Martin c. Hamel |
2013 QCCQ 14252 |
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COUR DU QUÉBEC |
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«Division des petites créances»
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
TERREBONNE |
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LOCALITÉ DE |
ST-JÉRÔME |
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« Chambre civile » |
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N° : |
700-32-024799-106 |
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DATE : |
20 novembre 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PIERRE CLICHE, J.C.Q. |
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STÉPHANE MARTIN |
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Demandeur / défendeur reconventionnel |
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c. |
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DANIEL HAMEL |
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Défendeur |
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HAZE ÉBENISTERIE INC. |
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Défenderesse / demanderesse reconventionnelle |
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JUGEMENT |
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[1] Monsieur Stéphane Martin réclame solidairement 7 000,00 $ de monsieur Daniel Hamel et de la compagnie Haze Ébénisterie inc. (ci-après appelée «Haze»), pour avoir fait défaut de respecter leurs obligations contractuelles en temps utile.
[2] Monsieur Hamel nie toute responsabilité relativement à cette réclamation soutenant que seule Haze, dont il est le président, administrateur et actionnaire majoritaire, a contracté avec monsieur Martin.
[3] Haze conteste la réclamation du demandeur et se porte demanderesse reconventionnelle pour un montant de 1 910,96 $ à titre de dommages, au motif que monsieur Martin a résilié unilatéralement son contrat.
CONTEXTE FACTUEL ET ANALYSE
[4] Les faits les plus pertinents retenus par le Tribunal sont les suivants.
[5] Au cours de l'automne 2010, monsieur Martin, ainsi que sa conjointe, madame Andréanne Choquette, décident de rénover l'ensemble de leur résidence.
[6] Dans le cadre de ces travaux, monsieur Martin retient les services de Haze, dont il connaît bien le président, afin qu'elle procède à la fabrication et l'installation de mobiliers de cuisine (armoires, garde-manger et comptoir).
[7] Monsieur Hamel est alors avisé que madame Choquette verra à gérer le projet de ces rénovations.
[8] Le 22 octobre 2010, monsieur Hamel confirme par courriel, et ce, suite à une demande formulée par madame Choquette, que la livraison du mobilier, y compris le comptoir de cuisine, est prévue pour la date approximative («environ») du 26 novembre 2010 et que l'ensemble des travaux d'installation à être exécutés par Haze, seront terminés à la mi-décembre de la même année.
[9] Le 27 octobre 2010, une soumission préparée par monsieur Hamel, au nom de Haze, au montant de 10 734,41 $ taxes incluses, est acceptée par monsieur Martin [1] .
[10] Cette soumission inclut la fabrication et l'installation du mobilier de cuisine, y compris celle d’un évier et d'un comptoir en marbre.
[11] Au cours du mois de novembre, plusieurs courriels sont échangés entre madame Choquette et monsieur Hamel, aux termes desquels, elle lui confirme, entre autres, ses choix d'armoires, y compris leur couleur, de même que les caractéristiques du comptoir à être installé.
[12] À la demande de monsieur Hamel, la preuve révèle que monsieur Martin a verser à Haze, au cours du même mois, une somme de 3 000,00 $ à titre de dépôt.
[13] Le 23 novembre, monsieur Hamel avise madame Choquette que le comptoir ne pourra être livré avant le 7 décembre et que son installation aura lieu approximativement à cette date.
[14] Au cours de la même journée, il lui demande de lui fournir, pour le lendemain, ses choix concernant plusieurs caractéristiques et détails à propos des armoires à être fabriquées par Haze.
[15] La preuve révèle qu’en date du 27 novembre 2010, Haze n'avait pas encore mis en production les armoires requises par le demandeur.
[16] Deux jours plus tard, monsieur Hamel avise madame Choquette que les travaux d'installations des armoires auront lieu le lundi 6 décembre et non le vendredi 3 décembre 2010.
[17] Madame Choquette prend alors acte par courriel de ce changement.
[18] Or, le 3 décembre 2010, à 5h12 du matin, monsieur Hamel envoie à madame Choquette le courriel suivant :
« Je dois encore retarder ma livraison.
Je sais, ça pas d'allure, je suis le seul de tous tes sous traitant qui ne respecte pas ses échéanciers, etc….
Tout le monde à son lot de problème et j'ai eu le mien avec le contrat qui précède le votre.
