TRIBUNAL D’ARBITRAGE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt : 2013-8846

 

Date :  24 septembre 2013

 

 

DEVANT L’ARBITRE : ME JEAN BARRETTE

 

 

LE SYNDICAT INTERNATIONAL DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE LA BOULANGERIE, CONFISERIE, TABAC ET MEUNERIE, SECTION LOCALE 227 (F.A.T., C.O.I., C.T.C., F.T.Q.)

 

            Ci-après appelé « Le Syndicat »

 

ET

 

ALIMENTS RONZONI CANADA, DIVISION DE LA COMPAGNIE NEW WORLD PASTA

 

            Ci-après appelés « l’Employeur »

 

NATURE DU LITIGE :        Fixation des sommes à être versées suite à la décision du

                                                28 février 2013 (quantum)

 

GRIEFS :                               30-08E, 22-09E, 06-11E, 17-11E, 18-11E et 19-11E

                                                Monsieur Yvan Bernier

 

            Ci-après appelé « le plaignant »

 

Procureur du syndicat : Me Michel Davis

Procureurs de l’employeur :      Me Ralph D. Farley et Me Claudia Bérubé

 

Mandat :                                   18 juin 2013

Argumentations écrites :            29 août, 17 septembre et 19 septembre 2013  

Décision :                                 24 septembre 2013     

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

(art. 100 et suivants, C.T.Q.)

 

 

I.       INTRODUCTION

 

[1]        Le 18 juin 2013, le procureur du syndicat demandait au Tribunal de convoquer les parties afin qu’elles puissent présenter leur argumentation quant à la fixation des sommes dues au plaignant, suite à la décision du Tribunal rendue le 28 février 2013.

 

[2]        Le Tribunal leur suggérait de s’entendre entre elles pour lui soumettre des représentations écrites au lieu de convoquer les parties en audience. Les procureurs avisaient le Tribunal que les parties acceptaient sa suggestion.

 

[3]        Le 29 août 2013, le Tribunal recevait les représentations écrites du procureur syndical, accompagnées d’un tableau des calculs des montants à payer au plaignant. Il lui faisait également parvenir la jurisprudence au soutien de son argumentaire.

 

[4]        Le 17 septembre 2013, les procureurs de l’employeur répondaient à l’argumentaire du syndicat. Ils soumettaient également plusieurs décisions appuyant leur position.

 

[5]        Le 19 septembre 2013, le procureur du syndicat indiquait qu’il n’entendait pas présenter une réplique supplémentaire. Il demandait au Tribunal de rendre décision en fonction des représentations soumises par les procureurs des parties.

 

II.    LITIGE

 

[6]        En fonction de l’argumentaire du syndicat du 29 août 2013, trois (3) questions demeuraient en litige relativement aux sommes à être versées au plaignant au terme de la sentence arbitrale rendue le 28 février 2013 soit :

   « 

  1. L’intérêt légal et l’indemnité additionnelle
  2. Le temps supplémentaire
  3. Le calcul de la suspension de 20 jours qui a été substituée à la suspension de 25 jours (grief 17-11E, pièce S-13).             »

 

[7]        Au 17 septembre 2013, les procureurs de l’employeur informaient le Tribunal dans ses représentations écrites que la troisième (3 e ) question en litige avait été réglée entre les parties.

 

[8]        Ainsi, demeuraient en litige que les deux (2)       premiers points, c’est-à-dire les intérêts et l’indemnité additionnelle et le temps supplémentaire dont aurait été privé le plaignant en raison des décisions de l’employeur qui ont été révisées par le Tribunal.

 

 

III.            LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

A.    Argumentation du syndicat

1.       L’intérêt légal et l’indemnité additionnelle

[9]        Le syndicat soutient que le plaignant réclamait dans tous ses griefs « l’intérêt prévu au Code du travail » soit l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 100.12 du Code du travail. Il ajoute que dans sa décision du 28 février 2013, le Tribunal ne s’est pas prononcé à l’égard de ceux-ci. Il n’a d’ailleurs pas clairement rejeté les demandes du plaignant.

 

[10]      Il argue que la jurisprudence reconnaît la compétence du Tribunal d’accorder ces intérêts et cette indemnité additionnelle lorsque le Tribunal ne s’est pas prononcé sur ceux-ci dans sa décision principale.  La simple mention « sans autres indemnités » n’est pas suffisante pour conclure au refus du Tribunal d’accorder ces montants réclamés (voir tableau 1 du syndicat).

 

2.       Le temps supplémentaire

[11]      Le syndicat indique que le temps supplémentaire perdu par le plaignant était clairement réclamé dans les griefs soumis au Tribunal. Par l’expression « rétablissement de tous mes droits et privilèges » contenue dans ces griefs, le plaignant a droit de soumettre cette réclamation au Tribunal, soutient-il. Même si le Tribunal n’a pas précisé dans sa décision du 28 février 2013 le droit au temps supplémentaire du plaignant, le syndicat affirme néanmoins que le Tribunal a compétence à l’égard de ceux-ci. Il revendique le paiement de celui-ci par l’employeur.

