Poulin et Garderie anglophone des Petits Anges inc.

2013 QCCSST 222

COMMISSION DE LA SANTÉ
ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL

Direction régionale des Laurentides

 

N o Dossier CSST :

141165308

 

N o Plainte :

LAU13-065

 

 

Décision rendue le :

24 octobre 2013

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CONCILIATEUR-DÉCIDEUR :

Catherine Geoffroy

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Travailleuse :

Mélanie Poulin

 

 

Employeur :

La Garderie Anglophone des Petits Anges inc.

 

 

 

 

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DÉCISION

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Objet du litige

[1]            Le 27 mai 2013, la travailleuse dépose une plainte en vertu de l’article 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail [1] (LSST). La travailleuse se plaint d’un congédiement survenu suite à l’exercice de son droit au Programme pour une maternité sans danger (PMSD).

[2]            L’audience a eu lieu le 10 octobre 2013 et les parties sont présentes et non représentées.

[3]            La travailleuse demande à la Commission d’ordonner à l’employeur la réintégration dans son emploi. Elle demande également son droit à l’admissibilité au PMSD.

preuve et argumention

[4]            La travailleuse est éducatrice en garderie. Lors de son témoignage, elle affirme qu’elle est embauchée chez l’employeur le 24 avril 2013.

[5]            Madame Suzanne Gervais, adjointe chez l’employeur, témoigne au nom de celui-ci. Elle explique que lors de l’embauche, un questionnaire est remis aux candidats dans lequel la question suivante est posée : « êtes-vous enceinte ou prévoyez-vous le devenir dans la prochaine année ».

[6]            Madame Gervais mentionne que si une candidate répond par l’affirmative à cette question, elle n’est pas embauchée puisqu’elle ne pourrait pas être en mesure de fournir la prestation de travail chez l’employeur.

[7]            Madame Gervais précise que lorsque la travailleuse a rempli le questionnaire, elle a répondu par la négative à cette question. En contre-interrogatoire, Madame Gervais demande à la travailleuse si elle savait, au moment de son embauche, qu’elle était enceinte. La travailleuse affirme qu’elle ne savait pas qu’elle était enceinte à ce moment.

[8]            Madame Gervais déclare qu’entre le 24 avril et le 15 mai 2013, la travailleuse s’absente à plusieurs reprises. Elle précise que le 3 et le 16 mai 2013, la travailleuse est malade et le 7 mai 2013, c’est son enfant qui est malade.

[9]            Madame Carolyn Plouffe, propriétaire de la garderie, témoigne que lorsque la travailleuse téléphone pour s’absenter, elle le fait peu de temps avant le début de son quart de travail, soit 8 h 30. Madame Plouffe précise qu’elle est présente à la garderie à compter de 6 h 30 et que la travailleuse le sait. Elle reproche à la travailleuse de ne pas l’aviser de ses absences plus tôt.

[10]         Madame Plouffe précise que les absences de la travailleuse lui causent plusieurs difficultés. Elle explique qu’elle doit trouver rapidement une remplaçante afin de respecter le ratio des groupes d’enfants exigé par le gouvernement.

[11]         L’employeur fait valoir que s’il avait su que la travailleuse était enceinte au moment de son embauche, cette dernière n’aurait pas obtenu le poste puisqu’une femme enceinte est automatiquement retirée de son travail lorsqu’elle est éducatrice en garderie. Madame Gervais et Madame Plouffe prétendent que la travailleuse a menti lorsqu’elle a rempli le questionnaire d’embauche.

[12]         Madame Gervais soulève qu’à plusieurs reprises, la travailleuse a des sautes d’humeur, pleure et ne semble pas bien dans son poste. Elle perçoit de même que la travailleuse manque de contrôle sur son groupe.

[13]         Madame Gervais explique avoir discuté plusieurs fois avec la travailleuse et l’avoir questionné sur son bien-être à la garderie.

[14]         Madame Gervais précise qu’il y a une période d’essai en emploi de 3 mois. Elle ajoute que depuis son entrée en fonction, la travailleuse a plusieurs rectifications à apporter à son travail, mais chaque fois, elle s’ajuste assez bien.

