Bureau des régisseurs

  RÉGIE DU BÂTIMENT DU QUÉBEC

 

 

 

No du dossier :

 

Rôle :

8351-9355

 

46.c.-C-13

 

Licence RBQ :

8351-9355-45

 

Décision rendue le:

29 novembre 2013

__________________________________________________________________

 

DEVANT :

Me Gilles Mignault, régisseur

__________________________________________________________________

 

 

Régie du bâtiment du Québec

Requérante

 

c.

 

9187-0725 QUÉBEC INC.

«PHOENICIA CONSTRUCTION»

IntiméE

 

__________________________________________________________________

 

DÉCISION

__________________________________________________________________

 

 

[1]            La Loi sur le bâtiment (L.R.Q., c. B-1.1) (ci-après la Loi) prévoit que la licence d’une entreprise peut être suspendue ou annulée pour différents motifs dont, notamment, lorsqu’elle a abandonné ou interrompu des travaux de construction sans motif légitime, lorsqu’elle ne se mérite plus la confiance du public ou lorsqu’elle ou son dirigeant est incapable d’établir qu’il est de bonne mœurs et qu’il peut exercer avec compétence ou probité les activités d’entrepreneur compte tenu de comportements antérieurs.

 

[2]            La Loi prévoit que la Régie peut également, pour les mêmes motifs,  refuser une demande de modification de licence.

 

 

[3]            Le 27 août 2013, le Bureau des régisseurs transmet par courrier certifié, à monsieur Haissam Karhani de «9187-0725 Québec inc.  Construction Phoenicia» (ci-après l’entreprise) un avis de convocation à une audition à être tenue les 2, 3 et 4 octobre 2013.

 

[4]            Un avis d’intention de la Direction des affaires juridiques de la Régie (ci-après la Direction), daté du 22 août 2013, est joint et énonce les motifs qui seront soumis à un régisseur appelé à décider, d’une part, de la suspension ou de l’annulation de la licence et, d’autre part, de la demande de modification de la licence déposée par l’entreprise.

 

[5]            Ces motifs se lisent comme suit :

 

« Premier motif :

 

9187-0725 Québec inc. a abandonné ou interrompu sans motif légitime des travaux de construction causant un préjudice aux personnes intéressées.

 

Disposition de la Loi sur le bâtiment :  article 70 (5 o )

 

Deuxième motif :

 

9187-0725 Québec inc. a agi de telle sorte qu’elle ne se mérite plus la confiance du public selon la Régie.

 

Disposition de la Loi sur le bâtiment :  article 70 (12 o )

 

Troisième motif :

 

9187-0725 Québec inc. ou son dirigeant, M. Haissam Karhani est incapable d’établir qu’il est de bonne mœurs et qu’il peut exercer avec compétence et probité ses activités d’entrepreneurs compte tenu de comportements antérieurs.

 

Dispositions de la Loi sur le bâtiment :  articles 70 (2 o ) et 62.0.1

 

[6]            Les audiences se tiennent en présence de monsieur Karhani et de Me St-Amour, son avocate.  La Direction est représentée par Me Dionne et Me Ouellette.

 

 

 

 

 

LA PREUVE

 

LA CHRONOLOGIE

 

[7]            En 2006, monsieur Karhani est un homme d’affaires. Il a été propriétaire d’une flotte de taxis, d’un restaurant… N’ayant pas d’expérience dans le domaine de la construction mais voulant s’y consacrer, il s’inscrit à des cours et suit des formations.  Il obtient les reconnaissances requises huit mois plus tard.

 

[8]            Le 10 décembre 2007, la Régie délivre à l’entreprise une licence d’entrepreneur de construction qui inclut les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2.  Monsieur Karhani en est le seul répondant (pièce P-1).

 

[9]            Par la suite, monsieur Kharani deviendra aussi dirigeant de l’entreprise «Gestion Phoenicia inc.» (pièce P-3).

 

[10]         Ayant obtenu sa licence, l’entreprise construit ses trois premières maisons à Lachute. Selon monsieur Karhani, elle essuie une perte de près de 300 000 $.

 

[11]         L’entreprise en construit une nouvelle à l’Île Perrot. Les acheteurs en prennent possession le 15 juillet 2010. Le 4 octobre, ils produisent une réclamation pour défauts de construction auprès de La Garantie des maisons neuves de l’APCHQ (ci-après La Garantie).

 

[12]         Le 18 avril 2011, une décision rendue par l’administrateur du plan de garantie accueille en partie leur demande et ordonne à l’entreprise d’effectuer les travaux correctifs dans un délai de trente jours (pièce P-31).

 

[13]         Ces travaux ne sont pas faits et La Garantie les confie à Construction Dorion inc. qui reçoit un chèque au montant de 2 413,64 $, le 21 novembre 2011 (pièce P-31).

 

[14]         Le 14 novembre, une seconde décision de l’administrateur accueille en partie une nouvelle demande des acheteurs pour défauts de construction. Elle ordonne à l’entreprise d’effectuer des travaux correctifs dans un délai de trente 30 jours (pièce P-31).

 

[15]         Encore une fois, ces travaux ne sont pas faits et La Garantie les confie de nouveau à Construction Dorion inc. qui reçoit un chèque de 684.86 $, le 1 er mars 2013 (pièce P-31).

 

[16]         Le premier gros projet de l’entreprise débute le 21 décembre 2010 par l’achat d’un immeuble connu et désigné comme étant le lot 1 220 112 du cadastre du Québec, à Laval avec une bâtisse dessus construite et portant le numéro 1840 de la rue Robinson (ci-après projet Robinson) (pièce P-11).

 

[17]         Une fois terminé, ce projet Robinson sera composé de trois immeubles. Le premier contiendra 6 unités d’habitation, le deuxième, 4 et le dernier, 6. Au total, il y en aura 16 (pièces P-12 et D-66).

 

[18]         Monsieur Nabil Rougui est un courtier immobilier. Il a travaillé à la vente de la maison construite par l’entreprise et située sur l’Île Perrot. Monsieur Karhani lui a aussi demandé de vendre sa maison personnelle érigée sur le boulevard Gouin à Pierrefonds.

 

[19]         À la fin de l’année 2010, monsieur Karhani lui demande de travailler à la vente des maisons du projet Robinson (pièce P-12).

 

[20]         Monsieur Rougui en vendra quelques-unes. Leur association prendra toutefois fin le 13 décembre 2012 en raison de la détérioration de leur relation d’affaires (pièce D-11.1).