 

 

B.    Argumentation de l’employeur

1.       L’intérêt légal et l’indemnité additionnelle

[12]      Dans un premier temps, l’employeur réplique que le pouvoir d’accorder des intérêts et l’indemnité additionnelle relève de la discrétion du Tribunal et qu’en l’espèce, il ne les a pas accordés au plaignant à l’égard d’aucun de ces griefs. Bien plus, dit-il, les mots utilisés par le Tribunal dans sa décision « sans autres indemnités » ne laisse place à aucune autre demande supplémentaire du syndicat, de la nature de celle qu’il soumet au Tribunal.

 

2.       Le temps supplémentaire

[13]      L’employeur soumet que le Tribunal en rejetant purement et simplement le grief 19-11E sur le temps supplémentaire réclamé par le plaignant, il présumait que cette demande était implicitement incluse dans tous les autres griefs de ce dernier. En précisant dans ses conclusions qu’il accueillait partiellement les griefs du plaignant « sans autres indemnités », le Tribunal décidait ainsi que le plaignant n’aurait pas droit au temps supplémentaire présument perdu.

 

[14]      Au surplus, l’employeur ajoute que le plaignant n’avait pas un droit automatique au temps supplémentaire réclamé selon les dispositions de la convention collective. Il ne peut donc faire valoir ce droit de façon absolue, comme il le fait par sa présente demande. Enfin, il indique que le Tribunal ne peut réviser une décision déjà rendue pour ajouter une réclamation qu’il n’a pas préalablement accordée.

 

IV.             DÉCISION ET MOTIFS

 

[15]      Le Tribunal estime qu’il est nécessaire dans un premier temps de reproduire ci-après le dispositif de sa décision du 28 février 2013 (paragraphe 248, pages 44 et 45) qui se lisait ainsi :

 

«  VII.  Dispositif

[248]     Pour tous les motifs ci-haut mentionnés, après avoir entendu la preuve et les plaidoiries, vérifié le droit et la jurisprudence applicables et sur le tout délibéré, le Tribunal :

 

  1. Grief 30-08E (pièce S-4)

-           SUBSTITUE à la suspension d’une(1) journée, un avis au dossier du plaignant;

-           ORDONNE à l’employeur de verser au plaignant l’équivalent d’une (1) journée de salaire avec les droits et privilèges attachés à celui-ci, au taux applicable au moment du grief en 2008, sans autres indemnités;

  1. Grief 22-09E (pièce S-6)

-           REJETTE le grief du plaignant et maintient la suspension de cinq (5) jours imposée au plaignant par l’employeur;

  1. Grief 19-10E (pièce S-8)

-           ACCUEILLE partiellement le grief du plaignant;

-           ANNULE la mesure disciplinaire du 8 juillet 2010 relativement à dix (10) jours de suspension imposée au plaignant;

-           ORDONNE à l’employeur de verser au plaignant l’équivalent de dix (10) jours de salaire avec les droits et privilèges attachés à celui-ci, au taux applicable au moment du grief en 2010, sans autres indemnités;

  1. Grief 06-11E (pièce S-10)

-           ACCUEILLE partiellement le grief du plaignant;

-           SUBSTITUE à la mesure disciplinaire du  2 mai 2011 de vingt (20) jours de suspension, une suspension de dix (10) jours;

-           ORDONNE à l’employeur de verser au plaignant l’équivalent de dix (10) jours de salaire avec les droits et privilèges attachés à celui-ci, au taux applicable au moment du grief en 2011, sans autres indemnités.

  1. Grief 17-11E (pièce S-13)

-           ACCUEILLE partiellement le grief du plaignant;

-           SUBSTITUE à la mesure disciplinaire du 7 novembre 2011 de vingt-cinq (25) jours de suspension, une suspension de vingt (20) jours;

-           ORDONNE à l’employeur de verser au plaignant l’équivalent de cinq (5) jours de salaire avec les droits et privilèges attachés à celui-ci, au taux applicables au moment du grief en 2011, sans autres indemnités.

  1. Grief 19-11E (pièce S-12)

-           REJETTE le grief du plaignant.

  1. Grief 18-11E (pièce S-14)

-           REJETTE le grief du plaignant.

RÉSERVE sa compétence sur l’application de la présente décision, en cas de mésentente entre les   parties.    »   (nos soulignés)

[16]      Dans cette perspective, le Tribunal a-t-il omis de prendre en considération les réclamations d’intérêts, d’indemnités additionnelles et de temps supplémentaire maintenant demandées par le plaignant à ce stade de la procédure sur la fixation des sommes dues à celui-ci par l’employeur au terme de la décision déjà rendue ?

           

1.       Intérêt légal et indemnité additionnelle

 

[17]      Débutons par  l’intérêt légale et l’indemnité additionnelle prévus à l’article 100.12 du Code du travail.

