours de disponibilité devant être offerts à l’employeur.

[47]      Même si elle est non spécifiquement prévue à la convention collective, la mesure administrative existe, l’employeur n’étant pas seulement autorisé à agir en matière disciplinaire.

[48]      La clause 12.06 de S-1 prévoit non seulement la perte d’ancienneté mais également la perte d’emploi. La perte est automatique, sans autres formalités.

[49]      L’employeur aurait pu terminer l’emploi en vertu de cette même clause dès le 31 juillet 2012, lors de la remise d’un avis pour un troisième refus. Il ne l’a pas fait pour donner une ultime chance à la salariée.

[50]      L’employeur n’a même pas le choix d’appliquer cette disposition de façon automatique parce que la clause est génératrice de droit pour les autres salariés ayant moins d’ancienneté et qui dépendent du statut attribué à madame pour progresser et avoir plus d’heures de travail.

[51]      Le départ « précipité » du 5 octobre équivaut à un autre refus de travail puisque madame était bien au fait qu’elle devait absolument justifier cette absence par billet médical. Il s’agissait là d’une perche tendue par l’employeur pour lui permettre l’absence et lui éviter l’application de la Clause 12.06 (9).

[52]      De plus, la clause 4.04 de la convention collective S-1 interdit à l’employeur de convenir d’entente individuelle. Passer outre à, ce quatrième refus serait une entente individuelle contraire aux dispositions convenues avec le syndicat.

[53]      Dans un tel cas, l’opinion de l’employeur ne suffit pas et il faut recourir à une expertise médicale. Madame Richard était bien au fait des conséquences de ne pas se rendre à l’hôpital ou de ne pas obtenir un billet médical.

[54]      Pour avoir un portrait global et être conscient des efforts de l’employeur pour sauver l’emploi de la plaignante, l’arbitre devrait rejeter ce moyen préliminaire et entendre toute la preuve.

IV. LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[55]      Les dispositions suivantes de la convention collective S-1 doivent être prises en considération :

3.01.18 Mesures disciplinaires

Pour les fins de la présente convention, une mesure disciplinaire se définit comme étant un avis verbal (constaté par écrit), une réprimande écrite, une suspension, un congédiement ou une réintégration.

4.05 Entente individuelle

Aucune entente individuelle ou particulière contraire ou venant en conflit avec les dispositions de la convention n’est valable à moins d’avoir été approuvée par écrit par le Syndicat. Si une telle approbation n’a pas été obtenue, l’entente est nulle et non avenue et elle ne peut constituer une renonciation à une disposition prévue à la convention dont le salarié n’a pas bénéficié.

5.01 Droits de la direction

Le Syndicat reconnaît à l’employeur le droit à l’exercice de ses fonctions de direction, d’administration et de gestion de son entreprise. Toutefois, l’exercice de ces droits doit être en tout temps compatible avec les dispositions de la convention.

L’employeur a le droit d’établir, modifier et amender les règlements et politiques raisonnables concernant la conduite et le comportement des salariés.

L’organisation du travail et la formation des salariés relèvent directement de l’Employeur.

L’exercice des droits de la direction est sujet en tout temps à la procédure de règlement des griefs et d’arbitrage prévue à la convention.

Article 11 : Mesures disciplinaires

11.01 Principe

1. L’employeur peut réprimander, suspendre, rétrograder, congédier ou licencier tout salarié dont la preuve lui incombe.

2. Lors d’une rencontre à caractère disciplinaire entre l’employeur et un salarié, l’employeur doit aviser le salarié, avant le début de l’entretien, que celui-ci peut, s’il le désire, être accompagné d’un représentant syndical.

11.02 Avis disciplinaire

L’employeur convient d’utiliser les mesures disciplinaires dans un but correctif plutôt que punitif. À cet effet, L’employeur favorise la progression raisonnable des mesures disciplinaires selon la gravité et la fréquence des offenses commises et en tenant compte des circonstances.

Toute mesure disciplinaire doit être faite par écrit ou constatée par écrit (avis verbal). L’avis écrit doit être remis au salarié lors de sa rencontre avec l’Employeur et une copie au représentant syndical au plus tard le lendemain. Cet avis écrit doit mentionner le motif à l’appui de la mesure disciplinaire.

14.03 Disponibilité

Tous les salariés doivent indiquer, par écrit, à l’employeur, leurs disponibilités le premier (1 er ) avril et (1 er ) octobre de chaque année. Si le salarié omet de remettre sa nouvelle feuille de disponibilité, l’employeur maintient les disponibilités connues du salarié jusqu’à la prochaine période.

V. DÉCISION

            La nature de la fin d’emploi

[56]      Le tribunal doit d’abord déterminer si la fin d’emploi de la salariée résulte d’une mesure administrative ou de l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur.

[57]      Il faut ici conclure que la fin d’emploi de madame est un congédiement, soit l’aboutissement du pouvoir disciplinaire de l’employeur pour les motifs suivants.