Je livre finalement ce contrat lundi après 2 semaines de retard dont un report au jour le jour cette semaine.
On travail tout le week-end sur votre projet, mais je ne veux pas tourner les coins rond, on parle d'une cuisine qui sera là pour les prochains 25 ans.
Je serai en meilleur position après ce week-end.
J'installe votre cuisine la semaine prochaine, je ne sais juste pas si on parle de mardi, mercredi……
Merci de m'apprécié quand même, je vous aime, Daniel.» [2]
[19] Au cours de même journée, madame Choquette lui répond ceci:
« D'accord Daniel, espérant ne pas être déçue et de te voir à la maison mardi.
Pour ton information, jeudi et vendredi, il y aura des gars sur les trois étages de la maison tant pour les marches que pour le sous-sol pour la continuité de celui-ci. Nous n'avons malheureusement plus de marge de manœuvre. Espérant que tu réussiras à produire de façon efficace et magnifique, tel que nous le croyons depuis le début.
Bon travail!»
[20] Quelques minutes plus tard, monsieur Hamel avise madame Choquette que l'évier de la cuisine n'est plus disponible (« back order») avant le 10 janvier 2011.
[21] Cet évier avait été choisi, au cours du mois de novembre, par le demandeur et sa conjointe et devait être commandé par Haze.
[22] Dans les faits, le demandeur et sa conjointe se sont vus alors dans l'obligation de faire des recherches afin de trouver ce même évier auprès de différents détaillants.
[23] Le 4 décembre 2010, suite à ces recherches, le demandeur fut d'ailleurs obligé d'aller acheter cet évier à Valleyfield et de le livrer lui-même chez Haze.
[24] À cette occasion, il affirme avoir constaté que les armoires n'ont pas encore été fabriquées par Haze.
[25] Le 7 décembre 2010, monsieur Hamel avise madame Choquette qu'il a terminé, depuis la veille, d'assembler les portes et qu'il travaille sur les tiroirs des armoires.
[26] Le lendemain, soit le 8 décembre 2010, il l'avise que la livraison du comptoir, de même que l'installation complète du mobilier de cuisine ne sera pas possible avant le jeudi 16 décembre 2010.
[27] Des photos montrant la fabrication non terminée des meubles construits par Haze sont jointes à ce courriel, dans lequel monsieur Hamel indique que :
« Ce n'est pas grand chose, mais ca avance.»
[28] Cette situation provoque alors la colère de monsieur Martin qui communique, au cours de la même journée et par téléphone, auprès de monsieur Hamel pour lui faire part, sans retenue, de son mécontentement.
[29] Dans les minutes suivant cet appel téléphonique, monsieur Hamel envoie un courriel à monsieur Martin et à madame Choquette intitulé «cuisine cancellation», lequel se termine de la façon suivante:
« J'ai quand même fabriqué la cuisine, elle n'est pas fini, le sais. Tu comprendras que je ne peu pas te redonné ton avance, j'ai des frais pour les matériaux et du temps.
Je ne comprends pas ta décision, mais je dois l'accepter. Peu être qu'un jour ce reparlera.
J'ai bien reçu le message et le sms d'Andréanne et l'évier vous sera retourné tel que demandé.
Bonne chance, Daniel »
[30] Or, quelques minutes plus tard, monsieur Martin fait parvenir un courriel à monsieur Hamel par lequel il lui fait part de nouveau de son insatisfaction, mais conclu de la façon suivante:
« Daniel je ne veux pas en arrivé la, pense a ce que je te dit trouve toi un helper pour 2 jours et fait ta job comme elle etais supposer etre faite et tout vas etre correct, moi j'ai petter une coche oui mais toi tu n'avais pas grand chose à dire… meme pas excuse!!!!!!
Reviens moi avant midi… il faut que je prenne dews décisions qui ne feront pas mon affaire ni la tienne…
Pour le comptoire tu ma dit qu'il venais en une pièce donc pas de retouche non ?????
Sans rancune et avec oubligance. »
[31] Compte tenu des circonstances et malgré le dernier courriel reçu, monsieur Hamel décide d'arrêter ses travaux considérant que monsieur Martin a mis fin unilatéralement à son contrat.
[32] La preuve révèle qu'au cours de la journée du 8 décembre, monsieur Hamel contacte son sous-traitant, responsable de la fabrication et de l'installation du comptoir, l'avisant d'arrêter ses travaux.