 

[21]         Monsieur Malki est également courtier immobilier. Il travaillera lui aussi à la vente des immeubles construits par l’entreprise. Il mettra fin à sa relation d’affaires avec monsieur Karhani et l’entreprise au mois de novembre 2012 :

 

« sachant que monsieur Karhani semblait faire des maguouilles, prenait des dépôts du monde promettant des dates de livraisons qui n’arrivaient jamais, changement de date dans certains contrats…» [sic] (pièce P-19).

 

[22]         Le 22 mars 2012, monsieur Malki achète de l’entreprise deux unités situées dans un second projet de l’entreprise, le projet Jolicoeur. Ce sont les immeubles portant les numéros civiques 4961 et le 4963 de la rue Jolicoeur.

 

[23]         Ce projet Jolicoeur débute le 22 décembre 2011 lorsque Gestion Phoenicia inc., dont le président est monsieur Karhani, achète de Construction Ala’a inc., dont le président est monsieur Samer El Sewify, un immeuble connu et désigné comme étant les numéros 4 879 684 à 4 879 697 du Cadastre du Québec, dans la circonscription foncière de Montréal (pièce D-3.7).

 

[24]         Au même moment, d’autres contrats interviennent entre monsieur El Sewify et Gestion Phoenicia inc, l’entreprise, Construction Ala’a inc. et monsieur Haissam Karhani.

 

[25]         L’ensemble de ce dossier fait actuellement l’objet de procédures pendantes devant la Cour supérieure du Québec (pièce D-3), si bien qu’il n’y a pas lieu de s’y arrêter.

 

 

[26]         L’achat de cet immeuble est financé par un acte de prêt d’une somme de 700 000 $ de Financement PME Liquid Capital inc. avec hypothèque en sa faveur (pièce D-3.16).

 

[27]         Le projet Robinson, le premier gros projet de monsieur Karhani, n’est pas sans lui procurer des craintes et inquiétudes.

 

[28]         Il en discute avec monsieur El Jundi, président de l’entreprise «154879 Canada inc. - Construction AMJ» (ci-après Construction AMJ), une entreprise qui détient une licence d’entrepreneur de construction depuis 1989 incluant les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 (pièce P-10).

 

[29]         Le 28 mai 2013, la Régie lui retirera ces deux sous-catégories (pièce P-10).

 

[30]         Paraphrasant monsieur El Jundi, on apprend que :

 

« Monsieur Karhani veut avoir mon expertise pour ses projets futurs des rues Robinson et Jolicoeur. On cherche à obtenir du financement, moi auprès de Centria Commerce et de la Banque Nationale, lui auprès de Desjardins. Il obtient son financement et débute les travaux. Il continue ses projets seul. Je fais les miens. On se revoit plus tard après qu’il eut terminé les deux premières phases de son projet. On est en février 2013.  On discute de la troisième phase. Une entente écrite intervient entre nous en mai 2013. »

 

[31]         Par cette entente, l’entreprise s’engage, en outre, à transférer à Construction AMJ la propriété des immeubles des projets au fur et à mesure qu’ils feront l’objet d’un contrat de vente (pièces D-4.1 et D-4.2).

 

[32]         Le financement obtenu par monsieur Karhani provient de la Caisse Populaire Desjardins de l’Ouest-de-Laval, le 13 avril 2011 (pièce D-3.5).

 

[33]         Les avances consenties se répartissent comme suit : «une enveloppe hypothécaire au montant de 1 480 000 $ et une marge de crédit infrastructure au montant de 300 000 $ qui inclut une lettre de garantie  » (pièce D-3.5).

 

[34]         Le 3 juin, le Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec autorise l’entreprise à installer des conduites d’égout pluvial, sanitaire et des conduites d’aqueduc sur la rue Robinson (pièce D-46).

 

 

[35]         Le 24 août, Ville de Laval demande à l’entreprise d’acquitter une facture au montant de 22 547.48 $ afin de payer les honoraires d’une firme de consultants pour la surveillance de travaux et de lui transmettre une garantie bancaire inconditionnelle et irrévocable au montant de 320 000 $ (pièce D-47, en liasse).

 

[36]         Cette facture n’était pas prévue au budget de l’entreprise qui la paie le 26 août 2011 (pièce D-47, en liasse). Elle dépose également un montant de 20 000 $ pour couvrir la différence entre la lettre de garantie de la caisse au montant de 300 000 $ (pièce D-3.5) et le montant de 320 000 $ requis par la ville de Laval (pièce D-47, en liasse).

 

[37]         Les travaux d’infrastructure terminés, l’entreprise reçoit une facture de près de 400 000 $.

 

[38]         Monsieur Karhani en demande le paiement à la Caisse qui, après discussions, n’en paie que 70 000 $.

 

[39]         N’ayant pas été payée en totalité, l’entreprise sous-contractante enregistre une hypothèque légale sur le projet (pièce D-10).

 

[40]         Monsieur Karhani reconnaît avoir mal compris et avoir mal saisi toute la portée de la clause «CONDITIONS GÉNÉRALES» de son entente avec la Caisse.

 

[41]         Cette erreur de sa part a pour conséquence de placer l’entreprise dans une situation financière très difficile puisqu’il lui est impossible de payer les factures.

 

[42]         N’étant pas payées, d’autres entreprises sous-traitantes enregistreront à leur tour des hypothèques légales (pièce D-10).

 

[43]         Monsieur Karhani consulte le notaire Lefebvre qui, le 10 août 2011, obtient pour l’entreprise un prêt de 150 000 $ de «François Lefebvre in trust» et «9153-4727 Québec inc.» avec garantie hypothécaire sur le projet Robinson (pièce D-52).

 

[44]         Une main levée de ce prêt sera donnée le 12 octobre 2012 (pièce D-52).

 

[45]         La situation financière de l’entreprise n’est pas réglée pour autant et monsieur Karhani se fait conseiller de procéder à la vente de ses immeubles le plus rapidement possible. C’est d’ailleurs ce qu’il demande à ses courtiers immobiliers.

 

[46]         S’ajoutent à ces difficultés celles du projet Jolicoeur.

 

[47]         De longues et difficiles négociations avaient précédé l’achat (pièces D-3.6, D-3.7, D-3.8, D-3.9 et D-3.10) de l’immeuble, projet Jolicoeur, le 22 décembre 2011 (pièce D-3.7, exhibit P-4), financé par «Financement PME Liquid Capital inc.».

 

[48]         Le 27 juin 2012, «Financement PME Liquid Capital inc.» s’adresse au tribunal pour obtenir la prise en paiement et délaissement forcé de l’immeuble aux motifs :

 

  1. des travaux de construction sur l’immeuble hypothéqué sans son approbation;
  2. défaut de rembourser le prêt;
  3. un avis de préinscription d’une action en passation de titre publié sur l’immeuble (pièce D-3.15).

