COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-2000-1961

Cas :

CM-2012-6556

 

Référence :

2013 QCCRT 0446

 

Montréal, le

19 septembre 2013

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Karine Blouin, juge administrative

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Michel Grenier

 

Plaignant

c.

 

Syndicat canadien des communications,

de l’énergie et du papier, section locale 3057

Intimé

et

 

Tembec industries inc. (G.P.F.)

Usine de La Sarre

 

 

          Mise en cause

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DÉCISION

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[1]            Le 20 décembre 2012, Michel Grenier (le plaignant ) dépose une plainte en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ) contre le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 3057 (le syndicat ) à qui il reproche d’avoir manqué à son devoir de représentation à son endroit en retirant un grief qu’il avait déposé pour contester l’attribution d’un poste à un salarié qui détenait moins d’ancienneté que lui.

[2]            Le syndicat nie avoir manqué à son devoir de représentation envers le plaignant et soutient avoir retiré le grief parce que le plaignant n’a subi aucune perte monétaire et qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’ensemble des salariés de l’unité de négociation de le porter en arbitrage.

[3]            Le 23 mai 2013, la Commission tient une conférence préparatoire. Il y est convenu du déroulement des audiences.

[4]            Le 3 juin 2013, les parties acceptent de procéder sur dossier et de transmettre leurs arguments à la Commission, par écrit.

question en litige

[5]            Le syndicat a-t-il manqué à son devoir de représentation en ce qu’il a agi de mauvaise foi, ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ou fait preuve de négligence grave en se désistant du grief du plaignant?

Les faits

[6]            Dans la semaine du 14 au 20 octobre 2012, un  poste temporaire d’une semaine est ouvert chez Tembec industries inc. (G.P.F.) Usine de La Sarre (l’ employeur ). Selon le plaignant, le poste a été accordé à un autre salarié alors qu’il aurait dû l’obtenir, compte tenu de son ancienneté. Le 22 octobre 2012, il dépose le grief suivant :

Nature du grief : Violation de la convention collective de l’article 11.02 d) et tout article s’y rattachant.

Règlement recherché : L’employeur respect l’ancienneté et compensation de 250$.

(Reproduit tel quel)

[7]            Le 5 décembre suivant, le syndicat se désiste de ce grief. Le plaignant s’oppose à ce désistement et veut que son grief soit entendu. Il prétend que le syndicat ne pouvait s’en désister de la manière dont il l’a fait, d’autant plus que le président de la section locale lui a dit qu’il avait raison.

[8]            Le syndicat affirme avoir analysé la situation avant de retirer le grief. Le président du syndicat, Jacques Vallière, a procédé à une vérification auprès de la direction des ressources humaines au sujet de la situation visée par le grief, ce que l’employeur confirme.

[9]            Marjolaine Lépine, surintendante aux ressources humaines, lui a alors expliqué que l’assignation a été accordée à un autre salarié en raison de la «  bonne marche des opérations  » puisque, monsieur Grenier devait s’absenter les mardi et jeudi de la semaine de l’assignation, ce qui pouvait impliquer une cascade de mouvement de main d’œuvre.

[10]         La décision de retirer le grief a été prise à la table régionale où se rassemblent tous les présidents de la section locale 3057. Le syndicat a pris en compte les explications données par madame Lépine ainsi que le fait que le salarié n’a subi aucune perte monétaire, que les coûts engendrés par la procédure d’arbitrage seraient très élevés et qu’il était dans l’intérêt de l’ensemble des salariés de l’unité de négociation de se désister de ce grief.

analyse et dispositif

le droit et les principes

Disposition du Code du travail sur le devoir de représentation

47.2 Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.

Clauses de convention collective applicable

11.01 A) Définition  :

L’employeur reconnaît le principe de l’ancienneté. Dans les cas de promotion, de mutation, de mise à pied temporaire, rappel, la préférence est accordée au salarié qui a le plus d’ancienneté pourvu qu’il rencontre les exigences normales de la tâche.

            B) Une promotion veut dire un changement de tâche comportant un taux égal ou supérieur ou des conditions plus avantageuses pour le salarié.

11.02 D) […]

            La procédure d’affichage ne s’applique pas lors d’affectation temporaire de (30) jours ouvrables ou moins. Cependant, dans un tel cas l’employeur doit tenir compte dans son choix de l’ancienneté, de la capacité du salarié à accomplir le travail de façon immédiate et de la bonne marche des opérations.

[11]         Tout d'abord, rappelons qu’il appartient au plaignant, dans le cadre d’un recours pris en vertu de l’article 47.2 du Code, de démontrer que la décision du syndicat de ne pas porter son grief en arbitrage a été prise de mauvaise foi, de manière discriminatoire ou arbitraire ou qu’elle est empreinte de négligence grave et qu’ainsi, il a manqué à son devoir représentation.

[12]         Dans une décision récente, Abdelilah c. Société de transport de Montréal , 2013 QCCRT 0384 , la Commission résume comme suit le sens qu’il faut donner aux mots employés à l’article 47.2 du Code pour circonscrire la portée du devoir de représentation :

[64]  Selon la décision de la Cour suprême, dans l’affaire Noël c. Société d’Énergie de la Baie-James , [2001] 2 R.C.S. 207 , la mauvaise foi suppose une intention de nuire, un comportement malicieux, frauduleux, malveillant ou hostile. En pratique cet élément seul est difficile à établir.

