La Roche c. Roberge

2013 QCCQ 14123

 

        JB3844

 
 COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile  »

N o  :

200-32-056963-126

 

DATE :

18 octobre 2013

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE JUGE ANDRÉ J. BROCHET, J.C.Q.

 

 

 

MARIE-JOSÉE LA ROCHE

[…], Cowansville (Québec) […]

 

Demanderesse

c.

 

D re CÉLINE ROBERGE

2590, boul. Laurier, bur. 840 (Place de la Cité, Tour Belcourt), Québec (Québec) G1V 4M2

 

Défenderesse

 

 

JUGEMENT

 

 

INTRODUCTION

[1]            La demanderesse, Mme Marie-Josée La Roche, recherche la responsabilité de la défenderesse, Dre Céline Roberge, suite à une lipectomie des bras pratiquée le 16 juin 2009. Plus particulièrement, Mme La Roche reproche à la Dre Roberge de ne pas avoir respecté le protocole chirurgical d'une chirurgie esthétique et d'en avoir subi des dommages moraux et physiques et dommages-intérêts pour lesquels elle réclame une somme de 7 000 $, notamment pour reprendre ladite chirurgie. Mme La Roche ajoute à ces reproches une attitude irrespectueuse de la D re Roberge à son égard en situation préopératoire et postopératoire.

[2]            La Dre Laberge conteste toute responsabilité et indique avoir agi en médecin prudent et diligent suivant les règles de l'art applicables en l'espèce. Elle était soumise à l'obligation de moyen et non de résultat, dit-elle.

LES FAITS RETENUS PAR LE TRIBUNAL

[3]            La réclamation de Mme La Roche est fort bien documentée dans sa présentation, à l'aide de photographies d'avant et après la lipectomie. Notons ici immédiatement que Mme La Roche a subi une chirurgie bariatrique le 31 mars 2003, à l'Hôpital Laval de Québec.

[4]            C'est le 29 septembre 2006 qu'elle rencontre pour la première fois la Dre Roberge à sa clinique. Un an plus tard, elle lui demande s'il est possible qu'elle subisse une lipectomie bilatérale des bras. Cette dernière accepte et des photographiques sont prises des bras de Mme La Roche, lesquelles ont été déposées en défense.

[5]            Le bureau de Mme Laberge entreprend des démarches auprès de la Régie de l'assurance-maladie du Québec pour obtenir l'autorisation de paiement, ce qui est complété au début janvier 2008.

[6]            Le 29 septembre 2008, la Dre Roberge revoit Mme La Roche et la chirurgie est fixée au 16 juin 2009. Tous les risques et complications potentiels de cette chirurgie sont expliqués à Mme La Roche, suivant la Dre Roberge. Elle lui aurait appris que la chirurgie laisserait des boules sous les aisselles.

[7]            Au moment de sa lipectomie des bras, Mme La Roche est âgée de 46 ans.

[8]            Le 16 juin 2009, la Dre Roberge procède donc à la lipectomie bilatérale, à l'Hôpital St-Sacrement de Québec. Dès son réveil et dans les heures qui suivent, Mme La Roche manifeste un mécontentement à l'égard des résultats de cette opération. Elle semble avoir eu une période postopératoire difficile, n'ayant pas bénéficié de voir la Dre Roberge après la chirurgie et ayant eu une difficulté cardiaque qui fut soignée par les services d'urgence de l'hôpital. Soulignons ici que Mme La Roche a un lourd passé médical qu'il est inutile de détailler pour les fins du présent jugement, mais qui nécessitait une surveillance constante de son état.

[9]            Le 23 juin 2009, Mme La Roche revoit la Dre Roberge en consultation post-chirurgicale, à l'Hôpital St-Sacrement. Il s'est développé chez Mme La Roche une réticence à continuer à confier ses soins médicaux à la Dre Roberge, qui semble distante avec elle et ne pas la traiter avec sympathie et humanité, si on peut dire.

[10]         Cette impression de personnalité froide et distante de la Dre Roberge avait été notée par Mme La Roche à la première rencontre qu'elle a eue avec elle en septembre 2006. Elle avait même remarqué une certaine agressivité dans son comportement. Mme La Roche avait ressenti un malaise à ce sujet, mais était demeurée sa patiente parce que les chirurgiens qui acceptent de compléter les démarches et d'être payés par la Régie d'assurance maladie du Québec sont peu nombreux.

[11]         Dre Roberge lui aurait communiqué, le 23 juin 2009, qu'elle pourrait la « reprendre » en septembre 2009. Il faut comprendre « parfaire » la première chirurgie. Mme La Roche refuse toute intervention autre de la Dre Roberge.

[12]         Lorsqu'elle rencontre Mme La Roche, ce jour du 23 juin 2009, Dre Roberge lui demande de prendre rendez-vous à sa clinique pour le mois de septembre suivant. Mme La Roche n'a pas donné suite à cette demande, de sorte que la Dre Roberge ne l'a pas revue.

[13]         Elle lui réclame maintenant la somme de 7 000 $ afin de pouvoir subir une nouvelle opération de chirurgie esthétique ailleurs, à ses frais, et dépose des évaluations correspondant au coût de telle opération.

ANALYSE ET DÉCISION

[14]         Il est bien acquis que pour qualifier la conduite professionnelle d'un médecin, le Tribunal doit être instruit et se doit de considérer les règles de l'art de la pratique de la médecine pour les actes reprochés, la chirurgie esthétique dans notre dossier. À moins d'être en présence d'une faute irréparable évidente et qui peut être évaluée à sa face même, pour conclure à une faute, le Tribunal doit connaître et évaluer d'abord et avant tout les conditions que le médecin doit respecter et qui le guident lorsqu'il performe ces soins médicaux qui sont fautifs pour le plaignant.