 

[49]         Le 21 décembre 2012, Gestion Gamarco inc., demanderesse en reprise d’instance de la demanderesse initiale Financement PME Liquid Capital inc. produit un désistement (pièce D-3.16).

 

D’AUTRES PROCÉDURES

 

[50]         Le 23 avril 2012, la Cour du Québec, chambre civile, condamne l’entreprise à payer à «Insta-F.N.M. inc.» une somme de 3 148,76 $ avec intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 11 février 2012 pour marchandises vendues et services rendus (pièce P-35).

 

[51]         Le 29 octobre, l’APCHQ reçoit une demande de remboursement de capital suite à la rupture du contrat préliminaire d’achat de condo par madame Receoru et monsieur Clurea daté du mois de novembre 2011.  Leur condo devait leur être livré le 30 avril 2012. Le remboursement a lieu le 25 février 2013 (pièce P-17).

 

[52]         Le 26 novembre, l’administrateur de La Garantie accueille en partie la demande de madame Kulanathan et de monsieur Aruliah relative à l’existence de défauts de construction dans leur unité située au 1852 B de la rue Robinson (pièce P-18).

 

[53]         L’entreprise ne les ayant pas corrigés, la Garantie paie à Construction Dorion inc. une somme de 2 591 $ pour les avoir effectués (pièce P-18).

 

LA PERTE D’ACCRÉDITATION

 

[54]         L’année financière de l’entreprise se termine le 31 août.

 

[55]         Selon les règles en vigueur, l’entreprise doit produire ses états financiers à l’APCHQ dans les 6 mois de la fin de son année financière.

 

[56]         Pour l’année se terminant au 31 août 2010, l’entreprise les produit le 2 février 2011.

 

[57]         L’entreprise doit aussi déposer une somme de 30 000 $ afin de sécuriser le risque potentiel de réclamation de bénéficiaires.

 

[58]         Compte tenu des difficultés financières qu’elle éprouve, l’entreprise ne peut se conformer à cette exigence et obtient un délai jusqu’au mois de juin, puis un autre jusqu’au mois de septembre et un autre jusqu’au mois de décembre 2011.

 

[59]         Finalement, elle ne déposera qu’une somme de 17 000 $, laissant un solde de 13 000 $.

 

[60]         Ce dépôt est insuffisant.

 

[61]         Le 16 mars 2012, La Garantie Abritat Inc. (ci-après Abritat) annule l’adhésion de l’entreprise en raison de son irrespect du «Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs» (L.R.Q., c. B-1.1, r. 0.2) (pièce P-6).

 

[62]         Le même jour, monsieur Labrosse, analyste de crédit du Service de l’adhésion d’Abritat, en informe par écrit la Régie qui transmet un préavis défavorable à l’entreprise tout en lui permettant de faire valoir son point de vue le ou avant le 1 er avril 2012 (pièce P-6).

 

[63]         Le 3 avril, la Régie rend une décision retirant ces deux sous-catégories de la licence émise à l’entreprise (pièce P-6).

 

[64]         Monsieur Karhani affirme en avoir pris connaissance qu’au courant du mois de juin.

 

RETOUR À LA CHRONOLOGIE

 

[65]         Au mois de mars ou d’avril 2013, à une date toutefois indéterminée, la Régie reçoit une plainte anonyme concernant l’entreprise qui construirait un immeuble neuf au 1840, rue Robinson à Laval sans détenir les sous-catégories requises.

 

[66]         Le dossier est confié à madame Delvoye, enquêteuse au bureau de la Régie à Laval.  Elle en délègue une partie à sa collègue, madame Girard.

 

[67]         Au cours de son enquête, madame Delvoye obtient, le 11 avril 2013, une déclaration d’un sous-traitant, monsieur Daniel Dumont, de Teldan Rénovation inc.:

« J’ai été engagé par l’entreprise Phoenicia le ou vers le 10 mars 2013 pour faire la structure de bois et les divisions.  Mon contrat est écrit… Les travaux sont effectués sur la batisse 1840 Robinson A à E.  Je suis payé par Phoenicia. J’ai commencé les travaux il y a environ 8 jours. Phoenicia a un plan de garanti avec Abritat.» [sic] (pièce P-8) .

[68]         Le 24 avril, la Régie reçoit un formulaire de plainte lié aux services offerts par un entrepreneur.  Il provient de madame Koutsykh:

« Le contracteur a promis de livrer le projet pour le 31 mars 2012, puis ca a été retardé pour le 1 juin 2012, puis pour le 1 septembre. En mi-septembre 2012, notre maison qui était dans la phase 3 n’était toujours pas livrée et, même plus, la construction n’a même pas commencé.  … avons signé avec Phoenicia Construction une entente de résiliation qui prévoyait le remboursement de notre mise de fonds pour le contracteur dans les 30 jours. Au bout de 30 jours, le contracteur a refusé de nous rembourser la mise de fonds donc, on était dans l’obligation de commencer des poursuites judiciaires. En date d’aujourd’hui nous avons en main le jugement qui condame Phoenicia Construction inc de nous rembourser 24 200$ + les frais et les intérêts courus» [sic] (pièce P-22).

 

[69]         Main levée est donnée le 26 juin.

 

[70]         Le 3 mai, l’entreprise 9209-2261 Québec Inc. (f/a Ventil As Climatisation) intente une poursuite contre l’entreprise pour services rendus au cours des années 2012 et 2013 (pièce P-29).

 

[71]         Le 9 mai, Abritat met fin à l’adhésion de Construction AMJ (pièce P-10).

 

[72]         Le même jour, madame Gratton, directrice du service de l’accréditation  d’Abritat informe madame Girard que l’entreprise a été désaccréditée en mars 2012 et qu’Abritat a remboursé à 4 bénéficiaires les acomptes versés :

 

« Nous avons rencontré cet entrepreneur, et nous jugeons qu’il est persona non grata. Il a agi frauduleusement. Il sollicite les clients afin d’obtenir des dépôts. Il ne construit pas la maison. Il ne rembourse pas les acomptes. Il modifie les dates des contrats préliminaires. Il fait signer des contrats préliminaires à des clients, et ce, même s’il n’a plus de licence» (pièce P-6).

 

[73]         Parmi les remboursements d’Abritat, il y a celui de madame Nigro et de monsieur Azzi qui faisait suite à la décision rendue par l’administrateur, le 22 octobre 2012:

 

« Les bénéficiaires et l’entrepreneur ont conclu un contrat préliminaire le 2 octobre 2010 en vue de la construction et de la vente du bâtiment, dont la livraison était prévue pour le 1 er septembre 2011. Il appert que les travaux ne soient pas encore débutés» [sic] (pièce P-14).