[15]         Madame Plouffe relate qu’elle s’attendait à beaucoup plus de la part de la travailleuse et qu’elle croyait qu’elle avait de meilleures compétences.

[16]         Le 15 mai 2013, la travailleuse est en poste, mais elle ne se sent pas bien. Elle explique avoir terminé sa journée de travail et son employeur lui a mentionné qu’elle pouvait aller à la clinique le lendemain.

[17]         Le 16 mai 2013, la travailleuse consulte un médecin qui lui fait passer un test urinaire puisqu’il suspecte une infection urinaire. La travailleuse témoigne que c’est à ce moment qu’elle apprend qu’elle est enceinte. Puisqu’elle travaille en milieu de service de garde, son médecin complète un certificat médical où il est indiqué qu’elle est en retrait préventif.

[18]         La travailleuse mentionne que le même jour, elle communique avec Madame Suzanne Gervais pour l’aviser qu’elle est enceinte et que son médecin lui a prescrit un retrait préventif.

[19]         Madame Gervais témoigne que le 16 mai 2013, elle reçoit un certificat médical sur lequel il est indiqué que la travailleuse est en retrait préventif.

[20]         Madame Gervais et Madame Plouffe témoignent à l’effet que c’est plutôt le 17 mai 2013 que la travailleuse les informe de sa grossesse et de son retrait préventif.

[21]         Pendant la période du 16 au 24 mai 2013, la travailleuse mentionne n’avoir eu aucune communication avec l’employeur.

[22]         Le 24 mai 2013, la travailleuse explique qu’elle se rend chez l’employeur pour obtenir sa paie. Elle reçoit une enveloppe qu’elle ouvre une fois arrivée dans son véhicule. C’est à ce moment qu’elle prend connaissance d’une lettre de congédiement, datée du 15 mai 2013.

[23]         La travailleuse retourne à l’intérieur de la bâtisse pour discuter avec son employeur. Elle rapporte que Madame Carolyn Plouffe la questionne à savoir si elle savait qu’elle était enceinte au moment de son embauche. La travailleuse ajoute que Madame Suzanne Gervais, pour sa part, lui mentionne que le travail représente peut-être trop de pression pour elle.

[24]         La travailleuse atteste qu’avant le 15 mai 2013, il n’est jamais question de congédiement lors de ses conversations avec Madame Gervais et Madame Plouffe.

[25]         Elle ajoute qu’elle est surprise de la lettre de congédiement et que bien qu’elle a peut-être quelques ajustements à apporter dans son travail, ce n’est rien d’assez représentatif pour s’inquiéter de son lien d’emploi.

[26]         Pour sa part, Madame Gervais témoigne à l’effet que le 15 mai 2013, une grille d’évaluation des compétences de la travailleuse est complétée. Madame Gervais et Madame Plouffe attestent qu’elles n’ont pas eu le temps de convoquer la travailleuse pour lui faire part de cette grille d’évaluation. Contre-interrogée par la travailleuse sur les raisons pour lesquelles elle n’est pas avisée du congédiement le 15 mai 2013, Madame Gervais répond que puisqu’elle ne se sentait pas bien cette journée-là, il n’était pas question de la rencontrer pour son évaluation.

[27]         La travailleuse s’objecte au dépôt en preuve de la grille d’évaluation, puisqu’elle prétend ne jamais avoir vu ce document.

[28]         Pour sa part, Madame Gervais reconnaît que la travailleuse n’a pas pris connaissance de la grille d’évaluation. Toutefois, elle prétend que la grille d’évaluation vient appuyer la décision de l’employeur de congédier la travailleuse.

[29]         Afin de déterminer si un document peut être déposé en preuve, la Commission doit évaluer s’il est pertinent au litige.

[30]         Puisqu’il s’agit d’un document sur lequel l’employeur prétend s’être appuyé pour prendre la décision de congédier la travailleuse, la Commission estime qu’il est pertinent.

[31]         Il appartiendra toutefois à la Commission de déterminer la force probante de cette preuve.