[33] Le matin du 9 décembre 2010, monsieur Hamel reçoit par courriel une lettre du procureur de monsieur Martin [3] par laquelle les défenderesses sont mis en demeure de procéder à la livraison et à l'installation complète du mobilier de cuisine au plus tard le 12 décembre 2010 à 17 heures.
[34] Le lendemain, le procureur des défenderesses lui répond par écrit et l'avise, entre autres, que son client a résilié unilatéralement le contrat le 8 décembre 2010 et qu'en conséquences, les travaux requis du sous-traitant pour confectionner et installer le comptoir furent immédiatement arrêtés [4] .
[35] Il est alors indiqué que Haze est en mesure de terminer ses travaux et de procéder à l'installation des armoires de cuisine au plus tard le 23 décembre 2010 mais que l'installation du comptoir ne pourra se faire qu'en janvier 2011.
[36] Entre le 10 et le 13 décembre 2010, des correspondances sont échangées entre les procureurs des parties, mais aucune entente n'intervient entre elles.
[37] Bien que le 9 décembre 2010, monsieur Martin a reçu la livraison de ses électroménagers, sa cuisine est restée sans comptoir, armoires ni garde-manger durant la période des fêtes.
[38] Dans les faits, le demandeur a du retenir les services d’un autre entrepreneur qui, au cours du mois de janvier 2011, a procédé à la fabrication et l’installation de son mobilier de cuisine, et ce, à son entière satisfaction.
QUESTIONS EN LITIGE.
1. Qui a résilié le contrat intervenu entre les parties?
2. Le demandeur est-il en droit d'être indemnisé suite à la résiliation du contrat et dans l'affirmative, pour quel montant?
3. Le codéfendeur, monsieur Daniel Hamel, peut-il être tenu responsable du paiement de toute indemnité envers le demandeur?
4. La demande reconventionnelle de la codéfendersse Haze est-elle bien fondée?
a) Le droit applicable et les règles de preuve.
[39] La preuve révèle qu'un contrat d'entreprise est intervenu entre le demandeur et la compagnie Haze, suite à la signature, par le demandeur, de la soumission portant la date du 27 octobre 2010.
[40] Les articles du Code civil du Québec pertinents au présent litige et qui concernent le contrat d'entreprise sont les suivants:
Article 2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.
Article
2100.
L'entrepreneur et le prestataire de
services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence
et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser
ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art,
et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est
conforme au contrat.
Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.
Article 2101. À moins que le contrat n'ait été conclu en considération de ses qualités personnelles ou que cela ne soit incompatible avec la nature même du contrat, l'entrepreneur ou le prestataire de services peut s'adjoindre un tiers pour l'exécuter; il conserve néanmoins la direction et la responsabilité de l'exécution.
Article
2125.
Le client peut, unilatéralement,
résilier le contrat, quoique la réalisation de l'ouvrage ou la prestation du
service ait déjà été entreprise.
Article 2126. L'entrepreneur ou le prestataire de services ne peut résilier unilatéralement le contrat que pour un motif sérieux et, même alors, il ne peut le faire à contretemps; autrement, il est tenu de réparer le préjudice causé au client par cette résiliation.
Il est tenu, lorsqu'il résilie le contrat, de faire tout ce qui est immédiatement nécessaire pour prévenir une perte.
Article
2129
.
Le client est tenu, lors de la
résiliation du contrat, de payer à l'entrepreneur ou au prestataire de
services, en proportion du prix convenu, les frais et dépenses actuelles, la
valeur des travaux exécutés avant la fin du contrat ou avant la notification de
la résiliation, ainsi que, le cas échéant, la valeur des biens fournis, lorsque
ceux-ci peuvent lui être remis et qu'il peut les utiliser.
L'entrepreneur ou le prestataire de services est tenu, pour sa part, de restituer les avances qu'il a reçues en excédent de ce qu'il a gagné.
Dans l'un et l'autre cas, chacune des parties est aussi tenue de tout autre préjudice que l'autre partie a pu subir.
[41] De plus, les règles et critères applicables dans le cadre du fardeau de la preuve sont les suivantes.
[42]
Le rôle principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux
articles
Article 2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
Article 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[43] En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.
[44] La partie demanderesse doit présenter au juge une preuve qui surpasse et domine celle de la partie défenderesse.
