COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

135650

Cas :

CQ-2013-2643, CQ-2013-2644

 

Référence :

2013 QCCRT 0527

 

Québec, le

12 novembre 2013

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Myriam Bédard, juge administratif

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Yves Bélanger

 

Plaignant

c.

 

Casot ltée

 

Intimée

 

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DÉCISION

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[1]            Le 22 mars 2013, Yves Bélanger dépose deux plaintes en vertu de la Loi sur les normes du travail , RLRQ, c. N-1.1 ( LNT ). La première est fondée sur l’article 122 et la seconde sur l’article 124.

[2]            Il soutient avoir été congédié le 11 février 2013 à la suite de l’exercice d’un droit résultant de la LNT (122 1 o ), soit d’avoir réclamé le paiement des heures supplémentaires travaillées. Ce congédiement pour un motif illégal est évidemment fait sans cause juste et suffisante au sens de l’article 124 LNT, selon lui.

[3]            Casot ltée ( Casot ) répond que c’est en raison du manque de travail qu’elle a mis fin à l’emploi de son chargé de projet.

les faits

[4]            Monsieur Bélanger est bachelier en architecture. Il détient un diplôme en génie militaire du Collège militaire. Il a aussi entrepris un baccalauréat en génie civil qu’il n’a cependant pas terminé. Au moment de son embauche par Casot en novembre 2010, il cumule 33 ans d’expérience de travail sur des chantiers de construction.

[5]            Jusque-là, il était consultant en gestion de projets pour différents clients. Pendant plus de 20 ans, il a travaillé à la construction de salles de cinéma.

[6]            Casot construit principalement des hôtels pour le compte du groupe Germain, entreprise en pleine croissance et bien connue dans le secteur de l’hôtellerie. Des projets sont en cours ou en préparation dans plusieurs provinces.

[7]            Lorsqu’il prend connaissance de l’offre d’emploi publiée par Casot, monsieur Bélanger, qui travaille à son compte depuis plusieurs années, envisage tout d’abord de présenter une proposition d’affaires. La preuve ne révèle pas les circonstances qui ont fait en sorte qu’il a finalement posé sa candidature comme salarié.

[8]            Lors de sa première entrevue, monsieur Bélanger se présente. Il fait valoir sa formation et son expérience. Monsieur April, directeur de la construction, s’enquiert du salaire exigé par le candidat qui agit à son compte depuis longtemps. Le salaire devrait être tributaire des conditions d’emploi, répond-il.

[9]            Au cours de la deuxième entrevue, à laquelle assiste un dirigeant du Groupe, monsieur Germain, on lui confirme son embauche et les conditions de travail : 37.5 heures par semaine, le bénéfice d’une assurance collective, une allocation de dépenses, et des projets à l’extérieur de la région.

[10]         Monsieur Germain lui fait remarquer qu’il ne devrait éprouver aucune difficulté dans l’exécution du mandat qu’on lui confie. Comme monsieur Bélanger a géré des constructions de salles de cinéma pendant plusieurs années, il est habitué aux projets répétitifs comme la construction, par Casot, d’hôtels du Groupe qui en projette alors une dizaine au Canada.

[11]         Le 8 novembre 2010, le nouveau chargé de projet signe son contrat d’emploi qui prévoit les éléments suivants : la date d’entrée en vigueur, la période de probation, le titre, les disponibilités, l’assurance collective, les vacances annuelles et les périodes de fermeture du bureau, le stationnement, l’utilisation d’un téléphone cellulaire, les tarifs privilégiés dans les hôtels du Groupe, les conditions de résiliation et de renouvellement du contrat. En ce qui concerne la rémunération, le «  salaire annuel de base  » y est prévu. Le nombre d’heures de travail hebdomadaire n’est toutefois pas mentionné. Monsieur Bélanger affirme qu’on exige de lui 37.5 heures.

[12]         Ce contrat tient sur une page. Les «  tâches principales  » y sont ainsi décrites : «  Chargé de projet. Disponible pour projets à l’extérieur à temps complet  ».

