Bertrand et Québec (Ministère de la Sécurité publique) |
2013 QCCFP 14 |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIER N°: |
1300964 |
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DATE : |
25 juillet 2013 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
M e Denise Cardinal |
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LINA BERTRAND
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Appelante
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Et
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MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
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Intimé |
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DÉCISION |
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(Article
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[1] M me Lina Bertrand, qui est cadre dans un établissement de détention, conteste la décision du ministère de la Sécurité publique (ci-après appelé le « MSP ») de lui attribuer, pour l’année 2011, qu’une journée de congé en application de l’article 45.1 de la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres œuvrant en établissement de détention à titre d’agents de la paix à l’exclusion des directeurs des établissements de détention [1] (ci-après appelée la « Directive »).
[2] M me Bertrand n’est pas d’accord avec le fait que le MSP retranche les 68 jours où elle s’est absentée du travail, entre le 1 er janvier et le 31 décembre 2011, dans le calcul des deux journées de congé auxquelles elle aurait droit, en application de la Directive.
[3] Pour sa part, le MSP soutient que l’article 45.1 de la Directive lui permet de soustraire toutes les journées d’absence, à l’exception de certaines d’entre elles. Il considère que certaines absences peuvent quand même être considérées comme des journées travaillées.
[4] Étant donné que le litige porte sur l’interprétation de l’article 45.1 de la Directive, il convient de reproduire cette disposition:
« 45.1 Le cadre a droit à un congé avec traitement d’ une durée maximale de 2 jours par année, soit un jour par période équivalant à 5 mois travaillés entre le 1 er janvier et le 31 décembre d’une même année, en raison du contexte particulier dans lequel il exerce ses fonctions .
Ces jours de congé sont utilisés au cours de l'année où ils sont acquis, après entente avec le sous-ministre. Toutefois, lorsque le sous-ministre ne peut autoriser l'utilisation des jours de congé en totalité ou en partie, il remplace chaque jour de congé non utilisé par une allocation d'ambiance établie de la façon suivante :
du 1 er avril 2010 au 31 mars 2011 : 210 $;
du 1 er avril 2011 au 31 mars 2012 : 212 $;
du 1 er avril 2012 au 31 mars 2013 : 214 $;
du 1 er avril 2013 au 31 mars 2014 : 217 $;
du 1 er avril 2014 au 31 mars 2015 : 222 $.
Les articles 58.0.1 à 58.0.4 s’appliquent à cette allocation, en y faisant les adaptations nécessaires.
(en vigueur le 2012-05-15 et a effet depuis le 2012-04-25)
Cette allocation est versée avant le 31 mars de chaque année. »
[Nous soulignons]
[5] Lors de l’audience, le MSP soulève un moyen préliminaire, non annoncé auparavant, portant sur la prescription de l’appel déposé par M me Bertrand. La Commission décide d’entendre quand même la preuve des parties sur le fond du litige. Elle permet en outre à M me Bertrand de soumettre une argumentation écrite au regard du moyen préliminaire, et au MSP d’y répondre, afin de fournir aux parties l’occasion de se faire entendre.
[6] La Commission traite d’abord du moyen préliminaire.
[7] Il ressort de la preuve administrée et des témoignages de M me Bertrand et de M me Amélie Marcheterre, responsable des activités professionnelles et de l’interprétation des conditions de travail au MSP, la trame suivante des événements ayant mené au dépôt de l’appel de M me Bertrand à la Commission.
[8] Selon la coutume, le MSP permet aux cadres d’anticiper au cours de l’année les deux journées de congé, communément désignées la prime d’ambiance, puisqu’il présume qu’ils y auront droit. Une consolidation s’effectue au début de l’année subséquente pour établir toutes les journées d’absence prises par le cadre. C’est ainsi que M me Bertrand remplit un premier formulaire d’autorisation d’absence (A-1, en liasse), au mois d’octobre 2011, pour ces deux journées de congé. Toutefois, au début de février 2012, elle remplit un nouveau formulaire (A-1, en liasse), pour remplacer le précédent, pour ces deux mêmes journées. Elle indique sur ce dernier qu’elle est en attente d’un retour de la direction des services administratifs puisqu’une des deux journées de la prime d’ambiance lui est maintenant refusée.
