Jolicoeur c. Optique Laurier

2013 QCCQ 10435

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

HULL

LOCALITÉ DE

GATINEAU

« Chambre civile »

N° :

550-32-020251-127

 

 

 

DATE :

30 août 2013

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SOUS LA PRÉSIDENCE  DE L’HONORABLE MAURICE ABUD, J.C.Q.

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FERNANDE JOLICOEUR , […] , Gatineau (Québec) […]

 

Partie demanderesse

c.

 

OPTIQUE LAURIER , 295, boul. St-Joseph, Gatineau (Québec) J8Y 3Y5

 

           Partie défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]            La partie demanderesse, Fernande Jolicoeur, réclame de la partie défenderesse, Optique Laurier, un montant de 1 083 $ à titre de dommage.

[2]            Fernande Jolicoeur témoigne que 5 mois après l'achat d'une paire de lunettes, la teinte a disparu et celle-ci a dû être envoyée à trois reprises au laboratoire pour réparation. La première fois parce que la teinture avait disparu, la deuxième fois pour ajuster le reflet et la troisième était pour réparer les rayures et la dernière fois lorsque les lunettes sont revenues, la force n'était plus la même.

[3]            Elle soutient que Optique Laurier est responsable puisque son travail est de faire l'examen de la vue, et les lunettes prescrites doivent être adaptées à la vue de son client. Or, ajoute-t-elle : « Optique Laurier refuse de remédier à la situation après avoir été mis au fait, quant à cette problématique ».

[4]            Elle soutient que Optique Laurier est responsable et réclame un montant de 638 $ pour la paire de lunettes qu'elle s'est procurée le 16 novembre 2010, 220 $ pour une nouvelle monture qu'elle n'a pas reçue, 75 $ pour un acompte et 150 $ pour dommages et intérêts.

[5]            En défense, on soutient que depuis novembre 2010, Optique Laurier a donné le meilleur service et beaucoup plus à la demanderesse Fernande Jolicoeur. Elle a été très bien servie, jamais elle ne s'est plainte à propos d'un remboursement ou leur a-t-elle fait des menaces de poursuites judiciaires, jusqu'à ce qu'on lui indique qu'elle n'aurait plus de lunettes gratuites.

[6]            Lors de son témoignage, la gérante de l'entreprise reprend en quelque sorte la défense écrite qu’elle a déposée au dossier où il est fait mention que :

"Nov. 16,2010 - Customer came for an exam with Dr. Donabedian she purchase frames $120.00 and lenses $518.00.

June 2,2011 - Customer came back claiming the Transition is not working and that the lenses are hard to clean with the anti-reflection coating that was put on. We made new lenses for her no charge. She did not have any complaints at this point about her vision.

June 28, 2011 - Customer came in complaining that she does not like her frame which she purchased Nov. 16, 2010 this in 7 months later so to satisfy her we change her frame for her and only charge her the price difference because she chose a more expensive frame $220.00. Also again we made her new lenses at our cost to fit this frame. The new frame she chose was a smaller one so I explain to her more that once that because the frame is smaller that the progressive lenses change more rapidly which means that she may have to move her head more also for reading she would have to lower her head more not just lower her eyes or else she would be looking under the frame. She wanted a smaller frame anyways so I noted it in her file because I felt that she should of stayed with a bigger frame.

August 24, 2001 - customer came back she felt there was something wrong on lens so I check the lenses and notice that the lab made an error in one lense. I called up the lab and they agreed to redo both lenses at no charge to match the tint.

September 28, 2012 -  Customer came back saying that she had another exam and her perscription has change. So again to satisfy her we made new lenses at no charge even though a doctors change at no charge is three months which means Laurier Optical took the cost.

March 28, 2012 - Customer came back saying that she had an Operation I beleive it was an Cataract Operation but I am not sure so she could not see well with her glasses. Than she insisted of having her lenses redone at no charge. I explain to her that we have bent over backwards for her and that there has to be a limit but again to satisfy her I told her that instead of charging her $538.00 for her lenses I am willing to give her a discount and only charge her $264.00 she agreed and gave me $75.00 deposit. When we called her to let her know that her glasses are ready she said tome that she would only pick up hers glasses if she does not have to pay the balance. I could not beleive that after all that we have done for her she had the nerve to say this to me. So I gave up and told her to come and pick up her deposit and go else wear because unfortunately it seems that nothing will satisfy her."

DROIT APPLICABLE

[7]            Il est utile, sinon essentiel, de rappeler ici les articles 2803 et 2804 C.c.Q. qui prévoient que :

2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

 

2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[8]            Ducharme nous apprend que, lorsque la preuve offerte n'est pas suffisamment convaincante, ou encore si la preuve est contradictoire et que le juge est dans l'impossibilité de déterminer où se situe la vérité, le sort du procès va se décider en fonction de la charge de la preuve: celui sur qui reposait l'obligation de convaincre perdra [1] .