[45] La partie qui assume le fardeau de la preuve doit démonter que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable.
[46] La probabilité n'est pas seulement prouvée par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences qu'il est raisonnablement possible d'en tirer.
[47] Enfin, une preuve prépondérante n'équivaut donc pas à une certitude, ni à une preuve hors de tout doute.
[48] Qui a résilié le contrat intervenu entre les parties?
[49] La preuve a révélé que dès la conclusion du contrat d'entreprise, le demandeur a accepté, par l'entremise de sa conjointe, que la livraison et l'installation du mobilier de cuisine, y compris le comptoir qu'il avait choisi, allaient être exécutées à la mi-décembre 2010.
[50] Monsieur Hamel soutient que par son appel téléphonique du 8 décembre 2010, monsieur Martin a résilié le contrat intervenu entre les parties à tel point, que dans les heures suivantes, il a décidé immédiatement d'aviser son sous-traitant responsable de la confection et de l'installation du comptoir de cuisine, d'arrêter ses travaux.
[51] Comme il fut démontré, cette décision a eu pour conséquence de repousser l'installation de ce comptoir jusqu'au mois de janvier 2011.
[52] Or, dans les minutes suivant la réception du courriel de monsieur Hamel, concluant à la résiliation du contrat, monsieur Martin demande, malgré sa profonde déception et son scepticisme quant à la possibilité pour Haze de rencontrer ses obligation à temps, que Haze termine et complète son contrat le plus rapidement possible, soit le 11 ou le 12 décembre suivant.
[53] Compte tenu que les parties avaient convenu que la finalisation des travaux, y compris l'installation des armoires et comptoir de cuisine par Haze, se ferait à la mi-décembre 2010, Haze se devait, malgré la saute d'humeur importante de son client, de prendre tous les moyens pour remplir ses obligations, et ce, conformément à l'entente intervenue entre les parties.
[54] D'ailleurs, monsieur Hamel a admis qu'en date du 8 décembre, Haze était en mesure de finaliser l'ensemble de ses travaux, y compris l'installation du mobilier de cuisine, et ce, pour le 16 décembre, tel que prévu à l'origine.
[55] Dès la réception du dernier courriel de monsieur Martin le 8 décembre 2010, Haze n'était plus justifiée de croire que son client avait résilié le contrat et ne devait pas, dans de telles circonstances, appeler aussi rapidement son sous-traitant pour qu'il cesse ses travaux quant à la confection du comptoir de cuisine.
[56] Le Tribunal considère donc que malgré l'esclandre momentané de monsieur Martin, la preuve prépondérante n'a pas démontrée qu'il a résilié unilatéralement son contrat conclut avec Haze.
[57] La preuve a plutôt révélé que c'est monsieur Hamel, pour et au nom de Haze, qui a décidé de résilier unilatéralement le contrat intervenu entre les parties.
[58]
Bien que l'article
[59] Comme l'affirme Me Vincent Karim dans son ouvrage intitulé «Contrats d'entreprise (ouvrages mobiliers et immobiliers: construction et rénovation) Contrat de prestation de services et l'hypothèque légale» [5] :
«
L'article
[60] Bien que monsieur Hamel a subi, le 8 décembre 2010, les foudres de monsieur Martin et qu'il n'a aucunement apprécié ses commentaires désobligeants prononcés à son endroit, ce seul événement ne constitue pas, aux yeux du Tribunal, un motif suffisamment sérieux, dans les circonstances, qui justifiait Haze de résilier le contrat.
[61]
De plus, l'article
[62] Dans le présent cas, Haze ne pouvait ignorer l'arrivée de la période des fêtes et les inconvénients importants qu'allait subir son client si sa cuisine n'était pas terminée avant le début de cette période.
[63] Étant en mesure de finaliser ses travaux pour le 16 décembre 2010, Haze n'avait qu'à ignorer les commentaires faits par son client sous l'effet de la colère, lui rappeler l'échéancier convenu initialement entre les parties et faire en sorte de respecter ses obligations contractuelles.
[64] En décidant d'arrêter sa production des meubles de cuisine, Haze a commis ainsi une faute contractuelle en résiliant, sans motif sérieux, son contrat avec le demandeur.
[65] Le demandeur est-il en droit d'être indemnisé suite à la résiliation du contrat et dans l'affirmative, pour quel montant?