[65]  La discrimination comprend toutes les tentatives de favoriser un individu ou un groupe sans que le contexte des relations du travail dans l’entreprise ne le justifie. La mauvaise foi et la discrimination impliquent toutes deux un comportement vexatoire de la part du syndicat.

[66]  La conduite arbitraire porte sur la qualité de la représentation du syndicat. Elle implique qu’un syndicat ne doit pas traiter la réclamation d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents et, le cas échéant, effectuer les consultations nécessaires.

[67]  Finalement, la négligence grave implique la commission d’une faute grossière, par exemple dans le traitement du grief d’un salarié. On est au-delà de l’incompétence.

[13]         Il faut aussi savoir que ce n’est pas le rôle de la Commission de se prononcer sur le mérite du grief. Celle-ci doit s’en tenir à l’évaluation du comportement du syndicat afin de déterminer si son appréciation du grief et la décision qui a suivi ne sont pas empreintes de mauvaise foi, discriminatoires ou arbitraires en tenant compte de la discrétion relative dont il bénéficie.

[14]         C’est le principe que rappelle la Cour d’appel dans l’affaire Syndicat national des employé(e)s du centre de soins prolongés Grace Dart (CSN) c. Holligin-Richards , 2006 QCCA 158 :

[ 31]     Son rôle n'est pas de substituer sa propre opinion à la décision syndicale ou de siéger en appel de celle-ci, mais simplement de s'assurer que, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, le choix par le syndicat de ne pas procéder à l'arbitrage a été le résultat d'un examen sérieux et non d'un acte arbitraire, de mauvaise foi, de discrimination ou de négligence grave.  Ce principe a été bien établi par la Cour suprême dans les affaires Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon; Tremblay c. Syndicat des employés et employées professionnels(les) et de bureau, section locale 57; Noël c. Société d'énergie de la Baie James et Centre hospitalier Régina ltée c. Prud'homme, repris par ma collègue, la juge Rousseau-Houle, dans l'arrêt Métras c. Tribunal du travail .  Le droit du syndiqué à l'arbitrage n'est donc pas un droit absolu, mais relatif et le syndicat jouit donc, à cet égard, d'une discrétion appréciable basée en définitive sur son évaluation stratégique et son appréciation tactique touchant la gestion du dossier disciplinaire.  C'est donc seulement l'exercice du contrôle de cette discrétion que le Tribunal doit évaluer. 

[15]         La Cour suprême nous enseigne aussi, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James , [2001] 2 R.C.S. 207 , que le syndicat doit évaluer, lors de sa prise de décision, l’intérêt de l’ensemble de l’unité de négociation.

[55]      Les intérêts concurrents des autres salariés dans l’unité de négociation constitue un facteur important dans l’évaluation de la conduite syndicale. Cet élément reflète la nature collective des relations de travail, y compris dans l’administration de la convention collective. Les intérêts de l’ensemble de l’unité pourront justifier des comportements du syndicat par ailleurs désavantageux pour certains salariés en particulier.

L’application de ces principes à l’espèce

[16]         En l’espèce, la plainte doit être rejetée pour plusieurs motifs, aucune preuve ou allégation ne permettant de conclure à mauvaise foi ou à discrimination, négligence grave ou arbitraire.

[17]         Le plaignant reproche au syndicat de s’être désisté de son grief, mais n’allègue aucun comportement répréhensible de sa part. Il considère que la convention collective doit être respectée et estime que c’est l’ancienneté qui prime dans ce genre d’ouverture de poste. Il présente ici un argument de fond qui ne peut être évalué par la Commission puisqu’elle ne siège pas en appel de la décision du syndicat dans le dossier qui nous occupe.

[18]         Même si le président a affirmé au plaignant que son grief était justifié, le syndicat peut se désister de celui-ci après avoir procédé à une enquête, s’il peut motiver ce retrait. Le droit à l’arbitrage n’est pas absolu et le syndicat jouit d’une discrétion lors de l’évaluation d’un grief.

[19]         Il appert que le syndicat a analysé le grief à lumière du texte de la convention collective qui prévoit plusieurs critères dans l’attribution d’un emploi temporaire de moins de 30 jours et qu’il a fait enquête auprès de l’employeur au sujet des motifs au soutien de son choix dans l’attribution du poste. Il a évalué les chances de succès du recours ainsi que les coûts élevés pouvant être engendrés par l’arbitrage en regard du fait que le plaignant n’a subi aucune perte salariale. Bénéficiant d’une discrétion relative, le syndicat a choisi, après l’étape de la table de concertation de se désister du grief puisqu’il n’était pas dans l’intérêt de l’ensemble des membres de l’unité de négociation de référer ce grief à l’arbitrage.

[20]         Le plaignant ne s’est pas déchargé de son fardeau. Il n’a fait la démonstration d’aucun comportement discriminatoire, arbitraire ou dénotant une mauvaise foi ou négligence grave de la part du syndicat.

 

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la plainte.

 

 

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Karine Blouin

 

M e Anie Beauchemin

Représentante de l’intimé

 

M e Benoit Brouillette

HEENAN BLAIKIE S.E.N.C.R.L., SRL

Représentant de la mise en cause

 

Date du dernier document reçu :

27 juin 2013

 

/ga