[58]      Les avis déposés en liasse sous la cote S-3 sont des documents conçus et utilisés par l’employeur. C’est lui qui en a déterminé les paramètres car il ne s’agit pas d’une formule imposée par la convention collective S-1 . Or la formule utilisée parle d’«  avis disciplinaire  » et est signé par le représentant de l’employeur. De plus, le texte même de l’avis décrit le motif de mécontentement (raison de l’avis) et dénonce au salarié visé le remède recherché. Il y a donc une connotation disciplinaire incontournable. Ce seul élément serait insuffisant à lui seul pour établir le caractère disciplinaire de l’action de l’employeur. Mais il y a plus.

[59]      La clause 12.06 (9) de S-1 soulevée par le procureur patronal ne peut être utilisée dans le cas sous étude. Cette clause prévoit la perte d’ancienneté et d’emploi après trois refus sur une période de trois mois.

[60]      L’offre de travail pouvant être faite à des femmes de chambre peut difficilement être soumis à un horaire régulier de travail. Telle offre dépendra du nombre de chambres à faire, s’il s’agit de départs ou de séjours qui se poursuivent et de la propreté relative des chambres à faire. L’horaire sera pour le moins variable de semaine en semaine et en fonction du pourcentage d’occupation.

[61]      La confection des horaires est donc une opération complexe pour l’employeur qui doit s’assurer des standards de propreté et d’hygiène nécessaires en prévoyant le personnel suffisant pour ce faire. C’est dans un tel contexte que les dispositions similaires à celle que l’on retrouve à la clause 14.03 (disponibilité) de S-1 sont négociées. Pour ne pas être astreint à «  faire le tour  » des femmes de chambre pour confectionner les horaires, l’employeur exige une dénonciation des disponibilités.

[62]      Deux fois par année, les salariés devront dénoncer leur disponibilité pour la période prévue. Cette dénonciation, si importante pour la confection des horaires, devient inutile ou inutilisable si les salariés ne respectent pas ce qu’ils ont librement donné comme disponibilité.

[63]      Pour éviter que cette règle du jeu soit faussée, la convention collective prévoit la perte ancienneté après trois refus au cours d’une période de trois mois. La personne doit être assignée pour une journée donnée comme disponible et refuser cette assignation. C’est tout. Les retards ou les absences ne peuvent pas être administrés à partir de cette clause, du moins pas de façon automatique comme le voudrait le procureur patronal. Or, les avis disciplinaires déposés sous la cote S-3 font plus état d’absentéisme que de refus de travailler tel que prévu à la clause 12.06 (9) de S-1 .

[64]      Considérant l’impact d’une telle clause de perte d’emploi, l’interprétation à en donner doit être restrictive et ne pas déborder sûr autres choses qu’un refus. Ce qui m’amène à qualifier l’absence au travail de madame Richard le 5 octobre 2012.

[65]      On en peut pas y voir un refus puisqu’elle était déjà au travail lorsqu’elle demande de quitter. Elle n’a jamais refusé d’entrer pour fournir une prestation de travail. Elle a juste demander de pouvoir quitter parce qu’elle se sentait mal. L’employeur n’avait donc pas le droit de traiter ces évènements corme un refus au sens de la clause 12.06 (9) de S-1 . Il ne peut alors s’agir d’un quatrième refus ni d’une infraction similaire.

[66]      Les évènements du 5 octobre 2012 auraient dû être traités comme une absence pour la preuve entendue m’incite à conclure que l’employeur agissait dans une perspective disciplinaire en demandant un billet médical. Il peut y avoir des occasions où il est légitime pour l’employeur d’exiger d’un de ses salariés la remise un billet médical pour justifier l’absence.

[67]      Toutefois, le 5 octobre, l’employeur était à même de facilement constater l’état de santé de la salariée et a même voulu l’accommoder par des pauses plus longues et en lui aménageant un fauteuil pour qu’elle puisse s’étendre un peu. Dans de telles circonstances l’exigence d’un billet médical devenait injustifiable et la décision de l’employeur devenait disciplinaire.

[68]      Le tribunal conclut donc que la mesure prise à l’encontre de madame pour les évènements du 5 octobre est de nature disciplinaire et ainsi que l’employeur devait agir de façon conforme à la disposition 11 de S-1 .

            La procédure d’imposition des mesures disciplinaires

[69]      La procédure suivie par l’employeur n’est vraiment pas conforme à la convention collective S-1 .

[70]      Plusieurs obligations sont faites à l’employeur pour que celui-ci puisse agir en matière disciplinaire. La première obligation est celle d’aviser le salarié qu’il a le droit d’être accompagné d’un représentant syndical. L’utilisation du verbe « doit » signifie bien, comme l’a souligné le procureur syndical, que la disposition a un caractère impératif à laquelle l’employeur ne peut se soustraire. Elle s’inscrit en toute logique dans l’exercice du monopole de représentation syndicale. Cette obligation n’a pas été rencontrée le 6 octobre 2012.