[13]         Monsieur Bélanger précise qu’il est la personne responsable du chantier. Il vérifie la qualité des travaux et des matériaux utilisés et il est le lien entre Casot et l’entrepreneur général, les ingénieurs, les architectes et les différents professionnels.

[14]         Il est rapidement assigné à la construction d’un hôtel dans la région de Toronto, à proximité de l’aéroport. Puisqu’il s’agit d’un projet qui s’échelonnera sur plus d’un an, Casot lui fournit le logement.

[15]         Pour toutes les semaines travaillées, il transmet à Casot des «  feuilles de temps  », comme on le lui demande. De décembre 2010 à février 2011, on y constate que le nombre d’heures travaillées par monsieur Bélanger excède généralement les 37.5 heures discutées. Malgré cela, il est toujours payé pour 75 heures toutes les deux semaines, comme il est indiqué sur les bulletins de paie.

[16]         Le 25 février 2011, le directeur April écrit à certains employés dont monsieur Bélanger :

Les gars ne pas oublier vos feuilles de temps

ca me les prends pour lundi am

de plus voici le template que vous devrez utiliser à l’avenir

aussi il faut que vos heures arrive a un total de 7.5 heures par jour

pour un total par semaine de 37.5

merci

(reproduit tel quel)

[17]         Un formulaire (template) est joint à l’envoi.

[18]         Monsieur Bélanger téléphone alors à son directeur et lui dit qu’il a, jusque-là, toujours indiqué un nombre d’heures supérieur à 37.5 et que son emploi requiert qu’il travaille plus de 37.5 heures hebdomadairement.

[19]         Monsieur April lui répond que, pour des motifs administratifs, il doit quand même indiquer sur le formulaire prescrit les 37.5 heures, comme demandé. Il lui indique alors de «  garder ses heures en banque  ». Les hommes discutent de temps compensé et de paiement, mais il est convenu qu’ils en décideront plus tard.

[20]         À compter de ce moment, monsieur Bélanger indique 37.5 heures par semaine sur le document qu’il transmet au Service de la comptabilité.

[21]         Il note cependant toutes les heures qu’il travaille dans le journal de chantier qu’il tient quotidiennement.

[22]         Monsieur Bélanger soutient avoir discuté de ses heures supplémentaires avec monsieur April à au moins cinq occasions.

[23]         En juin 2011, un peu avant le congé de la fête Nationale, il s’informe auprès de son directeur de ses droits, puisqu’il travaille en Ontario. Il profite de l’occasion pour l’informer qu’il a au moins 200 heures « en banque ». Monsieur April lui réitère qu’ils s’arrangeront bien. Lors de cette même conversation, le directeur rappelle au chargé de projet qu’il compte sur lui pour les livraisons qui doivent être faites sur le chantier les samedis.

[24]         En septembre 2011, après la fête du Travail, monsieur Bélanger reçoit une formation dans les bureaux de Casot à Québec. Il indique à monsieur April qu’il a maintenant plus de 400 heures en banque.

[25]         Au cours de la fête de Noël 2011, le chargé de projet fait part à son directeur de ses inquiétudes. Il a beaucoup d’heures travaillées et non payées. Monsieur April considère que ce n’est pas l’endroit pour discuter de ces questions, mais il rassure son employé.

[26]         En janvier 2012, une augmentation de salaire de 3 % est accordée à monsieur Bélanger.

[27]         En juin 2012, la question est de nouveau abordée lorsque monsieur April se rend sur le chantier en prévision de l’ouverture prochaine de l’hôtel. Monsieur Bélanger lui indique qu’il a alors accumulé plus de 900 heures. Le directeur suggère d’en reparler lorsque les travaux seront terminés et que l’hôtel sera livré.

[28]         Au cours de l’été, le chargé de projet loge à l’hôtel dont les dix premiers étages sont terminés. Les travaux prennent fin à la fête du Travail 2012.

[29]         Monsieur Bélanger revient alors au Québec où on lui confie, à compter d’octobre 2012, le projet «  Griffintown  », dans la région de Montréal. On lui adjoint un nouvel employé embauché à la fin du mois d’août. Monsieur Guay, âgé de 29 ans, est urbaniste et travaille à compléter une maîtrise en gestion de projet. Ce jeune diplômé, qui n’a aucune expérience des chantiers de construction, bénéficie ainsi du tutorat d’un chargé de projet expérimenté.

