Bathium Canada inc. c. Laplante |
2013 QCCS 4839 |
COUR SUPÉRIEURE (Chambre civile) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N°: |
500-17-075475-130 |
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DATE : |
Le 26 septembre 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE MARK SCHRAGER, J.C.S. |
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BATHIUM CANADA INC. |
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Demanderesse |
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c. |
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PIERRE LAPLANTE , es qualité d'arbitre de grief |
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Défendeur |
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et |
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SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L'ÉNERGIE ET DU PAPIER (SCEP), SECTION LOCALE 2011 |
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Mis en cause |
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JUGEMENT |
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JS 1319
INTRODUCTION
[1] Le Tribunal est saisi d'une requête en révision judiciaire déposée à l'encontre d'une décision d'un arbitre qui tranchait un grief déposé sous une convention collective entre la demanderesse Bathium Canada Inc. (« Bathium ») à titre d'employeur et le mis en cause Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCEP), section locale 2011 (« Syndicat »).
LES FAITS
[2] La convention collective prévoyait que lorsque l'entreprise de Bathium n'opérait pas et que l'usine était désertée, Bathium à titre d'employeur pouvait exiger qu'un salarié soit disponible, sur appel, pour répondre à l'alarme qui signalait que le taux d'humidité dans l'usine avait fluctué. Une telle fluctuation mettait certaines composantes des batteries de lithium fabriquées par Bathium en risque de perte. La clause en question de la convention collective se lit ainsi :
« Salarié mis en disponibilité
Lorsque les besoins de l'entreprise requièrent la mise en disponibilité d'un Salarié à l'extérieur des heures régulières de travail, le Salarié mis en disponibilité reçoit un montant de 425,00 $ par semaine pour porter l'appareil de communication. Une rotation a lieu parmi les Salariés de la maintenance en vue de désigner le Salarié mis en disponibilité.
Le Salarié porteur de l'appareil de communication ne peut refuser ou négliger de répondre à un appel ou de se présenter au travail suite à cet appel si sa présence est requise. »
[3] À l'époque que la convention collective a été négociée, il n'y avait pas d'employés qui travaillaient la nuit, d'où la nécessité d'avoir un employé sur appel chaque nuit de la semaine.
[4] Par contre, en mai 2011, un changement dans les horaires de travail faisait en sorte qu'un employé sur appel pour répondre à la pagette qui signalait un changement d'humidité dans l'usine était uniquement nécessaire la fin de semaine.
[5] En conséquence, Bathium a réduit la prime de 425,00 $ payée à l'employé en disponibilité pour la semaine au prorata basé sur la période de temps maintenant réduite qui exigeait cette disponibilité.
[6] Le grief du Syndicat cherche à établir le droit au paiement de la prime de disponibilité de 425,00 $, indépendamment du fait que les services de l'employé en disponibilité étaient potentiellement requis pendant deux (2) jours au lieu de sept (7) jours.
[7] Les affidavits produits par Bathium et le Syndicat devant le soussigné font état de la preuve testimoniale d'un représentant de Bathium qui a expliqué la base du calcul de la prime de disponibilité de 425,00 $. Selon ce témoignage, la base de calcul pour arriver au chiffre de $425,00 était le taux horaire moyen des employés du département de maintenance.
[8] Ce témoignage a suscité une objection du représentant du Syndicat à l'effet qu'un tel témoignage était une preuve historique des négociations de la convention collective, soit une preuve extrinsèque à la convention collective, et donc admissible uniquement après une démonstration préalable de l'ambiguïté de la clause en litige.
[9] Encore, selon l'affidavit du représentant du Syndicat déposé devant le soussigné, l'avocate de Bathium précisait qu'elle ne cherchait pas à mettre en preuve l'historique du contenu des négociations. Selon l'avocate, elle cherchait à mettre la clause en contexte.
[10] Aucune mention explicite de cette preuve n'est trouvable dans la décision de l'arbitre. La sentence fait état des positions respectives des parties, et celle de Bathium était exprimée par l'arbitre en termes de logique et d'enrichissement sans cause, à savoir que la prime de disponibilité correspond à un préjudice ou un inconvénient subi par l'employé. Donc, si le préjudice est réduit (parce que la période de disponibilité est réduite), la compensation pour ce préjudice devrait elle aussi être réduite.
[11] L'arbitre déclare quant à la clause de la convention collective citée au long ci-devant ce qui suit :
« [47] Il n'est pas question d'horaires de travail.
[48] Il n'est pas question de prorata possible.
[49] Il n'est pas question d'une quelconque mécanique pour déterminer le taux horaire moyen des salariés de la « maintenance ».
[50] Il n'est pas question que l'employeur puisse moduler la prime en fonction de la plage de disponibilité requise.
[51] Certes, c'est l'employeur qui décide s'il y a ou non besoin de disponibilité, mais à partir du moment où il requiert une disponibilité, ses obligations prévues à la convention collective sont précisées et non nuancées.
[52] En fait, d'aucuns pourraient dire que le texte susmentionné a été strictement façonné pour couvrir des blocs hebdomadaires de disponibilité et non pas des heures de disponibilité. La notion d'heures disponibles n'existe pas.
[53] Ce que dit la convention collective c'est que dès qu'un salarié est requis d'offrir une disponibilité pour effectuer de la surveillance à distance pendant une semaine donnée, il reçoit 425,00 $.