[71]      La clause 11.02, deuxième paragraphe prévoit de plus que la mesure disciplinaire doit être faite par écrit ou constatée par écrit dans le cas d’un avis verbal. Aucun document ne fut remis à la salariée. Pourtant, un tel document est essentiel, non seulement en vertu de la convention collective mais aussi pour assurer au syndicat l’exercice adéquat de son monopole de représentation et pour assurer le salarié visé d’être traité de façon équitable. L’employeur doit se « commettre » par l’avis, c’est-à-dire dénoncer au salarié les motifs pour lesquels il le congédie. Ainsi, l’employeur fait son lit et ne pourra pas rajouter d’autres motifs ultérieurement pour justifier son action ou la bonifier par des éléments autres. Cette obligation n’a pas été rencontrée le 6 octobre 2012.

[72]      L’avis prévu à la clause 11.02 doit être remis au salarié lors de sa rencontre et une copie doit être remise au représentant syndical au plus tard le lendemain. Il s’agit d’échéances clairement définies et l’utilisation du verbe « doit » signifie tout le caractère impératif de la disposition. Cette obligation n’a pas été satisfaite le 6 octobre 2012 pas plus que les jours subséquents.

[73]      L’avis, toujours selon la clause 11.02, doit mentionner le motif à l’appui de la mesure disciplinaire. Il ne s’agit pas de dénoncer des faits mais de simplement informer le salarié visé et le syndicat qui doit le représenter, le ou les motifs ayant conduit l’employeur à adopter sa position. Cette obligation est restée insatisfaite le 6 octobre 2012.

[74]      Il faut donc conclure que l’employeur a négligé la procédure d’imposition des mesures disciplinaires sur plusieurs aspects essentiels :

1. Défaut d’aviser le salarié d’être accompagné d’un représentant syndical ;

2. Absence d’avis écrit ;

3. Défaut de remettre l’avis au salarié lors de la rencontre et défaut d’en donner copie au représentant syndical au plus tard le lendemain ;

4. Invalidité de l’avis qui ne mentionne pas les motifs à l’appui de ce qu’on doit dorénavant considérer être un congédiement.

[75]      On pourrait également rajouté, compte tenu des conclusions relative au caractère disciplinaire de l’action de l’employeur, que celui-ci a fait défaut de « favoriser une progression raisonnable » et a fait « défaut de tenir compte des circonstances », contrairement à ce qui est prévu au premier paragraphe de la clause 11.02 de S-1 .

[76]      Il faut donc retenir que la mesure prise par l’employeur le 6 octobre 2012 était dans les faits une mesure disciplinaire et que l’imposition de cette mesure ne s’est pas fait conformément à ce qui est prévu à la convention collective S-1 . Reste donc à déterminer les conséquences de tels manquements.

            Les conséquences des manquements à la procédure

[77]      On ne peut pas mettre un terme définitif à l’emploi de quelqu’un sans avis et, comme c’est le cas en l’espèce, sans respecter les dispositions de la convention collective. Cette convention collective S-1 est impérative sur l’obligation faite à l’employeur de fournir, par écrit, les motifs à la base de sa décision de congédier.

[78]      La jurisprudence s’entend pour conclure qu’un tel manquement rend la décision prise par l’employeur nulle ab initio et que le syndicat peut soulever cette nullité à tout moment. En fait, le manquement entraîne la nullité de la mesure disciplinaire et l’arbitre ne peut rien y faire pour redresser la situation.

[79]      Rien ne peut justifier ici l’absence totale d’avis puisque les faits incitant l’employeur à agir lui était connu la veille en avant midi. De toute façon, la rédaction utilisée par les parties ne laisse aucun doute concernant le caractère impératif et indique sans l’ombre d’un doute que l’employeur acceptait d’y voir une obligation formelle. Enfin, la convention collective S-1 ne prévoit pas d’exception à cette règle.

[80]      Dans le but de faire respecter la convention collective et rétablir l’équité, le congédiement doit être annulé.

V. DISPOSITIF

Pour les raisons qui précèdent, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et les autorités soumises par les parties, soupesé les arguments des procureurs et sur le tout délibéré, l’arbitre soussigné :

Accueille le moyen préliminaire du Syndicat ;

Annule le congédiement de la plaignante, madame Kristel Richard ;

Ordonne à l’employeur de réintégrer la plaignante dans son emploi et de lui verser à titre d’indemnité l’équivalent du salaire perdu et des autres avantages dont elle a été privée par le congédiement, le tout avec intérêt et l’indemnité additionnelle prévue au Code du travail ;

De plus, l’arbitre soussigné réserve sa juridiction pour déterminer les sommes dues sur requête d’une des parties.

                                                                             Québec, 31 mai 2013

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS LA FORGE, arbitre

 

Me Sylvain Seney, Melançon Marceau Grenier Sciortino

Pour le Syndicat

 

Me Gilles Fiset, Ouellet Pelletier Fiset

Pour l’Employeur

 

Audition tenue le 29 mai 2013.