 

[74]         Il y a également celui de madame et monsieur Patel. La décision de l’administrateur est datée du 5 novembre 2012 :

 

« In their demand letter, the beneficiaries put the contractor in default for not delivering the building as agreed in the preliminary contract; the beneficiaries gave the contractor a delay of 10 days to remedy the default failing which the beneficiaries consider the preliminary contract cancelled and ask for the reimbursement of their down payment.  Evidently, the beneficiaries’ claim is well founded» (pièce P-20) [1] .

 

[75]         Le 13 mai, intervient une entente entre l’entreprise et Construction AMJ par laquelle l’entreprise s’engage à lui transférer la propriété des immeubles des projets au fur et à mesure de la signature d’un contrat de vente (pièces D-4.1 et D-4.2).

 

[76]         Le même jour, madame Gratton envoie un courriel à madame Girard :

 

« Je vous confirme que nous avons rencontré ce matin M. El Jundi afin de l’aviser que nous lui avions retiré son accréditation au plan de Garantie Abritat. Nous avons jugé qu’il y avait un risque important que M. Jundi et/ou M. Karhani fassent signer des contrats préliminaires et s’approprient des dépôts d’acheteurs. Comme vous le savez, M. Karhani a utilisé ce stratagème à quelques reprises.» (pièce P-10).

 

[77]         4 jours auparavant, Abritat avait avisé la Régie de la fin de l’adhésion de Construction AMJ (pièce P-10).

 

[78]         Le 14 mai, l’entreprise dépose à la Régie un formulaire de «Demande d’une licence d’entrepreneur» dans le but de recouvrer les deux sous-catégories retirées.  En raison du certificat d’accréditation manquant, cette demande est réputée avoir été reçue le 8 juillet 2013 (pièce P-7 en liasse).

 

[79]         Le 21 mai, monsieur Karhani accompagné de son avocate, Me Bilodeau, rencontre madame Girard au bureau de la Régie. Celle-ci les avise que des travaux ne peuvent être exécutés sur les chantiers sans que l’entreprise ne détienne les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2.

 

[80]         Le 27 mai, madame Girard rencontre monsieur David Beaulieu, administrateur de «Plomberie Extrême inc.». Ce dernier lui déclare :

 

« …voir fait des travaux de plomberie dans deux unités de condos près de la rue au 1840 Robinson à Laval. … J’ai fait une facture pour chaque condo au nom de Phoenicia, le total des factures est d’environ 14 000$ plus taxes. J’ai été payé au complet. Il me doit au dessus de 20 000$ avec les unités de condos du fond.» (pièce P-9).

 

[81]         Du 27 mai au 11 juin 2013, se tiennent des discussions entre Abritat et Gestion Phoenicia afin d’accréditer cette dernière à la garantie.

 

[82]         Le 28 mai, la Régie retire les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 de la licence d’entrepreneur de construction de Construction AMJ (pièce P-10).

 

[83]         Au début du mois de juin, à une date indéterminée, madame Girard téléphone à madame Mouna Benjelloun du bureau de la Régie situé à Montréal. Elle apprend que cette dernière s’occupe de la demande de modification de la licence.  Elles s’entendent pour se rencontrer le 10 juin.

 

[84]         Au jour fixé, elles se rendent dans une salle d’entrevue. Elles sont suivies par d’autres personnes. Il s’agit de madame Jeyasekar et de messieurs Sean Joseph, Semer El Sewify, Malki et Rougui qui se disent tous être des victimes de monsieur Karhani et de son entreprise.

 

[85]         Au cours de cette rencontre, Madame Girard obtient la déclaration de madame Benjelloun :

 

«… fait l’achat d’un condo situé au 1846 B Robinson à Laval. J’ai signé un contrat préliminaire pour l’achat du condo, le 3 mai 2012. J’ai fait un chèque au montant de 16 029$ au nom de Phoenicia construction pour d’achat du condo. Nous devions prendre possession le 1 er juillet 2012. … Le premier juillet 2012, j’ai déménagé. Nous recevions du courrier au nom d’un autre homme, Krishna Gupta, puis nous appris qu’il était notre voisin. Ca c’était vers octobre 2012. Tout ce temps nous habitions le condo de monsieur Gupta … il nous a dit qu’il était propriétaire. Nous ne comprenions pas puisque nous avions acheté le condo de monsieur Karhani, pas de monsieur Gupta.» [sic] (pièce P-13).

 

[86]         En cette affaire, des procédures judicaires suivront et une entente hors cour interviendra entre les parties le 4 juin 2013 (pièce P-13).

 

[87]         Par ailleurs, puisque madame Benjelloun avait porté plainte contre monsieur Karhani, elle sera retirée du dossier le 19 juin 2013 (pièce D-7.11) et sera remplacée par madame Roselyne Néron (pièce P-52).

 

[88]         Toujours le 10 juin, madame Girard obtient la déclaration de madame Jeyasekar :

 

«… avoir signé un contrat pour l’achat d’un condo situé sur le lot 4879695 rue Jolicoeur à Pierrefonds le 26 novembre 2012… Le 27 novembre 2012, nous lui avons donné un chèque de 5 000$ … le 19 janvier 2013, il a reçu 14 539$ de nous … le contrat préliminaire a été fait le 26 novembre 2011, mais à la signature la même journée, monsieur Karhani a inscrit la mauvaise date, il a daté le 29 décembre 2011  il a dit quelque chose pour la date mais j’ai pas compris. Il a dit à cause des taxes, il devait la daté en 2011. … J’ai un avocat qui a fait en sorte d’annuler le contrat et monsieur Karhani doit me rembourser 19 539$ avant le 30 juin 2013.» [sic] (pièce P-23).

 

[89]         Or, ce remboursement n’est pas effectué.  Des procédures judicaires sont intentées et un jugement de la Cour du Québec, daté du 7 août, homologue et rend exécutoire la transaction signée entre les parties tout en ordonnant aux défendeurs de payer la somme de 19 539 $ (pièce P-23).

 

[90]         Madame Girard obtient la déclaration de madame Pelletier :

 

« … à titre d’actionnaire à 100% de l’entreprise Couvreur N.P. et Filles inc., … j’ai un contrat avec Haissam Karhani pour des travaux de toiture … je n’ai pas eu de paiement, aucun dépôt, monsieur Karhani n’a pas payé les couvreurs avant moi soit disant les couvreurs avaient mal exécuté les travaux. … Je vais pouvoir faire une hypothèque légale. Les travaux ont lieu au 1840 Robinson à Laval.» [sic] (pièce P-30) .

