Vandemoortele Dame c. Corporation du parc linéaire du Petit train du Nord |
2013 QCCQ 9355 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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LOCALITÉ DE |
SAINT-JÉRÔME |
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« Chambre civile » |
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N° : |
700-32-025091-115 |
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DATE : |
14 AOÛT 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
JIMMY VALLÉE, J.C.Q. |
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MARIA VANDEMOORTELE DAME
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Demanderesse |
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c. |
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CORPORATION DU PARC LINÉAIRE DU PETIT TRAIN DU NORD
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Madame Maria Vandemoortèle Dame («Dame» [1] ) réclame 7 000 $ à la Corporation du parc linéaire du petit train du nord («Corporation») pour des dommages qui lui ont été occasionnés suite à une chute en vélo dont elle attribue la responsabilité à la Corporation.
Questions en litige
[2] La Corporation a-t-elle commis une faute ou été négligente ? Si oui, les dommages occasionnés sont-ils la conséquence directe de cette faute ou négligence ?
Les faits pertinents à la solution du litige
En demande
[3] Le 20 septembre 2009, Dame circule à vélo avec sa sœur Marie-Rose sur la piste cyclable de la Corporation. La température est idéale pour une promenade à vélo et la piste cyclable est conséquemment « très très achalandée », pour reprendre les termes de Dame. Elle connaît bien cette piste cyclable pour l'avoir utilisée chaque année, et ce, depuis environ les huit dernières années.
[4] Alors qu'elles arrivent dans le secteur du kilomètre 32, sa sœur la précède et elle rencontre trois adolescents qui circulent en sens inverse un à côté de l'autre. Dame les croise également et leur demande de respecter le «code des cyclistes», notamment de circuler un derrière l'autre, ce à quoi ils ne répondent pas favorablement.
[5] Au moment de commencer à descendre la pente se trouvant devant elle, elle voit des gens qui circulent à sa droite (même direction) et à sa gauche (à contresens). Elle regarde son odomètre en descendant et constate qu'elle roule à 15 kilomètres/heure. Elle voit alors un «talus de poussière de roche ou de petites roches» devant elle, ce qui a pour effet de la surprendre.
[6] Elle a également peur en raison d'un ravin qui se trouve à la fin de cette pente, lequel n'est protégé par aucun garde-corps. Après avoir effectué certaines manœuvres pour se replacer au centre de la piste, elle fait une vilaine chute et perd conscience. Elle est ensuite transportée à l'hôpital par ambulance.
[7] Les dommages qu'elle réclame se chiffrent à 6 988 $, incluant une perte salariale de l'ordre de 4 500 $, et ils ne sont pas contestés par la Corporation qui soutient plutôt l'absence de faute et, en conséquence, l'absence de responsabilité.
[8] Dame soumet au Tribunal divers arguments en ce qui a trait à la sécurité des lieux. Elle s'explique difficilement pourquoi il n'y avait aucun panneau de signalisation indiquant qu'il fallait circuler à la file indienne ou encore pourquoi il n'y avait aucun patrouilleur à l'endroit de sa chute.
[9] Il en va de même de la question de l'absence de transmission de l'information relative à l'accident par le service de police à la Corporation, laquelle n'a été informée de l'incident que plusieurs mois après sa survenance.
[10] À une question du Tribunal lui demandant de préciser ce qu'elle entendait par un talus, Dame illustre avec ses mains une hauteur d'environ trois ou quatre pouces.
[11] Monsieur Ghyslain Patry, alors sergent à la Sûreté du Québec, témoigne et explique qu'à cet endroit, il y a une pente descendante continue d'une moyenne de 4 % pendant environ 14 kilomètres.
[12] De son côté, madame Marie-Rose Vandemoortèle explique au Tribunal qu'elle accompagnait sa sœur. Comme elle la précédait de plusieurs mètres, elle n'a pas vu ce qui est arrivé. Elle attendait sa sœur en bas de la côte. Elle est remontée à pied après un certain temps et a constaté que sa sœur avait chuté. Elle était par terre au milieu de la pente.