[9] Le 6 février 2012, la directrice intérimaire de cette direction à son établissement de détention dépose une note (A-2) dans son casier prévu pour le courrier afin de l’informer qu’elle a effectivement droit à une seule journée de congé. Cette note se lit comme suit :
« La présente est pour vous aviser que, conformément à l’article 45.1 de vos conditions de travail, vous avez eu droit à 1 jour(s), et ce pour l’année 2011. Au cours de l’année, vous avez utilisé 1 jour(s) sous le code 136.
À noter que l’octroi de ces jours se fait en fonction du nombre de jours travaillés auxquels sont retranchés les jours d’absence inscrits dans votre dossier d’assiduité. Or, entre le 1 er janvier et le 31 décembre 2011, vous vous êtes absenté(e) du travail à raison de 68 jours sous différents codes d’absence.
Pour tout renseignement supplémentaire, nous vous invitons à communiquer avec madame Lucie Arpin au poste 4411.
[…]. »
[10] Le 6 février 2012 étant un lundi, et tenant compte de l’horaire de travail de M me Bertrand, c’est au plus tard le 13 février 2012 qu’elle aurait pris connaissance de cette note. Elle admet cette situation au cours de son contre-interrogatoire.
[11] Comme M me Bertrand ne comprend pas très bien cette note et qu’elle a un questionnement supplémentaire , selon son témoignage, elle demande d’autres explications.
[12] Le 8 mars 2012, elle reçoit une nouvelle note (A-3) sur le même sujet. Il est utile de reproduire une partie importante de cette note puisqu’elle revêt une certaine importance dans le point de départ du calcul du délai de prescription. Les deux premiers paragraphes se lisent ainsi :
« La présente vise à répondre à votre questionnement concernant le calcul pour l’octroi des congés qui peuvent être consentis sous le code 136.
Ainsi, le calcul est basé sur une prestation de travail de 261 jours à laquelle est réduite presque tous les codes d’absences inscrits à SAGIP à l’exception des heures supplémentaires compensées, des congés spéciaux (code 410) ou des absences pour une participation à une session de formation. La différence est divisée par 22, soit le nombre de jours moyens par mois. Le résultat alors obtenu sert à établir le nombre de jours qui peut être attribué à chaque personne.
[…]. »
[13] Insatisfaite de la décision du MSP, M me Bertrand dépose son appel à la Commission le 21 mars 2012.
[14] Selon le Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective [2] (ci-après appelé le « Règlement »), le recours d’un fonctionnaire, qui se croît lésé par une décision, doit être déposé, en vertu de l’article 3, dans les 30 jours de l’événement qui y donne ouverture . Ce délai est de rigueur.
[15] Selon le Règlement, la procédure pour former le recours est la transmission à la Commission d’une copie de l’avis qu’il a adressé au sous-ministre ou au dirigeant de l’organisme dans lequel il énonce sa contestation de la décision. Le sous-ministre ou le dirigeant d’organisme doit répondre à l’appelant dans les 30 jours de la date de transmission de l’avis. En l’absence de réponse, à l’expiration de ce délai, la Commission inscrit l’appel à son rôle d’audience [3] .
[16]
Par ailleurs, l’article
[17] La position des parties sur la question de la prescription du recours de M me Bertrand, tel qu’il ressort de leur argumentation, se résume ainsi.
[18] Pour le MSP, il est clair que le point de départ du calcul du délai de 30 jours, prévu à l’article 3 du Règlement, pour déposer son appel débute avec la note du 6 février 2012. En tenant compte de l’horaire de travail de M me Bertrand, elle en aurait pris connaissance au plus tard le 13 février 2012. En conséquence, le délai pour déposer son appel expirait le 14 mars 2012. Or, son recours a été acheminé par télécopieur à la Commission le 21 mars 2012. Son appel serait donc en dehors du délai prescrit.