[9]            Jean-Claude Royer, pour sa part, précise dans son traité sur la preuve civile que la partie qui a le fardeau de persuasion perd son procès si elle ne réussit pas à convaincre le juge que ses prétentions sont fondées [2] .

[10]         L'expression « fardeau de la preuve  signifie l'obligation pour une partie de faire la démonstration du bien-fondé de son droit, de ses prétentions et des faits allégués et d'en convaincre le Tribunal.

[11]         Le « contrat » ici conclu entre un opticien ou un optométriste et sa cliente, en est un de « service » au sens de l'article 2098 C.c.Q. :

«  2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer. »

[12]         En vertu de l'article 2100 C.c.Q., le « prestataire » est tenu :

«  d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure. »

[13]         L’obligation d’un opticien d’ordonnance tout comme celle d’un médecin ou autre professionnel de la santé en est une de moyen.

[14]         Il assume l’obligation de fournir au client des verres susceptibles d’améliorer sa vision.

[15]         Il est :

« (…) tenu d’agir avec prudence et diligence en vue d’obtenir le résultat convenu, en employant tous les moyens raisonnables, sans toutefois assurer le créancier de l’atteinte du résultat 191 . » [3]

[16]         Pour établir que la défenderesse, en l’occurrence l’opticien d’ordonnance, a failli à la tâche, le demandeur, doit faire la preuve que le débiteur :

« (…) n'a pas employé les moyens qu'un médecin normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances de fait, et compte tenu des données acquises de la science, aurait utilisés pour parvenir à la guérison. (…). » [4]

[17]         Il appartenait à la partie demanderesse Fernande Jolicoeur, d'établir que Optique Laurier n’a pas pris les moyens pour lui donner satisfaction.

[18]         Elle a fait défaut de le faire.

[19]         À plusieurs reprises, entre la date d'achat des lunettes le 16 novembre 2010 et le 28 mars 2012, elle s'est plainte, mais à chaque fois, Optique Laurier, a répondu à ses attentes.

[20]         Le 16 novembre 2010, Fernande Jolicœur a acheté des lunettes au prix de 638 $. La garantie qui accompagnait l'achat était de 3 mois pour la satisfaction visuelle et un an sur la monture et les verres couvrant des dépôts du produit avec usage normal.

[21]         Dans sa lettre du 18 mai 2012, Fernande Jolicœur écrit dans le premier paragraphe que tout a bien été jusqu'à la fin d'avril 2011. Cinq (5) mois après l'achat, elle trouve que la teinte des lunettes a disparu. Optique Laurier convient de les refaire sans frais sous garantie. Elle a alors voulu changer de monture et a accepté de payer un surplus de 220 $. Les améliorations de la vue qu'elle mentionne et qu'elle trouve que les lunettes sont trop fortes, s'expliquent par un début de cataractes nucléaires, une condition présente dans les yeux de la patiente et dont personne n'est responsable et dont la progression est difficile à prédire.

[22]         En effet, madame Jolicœur a vu un ophtalmologiste en novembre 2011 et les cataractes ont été confirmées. Elle a consenti à une chirurgie pour ses cataractes dans les deux (2) yeux. Ceci apporte dans presque tous les cas, un changement de la prescription des lunettes postopératoire.

[23]         Enfin, les lunettes vendues à Fernande Jolicœur, le 16 novembre 2011, étaient de bonne qualité. Elle les a utilisées sans problème jusqu'en avril 2011. Le défaut possible de la teinte a été remplacé sous garantie et elle a voulu elle-même changer de monture et accepter de payer un prix pour la nouvelle monture.

[24]         Bien que sur cet aspect, la preuve soit contradictoire, mais le Tribunal s'en réfère plutôt à la preuve de la défense qui précise que madame a été bien avertie que les lunettes plus petites pouvaient être problématiques.

[25]         De plus, selon la preuve, les changements de sa vision sont survenus quelque temps après un début de cataracte dont Optique Laurier n'est pas responsable.

[26]         Enfin, la vente de lunette en novembre 2010, ne constitue pas un service continu, surtout que les changements visuels sont apparus plus de 10 mois après.

[27]         Bien que le Tribunal en arrive à la conclusion que le recours de la partie demanderesse doit être rejeté, il n'en demeure pas moins que Optique Laurier devra lui rembourser le montant de 75 $ qu'elle a versé en acompte pour une paire de lunettes qu'elle n'a pas reçue.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE partiellement la demande de la partie demanderesse;

CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 75 $ le tout avec les frais judiciaires de 103 $.

 

 

 

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MAURICE ABUD, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

30 juillet 2013

 



[1]      Léo DUCHAMRE, Précis de la preuve , 5 e édition, Montréal, Wilson & Lafleur, no. 58.

[2]      Jean-Claude ROYER, La preuve civile , 2 e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, no 190, p. 109.

[3]      Jean-Louis Baudouin, Pierre-Gabriel Jobin , Les obligations , 6 e éd., Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2006, p. 37-38, no. 34.

[4]      Id. , p. 41.