[66] D'abord, compte tenu de la résiliation sans motif sérieux du contrat d'entreprise par Haze, le demandeur est en droit d'être indemnisé suivant les articles 2126, 1607 et 1611 du Code civil du Québec [7] .
[67] En effet, comme l'affirme l'auteur Me Karim:
«
Le préjudice dont parle l'article
[68] Quant à la réclamation de monsieur Martin, elle détaille comme suit:
1. achat du lavabo (évier) : 599,00 $
2. honoraires d'avocats : 1 675,00 $
3. remboursement du dépôt : 3 000,00 $
4. frais de déplacement : 76,72 $
5. troubles, ennuis et inconvénients : 1 649,28 $
_________________________________________
TOTAL : 7 000,00 $
1. Les frais pour l'achat du lavabo (évier):
[69] Le Tribunal ne fait pas droit à cette réclamation puisque la preuve a révélé que cet évier a été récupéré et utilisé par le demandeur lors de l’exécution des travaux par un autre entrepreneur.
2. Les honoraires d'avocats:
[70] Cette réclamation est aussi refusée pour les raisons suivantes.
[71] Dans l'arrêt rendu par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Viel c. Entreprises immobilières du Terroir inc . [9] , il fut établi qu'il y a une distinction à faire entre l'abus de droit sur le fond même du litige et celui d'ester en justice, soit l'abus dans le cadre du processus judiciaire.
[72] La Cour d'appel conclut que les honoraires extrajudiciaires payés à un avocat devraient généralement être considérés à titre de dommages uniquement dans le cas d'abus de procédures et seulement à titre exceptionnel, dans le cas d'abus sur le fond du litige.
[73] Or, la preuve n'a aucunement révélé un abus de procédure de la part des défendeurs dans le cadre du présent dossier.
3. La demande de remboursement du dépôt de 3 000,00 $.
[74]
L'article
[75] Cependant, le droit de l'entrepreneur de recevoir de son client l'équivalent de la valeur des travaux qu'il a exécuté est conditionnel à ce que la résiliation unilatérale du contrat ait été faite pour un motif sérieux et non, comme ici, en cas de faute commise par l'entrepreneur.
[76] Fait à noter, de l'aveu même de monsieur Hamel, le jour de la résiliation du contrat, il n'avait «pas grand chose de fait».
[77] Enfin, le demandeur n'a jamais pu profiter de la partie des travaux exécutés par Haze puisque l'ensemble des armoires, garde-manger et comptoir ont été fabriqués et installés par un autre entrepreneur en janvier 2011.
[78] Par conséquent, le demandeur est en droit d'être remboursé par Haze de la somme de 3 000,00 $ versée à titre de dépôt au cours du mois de novembre 2010.
4. Les frais de déplacement, troubles, ennuis et inconvénients.
[79] La preuve a démontré que suite à la décision prise par Haze, monsieur Martin a subi divers inconvénients, dont entre autres, de ne pas être en mesure de profiter de sa cuisine durant la période des fêtes ainsi que la perte de temps et d'énergie associés à la reprise complète des travaux par un autre entrepreneur.
[80] De plus, tous les évènements liés à la recherche et à l'achat de l'évier de la cuisine justifient qu'il soit aussi indemnisé pour ses frais de déplacement dont il réclame le remboursement.
[81] Usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal fixe à 1 500,00 $ la valeur des inconvénients subis par le demandeur, suite à la faute commise par Haze, incluant ses frais de déplacement.
[82] En conclusion, le demandeur est en droit d'être indemnisé pour un montant total de 4 500,00 $ par la codéfenderesse Haze.
[83] Le codéfendeur, monsieur Daniel Hamel, peut-il être tenu responsable du paiement de toute indemnité envers le demandeur?
[84] Une réponse négative doit être donnée à cette question pour les raisons suivantes.
[85] Bien que c'est principalement monsieur Hamel qui voyait à la confection du mobilier devant être livré et installé dans la cuisine du demandeur, il a toujours agi pour et au nom de Haze et aucune relation contractuelle n'est intervenue entre lui et le demandeur.
[86] Suivant les articles 321 du Code civil du Québec [10] et 123.83 de la Loi sur les compagnies [11] , à titre d'administrateur de Haze, monsieur Hamel était son mandataire.