En défense
[13] Monsieur Mathieu Aubin représente la Corporation. Il indique au Tribunal que la Corporation entretient cette piste cyclable longue de 232 kilomètres. Aucune anomalie n'a été rapportée à la corporation lors de cette journée, ni à l'endroit de la chute, ni ailleurs.
[14] Cette piste est patrouillée tous les jours, notamment par des bénévoles. En ce qui a trait aux garde-corps, il précise qu'il y en a à certains endroits jugés plus à risque. La Corporation dit avoir en tout temps agi en bon père de famille en procédant à l'inspection et à l'entretien de la piste.
[15] Monsieur Pierre Léger est l'expert en sinistre représentant l'assureur de la Corporation. Il fait ressortir certaines contradictions entre le témoignage de madame à l'audience et celui donné par écrit lorsqu'il l'a rencontrée le 17 mai 2010.
[16] Il attire par ailleurs l'attention du Tribunal sur le témoignage par écrit de monsieur Patrick Dumont, témoin indépendant qui venait de croiser Dame sur la piste cyclable lorsque celle-ci a chuté. Le Tribunal reproduit ici les principaux extraits pertinents de ce témoignage :
« C'était une belle journée ensoleillée (…)
La piste était pas mal achalandée (…)
À un certain moment, j'ai vu un premier vélo arrivé. Moi et mon épouse étions côte à côte. Ce vélo roulait très vite et sortait de la courbe. La dame nous dépassa. Par la suite et aussitôt j'ai vu un deuxième vélo sur lequel prenait place une dame. Ce vélo sortait de la courbe et filait vite. Se dirigeant vers nous, la dame voulut reprendre sa droite. La manœuvre de se diriger vers nous nous forçait à nous tasser. La cycliste se dirigeant vers sa droite voulue reprendre de la piste, mais était en bordure de la piste du côté droit elle chuta. Par contre, étant donné qu'elle nous avait dépassés, nous ne l'avons pas vu tomber. Ce que nous pouvons affirmer par contre c'est que cette cycliste circulait vite, sortait d'une courbe, se dirigeait vers nous pour par la suite se diriger vers sa droite. C'est suivant cette manœuvre que nous avons entendu le bruit de la chute.»
[17] Ce même monsieur Dumont est resté sur les lieux et a immédiatement porté assistance à madame, ayant été décrit à l'audience comme un bon samaritain.
Analyse et décision
[18]
Le recours exercé par Dame se fonde sur la responsabilité civile de la
corporation, dont la pierre angulaire se retrouve à l'article
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
(…)
Le fardeau de preuve
[19] L'article 2803 C.c.Q énonce que celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
[20]
Il impose donc à Dame le fardeau de prouver les allégations contenues
dans sa demande et ce, par prépondérance de preuve, puisque l'article
[21] Ces dispositions permettent au Tribunal d'apprécier la preuve présentée de part et d'autre par les parties, afin de déterminer si, effectivement, l'existence d'un fait est plus probable que son inexistence.
Le droit
[22] La Corporation est tenue à une obligation de moyens et non de résultat. Le regretté juge Archambault s'exprimait ainsi, en 2000:
La jurisprudence et la doctrine enseignent que le responsable d’une installation sportive a un devoir de sécurité envers les usagers de ces installations. Il doit prendre des mesures raisonnables pour empêcher les accidents prévisibles dans les circonstances, et non tous les accidents possibles. [2]
[23] Comme nous le rappelle le juge Richard Landry [3] , la doctrine et la jurisprudence établissent certains principes généraux qui guident les tribunaux dans l'analyse des cas divers qui leur sont soumis:
- une municipalité n'est pas l'assureur des personnes qui se déplacent sur son territoire [4] , notamment dans ses parcs, terrains de jeux et pistes cyclables;
- toutefois, elle doit agir de manière prudente et diligente pour éviter des accidents difficilement prévisibles par les usagers [5] ;
- ainsi, elle peut être tenue responsable des dommages causés par la présence d'un « piège » (danger caché) [6] ;
- ceux qui pratiquent des activités sportives doivent pour leur part assumer les risques inhérents à ces activités et ils ne peuvent s'attendre à ce que les lieux soient aménagés de façon parfaite [7] ;
[24] Quant à cette notion de piège, elle constitue une des situations de fait dont la présence est parfois susceptible d'être imputable à la faute du responsable des lieux. Bien que souvent difficile à définir avec précision, le piège est généralement une situation intrinsèquement dangereuse que le responsable des lieux tolère. [8]
Application
[25] La preuve administrée en demande en ce qui a trait à l'existence d'un piège, ou d'une situation dangereuse, ne l'a été que par le témoignage de Dame elle-même. Personne d'autre n'a vu le talus auquel elle fait référence.