[30]         Au cours de l’automne, monsieur April demande, à trois occasions, à monsieur Bélanger de lui remettre le journal de chantier qu’il a tenu à Toronto. Il refuse, mais offre de lui faire une copie. Considérant que cette solution ne semble pas satisfaire son directeur, il ne lui remettra pas la copie des cahiers.

[31]         La version de monsieur April est un peu différente. Il précise avoir demandé une preuve des heures travaillées, ce que lui a refusé son employé. Il n’a donc pas payé les heures réclamées.

[32]         Après la période des Fêtes 2012-2013, monsieur Bélanger constate, sur ses bulletins de paie, qu’on lui a coupé l’équivalent de deux jours de salaire, c’est-à-dire les jours au cours desquels le bureau a été fermé.

[33]         Au retour du congé, le 7 janvier 2013, il demande des explications à la personne responsable de la paie qui précise que cette coupure résulte de l’application d’une directive. Pour corriger la situation, il doit donc attendre le retour de monsieur April qui est en vacances jusqu’au 14 janvier.

[34]         Dès l’arrivée du directeur, monsieur Bélanger le rencontre pour se plaindre de la situation et réclamer une fois de plus le salaire qui lui est dû. Il a «  la mèche courte  » et ajoute que dorénavant, il écrira le temps réellement travaillé sur ses « feuilles de temps ». Il conclut en indiquant qu’il part en vacances le 31 janvier et qu’il compte bien régler la situation dès son retour, le 11 février.

[35]         Monsieur April l’informe que les deux jours coupés lui seront payés «  en temps compensé  ».

[36]         Le 11 février 2013, monsieur Bélanger arrive au bureau à 7 h. Il interpelle monsieur April dès son arrivée vers 9 h et sollicite une rencontre. Le directeur demande quelques minutes, «  le temps d’arriver  ».

[37]         Une vingtaine de minutes plus tard, il convoque le chargé de projet à son bureau et l’informe qu’il lui retire le projet sur lequel il travaille depuis son retour de Toronto. Ce  projet «  Griffintown  », sera confié à monsieur Guay, embauché à la fin du mois d’août 2012 et dont monsieur Bélanger se dit le tuteur. Monsieur April, qui travaillait surtout au projet de condos à Québec qui vient de se terminer, l’assistera. Monsieur Bélanger fait remarquer que monsieur Guay n’a aucune expérience de chantier de construction, qu’il ne peut pas lire un plan et que le directeur, qui prévoit l’assister, a une formation en gestion d’hôtellerie. À ce moment, trois étages de l’hôtel sont terminés, soit environ 10 % du projet, selon l’estimation qu’il en fait. Pour superviser la construction de tours de 14 étages, ajoute-t-il, il faut des connaissances en construction.

[38]         Monsieur April explique qu’après que l’entrepreneur qui travaillait sur ce projet depuis un an et demi ait déserté le chantier, un autre entrepreneur avec qui Casot a fait affaires à plusieurs occasions est retenu. Ce contractant connaît la façon de travailler de l’entreprise et exige donc une surveillance moins rigoureuse.

[39]         Il ajoute que son nouvel employé, embauché le 22 août 2012, est détenteur, au moment de son embauche, d’une maîtrise en gestion de projet. Il admet ensuite qu’il n’a obtenu ce diplôme qu’après le départ de monsieur Bélanger, au printemps 2013 croit-il.

[40]         Le directeur April désigne ce nouvel employé comme un « chargé de projet - coordonnateur » parce que, lors de son embauche, on confie au jeune diplômé des tâches de coordination dans le bureau. Son premier mandat consiste à élaborer les descriptions de tâches. Il organise aussi «  la paperasse pour standardiser ». Puisqu’on le destine à être chargé de projet, il travaille sur le projet qu’on a retiré à monsieur Bélanger et il voit aussi à de « petits audits » , des « audits de papeterie » .