[32]         La travailleuse plaide que son congédiement est lié aux démarches qu’elle a effectuées pour obtenir son droit au PMSD. Elle réitère que le 15 mai 2013, elle a terminé sa journée de travail comme à l’habitude. Elle ajoute que rien ne lui laisse croire à ce moment que son emploi est menacé.

[33]         Dans sa plaidoirie, l’employeur expose que le motif réel du congédiement est ce qui est contenu dans la grille d’évaluation de la travailleuse et non pas sa grossesse ou son retrait préventif.  

motifs de la décision

[34]         La Commission doit déterminer si les critères de recevabilité de la plainte sont rencontrés. Les articles de loi pertinents sont :

227 . Le travailleur qui croit avoir été l'objet d'un congédiement, d'une suspension, d'un déplacement, de mesures discriminatoires ou de représailles ou de toute autre sanction à cause de l'exercice d'un droit ou d'une fonction qui lui résulte de la présente loi ou des règlements, peut recourir à la procédure de griefs prévue par la convention collective qui lui est applicable ou, à son choix, soumettre une plainte par écrit à la Commission dans les 30 jours de la sanction ou de la mesure dont il se plaint.

228 . La section III du chapitre VII de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001) s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, à une plainte soumise en vertu de l'article 227 comme s'il s'agissait d'une plainte soumise en vertu de l'article 32 de cette loi.

La décision de la Commission peut faire l'objet d'une contestation devant la Commission des lésions professionnelles conformément à l'article 359.1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

[35]         La Commission estime que les critères de recevabilité sont rencontrés. En effet,  la travailleuse est une travailleuse au sens de la LSST, elle a exercé le droit au PMSD, elle n’a pas déposé de grief et elle a été congédiée.

[36]         En ce qui a trait au délai de 30 jours de la sanction pour déposer la plainte, la Commission estime que ce délai a été respecté.

[37]         En effet, la plainte a été déposée le 27 mai 2013, concernant un congédiement survenu au cours du même mois.

[38]         Bien que l’employeur prétend que le congédiement est survenu le 15 mai 2013, soit avant le dépôt du certificat de retrait préventif, la Commission n’adhère pas à cette position.

[39]         En effet, la Commission retient de la preuve qui lui a été présentée qu’à aucun moment, la travailleuse n’est informée de la grille d’évaluation des compétences complétée le 15 mai 2013. L’employeur lui-même reconnaît ne jamais avoir rencontré la travailleuse à cet effet.

[40]         De plus, la Commission retient que le 16 ou le 17 mai 2013, lorsque la travailleuse a téléphoné à l’employeur pour l’aviser de sa grossesse, elle l’a, par le fait même, avisé de son retrait préventif.

[41]         De plus, dans son témoignage, l’employeur reconnaît avoir reçu un certificat médical le 16 mai 2013, où il est inscrit que la travailleuse est en retrait préventif.

[42]         Par la suite, il n’y a eu aucune communication entre les parties, jusqu’au 24 mai 2013.

[43]         Le 24 mai 2013, c’est au moment où la travailleuse se présente chez l’employeur que celui-ci lui remet une enveloppe avec une lettre de congédiement datée du 15 mai 2013.  

[44]         Bien que la lettre de congédiement soit datée du 15 mai 2013, la Commission estime que le congédiement de la travailleuse est survenu le 24 mai 2013.

[45]         La Commission retient donc que le droit a été exercé avant le congédiement.

[46]         La Commission doit déterminer à qui revient le fardeau de preuve relativement à l’imposition de la sanction.

[47]         En effet, l’article 255 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP) prévoit que :

255 . S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le travailleur a été l'objet d'une sanction ou d'une mesure visée dans l'article 32 dans les six mois de la date où il a été victime d'une lésion professionnelle ou de la date où il a exercé un droit que lui confère la présente loi, il y a présomption en faveur du travailleur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui parce qu'il a été victime d'une lésion professionnelle ou à cause de l'exercice de ce droit.

Dans ce cas, il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou cette mesure à l'égard du travailleur pour une autre cause juste et suffisante.

[48]         Puisque le congédiement est survenu dans les 6 mois de l’exercice du droit au PMSD, il appartient à l’employeur de démontrer qu’il a congédié la travailleuse pour une autre cause juste et suffisante.