[87] Or, en tant que mandataire de la personne morale, l'administrateur n'est pas responsable envers les tiers avec lesquels cette personne morale contracte, dans la mesure où il n'outrepasse pas ses pouvoirs [12] .
[88] En principe, lorsque la personne morale ne respecte pas ses obligations contractuelles, les tiers, avec qui elle a contracté, ne peuvent exercer leur recours qu'à l'encontre de cette même personne morale.
[89] En effet, comme le prévoit les articles 298 et 309 du Code civil du Québec [13] , la personne morale est juridiquement distincte de ses administrateurs et actionnaires et les actes qu'elle pose envers les tiers n'engagent qu'elle-même.
[90] Cette règle connaît cependant certaines exceptions.
[91] La Cour d'appel du Québec, dans les arrêts Gold coin Development Corp. c. Constructions Serafini inc. [14] et Boucher c. Pitre [15] , a énoncé quatre exceptions où l'administrateur peut encourir sa responsabilité, soit:
« a) lorsque l'administrateur contracte une obligation contractuelle, par exemple, en cautionnant personnellement les obligations de la compagnie.
b) il peut encourir une responsabilité extra-contractuelle à l'endroit d'un tiers, ce second type de responsabilité relève des principes généraux de la responsabilité extra-contractuelle.
c) il a participé à une faute extra-contractuelle de la compagnie.
d) en cas de mauvaise foi et d'intention malicieuse l'administrateur peut engager sa responsabilité en cas de faute contractuelle de la compagnie. [16] »
[92] Dans un premier temps, monsieur Hamel n'a pas contracté une obligation contractuelle avec monsieur Martin, ne s'était pas d'ailleurs porté caution des obligations de Haze (1 ère exception).
[93] De plus, la preuve ne révèle par que Haze a commis une faute extracontractuelle et par conséquent, monsieur Hamel ne peut avoir participé à une telle faute (3 e exception).
[94] Bien que la preuve révèle des fautes commises par monsieur Hamel, il ne s'agit pas de fautes pouvant cependant engager sa responsabilité extracontractuelle à titre d'administrateur de Haze (2 e exception).
[95] En effet, il s'agit davantage de fautes commises dans l'exercice de ses fonctions et relativement à l'exécution du contrat d'entreprise intervenu entre Haze et le demandeur.
[96]
Pour que la responsabilité extracontractuelle de l'administrateur puisse
être retenue en application des principes codifiés à l'article
[97] En effet, la Cour d'appel du Québec, dans l'arrêt Corporation d'hébergement du Québec c. Pouliot [17] a déclaré que :
« L'appelante
reconnaît qu'en l'espèce les conditions permettant de soulever le voile
corporatif ne sont pas rencontrées. Pour engager la responsabilité
extracontractuelle de l'intimé en vertu de l'article
[98] Comme l'affirme la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Gold coin Development Corp. c. Constructions Serafini inc., [19] concernant l'immunité de l'administrateur lors de la commission d'une faute contractuelle par la personne morale:
« […] Le fait d'avoir commis une faute, à l'occasion de l'exécution de ce contrat, n'entraîne pas nécessairement une faute extracontractuelle pour l'administrateur unique de la corporation. Cette dernière ne peut agir que par cet intermédiaire physique. Adopter la position inverse engendrerait une responsabilité automatique pour l'administrateur unique et abolirait le principe de la personnalité juridique distincte de la compagnie. […]» [20]
[99] De plus, dans l'arrêt 9148-6274 Québec inc. (Groupe immobilier Gazaille inc.) c. Al Raïs [21] , malgré que l'administrateur unique d'une personne morale lui avait fait commettre une faute contractuelle, la Cour d'appel du Québec a affirmé ce qui suit:
« Bien que Groupe Gazaille ait violé son engagement contractuel, et ce, par l'action de son dirigeant, cela ne permet pas de conclure à la responsabilité extracontractuelle de ce dernier.
[…]
De plus, on ne peut invoquer au soutien de la responsabilité de Claude Gazaille, les principes édictés par a Cour suprême dans l'arrêt Trudel c. Clairol inc. of Canada précité. En effet, on ne peut assimiler Claude Gaizaille à un tiers qui encourageait une partie contractuelle à violer son contrat, car si tel était son cas, l'administrateur serait toujours responsable (responsabilité extracontractuelle) de la société qu'il gère dans le cas de défaut de cette dernière de respecter ses obligations. » [22]
[100] Enfin, la preuve ne permet pas de conclure à la mauvaise foi et à l'intention malicieuse de monsieur Hamel relativement aux fautes contractuelles commises par Haze (4 e exception).