[54] C'est ce que les parties ont convenu. »
[12] L'arbitre poursuit dans sa décision pour exprimer que la partie patronale conservait toujours en vertu de la convention collective le droit de direction, tel que constaté par l'article 4.04 de la convention collective. Mais, l'arbitre souligne qu'une fois que l'employeur prend la décision de requérir un employé en disponibilité pendant une (1) semaine, ce dernier devrait recevoir le paiement de 425,00 $ selon l'entente entre les parties.
LA NORME DE RÉVISION
[13] L'arrêt clé de Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick [1] souligne qu'une analyse exhaustive pour déterminer la norme de contrôle n'est pas exigée quand la jurisprudence a déjà reconnu la norme de révision applicable au type de décision en révision [2] .
[14] Il est acquis que la norme de révision applicable à une sentence arbitrale qui interprète une convention collective est sujette à la norme de la décision raisonnable [3] .
[15] Par contre, Bathium soutient que l'arbitre a omis de considérer la preuve essentielle susmentionnée quant au calcul de la somme de 425,00 $. En conséquence, Bathium soumet que vu cette lacune, le principe de justice naturelle audi alteram partem a été vicié parce que Bathium n'a pas bénéficié d'une audition complète du décideur ou du moins une explication complète dans la décision.
[16] Subsidiairement, l'employeur invoque que la décision est déraisonnable vu le défaut de l'arbitre d'avoir tenu compte de la preuve susdite.
DISCUSSION
[17] Dans l'opinion du soussigné, la norme de révision applicable est celle de la décision raisonnable. Il n'y a pas de question de violation des droits fondamentaux et il n'y pas lieu d'appliquer la norme de la décision correcte.
[18] Le noeud de la sentence est l'interprétation d'une clause d'une convention collective, et donc c'est la norme de la décision raisonnable qui devrait s'appliquer à la révision de cette décision.
[19] Dans l'opinion du soussigné, la décision est rationnelle et cohérente, et elle est expliquée intégralement, de sorte qu'elle est dans l'opinion du soussigné raisonnable.
[20] Il n'y a pas de transcription des témoignages devant l'arbitre. La preuve de la raison d'être du 425,00 $ était, ou admise en preuve ou n'était pas admise en preuve par l'arbitre. Mais d'une façon ou d'une autre, la décision de l'arbitre était que le texte de la clause de la convention collective est clair et non ambigu. Donc, une analyse de la preuve extrinsèque des négociations qui ont précédé la signature de la convention collective n'était pas appropriée. Les paragraphes 47 à 54 cités ci-devant sont non équivoques. Pour l'arbitre le texte était clair. Il faut aussi souligner que dans son paragraphe 49, l'arbitre semble faire référence à cette preuve de taux horaire moyen qui servait comme base du calcul de $425,00 et qu'une telle preuve n'était pas pertinente étant donné que la clause n'est pas ambiguë.
[21] L'arbitre soulignait davantage au paragraphe 59 de la Décision qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer des règles d'interprétation en présence d'un texte clair.
[22] Ceci est tout à fait cohérent et rationnel, et certainement un des résultats possibles de ce grief. Donc, la décision est raisonnable.
[23] Devant la sentence telle que rédigée, les paragraphes ci-dessus mentionnés démontrent que l'arbitre voyait une clause clairement rédigée et que l'interprétation qu'a voulu y donner Bathium n'était pas admissible. Le fait de ne pas avoir adressé spécifiquement un argument particulier n'est pas un motif de réviser une décision comme déraisonnable. Le décideur n'est pas obligé de traiter chaque élément de la preuve ou chaque argument individuellement 4 . Le test est le suivant : Est-ce que la lecture comprend les motifs de la décision? 5
[24] La juge Abella soulignait ce qui suit dans l'affaire de Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador 6 :
« Il se peut que les motifs ne fassent pas
référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres
détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met
pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l'analyse du
caractère raisonnable de la décision. Le décideur n'est pas tenu de tirer une
conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si
subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (
Union internationale
des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses
Ass
.,
[25] Le soussigné souligne qu'il n'a pas été établi dans le présent dossier qu'une preuve ait été exclue comme telle par l'arbitre. Donc, la décision de l'Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque 7 citée par Bathium n'a pas d'application vu que cette cause cible la situation où un arbitre a empêché une partie de présenter une preuve pertinente.
[26] Ici, la preuve a été administrée, mais elle n'est pas considérée ou du moins mentionnée explicitement par l'arbitre dans sa décision. Vu la conclusion que la clause en question était claire, il était tout à fait rationnel de ne pas faire allusion à une preuve extrinsèque ou une preuve de contexte quant à la façon que les parties sont arrivées à s'entendre sur la somme de 425,00 $ pour la prime de disponibilité.
[27] Pour tous ces motifs, le Tribunal trouve que la décision de l'arbitre dans cette cause est raisonnable. En conséquence, la requête en révision judiciaire sera rejetée.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[28] REJETTE la requête de la demanderesse en révision judiciaire;
[29] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ MARK SCHRAGER, j.c.s. |
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Maître
François Longpré
Procureurs de la demanderesse |
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Maître
Claude Tardif
Procureurs du mis en cause |
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Da te d'audition: |
Le 16 septembre 2013 |
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[1]
[2] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , op.cit. , para 57.
[3]
Syndicat de l'enseignement des Moulins c. Commission scolaire des Manoirs
,
4
Syndicat
national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres
travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Canada)
,
5
Lake c. (Canada) Ministère de la justice
,
6
7