[19] Cette note constituerait le point de départ du calcul du délai de prescription puisqu’il s’agit de la décision contestée par M me Bertrand. Au sens de l’article 3 du Règlement, il s’agit de l’événement qui donne ouverture à son recours.
[20] Selon le MSP, les explications complémentaires dans la note du 8 mars 2012 ne peuvent servir dans le calcul du délai de prescription puisque M me Bertrand ne peut pas faire dépendre ce délai de la complexité de la question. Le MSP cite l’auteur Pierre Martineau [4] qui enseigne que le point de départ de la prescription se situe au jour où le titulaire du droit aurait pu agir pour la première fois. Ainsi, dès qu’elle a pris connaissance de la note du 6 février 2012, M me Bertrand avait suffisamment d’éléments en main pour déposer son appel. Rien ne l’empêchait d’exercer son recours à ce moment-là.
[21]
Par ailleurs, l’attente par M
me
Bertrand d’explications complémentaires
ne la plaçait pas dans une situation où il lui était impossible d’agir au sens
de l’article
[22] Le MSP cite enfin les auteurs Baudouin et Jobin [5] qui expriment que le fait qu’une victime ignore l’étendue du préjudice qu’elle subit ne constitue pas, en soi, une cause valable pour écarter l’application des règles de prescription.
[23] Son argumentation comporte deux éléments : le point de départ du calcul du délai de prescription et la dénonciation tardive de ce moyen préliminaire.
[24] Au regard du calcul du délai de prescription, M me Bertrand soutient que celui-ci doit se faire à partir du moment où le MSP l’informe, dans la note du 8 mars 2012, comment il interprète et applique l’article 45.1 de la Directive. Avec la note précédente du 6 février 2012, elle n’avait pas obtenu toutes les informations utiles à sa contestation. Ce n’est que le 8 mars 2012 que le MSP motive sa décision.
[25] M me Bertrand soutient également que l’article 3 du Règlement réfère à un délai de 30 jours de l’événement, et pas nécessairement de la décision. L’événement serait la deuxième note du MSP.
[26]
Par ailleurs, l’absence de motivation dans la première note la plaçait
dans une situation où il lui était impossible d’agir. C’est pourquoi elle
demande à la Commission d’appliquer l’article
[27] Pour appuyer son argumentation, M me Bertrand cite une décision de la Commission [6] qui présente à son point de vue certaines similarités avec son recours, parce qu’il est question dans cette affaire de deux lettres différentes. La Commission retient la deuxième lettre comme point de départ du calcul du délai de la prescription.
[28] M me Bertrand allègue un deuxième élément portant sur la dénonciation tardive par le MSP du moyen préliminaire sur la prescription puisqu’elle en a été informée uniquement lors de l’audience. Il y aurait ainsi une atteinte au principe de la bonne foi qui doit gouverner les relations entre les parties.
[29]
Elle soutient que cette dénonciation tardive constituerait une
renonciation tacite à se prévaloir de ce moyen de droit, en application de
l’article
[30] M me Bertrand appuie ce deuxième élément sur une décision rendue en 2005, par l’arbitre de grief M e Louis B. Courtemanche [7] , qui avait sanctionné une telle conduite. Il étaye sa conclusion avec une décision qu’il avait rendue précédemment [8] , dans laquelle il dénonçait une situation semblable.
[31] Elle considère enfin qu’elle a été prise par surprise par ce moyen préliminaire.
[32] La Commission s’attarde uniquement aux éléments soulevés dans la réplique du MSP au regard de la dénonciation tardive du moyen préliminaire.