 

[91]         Et, finalement, celle de monsieur Éric Crevier : 

 

« …de l’entreprise «c Perreault ent. Inc.» … avoir fait affaire avec construction Phoenicia et Haissam Karhani pour des travaux en électricité pour la rue Jolicoeur à Pierrefonds, pour 4 maisons  de ville avec garage. … les travaux ont débuté le ou vers le 15 mars 2012. j’ai facturé à construction phoenicia.  … À ce jour, il ne doit 4 473$. … J’ai fait une hypothèque légale.» [sic] ( pièce P-48).

 

[92]         Le même jour, la Cour du Québec, chambre civile, homologue une transaction intervenue entre Ville de Laval et l’entreprise par laquelle cette dernière s’engage à payer les coûts afférents au permis de construction du projet de la rue Robinson (pièce P-42).

 

[93]         Le 11 juin, Madame Girard rencontre monsieur Sam El Sewify :

 

« I was the owner of Ala’a inc.  This company owns 40 000 pi carré on city of Pierrefonds. The price is 25$ per pi carré. This mean 1 000 000$ for the land only.  For the project, the agreement was for 1.4 million this includes construction permit. Authorisation from environnement, the subdivision from the city and servitude. I paid 5 000$ for the permit and 10 000$ for a deposit.  The agreement was signed on December 21 st 2011 for 2 town houses  and 299 000$ (4955 et 4957 Jolicoeur) …After the transaction happened, divised in two transaction, one with the notary Prevost that he will borrow 600 000$ from Liquid capital and divided like written on the dossier … I received 284 253$ because 10 000$ was given to KiKi (Vichy) as a commission  The rest of the amount was written on the agreement with the notary Beaumont on decembre 21 st 2011 for 2 town houses and 299 000$.  Phoenicia or mr Karhani didn’t pay me anything and I went to my lawyer and put an avis de preinscription on the two lots. …Mr Karhani went to court 4 times to remove the preinscription and all the judges refused to remove it. Mr Karhani tried to find another way to remove the preinscription in order to sell ElSewify properties…His notary did a giving in payment contrat instead of a dead of sale to do the transaction with Mrs Zhi Zhou on December 18 2012.» [sic] (pièce P-44).

 

[94]         Des procédures sont présentement pendantes devant les tribunaux concernant ce dossier.

 

[95]         Le même jour, madame Girard rencontre madame Asmaa Merbouh :

 

«… avoir fait affaire avec l’entreprise, Construction Ala’a.  … J’ai fait l’achat pour un condo rue Jolicoeur. Sur le contrat c’est inscrit 4961 mais c’est le condo à côté le 4959 Jolicoeur à Pierrefonds. J’ai donné 18 000$ par chèque certifié au nom de l’entreprise construction Ala’a. Comme je n’avais pas de nouvelles et de très mauvais commentaires, beaucoup d’hypothèques légales pour la rue Jolicoeur, ca fait que j’ai retiré mon achat… » [sic] (pièce P-24).

 

[96]         Le 17 juin, l’administrateur de la Garantie rejette la demande de remboursement présentée par madame Belaked et monsieur Lyazid au motif que l’entrepreneur n’était pas accrédité au moment de la signature de leur contrat préliminaire (pièce P-15).

 

[97]         Le 20 juin, madame Delvoye envoie un «Avis de convocation et demande de documents» à l’entreprise pour une rencontre le 28 juin 2013 (pièce D-19).

 

[98]         Lors de cette rencontre, monsieur Karhani est accompagné de son avocate et répond aux questions qui lui avaient été communiquées au préalable (pièce P-34).

 

[99]         Le 5 juillet, une transaction met fin au litige impliquant monsieur Sean Joseph à l’entreprise. Elle fait suite à l’achat par monsieur Joseph d’une unité que l’entreprise avait déjà vendu à madame Manzoor et monsieur Zaki. (pièce P-16).

 

[100]      Le même jour, madame Delvoye écrit à Abritat et lui demande des renseignements concernant l’entreprise. Elle désire aussi recevoir certains documents:

 

§   Copies des rapports d’inspection litigieux et documents en preuve;

§   Copies des lettres évolutives au dossier;

§   Copies des procédures juridiques ou arbitrage;

§   Copies de toutes les demandes de réclamations, preuves de remboursements ou raisons des refus de dédommagement et dossiers en suspend;

§   Copies de tous les contrats de garanties et contrats préliminaires de vente;

§   Documents d’attestation des acomptes remis par l’entrepreneur;

§   Copie de l’entente ou des conditions de ré-accréditation de l’entrepreneur avec confirmation du respect de celles-ci.

§   Historique d’accréditation de l’entrepreneur. Raison du retrait de celle-ci au cours de la période de novembre 2011 à ce jour. » [sic] (pièce P-32).

 

[101]      Les réponses lui parviennent le 16 juillet. Parmi celles-ci, celles relatives aux conditions de ré-accréditation :

 

« Les conditions de ré-accréditation de l’entrepreneur 9187-0725 Québec inc. sont les suivantes :

 

1.   Paiement intégral de la somme due à La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc., soit 23 941,19 $;

2.   Paiement intégral de la somme due à La Garantie Abritat inc., soit 77 750 $;

3.   Dépôt d’une somme de 50 000 $ dans le compte en fidéicommis de La Garantie Abritat inc., en faveur tant de La Garantie Abritat inc., que de La Garantie des bâtiments résidentiels neufs de l’APCHQ inc.;

4.   Une garantie hypothécaire de 180 000 $ grevant 6 lots du projet Robinson à Laval. Il est convenu que pour chacune des unités vendues, la notaire de l’entrepreneur 9187-0725 Québec inc. versera 25 000 $ dans le compte en fidéicommis de La Garantie Abritat inc. et cette dernière accordera une quittance partielle sur la garantie hypothécaire, et ce, ainsi de suite jusqu’à ce que La Garantie Abritat ait encaissé dans son compte en fidéicommis la somme de 150 000 $, en sus du 50 000 $ déjà déposé dans le compte en fidéicommis. Le dépôt en fidéicommis n’a aucune date d’expiration et sera conservé par La Garantie Abritat inc. pour une période minimale de 5 années;

5.   Cautionnement personnel illimité de monsieur Haissam Karhani;

6.   Cautionnement personnel illimité de madame Rola Ajam. » (pièce P-32).

 

[102]      Le 11 juillet, madame Girard rencontre madame Ameur :

 

« J’ai fait une plainte à l’APCHQ le 11 décembre 2012 contre Gestion phoenicia inc., l’isolation de la maison n’était pas fait, la céramique était tout croche, la thermopompe ne fonctionnait pas parce qu’elle n’était pas branché  à cause que monsieur Karhani devait de l’argent à l’entrepreneur. … il y avait plusieurs non conformités et des risques pour la santé.» [sic] (pièce P-25).