[15]         Il a été affirmé maintes fois par les tribunaux que pour conclure à la faute médicale, le Tribunal doit d'abord conclure à un défaut de respecter la norme de pratique existante à l'égard de la faute reprochée. Dans la quasi-totalité des cas, cette preuve de la norme de pratique se fait par expertise. Elle est absente dans le présent dossier.

[16]         Voici ce que révèle à ce sujet une décision toute récente de la Cour supérieure:

Dans le cas où la responsabilité médicale est alléguée, sans équivoque, la Cour d'appel et notre Cour établissent que, pour établir la faute professionnelle, soit la norme de comportement du médecin spécialiste prudent et diligent, placé dans des circonstances semblables, la preuve d'expertise est nécessaire [1] .

[17]         Éliminons ici dès maintenant les reproches formulés à l'égard de la Dre Roberge pour les soins préopératoires et postopératoires. En effet, il ne s'agit pas du nœud de la question. Sauf certaines inquiétudes et interrogations que pouvait avoir Mme La Roche, il n'a pas semblé y avoir de conséquences graves à ces reproches, à supposer même qu'ils soient fondés. Il apparaît qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une question déontologique et disciplinaire.

[18]         Quant au protocole chirurgical opératoire lui-même, il a été analysé par le Dr André Chollet, expert en chirurgie plastique et reconstructive, qui n'y trouve rien à redire.

[19]         Remarquons que ce dernier n'a jamais rencontré Mme La Roche et a pris connaissance des pièces au dossier seulement deux jours avant l'audition. Voilà la raison pour laquelle il n'indique qu'à l'audience que l'opération de Mme La Roche nécessitait une retouche puisque les incisions dans les aisselles avaient été faites un peu bas. C'est la raison de l'existence de ces poches sous aisselles, nécessitant cette chirurgie de retouche qui se fait généralement en clinique, sous anesthésie locale.

[20]         Le Dr Chollet indique que ces retouches sont souvent requises, surtout pour une ptose sévère de type « 3 ». Cette dernière se définit par une accumulation graisseuse étendue et une laxité cutanée importante. Les règles de la chirurgie exigent d'éviter les dommages aux vaisseaux et aux nerfs qui cheminent sous le fascia profond.

[21]         Le Dr Chollet précise que chez une patiente avec difformité de type 3 comme Mme La Roche, il est impossible d'obtenir un résultat parfait, c'est-à-dire une peau tendue, un contour idéal et une fine cicatrice .

[22]         Il ajoute que la chirurgie de lipectomie est un défit à cause des attentes et du fait que la cicatrice est apparente. La ptose importante de type 3 de Mme La Roche demande parfois que le résultat final soit soumis à une deuxième intervention. Ce sont les risques associés à la chirurgie qui empêchent de compléter le travail chez les difformités de type 3.

[23]         Le Dr Chollet admet une erreur de la Dre Roberge, c'est-à-dire d'avoir incisé les bras dans l'aisselle dans une partie un peu basse par rapport à la nécessité exigée par la condition des bras de Mme La Roche. Il s'agit là du motif principal de la retouche proposée.

[24]         Il n'est pas inhabituel, dans le contexte de la pratique médicale chirurgicale esthétique, de procéder à deux chirurgies dans le cas d'une patiente atteinte comme Mme La Roche.

[25]         Malheureusement, Mme La Roche n'a pas effectué ses suivis auprès de la Dre Roberge. Cette dernière affirme qu'il est fort probable que la Régie de l'assurance maladie du Québec ait accepté de payer pour cette retouche, qu'elle soit faite par elle ou par un autre chirurgien.

[26]         Ainsi, en l'absence de toute indication précise comme quoi les règles de la chirurgie esthétique n'ont pas été suivies, le Tribunal ne peut accueillir la réclamation de Mme La Roche. La faute médicale, il faut le dire, n'est pas simple et facile à exposer pour une personne qui n'est qu'une patiente et qui ne connaît pas l'étendue de cette science.

[27]         Il est évident que les attentes de Mme La Roche étaient beaucoup plus élevées que les résultats de la chirurgie, qui peuvent être décevants, surtout pour la personne concernée.

[28]         Mais quel moyen n'a pas été engagé par la Dre Roberge pour satisfaire Mme La Roche? La preuve est silencieuse sur cette question. Chaque être humain est différent l'un de l'autre et les résultats d'une opération esthétique chez l'un peuvent varier par rapport aux résultats chez l'autre, à cause de la formation du corps et de la façon dont ce dernier est constitué.

[29]         Le Tribunal ne peut que regretter ce climat de méfiance qui s'est installé maintenant entre Mme La Roche et la Dre Roberge. Le professionnel doit, dans toute mésentente avec son client, assumer une plus grande part de responsabilité et c'est pourquoi il est à souhaiter que la Dre Roberge tente, au moins à une reprise, de rétablir les liens avec son ex-patiente.

[30]         Ainsi, dans les circonstances de la présente affaire, le recours de Mme La Roche sera rejeté, sans frais.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

REJETTE la réclamation de la demanderesse, Mme Marie-Josée La Roche, contre la défenderesse, Dre Céline Roberge.

SANS FRAIS .

 

__________________________________

ANDRÉ J. BROCHET, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

28 août 2013

 



[1]      Sullivan c. Aubry (C.S) 2013 QCCS 4345 , j. Bergeron, qui réfère à Leduc c. Soccio , 2007 QCCA 209 ; Cossette c. Corporation , 2012 QCCS 879 ; Deland c. Lachance , 2012 QCCS 2664 ; Lebrun c. Brossard , 2009 QCCS 2664 ; N.L. c. Sabbah , 2009 QCCS 2338 .