Liard c. Lauzon

2013 QCCQ 11868

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

HULL

LOCALITÉ DE

GATINEAU

« Chambre civile »

N° :

550-80-002824-130

 

 

 

DATE :

27 septembre 2013

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       SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q.

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MARCEL LIARD

 Requérant

c.

 

LUCIE LAUZON,

            Intimée

et

RÉGIE DU LOGEMENT

            Mise en cause

 

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JUGEMENT

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I. FAITS   

[1]            Il s'agit d'une requête amendée pour permission d'en appeler en vertu de l'article 91 de la Loi sur la Régie du logement 1 (Loi) qui prévoit que les décisions de la Régie peuvent faire l'objet d'un appel lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec.

[2]            Marcel Liard (Liard) demande la permission d'en appeler d'une décision de la Régie du logement (Régie) rendue par Me Pierre C. Gagnon, régisseur, le 12 mars 2013, par laquelle ce dernier résilie le bail entre les parties, permet l'expulsion de Liard pour non-paiement du loyer et condamne celui-ci au paiement de 1 650.00$ à titre de loyer impayé.

I. FAITS

[3]            Le 9 août 2012, Liard et madame Lucie Lauzon (Lauzon) signent un bail d'une durée de 9 mois pour un logement situé au […] , à Gatineau, lequel prévoit un loyer mensuel de 550$.

[4]            Le 23 janvier 2013, Lauzon dépose une demande à la Régie visant la résiliation du bail la liant à Liard et le recouvrement du loyer impayé ( demande 22 2013 0123-001G ).

[5]            Le 22 février 2013, Liard dépose 2 demandes à la Régie.

[6]            L'objet de la première demande de Liard ( demande 22-130222-001-A ) est de  :

·          «Déterminer à qui le loyer est payable ou subsidiairement autoriser la partie demanderesse à déposer son loyer à la Régie du logement.

·          Autoriser la partie demanderesse à déposer son loyer à la Régie du logement.

·          Diminuer le loyer de 275$ par mois à compter du 2012/08/01.

·          Condamner la partie défenderesse au montant de la diminution à être accordée.

·          Ordonner la partie défenderesse de se conformer aux règlements municipaux quant au règlement relatif à la salubrité et à l'entretien des habitations, des logements et chambres.

·         Condamner la partie défenderesse à payer au demandeur à titre de dommages-intérêts la somme totale de 3 322$ le tout avec les intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec.

·         Condamner le défendeur à payer au demandeur à titre de dommages et intérêts punitifs la somme totale de      13,000$, le tout avec les intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec.

·         Condamner la partie défenderesse au paiement des frais.»

[7]            Dans cette demande, Liard indique que Lauzon refuse de percevoir le loyer et que l'inexécution des obligations de cette dernière risque de rendre le logement impropre à l'habitation puisque celui-ci est déclaré non conforme par la Ville de Gatineau et que son état ne respecte pas les conditions de santé et de sécurité de la ville.

[8]            L'objet de la deuxième demande de Liard ( demande 22 13222-001-N ) est de :

·         «Réunir les demandes portant les n° 22-130222-001-A et 22-130123-001-G.

·         Les dossiers sont étroitement liés par une demande en non-paiement et une autorisation de dépôt de loyer causé par le refus du locataire de percevoir le loyer»

[9]            Le 5 mars 2013, l'audience relative à la demande de Lauzon a lieu lors de laquelle Liard a demandé au régisseur de réunir les demandes qu'il a déposées à la Régie le 22 février 2013.

[10]         À cette date, le régisseur a refusé de réunir les demandes vu la connexité insuffisante avec la demande de Lauzon et le fait que Liard, tout en occupant le logement, ne payait pas le loyer et, entre autres, requérait postérieurement la permission de le déposer à la Régie ainsi que la diminution de celui-ci et des dommages-intérêts.