 

[103]      D’autres déclarations ou demandes de remboursement complètent le dossier (pièces P-26, P-27, P-28, P-29 et P-31).

 

[104]      L’étude de divers plumitifs civils démontre finalement l’existence de plusieurs recours contre 9187-0725 Québec inc. (pièce P-37), Gestion Phoenicia inc. (pièce P-38) et monsieur Haissam Karhani (pièce P-39).

 

 

ANALYSE ET DISCUSSION

 

PRÉAMBULE

 

[105]      En la présente affaire, n’est pas en litige la portée de l’entente intervenue entre l’entreprise et celle de monsieur El Jundi de Construction AMJ en date du 13 mai 2013 (pièce P-10) puisque, de l’écrit même des deux cocontractantes, l’accréditation de l’entreprise de monsieur El Jundi était temporairement suspendue lors de la signature de l’entente (voir le quatrième attendu de l’entente). Une réalité conforme au fait qu’Abritat avait mis fin à l’adhésion de cette entreprise le 9 mai 2013 (pièce P-10) et que le 28 mai, la Régie retirait les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 de la licence d’entrepreneur de construction de cette entreprise (pièce P-10).

 

 

Premier motif :  l’abandon ou l’interruption des travaux

 

[106]      La Direction reproche à l’entreprise d’avoir abandonné ou interrompu des travaux de construction sans motif légitime causant ainsi un préjudice aux personnes intéressées.

 

[107]      Ce sont les dispositions de l’article 70 (5 e ) qui s’appliquent :

 

« 70. La Régie peut suspendre ou annuler une licence lorsque le titulaire:

 

(…)

 

5° a abandonné ou a interrompu sans motif légitime des travaux de construction, causant ainsi un préjudice aux personnes intéressées;»

 

[108]      Le 16 mars 2012, l’administrateur d’Abritat rend une décision en vertu du «Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs» annulant l’adhésion de l’entreprise à la Garantie Abritat inc. (pièce P-6).

 

[109]      Le même jour, Abritat en informe la Régie qui écrit à l’entreprise:

 

« … vous pourrez faire valoir votre point de vue par écrit d’ici le 01 avril 2012 ou nous faire parvenir, le cas échéant, une nouvelle preuve de votre adhésion à un plan de garantie afin de compléter votre dossier. Si ce délai n’est pas respecté, les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 seront retirées de votre licence. » (pièce P-6).

 

[110]      Le 3 avril, la Régie constate le défaut de l’entreprise de donner suite à sa lettre et rend une décision par laquelle elle retire les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 de la licence de l’entreprise (pièce P-6).

 

[111]      L’entreprise plaide ne pas avoir abandonné ses travaux puisqu’au sens du dictionnaire abandonner signifie : « action de renoncer (à une chose)…acte par lequel on renonce (à un bien, à un droit, à une prétention juridique)…», ce qu’elle n’a jamais fait désirant plutôt vouloir reprendre la construction afin de livrer les unités promises ainsi que les parties communes aux bénéficiaires.

 

[112]      L’entreprise plaide également ne pas avoir voulu interrompre ses travaux ajoutant ne l’avoir fait que pour éviter d’importantes amendes.

 

[113]      La perte de deux sous-catégories de la licence de l’entreprise a pour effet de l’empêcher de poursuivre ses travaux sur ses projets.

 

[114]      Mais cet empêchement résulte uniquement de son non respect des exigences des articles 88 et 93 du Règlement sur le plan de garantie des bâtiments résidentiels neufs (L.R.Q., c, B-1.1, r.0.2)  :

 

 

 

88.          Annulation de l’adhésion

 

Lorsqu’une entreprise ne remplit pas les exigences visées aux articles 84 à 87 ou dans le cas où il est impossible de calculer les critères financiers visés au paragraphe 2 de l’article 84, l’administrateur peut exiger toute autre condition ayant pour effet d’atteindre les mêmes fins en prenant en compte la compétence technique de l’entreprise.

 

L’administrateur peut exiger un cautionnement d’une valeur supérieure à celle mentionnée au paragraphe 1 de l’article 84 et au paragraphe 1 de l’article 85 lorsqu’il a des raisons de croire que la solvabilité de l’entreprise le requiert.

 

93.          L’administrateur peut annuler une adhésion lorsque l’entrepreneur se trouve dans l’une des situations suivantes :

 

(…)

 

5.              Il n’effectue pas les réparations requises selon les exigences de l’administrateur;

 

(…)

 

9.          Il ne transmet pas les documents requis par l’administrateur ou ne fournit pas les garanties ou les sûretés exigées par l’administrateur conformément au présent règlement.

 

[115]      Ce sont ces seules considérations qui ont présidé à la prise de décision de l’administrateur annulant l’adhésion de l’entreprise à Abritat, le tout tel qu’il appert de la décision rendue le 16 mars 2012 (pièce P-6).

 

[116]      Suivant l’article 70 de ce règlement, l’administrateur doit aussi transmettre sans délai à la Régie tout renseignement susceptible de mettre en cause la délivrance, le maintien en vigueur ou le renouvellement d’une licence d’un entrepreneur.

 

[117]      Voilà pourquoi, le même jour Abritat informe la Régie de la décision  rendue (pièce P-6).

 

[118]      La Régie transmet le même jour un préavis de décision à l’entreprise l’informant de son intention de lui retirer les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 tout en lui donnant un délai d’au moins 10 jours pour présenter ses observations.

 

[119]      Ce délai expiré, l’entreprise n’ayant soumis aucune observation ou  preuve d’une nouvelle adhésion à un plan de garantie, la Régie lui retire les sous-catégories 1.1.1 et 1.1.2 de sa licence d’entrepreneur de construction (pièce P-6).

 

[120]      Le retrait de ces deux sous-catégories empêche l’entreprise de poursuivre ses travaux de construction d’où leur interruption.

 

[121]      En définitive, c’est donc le non paiement total de la somme requise afin de sécuriser le risque potentiel de réclamation des bénéficiaires qui est à la base de la décision prise par l’administrateur le 16 mars 2012 et, finalement, l’unique raison de l’interruption des travaux de construction.

 

[122]      Selon la preuve, cette interruption cause de sérieux et nombreux préjudices pour les personnes intéressées; les problèmes rencontrés par l’entreprise ainsi que les nombreuses décisions rendues par l’administrateur en la présente affaire en sont une démonstration inattaquable.