[26] Par ailleurs, elle ne l'a vu que très brièvement, en descendant la côte, alors qu'elle était debout sur son vélo, qu'elle roulait à 15 kilomètres à l'heure, qu'il y avait des gens à sa droite et à sa gauche, qu'elle voyait et craignait le ravin non protégé par une clôture au bas de la pente et qu'elle tentait certaines manœuvres pour revenir vers le centre de la piste.
[27] Elle affirme à l'audience qu'elle circulait à 15 km/h, alors que dans sa déclaration écrite et signée le 17 mai 2010, elle mentionne à deux reprises que sa vitesse était de 5 à 10 km/h. Dans cette même déclaration, elle écrit que, lorsqu'elle a vu les trois ados qui montaient sans se tasser, elle a donné un léger coup de roue à droite, puis un autre coup de roue pour revenir vers sa gauche. Elle a ensuite vu l'amas de sable ou gravier, puis mis les freins et fait un «vol plané».
[28] Comment expliquer la présence de ce que madame décrit comme un amas de poussière de roche sur la piste alors que celle-ci est très achalandée? Plusieurs vélos ont nécessairement circulé à cet endroit dans les secondes précédant la présence de madame et aucun d'eux n'a été incommodé. Avec une telle affluence, ce talus aurait bien rapidement été aplani par tous les autres vélos passant par là.
[29] Qui plus est, comment la présence de poussière de roche ou de petites roches sur une piste cyclable qui est justement faite de poussière de roche peut-elle constituer un piège?
[30] Le Tribunal ne peut reprocher à la Corporation quelque faute ou négligence que ce soit dans les circonstances de la présente affaire, étant plutôt d'avis que ce sont les manœuvres effectuées par madame qui ont causé sa malencontreuse chute.
[31] Le Tribunal ne retient pas la responsabilité de la Corporation.
[32] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[33] REJETTE la demande;
[34] CONDAMNE Maria Vandemoortèle Dame à payer à la Corporation du parc linéaire du petit train du nord la somme de 194 $, représentant les frais judiciaires de sa contestation.
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__________________________________ JIMMY VALLÉE, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
5 AOÛT 2013 |
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[1] L'utilisation des seuls noms de famille dans le présent jugement a pour seul but d'alléger le texte et ne doit aucunement être interprété comme un manque de courtoisie à l'égard des personnes concernées.
[2] Trahan c. MRC des Laurentides et Société des parcs et équipements régionaux des Laurentides , 9 mai 2000, C.S. Terrebonne, n o 700-05-004202-978, 9 mai 2000, j. Archambault, p. 14.
[3]
Walsh
c.
Joliette (Ville de)
[4]
HÉTU, DUPLESSIS et PAKENHAM,
Droit Municipal - Principes généraux et
contentieux
, 1998, Longueuil, Gestion Jestu inc. 1398 pages (aux pages 475
et 1103;
Cité de Granby
c.
Delaney
[5]
Droit Municipal,
Op.cit.
, note 1, aux pages 1016, 1105;
Québec-Téléphone
c.
Lebrun
[6]
Rubis
c.
Gray Rocks Inn Ltée
[1982] 1 R.C.S. 466;
Girard
c.
Ville de Québec
[7]
Droit Municipal,
Op.cit.
, note 1, à la page 1103;
Ville de Shawinigan
Sud
c.
Ménard
[8]
Rubis
c.
Gray Rocks Inn Ltd.
,
1982 CanLII 17 (CSC)
,