[33]
Le MSP cite tout d’abord l’article
[34]
De plus, le MSP rapporte longuement une décision de la Cour d’appel
[12]
,
dans laquelle elle exprime que la renonciation tacite au droit de soulever la
prescription ne doit pas être équivoque. Elle doit, au contraire, être
suffisamment claire pour qu’on puisse induire une volonté manifeste du débiteur
de renoncer à la prescription. La Cour reproche à l’arbitre d’avoir eu tort de
considérer que l’argument sur la prescription avait été invoqué tardivement
parce qu’il avait été présenté pour la première fois devant lui. En résumé, selon
la Cour, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même en
appel, tel que le prévoit l’article
[35] La Commission traite d’abord du point de départ du calcul du délai de 30 jours de M me Bertrand pour introduire son appel devant la Commission. Selon le libellé de l’article 3 du Règlement qui fixe ce délai, celui-ci débute avec l’événement qui donne ouverture au recours.
[36] Pour M me Bertrand, l’événement se situerait au 8 mars 2012, moment où elle reçoit des informations supplémentaires au sujet de la décision qui lui avait été communiquée dans la note précédente du 6 février 2012. Elle soutient que l’événement ne doit pas nécessairement correspondre à la décision, mais plutôt au moment où elle a suffisamment d’informations sur les raisons qui motivent la décision du MSP.
[37] Bien que l’article 3 du Règlement utilise l’expression événement qui donne ouverture à un recours, l’article 2 de ce même Règlement qui accorde ce droit de recours indique qu’un fonctionnaire qui se croit lésé peut en appeler d’une décision rendue à son égard . Selon toute vraisemblance, l’événement réfère généralement à la décision prise à l’endroit du fonctionnaire.
[38] Pour la Commission, il est manifeste que dès que M me Bertrand prend connaissance de la note datée du 6 février 2012, soit au plus tard le 13 février 2012, selon la preuve administrée, elle est informée de la décision. La note subséquente du 8 mars 2012 ne lui apporte que quelques renseignements supplémentaires sur les codes d’absence inscrits à son dossier qui ne sont pas compilés dans le calcul de ses absences pour déterminer les deux journées de congé pour la prime d’ambiance. Selon l’auteur Pierre Martineau [13] , cité récemment par la Cour d’appel [14] , le point de départ de la prescription est le premier jour où le titulaire du droit aurait pu agir, le jour où il aurait pu pour la première fois prendre des mesures pour faire valoir son droit. Dans la situation de M me Bertrand, rien ne l’empêchait, à partir du moment où elle a pris connaissance de la note du 6 février 2012, d’introduire son appel devant la Commission.
[39] Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M me Bertrand, la décision de la Commission [15] qui traite de deux lettres ne peut lui être utile, car la seule similitude réside dans le nombre de lettres alors que leur contenu était tout à fait différent.
[40]
Enfin, l’attente de quelques semaines de M
me
Bertrand pour
obtenir les informations complémentaires qu’elle avait demandées ne l’empêchait
pas de déposer son appel. Elle ne se trouvait pas dans une situation où il lui
était impossible d’agir. Dans ces circonstances, la Commission ne peut
prolonger le délai de 30 jours fixé dans le Règlement, en application de
l’article
[41] Par ailleurs, contrairement aux prétentions du MSP, le pouvoir de la Commission de prolonger un délai s’applique également à un règlement pris en application de cette loi, comme la Commission l’a déjà exprimé à quelques reprises [16] .
[42] En conséquence, l’appel déposé par M me Bertrand le 21 mars 2012 est en dehors du délai de 30 jours fixé dans le Règlement. Son recours est donc prescrit puisqu’elle avait jusqu’au 14 mars 2012 pour déposer son appel.
[43] Cela étant dit, le fait que le MSP soulève le moyen relatif à la prescription uniquement lors de l’audience constitue-t-il une renonciation tacite de sa part à recourir à ce moyen de droit ?