 

[123]      Dans l’affaire Caissie [2] , la Régie annule la licence d’un entrepreneur de construction au motif que la preuve démontre un abandon ou une interruption des travaux de construction sans motif valable causant ainsi un préjudice aux personnes intéressées :

 

«  Les clients de monsieur Caissie ont fait confiance en celui-ci, pour eux il était un expert, ils ont déboursé des sommes importantes au-delà des travaux exécutés par monsieur Caissie. La Régie constate que les contrats ne sont pas assez spécifiques surtout au niveau des échéances de paiements et on remarque que les montants initiaux indiqués aux contrats sont souvent largement dépassés. »

 

[124]      Dans une récente affaire des « Entreprises Domo-Richer inc. » [3] , la licence de l’entreprise est aussi annulée en raison de l’abandon ou de l’interruption des travaux de construction sans motif légitime.

 

[125]      Est-il nécessaire de rajouter?  La réponse à cette question est négative.

 

[126]      En effet, la preuve offerte démontre clairement qu’à cause de ses agissements, l’entreprise a interrompu ses travaux de construction sans motif légitime et que cette interruption a pour effet de procurer de sérieux préjudices aux personnes intéressées.

 

 

 

 

Deuxième motif :  la confiance du public

 

[127]      La Direction reproche à l’entreprise d’avoir agi de telle sorte qu’elle ne se mérite plus la confiance du public.

 

[128]      Ce sont les dispositions de l’article 70 (12) qui s’appliquent : 

 

70. La Régie peut suspendre ou annuler une licence lorsque le titulaire:

 

(…)

 

12° a agi de telle sorte qu'il ne se mérite plus la confiance du public selon la Régie.»

 

[129]      Le dictionnaire Le Petit Robert [4] définit la confiance:

 

«Espérance ferme, assurance de celui, celle qui se fie à qqn ou à qqch…rassurer…fiable…sentiment de sécurité dans le public…»

 

[130]      Avoir confiance en quelqu’un, en quelque chose, c’est éprouver un sentiment de sécurité, d’assurance envers cette personne, envers cette chose. C’est pouvoir croire, être crédule, compter sur, c’est quelqu’un sur qui on peut se fier.

 

[131]      Le contraire de la confiance est la méfiance, l’anxiété, la crainte, le doute, la suspicion.

 

[132]      Dans l’affaire «Couvreur J.M.» [5] , il est écrit :

 

«[85]  C’est donc l’ensemble des manquements dont preuve a été faite, qui me permet de conclure que le titulaire de la licence ne se mérite plus la confiance du public.

 

[86]  La confiance comporte une multitude de facettes. Il peut s’agir notamment de l’intégrité, de la probité, de la qualité des travaux, du respect du contrat et de la diligence de l’entrepreneur.»

 

[133]      Par la suite, est énoncée dans cette décision la question à se poser afin de décider si il y a perte de confiance en une entreprise :

 

«[93]  Est-ce qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation sachant ce que l’enquête a révélé, confierait à monsieur Boucher le soin d’effectuer des travaux de rénovation de toiture à sa propriété?»

 

[134]      Transposée en la présente affaire, cette question serait donc : «Est-ce qu’une personne raisonnable, placée dans la même situation sachant ce que l’enquête a révélé, confierait à l’entreprise le soin de construire sa maison?» .

 

[135]      À cette question, l’entreprise répond : «  oui  » et la Direction : «  non ».

 

[136]      Selon la preuve offerte, il appert que la réponse à cette question soit celle de la Direction.

 

[137]      En effet, il est établi que l’entreprise ne respecte pas les dispositions de certaines lois soit :  la Loi sur les relations du travail , la formation professionnelle et la gestion de la main d’œuvre dans l’industrie de la construction (L.R.Q. c. R-20), la Loi sur la santé et la sécurité du travail (L.R.Q., c. S-2.1) et la Loi de la sécurité routière (L.R.Q., c. C-24.2) (pièce P-36).

 

[138]      La preuve démontre aussi que l’entreprise a exécuté ou fait exécuter des travaux de construction sans détenir les sous-catégories requises (pièces P-8, P-9, P-29, P-30 et P-47).

 

[139]      La preuve révèle clairement que l’entreprise est la cible de nombreux reproches de la part de ses clients, ses sous-traitants et autres intervenants (pièces P-9, P-13, P-14, P-15, P-20, P-22, P-23, P-24, P-25, P-26, P-27, P-28, P-29, P-30 et P-48).

 

[140]      Qui plus est, la Régie reçoit de nombreuses plaintes concernant cette entreprise (pièces D-28, P-19, P-22 et P-23).

 

[141]      Finalement, et c’est un point d’une importance capitale, l’entreprise n’a jamais respecté les dates de livraison de ses immeubles, des dates pourtant clairement précisées dans ses contrats préliminaires.

 

[142]      D’ailleurs à cet égard, le témoignage de monsieur Karhani est des plus éloquents et confirme que son entreprise n’a jamais livré un immeuble à la date convenue.

 

[143]      L’entreprise en appelle à l’existence d’un complot tramé contre elle par les personnes ayant signé des contrats préliminaires, par les agents d’immeuble et par certains des intervenants. Elle questionne même le rôle de la Régie qui, selon elle, n’aurait pas fait son travail.

 

[144]      Avec respect, il appert qu’il ne s’agit pas ici d’un complot mais plutôt d’un regroupement de personnes victimes d’une entreprise ne respectant pas les clauses et obligations des contrats préliminaires et totalement incapable de livrer les immeubles à la date convenue; et, lorsque livrés, ces immeubles ont des défauts de construction.

 

[145]      Quant au rôle joué par la Régie, il n’y a rien qui démontre un travail non fait ou fait incorrectement. Peut-être ne l’a-t-il pas été à la satisfaction de l’entreprise mais la Régie est le seul maître de ses enquêtes et c’est à elle et uniquement à elle que revient le devoir de juger de la suffisance de ses enquêtes et des moyens utilisés pour les mener à terme.

 

[146]      Dans l’affaire précitée de «Couvreur J.M. [6] », la licence de l’entreprise est annulée en raison d’un manque de confiance du public à son endroit :

 

«  La preuve présentée par la Régie sur l’aspect de la qualité des travaux, ne laisse place à aucun doute quant à l’importance des malfaçons et du piètre service après vente. »

 

[147]      À ces considérants de malfaçons et de piètre service après vente que l’on retrouve également en la présente affaire, s’ajoutent tous ceux énumérés ci-devant.

 

[148]      L’achat d’une maison est un événement important dans la vie d’une personne. Il ne doit pas être un jeu de roulette russe par lequel on ne sait pas si l’immeuble sera affligé de vices de construction, si l’entrepreneur ou l’entreprise sera négligent, insolvable ou incapable de livrer le bâtiment à la date prévue.

 

[149]      Acheter une maison demeure un acte rare aux conséquences énormes qui ne peut permettre l’existence de comportements déviants.