[11]         Tel qu'il en appert à la requête amendée pour permission d'en appeler, Liard soutient que la décision rendue par le régisseur le 12 mars 2013 est non fondée pour les motifs suivants:

«13. La décision rendue par le régisseur le 12 mars 2013 souffre d'une faiblesse apparente, puisqu'elle est peu motivée et les motifs sont peu explicites quant au refus de réunir les demandes; le régisseur indiquant seulement que la connexité est insuffisante sans considérer les motifs soumis par le locataire-demandeur quant au fait que le logement concerné est déclaré non conforme par la ville de Gatineau et que son état ne respecte par les conditions de santé et sécurité requises aux règlements municipaux de la ville;

14. La décision rendue par le régisseur le 12 mars 2013 quant au refus de réunir les deux (2) demandes cause une injustice flagrante au  locataire-demandeur; le régisseur  en ne permettant pas de réunir les deux (2) demandes et en ne considérant pas les moyens de défense du locataire-demandeur contrevient aux moyens de défense prévus au Code civil du Québec ainsi qu'aux règles de justice naturelle et plus particulièrement à la règle audi alteram partem;

15. Le régisseur a donc erré en ne prenant pas en considération les motifs soulevés par le locateur-demandeur quant au risque que le logement soit déclaré impropre à l'habitation et en ne soulevant pas, lui-même, d'office ce risque et, le cas échéant, en ne fixant pas les conditions nécessaires à la protection des droits du locataire-demandeur et en omettant d'ordonner, le cas échéant, que le logement soit rendu propre à l'habitation;

16. Le régisseur a également erré en ne prenant pas en considération les moyens de défense de la dispense du paiement de loyer lorsque le logement est impropre à l'habitation ainsi que de l'inexécution substantielle;

17. Le régisseur a erré, puisque le paiement du loyer et ces moyens de défense sont fortement liés;

18. Le régisseur condamne le locataire-demandeur au paiement d'un loyer qui pourrait s'avérer être un loyer pour un logement illégal en plus de fixer un loyer payable sans avoir entendu la demande de diminution de loyer;

19. Il y a donc un risque apparent que des jugements contradictoires soient rendus en la même instance;

20. La décision rendue par le régisseur le 12 mars 2013 cause également une injustice flagrante et un préjudice au locataire-demandeur en ordonnant la résiliation du bail et son expulsion; le locataire-demandeur a un droit au maintien dans les lieux et il habitait toujours dans le logement concerné lors de l'audition;

21. Le régisseur a erré en ne faisant droit qu'aux droits de la locatrice-défenderesse seulement sans considérer ceux du locataire-demandeur.»

 

 

[12]         Liard propose les questions suivantes pour l'appel:

« a. Est-ce que la décision du régisseur de refuser la réunion des deux (2) demandes est suffisamment motivée?

b. Est-ce que les motifs pour lesquels le régisseur a refusé de réunir les deux (2) demandes sont suffisamment explicites?

c. Est-ce que le régisseur était justifié ne pas réunir les deux (2) demandes?

d. Est-ce que le refus du régisseur de réunir les deux (2) demandes cause une injustice au locataire-demandeur?

f. Est-ce que le régisseur pouvant refuser d'appliquer les moyens de défense soulevés par le locataire-demandeur?

g.Est-ce que le régisseur a contrevenu aux moyens de défense soulevés par le locataire-demandeur?

h. Est-ce que le régisseur a contrevenu aux règles de justice naturelle et plus particulièrement à la règle audi alteram partem;

i. Est-ce que le régisseur a omis de déclarer d'office que le logement est impropre à l'habitation ?

j. Est-ce que le régisseur a omis le cas échéant, de fixer des conditions nécessaires à la protection des droits du locataire-demandeur;

k. Est-ce que le régisseur a causé une injustice flagrante et un préjudice au locataire-demandeur en ordonnant la résiliation du bail et son expulsion?

l. Est-ce que le régisseur a seulement fait droit aux droits de la locatrice-défenderesse sans considérer ceux du locataire-demandeur?»

[13]         Lauzon soutient que l'appel est futile et que la question en jeu n'en est pas une qui devrait être soumise à la Cour du Québec.

[14]         Selon Lauzon, la Régie n'a pas encore fixé de date pour les demandes de Liard, lequel aura la possibilité de se faire entendre.

 

II. ANALYSE

[15]         Quels sont les critères à considérer pour permettre d'en appeler d'une décision de la Régie?