[44]
L’article
[45]
Tout en omettant de tenir compte de ce principe, M
me
Bertrand
affirme que le MSP aurait tardé à invoquer la prescription et qu’il aurait de
la sorte renoncé implicitement à la soulever, au sens de l’article
[46] Au sujet de la renonciation tacite à la prescription, en s’appuyant sur les auteurs M e Céline Gervais, ainsi que Baudouin et Jobin, la Cour d’appel affirme que la renonciation tacite à la prescription ne doit pas être équivoque. Elle doit, au contraire, être suffisamment claire pour que l’on puisse en induire une volonté manifeste du débiteur qu’il a renoncé à la prescription acquise [17] . Or, il est reconnu que le simple fait que la prescription soit invoquée tardivement en cours d’instance ne suffit pas en soi pour conclure à une renonciation tacite.
[47] Au regard des principes énoncés dans cette décision, de même que dans celles citées par le MSP [18] , les décisions de l’arbitre M e Courtemanche, citées par M me Bertrand [19] , s’éloignent des règles applicables en l’espèce et constituent un cas isolé.
[48] Enfin, M me Bertrand soutient qu’elle aurait été prise par surprise. La Commission ne voit pas comment elle peut soutenir cette prétention. La Commission a autorisé les parties à soumettre leur argumentation par écrit sur cette question après la tenue de l’audience. M me Bertrand a eu entièrement l’occasion de faire valoir ses arguments sur ce moyen préliminaire.
[49] Pour ces raisons, à l’instar de ce que le MSP plaide, la Commission est d’avis qu’il n’y a pas eu de renonciation tacite à invoquer ce moyen préliminaire.
[50] En résumé, la Commission décide que l’appel déposé par M me Bertrand est prescrit et qu’elle ne peut prolonger le délai fixé dans le Règlement puisque M me Bertrand n’était pas dans l’impossibilité d’introduire son appel dès qu’elle a eu connaissance de la décision du MSP.
[51] Bien que cela soit suffisant pour disposer de l’appel de M me Bertrand, la Commission croit utile de décider du bien-fondé de son appel, étant donné la preuve administrée et l’argumentation soumise par les parties.
[52] Comme le litige porte uniquement sur l’interprétation de l’article 45.1 précité de la Directive, les faits mis en preuve sont plutôt simples.
[53] Selon sa fiche d’historique d’absence (I-3), M me Bertrand s’est absentée du travail 71 jours au cours de l’année 2011. Bien qu’elle ait été informée que ses journées d’absence totalisaient 68 jours, dans la note du 6 février 2012 (A-2), cette légère différence ne change pas le résultat de la décision du MSP puisqu’elle aurait toujours droit qu’à une seule journée de congé pour la prime d’ambiance.
[54] M me Marcheterre témoigne que certaines journées d’absence prises par M me Bertrand ne sont pas soustraites dans le calcul de ses journées travaillées. Le MSP considère en effet que certaines journées que M me Marcheterre identifie dans l’historique des absences de M me Bertrand peuvent correspondre en fait à des journées travaillées. Il s’agit premièrement des absences pour compenser des heures supplémentaires accumulées (code 114), pour de la formation ou du perfectionnement (code 520), pour la participation à divers comités en lien avec le travail (code 410) et pour le congé tenant lieu d’allocation d’ambiance (code 136), parce que dans ce dernier cas, cela constituerait un non-sens de les soustraire. Elle affirme que les absences sous ces différents codes constituent un relevé exhaustif des absences qui ne sont pas comptabilisées aux fins du calcul des journées pour la prime d’ambiance. Toutes les autres absences de M me Bertrand ont été comptabilisées.
[55] M me Bertrand ne conteste pas la méthode de calcul utilisée par le MSP, elle requiert uniquement qu’il cesse de soustraire toutes ses autres absences afin d’obtenir ses deux journées de congé pour la prime d’ambiance.
[56] Cette méthode est expliquée dans un document (A-4) réalisé par la direction générale des services de la rémunération du Centre de services partagés du Québec, puisque cet organisme possède un mandat du MSP de procéder au calcul des journées de congé pour la prime d’ambiance.