 

[18]      Il a été, à maintes reprises, reconnu par nos tribunaux que l’arbitre avait discrétion pour accorder le paiement de l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle qui en découle. Il s’agit d’une forme de dommages ou d’indemnités qui s’ajoute aux salaires et autres avantages liés directement à celui-ci qui peut être accordée par le Tribunal dans le cadre de sa décision sur des griefs qui lui sont soumis, comme dans la présente affaire.

 

[19]      À cet effet, monsieur le juge Guthrie de la Cour supérieure dans l’affaire Société canadienne des postes c. Lauzon , (rapportée à AZ-910290 (C.S.) pages 17 à 19),  écrivait :

 

«  Il est important de noter que les intérêts des autres postes de dommages, tels les avantages autres que le salaire lui-même comme, par exemple, une prime de régime d’assurance médicale provinciale, des journées de vacances ou des jours de congé-maladie, etc. Ces avantages sont en effet une partie intégrante de la rémunération d’un employé, alors que les intérêts sont un pourcentage calculé sur le montant total des autres dommages et qui peut être ajouté à titre de dommage supplémentaire.

[…]

 

[…]  En effet, en matière de litige ou grief entre un employeur et son employé, la compensation de l’employé ne peut être assimilée à une simple créance civile, étant donné que  l’arbitre dispose d’une grande discrétion dans le choix des redressements qu’il peut ordonner. Cette discrétion reflète la flexibilité requise pour le règlement des conflits en matière de droit du travail.

[…]

 

Si un arbitre « peut » ordonner le paiement d’intérêts, c’est que les intérêts ne suivent pas automatiquement le principal et que l’arbitre doit en ordonner le paiement pour qu’une partie y ait droit.     »                   (nos soulignés)

 

[20]      Dans la présente affaire, le Tribunal a pris le soin d’indiquer dans son dispositif à l’égard de chacun des griefs où il a révisé la décision de l’employeur qu’il ordonnait à ce dernier de verser au plaignant l’équivalent d’un certain nombre de « jours de salaire avec les droits et privilèges attachés à celui-ci », « sans autres indemnités ».

 

[21]      Clairement, les intérêts et l’indemnité additionnelle de l’article 100.12 du Code du travail n’étaient pas alors accordés au plaignant. Le Tribunal était conscient qu’ils étaient réclamés par les griefs du plaignant, mais en raison des circonstances mises en preuve et rapportées dans sa décision, il entendait limiter la réclamation du plaignant au salaire perdu pour les journées où il aurait dû travailler. Les autres droits et privilèges visaient ce qui était une partie intégrante de celui-ci. L’intérêt et l’indemnité additionnelle ne sont pas une composante de ce salaire.

[22]      Le Tribunal ne fait pas droit à la première demande du syndicat concernant l’intérêt et l’indemnité additionnelle.

 

2.       Temps supplémentaire

 

[23]      Le syndicat estime que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la réclamation de temps supplémentaire du plaignant ou que celle-ci fait partie des droits et privilèges qu’il a accordés dans sa décision.

 

[24]      Le Tribunal ne partage pas ce point de vue du syndicat. Il réfère les parties aux paragraphes 238 et 239 de sa décision où il rejette le grief de temps supplémentaire (grief 19-11E) du plaignant. Mais plus, il indique au paragraphe 239 « Le Tribunal ne fait pas droit à ce grief, car il limite la réclamation du plaignant ».

 

[25]      Ainsi, le Tribunal a considéré que le plaignant réclamait également du temps supplémentaire par ses griefs, mais a limité le remboursement à l’équivalent du salaire perdu pour le nombre de journées mentionné dans le dispositif de sa décision. Les « droits et privilèges attachés » à ce salaire ne comprenaient pas le temps supplémentaire qu’aurait pu faire le plaignant.

 

[26]      D’ailleurs, les mots « sans autres indemnités » indiquaient manifestement que le Tribunal n’entendait accorder au plaignant que le salaire quotidien perdu selon les jours attribués dans sa décision en y incluant ce qui faisait partie intégrante de celui-ci de façon automatique, soit l’ancienneté, les congés et vacances et les régimes collectifs. Il semble d’ailleurs que l’employeur a reconnu ceux-ci et a indemnisé en conséquence le plaignant.

 

[27]      Dans les circonstances, le Tribunal ne fait pas droit à la deuxième demande du plaignant à l’égard de sa réclamation de temps supplémentaire.

 

V.    DISPOSITIF

 

[28]      Pour tous les motifs ci-haut mentionnés, après avoir analysé l’argumentation des parties, vérifié le droit et la jurisprudence applicables et sur le tout délibéré, le Tribunal :

 

-          REJETTE les deux (2) réclamations du syndicat concernant l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle et le temps supplémentaire.

 

 

 

Signée à Bromont, ce 24 septembre 2013

 

 

 

Me Jean Barrette

Arbitre