[16]         La juge Monique Dupuis, J.C.Q., dans l'affaire Noël c. Capitaux Boardwalk (Québec) inc . rendue le 23 janvier 2013 2 mentionne ce qui suit au sujet des critères à considérer lors d'une demande pour obtenir la permission d'en appeler d'une décision de la Régie:

«[6] Les tribunaux se sont prononcés à maintes reprises      sur la définition de ce critère. Dans l'affaire Le Groupe Rioux Habitat c. Oneil Lévesque, le Tribunal résume ainsi les paramètres à considérer :

          [12] Une revue de la jurisprudence permet au Tribunal de reproduire les paramètres à l'intérieur desquels une permission d'en appeler peut être accordée.  Ces paramètres énoncés par les tribunaux sont notamment les suivants :

-     la question est sérieuse, nouvelle ou d'intérêt général;

-     les questions sont controversées;

-    le sérieux et l'importance des motifs d'appel allégués;

-     l'impact de la décision attaquée;

-    la faiblesse apparente de la décision attaquée;

-    les atteintes aux règles de justice naturelle;

-    les décisions incohérentes et contradictoires;

-   la question met en cause les intérêts supérieurs de la   justice;

-     la décision n'est pas suffisamment motivée;

-    la faiblesse de la décision pouvant provoquer une injustice sérieuse;

-    la méthode pragmatique et fonctionnelle élaborée par la Cour suprême du Canada est inapplicable au stade de la permission d'appeler (College physicians Surgeons of British Columbia c. Dr Q, [2003] 1 R.C.S. 226 );

-     les critères s'appliquent individuellement;

-     le tribunal jouit d'une large discrétion;

-     il faut permettre l'appel devant des arguments juridiques sérieux, raisonnables, cohérents, défendables et significatifs. »

[17]         Tel qu'il appert de la transcription de l'audition du 5 mars 2013, les motifs de la décision du régisseur quant à la réunion des demandes sont les suivants:

« (…)

LE RÉGISSEUR :

(pages 10, ligne 4 et suivantes)

Oui, oui, mais attendez, là. On peut pas mêler les choses. Là, vous, vous dites que vous avez une demande; vous voulez réunir les deux (2) causes?

Me MICHEL LEWIS :

Oui, on veut réunir - -

LE RÉGISSEUR :

J'aimerais que vous me montriez le document dont vous parlez, la demande.

Me MICHEL LEWIS :

Oui. Qui a été signifiée  - -

LE RÉGISSEUR :

Faites juste me le montrer.

O.K. Ça, je peux comprendre, maître Lewis. Votre argument c'est que la propriétaire refuse de recevoir le loyer, mais les autres éléments, là, ça ne peut pas être joint dans une demande quand le locataire est encore dans le logement. Est-ce qu'il est encore dans le logement, votre…?

Me MICHEL LEWIS :

Oui.

LE RÉGISSEUR :

Alors à ce moment-là, évidemment, vous comprendrez avec moi que…

Me MICHEL LEWIS :

Excepté qu'on a fait une demande - -

LE RÉGISSEUR :

… ce serait trop facile de - -

Me MICHEL LEWIS :

On a fait une demande de déposer le loyer à la Régie en attendant.

LE RÉGISSEUR :

Oui, mais ça je peux pas accepter de joindre ça parce que ce serait trop facile, quant les gens paient pas leur loyer, d'arriver puis de déposer soixante dollars (60$) ici puis - -

Me MICHEL LEWIS :

On a - -

LE RÉGISSEUR :

On ne peut pas… selon la loi, on peut pas demeurer dans un logement et cesser de payer le loyer.

Me MICHEL LEWIS :

Bien, monsieur est prêt à le payer, le loyer.

LE RÉGISSEUR :

Pardon?

Me MICHEL LEWIS :

Il est prêt à le payer. C'est ce qu'on vous dit à un moment donné. Il est prêt à payer le loyer.

LE RÉGISSEUR :

Bien, c'est ça que je vous dis. Vous avez le droit de faire une demande en défense à cette demande-là, de dire «J'ai pas payé le loyer parce qu'il veut pas prendre le loyer». Ça, je pourrais comprendre ça puis je peux accepter une preuve là-dessus, mais une contre-demande concernant l'état des lieux, je ne peux pas accepter ça dans une défense quant le locataire est toujours dans le  logement, parce que la solution à ce moment-là, ce n'est pas de cesser de payer son loyer. C'est soit… c'est d'abandonner le logement ou de faire une démarche et continuer à payer son loyer en attendant, parce qu'autrement, tout le système est perturbé.

(…)

(page 13, ligne 13 et suivantes)

LE RÉGISSEUR :

… je ne discuterai pas de ça aujourd'hui. Si votre client a une preuve de refus de paiement de loyer, je vais l'entendre, mais on va s'en tenir à ça.