[49]         La Commission est d’avis que l’employeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de preuve.

[50]         En premier lieu, l’employeur soumet que la travailleuse s’est absentée à plusieurs reprises depuis son embauche, soit les 3, 7 et 16 mai 2013. Or, si l’employeur a pris la décision de congédier la travailleuse le 15 mai 2013, tel qu’il le prétend, la Commission s’explique mal qu’il reproche à la travailleuse son absence du 16 mai 2013, d’autant plus qu’il lui a demandé d’aller consulter à la clinique cette journée.

[51]         En second lieu, l’employeur soumet que la travailleuse a souvent des sautes d’humeur, qu’elle pleure au travail, qu’elle semble mal à l’aise dans ses fonctions et qu’elle manque de contrôle sur son groupe. Il mentionne qu’elle doit apporter plusieurs ajustements à son travail. Or, l’employeur reconnaît dans son témoignage que la travailleuse répond bien aux ajustements qui lui sont demandés.

[52]         L’employeur soumet qu’une grille d’évaluation du travail de la travailleuse a été complétée le 15 mai 2013, mais qui ne lui a pas été remise compte tenu que la travailleuse était malade cette journée. L’employeur s’appuie sur cette grille d’évaluation pour justifier le congédiement de la travailleuse.

[53]         Or, la Commission s’explique mal qu’au moment de la remise de la lettre de congédiement, le 24 mai 2013, l’employeur ne convoque pas la travailleuse afin de lui faire part de cette évaluation pour motiver la fin du lien d’emploi. Il ne fait aucune mention de cette grille d’évaluation.

[54]         La Commission estime que la grille d’évaluation constitue un prétexte et que cette grille est peu convaincante quant à la véritable cause du congédiement.

[55]         La Commission croit plutôt la version de la travailleuse, qui affirme n’avoir jamais été informée d’un congédiement ou d’un risque pour son lien d’emploi avant le 24 mai 2013, soit après avoir effectué les démarches relatives à son retrait préventif.

[56]         L’employeur a témoigné à l’effet qu’il n’embauche pas les candidates qui sont enceintes ou qui prévoient l’être. S’il avait su que la travailleuse était enceinte au moment de son embauche, elle n’aurait pas eu le poste.

[57]         Or, lorsque la travailleuse se présente dans les locaux de l’employeur le 24 mai 2013 pour obtenir des explications sur son congédiement, l’employeur lui dit « tu savais que tu étais enceinte », sans faire aucune mention de l’évaluation du 15 mai 2013. Qui plus est, l’employeur accuse la travailleuse d’avoir menti dans le questionnaire en déclarant qu’elle n’était pas enceinte. Même en contre-interrogatoire lors de l’audience, l’employeur demande à la travailleuse si elle savait, lors de son embauche, qu’elle était enceinte.

[58]         La Commission est convaincue que la travailleuse a été congédiée en raison de l’exercice de son droit au PMSD.

[59]         De plus, la soussignée ne peut passer sous silence que la Charte des droits et libertés de la personne , ainsi que la Loi sur les normes du travail , protègent les travailleuses enceintes de toute discrimination et pratiques interdites sur le marché du travail. La pratique de l’employeur apparaît plus que douteuse dans les circonstances.

[60]         Concernant la demande de la travailleuse d’obtenir son droit au PMSD, la soussignée n’a pas compétence pour se prononcer sur cette demande. Il appartiendra à la travailleuse de communiquer avec l’agente de la Commission qui lui a transmis la décision portant sur la demande de PMSD pour s’enquérir de ses droits.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

ACCUEILLE la plainte de la travailleuse;

ANNULE le congédiement;

ORDONNE à l’employeur de réintégrer la travailleuse dans son emploi;

ORDONNE à l’employeur de verser à la travailleuse le salaire et les avantages perdus depuis le 24 mai 2013;

RÉSERVE sa compétence sur le quantum en cas de mésentente entre les parties.

 

 

 

 

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Catherine Geoffroy, conciliateur-décideur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

10 octobre 2013

 



[1] RLRQ, c.S-2.1