[41]         Monsieur Bélanger souligne, par ailleurs, qu’en octobre 2012, monsieur April lui avait demandé, en raison de sa formation en architecture et en ingénierie, de vérifier les plans d’un projet entrepris à Winnipeg. Il a alors remis un rapport d’une vingtaine de pages faisant état des anomalies qu’il a constatées. Lorsqu’il a quitté son emploi en février, l’excavation était terminée, ce qui constitue environ 5 % des travaux prévus.

[42]         Monsieur April explique que ce projet, devant commencer en janvier 2013, a été retardé de sept mois et dépose, pour le démontrer, un document intitulé «  Notice of Substantial Completion of Initial Construction  » daté du 9 septembre 2013 qui précise que la construction de l’hôtel doit commencer dans les 14 jours. La preuve ne révèle toutefois pas la date de début des travaux qui était envisagée le 11 février 2013.

[43]         En février 2013, le projet en cours à Halifax n’est pas terminé. Environ 70 % des travaux sont alors complétés. Plus tôt, à l’automne 2012, monsieur Bélanger a travaillé aussi sur ces plans et a relevé une quinzaine de pages d’anomalies. Le projet a pris fin à la fin du mois de mai 2013.

[44]         Le chargé de projet en poste à Halifax est embauché en janvier 2012. En juin 2013, après que ce projet soit terminé, il est assigné à celui de Winnipeg.

[45]         Selon monsieur Bélanger, d’autres projets sont en cours au moment de sa fin d’emploi. Il y a, par exemple, la rénovation d’un hôtel de Québec et de nombreux petits projets à Calgary où, chaque semaine, un employé de Casot doit se rendre. Bref, soutient-il, il y avait du travail pour lequel ses compétences étaient requises.

[46]         Des trois chargés de projet (si on admet que le jeune diplômé en soit), monsieur Bélanger est celui qui est le plus qualifié. Il est bachelier en architecture, diplômé en génie militaire et a étudié en génie civil. Il cumule plus de trente années d’expérience sur les chantiers de construction L’un de ses collègues, dans la quarantaine, est issu d’un corps de métier et possède une vingtaine d’années d’expérience. L’autre est fraîchement diplômé en urbanisme et étudie pour obtenir une maîtrise en gestion de projet. Il n’a aucune expérience.

[47]         De plus, monsieur Bélanger connaît les projets en cours. Il y a été impliqué dans presque tous les cas. Sa formation et son expérience lui permettent de travailler à toutes les étapes, à partir des plans jusqu’à la livraison.

[48]         Il est aussi celui qui a le plus d’ancienneté. Il est engagé le 8 novembre 2010, alors que ses collègues ont été embauchés les 16 janvier 2012 et 22 août 2012.

[49]         Ce 11 février, le chargé de projet encaisse quand même la décision de le retirer du projet sur lequel il travaille et insiste pour régler la question de ses heures supplémentaires la journée même.

[50]         Vers 15 h, le directeur le convoque à nouveau dans son bureau et le questionne sur son intérêt pour son travail, compte tenu du retrait de son dossier. Monsieur Bélanger répond qu’il en profite pour mettre de l’ordre dans ses dossiers. Monsieur April lui annonce alors que l’entreprise n’a plus besoin de trois chargés de projet.

[51]         Les versions sont contradictoires sur la teneur des discussions qui ont alors cours. Monsieur Bélanger affirme que son directeur s’est enquis de démarches effectuées à la Commission des normes du travail et aurait ajouté que, de toute façon, il savait que son employé cherchait un emploi ailleurs. Il lui a indiqué la porte après lui avoir offert de démissionner. Le directeur aurait ajouté : «  tu te débrouilleras avec tes heures  ».

[52]         Monsieur April prétend de son côté qu’ils ont d’abord discuté du paiement des heures supplémentaires. Il a demandé les cahiers contenant le journal de chantier et affirmé qu’ils trouveraient une solution. Il a ensuite expliqué que les projets ne «  décollaient  » pas et qu’il ne pouvait le garder «  sur une tablette  ». Il a, soutient-il, offert à monsieur Bélanger de rester en poste un ou deux mois le temps de se trouver autre chose, mais il a décliné l’offre et a quitté sur le champ.