(…)

(page 1, ligne 25 et suivantes)

LE RÉGISSEUR :

Bien ça, la loi prévoit que… En fait, pendant qu'il y a deux (2) avocats ici, vous pourrez vous entendre, jusqu'à ce que je signe la décision, de payer le loyer, mais moi je réitère que quelle que soit la validité des arguments ici, ni une demande de dépôt de loyer, ni une demande concernant une diminution de loyer, ni une demande pour logement illégal, ni quoi que ce soit peut empêcher de procéder sur une demande de résiliation de bail pour non-paiement de loyer si le locataire est encore dans le logement.

On pourrait argumenter toute la journée puis je pourrai pas changer de position parce que c'est la logique.

(…)»

[18]         Voyant que Liard se disait prêt à payer le loyer et que tel était l'objectif de Lauzon, le régisseur a indiqué à Liard et à son procureur qu'il ne signerait pas la décision avant quelques jours afin de lui permettre de payer le loyer et d'éviter la résiliation du bail.

[19]         Le régisseur a pris l'affaire en délibéré et a rendu sa décision le 12 mars 2013.

[20]         Liard soutient que la décision de la Régie est peu motivée quant au refus de réunir les demandes.

[21]         Toutefois, la lecture des notes sténographiques de l'audition révèle que le régisseur a expliqué pourquoi il refusait de réunir les 2 demandes puisque, à l'audience, Liard occupait toujours le logement, avait cessé de payer le loyer, n'avait pas été préalablement autorisé à le déposer à la Régie et n'avait pas entrepris quelque démarche que ce soit au sujet de l'état des lieux.

[22]         Ainsi, selon les notes sténographiques, le régisseur a insisté sur le fait qu'un locataire ne peut occuper un logement et ne pas exécuter  son obligation principale, soit le paiement du loyer, ajoutant qu'il ne pouvait réunir les demandes de Liard  à celle de Lauzon portant sur la résiliation de bail pour non paiement du loyer et le recouvrement du loyer puisque les demandes de Liard auraient dû précéder la cessation du paiement du loyer.

[23]         Liard soutient que la décision de la Régie contrevient à la règle audi alteram partem.

[24]         Cependant, les demandes de Liard sont pendantes devant la Régie et il pourra y être entendu.

[25]         Selon la jurisprudence, au stade de la permission d'en appeler d'une décision de la Régie, la Cour du Québec n'est pas tenue de faire preuve de la même retenue judiciaire que lors de l'examen au fond de l'appel.

[26]         La Cour doit s'assurer du caractère juridique de la décision et du sérieux des arguments afin de ne pas autoriser un appel voué à l'échec.

[27]         L'alinéa 2 de l'article 1907 C.c.Q. prévoit que le locataire peut obtenir l'autorisation judiciaire de déposer son loyer lorsque le locateur n'exécute pas les obligations auxquelles il est tenu.

[28]         Cependant, pour ce faire, le locataire doit envoyer un préavis de dix jours afin de donner au locateur l'occasion de remédier au défaut.

[29]         Or, ce préavis ne semble pas avoir été donné au locateur.

[30]         En conséquence, Liard se retrouve dans la situation d'un locataire qui ne paye pas son loyer depuis plus de 3 semaines, qui occupe les lieux loués et, lorsque poursuivi à la Régie pour résiliation de bail et recouvrement de créance, dépose des demandes pour être autorisé à déposer son loyer, pour diminuer le loyer pour cause d'insalubrité et pour obtenir des dommages-intérêts et ce, sans autre préavis.

[31]         Le Tribunal conclut que les questions en jeu ne sont pas de celles qui devraient être soumises à la Cour du Québec.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

REJETTE la requête amendée pour permission d'en appeler de la décision de la Régie du logement;

CONFIRME la décision de la Régie du logement datée du 12 mars 2013 rendue par Me Pierre C. Gagnon, régisseur, dans le dossier 22-130123- 001-G;

LE TOUT, SANS FRAIS.

 

 

 

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ROSEMARIE MILLAR, J.C.Q.

 

 

 

Monsieur Marcel Liard

Représenté par Me Stéphanie Charbonneau

 

 

Madame Lucie Lauzon

Représentée par Madame Vanessa Chénier, stagiaire

Mantha, Phillips

 

 

 

 

Date d’audience :

11 juin 2013

 



1 Chapitre R-8.1 des Lois du Québec.

2 2013 QCCQ 1376 .