[101] Par conséquent, compte tenu de l'ensemble des principes ci-avant mentionnés et de la preuve présentée à l'audience, le Tribunal conclut à l'absence de responsabilité de monsieur Hamel à titre d'administrateur de Haze.
[102]
La
responsabilité de monsieur Hamel, à titre d'actionnaire majoritaire de Haze,
doit également être écartée car rien ne justifie la levée du «voile corporatif»
en application de l'article
[103] En effet, la preuve n'a pas démontré que Haze fut utilisée par monsieur Hamel pour camoufler une fraude, un abus de droit ou encore pour déroger à une règle intéressant l'ordre public.
[104] La demande reconventionnelle de la codéfenderesse Haze est-elle bien fondée?
[105] Compte tenu de la conclusion du Tribunal à l'effet que Haze a résilié unilatéralement, sans motifs sérieux, son contrat d'entreprise avec le demandeur, sa demande reconventionnelle doit donc être rejetée.
[106] Au même titre que la réclamation du demandeur contre le codéfendeur, monsieur Hamel, la demande reconventionnelle de Haze sera rejetée sans frais, et ce, compte tenu des circonstances du présent dossier et des relations d’amitié ayant existées antérieurement entre les parties.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[107] ACCUEILLE en partie la demande du demandeur, monsieur Stéphane Martin;
[108]
CONDAMNE
la défenderesse, Haze Ébénisterie inc., à payer au demandeur, monsieur
Stéphane Martin, la somme de 4 500,00 $ avec intérêts au taux de 5 % l’an plus
l'indemnité additionnelle prévue à l'article
[109] CONDAMNE la défenderesse, Haze Ébénisterie inc., à payer au demandeur, monsieur Stéphane Martin, les frais judiciaires de 159 $.
[110] REJETTE la demande du demandeur, monsieur Stéphane Martin, contre le défendeur, monsieur Daniel Hamel, SANS FRAIS .
[111] REJETTE la demande reconventionnelle de la défenderesse, Haze Ébenisterie inc., SANS FRAIS.
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__________________________________ PIERRE CLICHE, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
24 juillet 2013 |
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[1] Pièce P-2.
[2] Pièce P-2.
[3] Pièce P-6.
[4] Pièce P-7.
[5] Montréal, Wilson & Lafleur Ltée., 2011.
[6] Ibid., page 607, paragraphe 1441.
[7] Article 1607. Le créancier a droit à des dommages-intérêts en réparation du préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel, que lui cause le défaut du débiteur et qui en est une suite immédiate et directe.
Article
1611
.
Les dommages-intérêts dus au
créancier compensent la perte qu'il subit et le gain dont il est privé.
On
tient compte, pour les déterminer, du préjudice futur lorsqu'il est certain et
qu'il est susceptible d'être évalué.
[8] Infra, note 5, page 609, paragraphe 1445.
[9]
[10] Article 321 : L'administrateur est considéré comme mandataire de la personne morale. Il doit, dans l'exercice de ses fonctions, respecter les obligations que la loi, l'acte constitutif et les règlements lui imposent et agir dans les limites des pouvoirs qui lui sont conférés.
[11] L.R.Q., c. C-38; Article 123.83 : Les administrateurs, dirigeants et autre représentants de la compagnie sont des mandataires de la compagnie.
[12]
Tel que prévus aux articles
[13] Article 298 . Les personnes morales ont la personnalité juridique.
Elles sont de droit public ou de droit privé.
Article
309
.
Les personnes morales sont distinctes de leurs
membres. Leurs actes n'engagent qu'elles-mêmes, sauf les exceptions prévues par
la loi.
[14] 2000 CanLII 9874 (QCCA).
[15] 2001 CanLII 11911 (QCCA).
[16] « Ce dernier cas relève de la Common Law. Il s'agit d'une situation d'exception.»
[17]
[18]
Ibid., page 3 du jugement. Voir aussi l'arrêt
Immeubles G.L.M.C. inc. c.
Tremblay
,
[19] 2000 CanLII 9874 (QCCA).
[20] Ibid., paragraphe 22 du jugement.
[21]
[22] Ibid., paragraphes 33 et 35 du jugement.