[57] M me Bertrand est d’avis que le MSP pourrait soustraire les journées d’absence pour le calcul de la prime d’ambiance uniquement si le texte de l’article 45.1 de la Directive comportait le mot effectivement dans l’expression par période équivalent à 5 mois [effectivement] travaillés . Puisque ce mot n’est pas utilisé, le MSP n’est pas justifié de considérer les journées d’absence dans son calcul au cours de cette période. Ainsi, les cinq mois n’ont pas à être effectivement travaillés.
[58] M me Bertrand cite sept autres dispositions [20] de la Directive où le mot effectivement est utilisé dans le contexte où il est question d’heures ou de journées travaillées.
[59] M me Bertrand en conclut que, lorsque la Directive a voulu exclure les absences, le mot effectivement est employé. En conséquence, le MSP avec son interprétation ajoute un mot à l’article 45.1 qui ne s’y trouve pas.
[60] M me Bertrand cite également trois décisions [21] pour appuyer ses prétentions à cet égard.
[61] Elle est d’avis qu’il serait inéquitable que des congés rémunérés soient accordés, comme les vacances ou les congés de maladie, et qu’ils soient ensuite retirés pour le calcul des congés pour la prime d’ambiance.
[62] Pour ces raisons, elle demande à la Commission d’annuler la décision du MSP et de lui octroyer ses deux journées de congé pour la prime d’ambiance en 2011.
[63] L’approche préconisée par le MSP pour l’interprétation de l’article 45.1 est de tenir compte en premier lieu de l’objectif de cette disposition.
[64] Selon le libellé de cette disposition, c’est en raison du contexte particulier dans lequel il [le cadre] exerce ses fonctions que les deux journées de congé pour la prime d’ambiance sont accordées. Ainsi, un cadre peut en bénéficier pourvu qu’il soit exposé à ce contexte particulier. Il doit donc y avoir une exposition significative pour pouvoir revendiquer cet avantage.
[65] Quant à la durée de cette exposition au contexte particulier, elle doit se calculer selon les paramètres établis dans cette disposition. L’accumulation de la durée maximale de deux jours de congé se fait sur la base d’une année. Au cours des 12 mois, il doit y avoir 10 mois travaillés pour pouvoir accumuler les deux journées. Cette façon de procéder permet en quelque sorte de considérer qu’au regard de chaque période de six mois, il est possible de s’absenter un mois, sans subir de pénalité. Ainsi, le libellé de l’article 45.1 tient compte d’un niveau « normal » d’assiduité au travail.
[66] Selon le MSP, l’approche préconisée par M me Bertrand fait en sorte que les journées de congé pour la prime d’ambiance soient accordées en fonction du lien d’emploi plutôt que de la présence au travail, contrairement au texte de la disposition.
[67] Par ailleurs, le MSP répond à l’argument concernant la présence du mot effectivement dans d’autres dispositions de la Directive pour interpréter l’article 45.1 de celle-ci. Il cite l’auteur Pierre-André Côté qui critique le principe d’interprétation qui crée une présomption que dans un texte législatif le même terme a partout le même sens tout au long du texte. En s’appuyant sur des décisions des tribunaux supérieurs, dont la Cour suprême, l’auteur considère que le principe de l’uniformité d’expression ne se présente pas comme un guide infaillible . Il ajoute, en citant l’extrait suivant d’une décision de la Cour suprême, que cette présomption est faible et qu’elle présuppose un niveau de qualité dans la rédaction qui, de toute évidence, n’est pas toujours atteint : cette règle d’interprétation ne constitue qu’une présomption et, de surcroît, une présomption qui n’a guère de poids [22] .
[68] Enfin, le MSP cite une décision [23] d’un arbitre de grief qui à son avis présente certaines similitudes avec la présente affaire. Il croit qu’il est possible de faire un parallèle avec la prime d’ambiance qui s’acquiert en étant exposée au travail avec l’avancement d’échelon qui nécessite la présence au travail pour procéder à l’évaluation du rendement qui permet l’avancement d’échelon.