[53]         Aucun reproche n’est adressé à monsieur Bélanger et la preuve ne révèle aucune tache à son dossier d’employé.

[54]         À la suite de la fin d’emploi, il transmet une mise en demeure à Casot réclamant 1 400 heures non payées.

[55]         Aucun chargé de projet n’a été embauché depuis le départ de monsieur Bélanger.

l’analyse et les motifs

la plainte fondée sur l’article 122 Lnt

[56]         Monsieur Bélanger est un salarié au sens de la Loi, il a réclamé le paiement d’heures de travail et il a été congédié de façon concomitante à cette demande, le 11 février 2013.

[57]         La Commission n’a pas à décider du fondement du droit réclamé. La réclamation de salaire pour les heures travaillées découle de l’application de l’article 55 de la LNT et apparaît sérieuse. Le chargé de projet démontre donc une apparence de droit et agit en toute bonne foi ( Tardif c. 2735-9975 Québec inc., 96T-419). Cela suffit pour considérer qu’il a exercé un droit.

[58]         Monsieur Bélanger bénéficie donc de la présomption voulant qu’il ait été congédié en raison de cette demande qui constitue l’exercice d’un droit au sens du premier paragraphe de l’article 122 de la Loi. C’est sur l’employeur que repose alors le fardeau de la preuve. Il doit démontrer l’existence d’une autre cause de congédiement que cette réclamation. Cette cause, pour être juste et suffisante, doit être sérieuse, elle doit être la véritable cause du congédiement et elle ne doit pas constituer un prétexte pour mettre fin à l’emploi de monsieur Bélanger en raison de sa demande de paiement ( Lafrance c. Commercial Photo, [1980] 1 R.C.S. 536 et Hilton Québec c . T.T. [1980] 1 R.C.S. 548 ).

[59]         Par ailleurs, la Cour d’appel dans Silva c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal - Pavillon Notre-Dame, AZ-50425225 réitère que «  dès que la sanction procède d'un motif illicite, ou que celui-ci cohabite avec un autre motif qui lui est licite, alors la présomption de l'article  17 du Code du travail n'est pas repoussée  ».

[60]         En l’espèce, la cause invoquée par Casot est le licenciement, c’est-à-dire la fin d’emploi en raison d’un manque de travail.

[61]         Dans Drolet c. ABB inc. , 2009 QCCRT 0209 , la Commission traite du fardeau de la preuve en cette matière :

[29] Lorsqu’un licenciement est invoqué en opposition à une allégation de congédiement, le rôle de la Commission consiste à évaluer si le motif organisationnel est la cause réelle de la fin d’emploi, ou s’il sert plutôt à camoufler un congédiement. Elle n’a pas à apprécier la justesse, l’opportunité ou le bien-fondé de la décision de l’employeur, mais si elle décèle dans cette décision un prétexte pour se départir des services d’un salarié, elle peut considérer qu’il s’agit d’un congédiement et non d’un licenciement.

[30] Le fardeau de prouver que la réorganisation est réelle et que la fin de l’emploi est véritablement causée par cette réorganisation repose sur l’employeur. C’est toutefois au salarié de démontrer la mauvaise foi, la discrimination ou l’arbitraire de la décision faisant foi de l’existence d’un prétexte ou d’un subterfuge pour le congédier injustement.

[31] Pour en décider, la Commission peut se pencher sur les critères de sélection utilisés par l’employeur.  S’ils sont objectifs, raisonnables, exempts de discrimination et d’arbitraire, ils seront indicatifs d’un licenciement.

[32] Plus la décision de l’employeur s’éloigne «  du bon sens et de l’usage dans le monde du travail  », notion à laquelle réfère la Cour d’appel dans Boyer c. Hewitt Equipement Limitée [1988] R.J.Q. 2112 , plus il y a lieu d’approfondir l’analyse des critères utilisés par l’employeur.  L’éloignement des critères «  naturels  », généralement reconnus en milieu de travail, comme l’ancienneté, bien qu’il puisse être justifié, devrait amener une réflexion plus élaborée en ce qui concerne les motivations de l’employeur. 