[69] Le litige porte sur l’interprétation du premier alinéa de l’article 45.1 de la Directive. Pour faciliter la compréhension de l’analyse de la Commission, il est approprié de le reproduire de nouveau :
« 45.1 Le cadre a droit à un congé avec traitement d’ une durée maximale de 2 jours par année, soit un jour par période équivalant à 5 mois travaillés entre le 1 er janvier et le 31 décembre d’une même année, en raison du contexte particulier dans lequel il exerce ses fonctions .
[..]. »
[Nous soulignons]
[70] La contestation de M me Bertrand de la décision du MSP au regard de l’application de cette disposition soulève la question suivante : le MSP est-il autorisé à soustraire ses journées d’absence dans son calcul pour déterminer son droit à ces deux journées de congé pour la prime d’ambiance ?
[71] L’approche préconisée par M me Bertrand pour répondre à cette question s’appuie essentiellement sur l’absence du mot effectivement dans la règle formulée ainsi: une durée maximale de deux jours par année, soit un jour par période équivalent à cinq mois travaillés entre le 1 er janvier et le 31 décembre d’une même année. Comme cette règle ne mentionne pas que les cinq mois doivent être effectivement travaillés, M me Bertrand soutient que ses journées d’absence ne doivent pas être soustraites. Elle reproche au MSP d’ajouter un mot à l’article 45.1 pour justifier l’application qu’il en fait. Elle se réfère à d’autres dispositions de la Directive où ce mot est employé.
[72] De son côté, le MSP préconise une interprétation de l’article 45.1 qui tient compte du contexte de cette disposition qui octroie un avantage compte tenu de la présence au travail. Il ajoute également qu’il faut appliquer la règle édictée dans cette disposition à l’égard des cinq mois travaillés, laquelle tient compte d’une assiduité normale au travail représentant cinq mois sur six.
[73] La Commission ne peut retenir la thèse de M me Bertrand qui présente certaines failles dans son interprétation de la règle formulée à l’article 45.1. Tout d’abord, elle reproche au MSP d’ajouter un mot à cette disposition, alors qu’elle-même ignore complètement la règle qui prévoit une durée maximale de deux journées de congé par année, par période équivalent à cinq mois travaillés entre le 1 er janvier et le 31 décembre. En ne s’attardant qu’à l’absence du mot effectivement , elle en oublie la règle, en plus de la rendre inutile. Son omission lui fait en outre perdre de vue le but recherché par les deux journées de congé pour la prime d’ambiance, comme l’exprime cette disposition, qui sont accordées en raison du contexte particulier dans lequel [le cadre] exerce ses fonctions.
[74] De plus, M me Bertrand n’apporte pas d’explication sur la façon dont il serait possible de concilier l’absence de soustraction de ses journées d’absence avec l’application de la règle prévue à l’article 45.1. Il appert en effet que la règle d’attribution des journées de congé est formulée sur une base annuelle qui tient compte de cinq mois travaillés sur six. Or, pour la Commission, la seule manière que cette règle puisse produire son effet est de prendre en considération le dossier d’assiduité du cadre comme le fait le MSP.
[75] Son interprétation s’appuie essentiellement sur la présence du mot effectivement dans d’autres dispositions de la Directive. Or, le MSP cite avec justesse l’auteur Pierre-André Côté qui accorde peu d’importance au principe d’interprétation de l’uniformité d’expression dans un texte législatif. Il se réfère notamment à une décision de la Cour suprême qui qualifie cette règle d’une présomption qui n’a guère de poids [24] .
[76] En raison du peu de valeur de cet argument, la Commission ne croit pas utile de procéder à une analyse approfondie des autres dispositions de la Directive citées par M me Bertrand où le mot effectivement est utilisé. Cependant, elle tient à préciser que l’emploi de ce mot dans celles-ci s’explique vraisemblablement par le contexte où il est employé et, surtout, par le fait qu’il n’y a pas de règle de calcul semblable à celle énoncée à l’article 45.1 de la Directive.
[77] De plus, les décisions citées par M me Bertrand [25] pour soutenir ses prétentions ne lui sont d’aucun secours puisque les dispositions analysées dans celles-ci ne présentent pas de similitude avec le libellé de l’article 45.1 de la Directive, en plus de ne pas comporter une règle qui s’apparente à celle de cette dernière disposition.
[78] Enfin, la Commission constate que l’application faite par le MSP de l’article 45.1 au regard des absences qui ne sont pas comptabilisées dans son calcul est tout à fait cohérente avec la règle édictée dans cette disposition puisque ces absences peuvent correspondre à du temps travaillé.
[79] En conséquence, la Commission est d’avis que même si M me Bertrand avait présenté son appel à l’intérieur du délai fixé dans le règlement, elle ne l’aurait pas accueilli.
[80] POUR CES MOTIFS , la Commission accueille le moyen préliminaire portant sur la prescription de l’appel de M me Lina Bertrand et ajoute que, si l’appel avait été introduit à l’intérieur du délai prescrit, la Commission l’aurait rejeté.
Original signé par :
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________________________________ M e Denise Cardinal, Commissaire |
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M e Christine Beaulieu |
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Procureure pour l’appelante |
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M e Annick Dupré |
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Procureure pour l’intimé |
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[1] C.T. 170451 du 11 avril 1989 et ses modifications.
[2] c. F-3.1.1, r.5.
[3] Voir les articles 4 et 5 du Règlement.
[4] MARTINEAU, Pierre. La prescription , Montréal, P.U.L., 1977, p. 251.
[5] BAUDOUIN, Jean-Louis, et Pierre-Gabriel JOBIN. Les Obligations , 6 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 1116-1117.
[6] St-Martin c. Ministère de la Justice , [2002] 19 n o 1 R.D.C.F.P. 45.
[7]
L’Union
des employé(e)s de la restauration, les Métallurgistes unis d’Amérique, section
locale 9400
et
Montréal Aéroport Hilton Ltée
, Tribunal d’arbitrage,
[8]
Travailleurs
unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501
et
Bois et
Placages généraux limitée
, sentence arbitrale,
[9]
GERVAIS,
Céline.
[10] Association de l’enseignement du Nouveau-Québec et Commission scolaire Kativik , 5113 98 07791, sentence arbitrale, 9 août 2005, Ginette Gosselin, arbitre.
[11] Les Industries Amisco Ltée et Le Syndicat des Salarié-e-s des Industries Amisco Ltée (CSD) , sentence arbitrale I-292-05, 14 août 2007, M e Richard Marcheterre, président.
[12]
Commission
administrative des régimes de retraite et d’assurances (CARRA)
c.
Denis
Turbide et al.,
[13] Précité, note 4.
[14] Précité, note 12.
[15] Précitée, note 6.
[16] Breton c. Société de l’assurance automobile du Québec , [2006] 23 n o 3 R.D.C.F.P. 599, par. 62 et ss; Gauthier et al. c. Secrétariat du Conseil du trésor , [2006] 23 n o 3 R.D.C.F.P. 629, par. 110.
[17] Précitée, note 12, par. 56.
[18] Précitées, notes10 et 11.
[19] Précitées, notes 7 et 8.
[20] Il s’agit des articles 38, 60, 61.1, 62, 114, 115.32.1 et 116.7.1.
[21]
Syndicat
des agents de la paix en services correctionnels du Québec
et
Gouvernement
du Québec - Sécurité publique
,
[22]
CÔTÉ,
Pierre-André.
[23] Gouvernement du Québec, Ministère du Revenu et Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec , sentence 401, 7 mai 1986, M e Michel Bolduc, arbitre.
[24] Précité, note 22.
[25] Précitées, note 17.