[34] Cette analyse, faut-il le rappeler, s’effectue dans le cadre de l’application de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail qui crée, en faveur du salarié, un droit à l’emploi (voir l’affaire Boyer précitée).

[62]         Si les explications apportées par Casot à l’appui de la coupure d’un des postes de chargé de projet apparaissent plausibles, il en est autrement de celles invoquées pour justifier le choix de garder les autres chargés de projets plutôt que monsieur Bélanger, qui ne convainquent pas.

[63]         Dans les circonstances décrites, il est parfaitement illogique de préférer les deux autres chargés de projet (si on admet que le jeune diplômé en soit), alors que monsieur Bélanger est celui qui est le plus qualifié, celui qui a les plus grandes compétences, celui qui connaît les projets en cours et aussi, celui qui a le plus d’ancienneté.

[64]         De plus, la concomitance entre la fin d’emploi et la réclamation de salaire est pour le moins troublante. Bien que monsieur April n’ait jamais refusé de payer les heures réclamées, il a, à chaque fois, reporté la discussion sur cette question. C’est le jour même où monsieur Bélanger exige fermement le paiement qu’il est congédié.

[65]         Casot n’explique d’aucune façon ce qui a justifié son choix de mettre fin à l’emploi de monsieur Bélanger plutôt qu’à celui d’un des deux autres chargés de projets qui ne bénéficient pas de la protection prévue par l’article 124 LNT, d’un droit à l’emploi, comme le rappelle la Cour d’appel dans l’affaire Boyer précitée :

D’autre part, il faut reconnaître que cette loi crée en faveur du salarié un droit à l’emploi, indépendamment de son contrat de travail. (p. 2114)

(citations omises)

[66]         Dans St-Onge c. Les distributions R.V.I. Ltée, Bureau du commissaire général du travail, CM9511S1113, 7 juin 1996, 96T-1034, le commissaire du travail Racicot, décidant d’une affaire similaire, mentionne ce qui suit à la page 10 :

Dans le cas à l’étude en l’instance, force nous est de  constater que le choix de l’employeur n’est basé sur aucun critère objectif. L’employeur met fin à l’emploi de Rachel St-Onge qui fait un excellent travail (aucune preuve à l’effet contraire sauf une erreur commise en janvier 1995, qu’on ne lui demande pas de corriger) et qui justifie de plus de trois ans de service continu, au profit d’un salarié embauché en octobre 1992 et qui depuis septembre 1994 exécute le même travail que la plaignante, après que celle-ci l’y ait initié.

Le commissaire partage l’opinion exprimée par le professeur Rodrigue Blouin à l’effet que :

« on voit mal comment un employeur pourrait remercier de ses services un employé ayant plus de cinq* de service continu et garder en emploi un nouveau salarié. Bonifier un tel comportement serait annihiler les objectifs poursuivis par le législateur puisque la protection offerte à l’article 124 L.N.T. ne vise que le travailleur ayant, notamment, cinq ans* de service continu »

(citations omises)

[67]         La durée de service continu requise pour bénéficier de la protection est aujourd’hui de deux ans.

[68]         Ainsi, aucune cause juste et suffisante de congédiement n’est démontrée et la plainte doit être accueillie.

la plainte fondée sur l’article 124 LNT

[69]         La plainte en vertu de l’article 124 LNT doit également être accueillie. La cause du congédiement, jugée illégale en vertu de l’article 122 LNT,  ne peut être considérée juste et suffisante.

 

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                 les plaintes en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail ;

ANNULE                         le congédiement imposé le 11 février 2013;

ORDONNE                     à Casot ltée de réintégrer Yves Bélanger dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision;

ORDONNE                     à Casot ltée de verser à Yves Bélanger, à titre d’indemnité, dans les huit (8) jours de la signification de la présente décision, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé le congédiement;

RÉSERVE                      sa compétence pour déterminer le quantum de l’indemnité, le cas échéant.

 

 

 

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Myriam Bédard

 

 

M e Norman Dumais

RIVEST, TELLIER, PARADIS

Représentant du plaignant

 

M e Sébastien Gobeil

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Représentant de l’intimée

 

Date de la dernière audience :

10 octobre 2013

 

/ap