 

[150]      Ainsi, somme toute, la preuve démontre que toute personne raisonnable, placée dans la même situation, connaissant ce qui fut établi par la preuve, ne confierait pas à l’entreprise le soin de construire sa maison.

 

[151]      Au lieu de connaître la quiétude, cette personne connaîtrait plutôt la méfiance, vivrait l’anxiété et serait dans le doute et la crainte ne sachant à quel moment et dans quel état lui serait livré son bien.  C’est ce qu’il faut éviter.

 

Trosième motif : la compétence et la probité

 

[152]      La Direction reproche à l’entreprise son incapacité d’établir qu’elle peut exercer avec compétence et probité ses activités d’entrepreneur compte tenu de comportements antérieurs.

 

[153]      Ce sont les dispositions de l’article 70 (2 e ) et 62.0.1 qui s’appliquent:

 

« 70. La Régie peut suspendre ou annuler une licence lorsque le titulaire :

 

(…)

 

2° ne remplit plus l'une des conditions requises par la présente loi pour obtenir une licence»;

 

[154]      et, parmi ces conditions, se retrouvent celles de l’article 62.0.1

 

« 62.0.1. La Régie peut refuser de délivrer une licence lorsque la délivrance est contraire à l'intérêt public, notamment parce que la personne ou, dans le cas d'une société ou d'une personne morale, elle-même ou l'un de ses dirigeants est incapable d'établir qu'il est de bonne moeurs et qu'il peut exercer avec compétence et probité ses activités d'entrepreneur compte tenu de comportements antérieurs.»

 

[155]      Au premier motif, nous avons conclu que l’entreprise avait interrompu ses travaux de construction sans motif légitime et que ces interruptions avaient causé des préjudices aux personnes concernées.

 

[156]      Au deuxième motif, nous avons conclu que l’entreprise ne se méritait pas la confiance du public.

 

[157]      Dans ces circonstances, l’entreprise a-t-elle su démontrer sa compétence et sa probité?

 

[158]      Analysons ces deux points.

 

La compétence

 

[159]      Être compétent, c’est avoir une connaissance approfondie, c’est avoir une connaissance reconnue.

 

[160]      Qu’en est-il en la présente affaire? Sommes-nous en présence d’une entreprise compétente?

 

[161]      La compétence d’une entreprise se mesure notamment par la compétence des personnes qui l’administre.

 

[162]      S’il y a une personne qui doit être compétente dans une entreprise, c’est bien son répondant.

 

[163]      Ce répondant doit avoir acquis toutes les connaissances nécessaires pour mener à bien l’ensemble des activités reliées aux projets de l’entreprise dans le respect des lois et règlements applicables.

 

[164]      À cet égard, le «Guide du répondant d’une entreprise de construction» précise que:

 

« mandataire de l’entreprise que vous qualifiez. Votre rôle consiste à représenter cette dernière dans l’exercice de vos fonctions. Vous devez à ce titre agir dans les limites de vos pouvoirs ainsi que dans le respect des obligations prévues aux lois et aux règlements.» [7]

 

[165]      Les responsabilités du répondant sont évidemment liées à ses domaines de qualification.

 

[166]      C’est ainsi que le répondant en matière d’administration :

 

« détient un rôle-clé dans la gestion de l’entreprise de construction, dans sa santé financière et dans sa conformité aux obligations administratives prévues aux différentes lois qui régissent les entreprises de construction.» [8] .

 

[167]      Ses responsabilités sont multiples dont le maintien du cautionnement et d’un certificat au plan de garantie lorsque requis.

 

[168]      Le répondant en matière de gestion de projets et de chantiers est :

 

« garant pour l’entreprise de la planification, de l’organisation, de la direction, du contrôle et de l’évaluation de l’ensemble des activités reliées aux projets de construction.» [9] .

 

[169]      À ce titre, il voit au maintien d’un lien constant entre les différents intervenants afin de gérer leurs besoins et exigences, dans le respect des budgets et des échéanciers.

 

[170]      Parmi ses obligations, le répondant en matière de gestion de projets et de chantiers doit participer aux négociations des contrats avec des sous-traitants titulaires d’une licence valide ayant les catégories et sous-catégories appropriées. Il doit également respecter les dispositions des ententes et, tout particulièrement, le respect des délais.

 

[171]      Dans l’affaire : « Joe Pereira Construction Inc. » [10] , l’importance du rôle d’un répondant est réaffirmé :

 

«  …ce rôle est à ce point important que toute licence d’entrepreneur de construction se doit d’être qualifiée par cette personne physique. Ça sera par son implication réelle et constante dans l’entreprise ainsi que par sa gestion, qu’elle saura démontrer remplir adéquatement ce rôle.

Un répondant, c’est la personne qui possède les connaissances ou l’expérience pertinente à la gestion et à l’exécution des travaux d’une entreprise de construction.

Le législateur a reconnu l’importance de ce rôle de répondant en défendant à toute personne d’agir à titre de prête-nom suivant les articles 58 et 60 de la Loi. »

 

[172]      En analysant l’ensemble de la preuve en la présente affaire, nous concluons que monsieur Karhani a manqué à ses devoirs de répondant compétent; d’une part, en ne prenant pas le temps de se faire expliquer adéquatement la section : « Conditions générales » de son entente avec la Caisse Desjardins afin de la comprendre et d’en mesurer toute la portée; et, d’autre part, en remettant des contrats préliminaires, des annexes G et des attestations d’acomptes pré-signés à ses courtiers immobiliers.

 

[173]      Cette mauvaise compréhension de l’entente est à l’origine de toutes les perturbations que connaîtra l’entreprise.

 

[174]      Celle-ci souffrira d’un manque d’argent et ne pourra pas payer les sous-contractants.  Des hypothèques légales seront enregistrées. Elle devra emprunter de fortes sommes à des taux élevés. Une perte de confiance s’ensuivra. Les intervenants parleront en mal de l’entreprise. La clientèle se méfiera. Un groupe de victimes se formera. Les sous-traitants refuseront d’effectuer des travaux.  Des demandes de remboursement seront acheminées à Abritat.  Des décisions interviendront.  L’entreprise ne pourra pas payer.  Des poursuites judicaires seront prises.

 

[175]      Ce manquement à son devoir de répondant compétent nuira non seulement à la réputation de l’entreprise, à la confiance de la clientèle mais également créera un frein systématiquement à son essor économique.

 

[176]      Monsieur Karhani explique la remise des contrats préliminaires, des annexes G et des attestations d’acomptes pré-signés comme suit :

 

«  tout ce qui est des… les acheteurs, on a passé partout et c’était de la nécessité de changer de contrat préliminaire parce que l’autre… l’autre propriétaire dans le contrat préliminaire de l’autre entrepreneur général, … il y a son nom, son écriture, le numéro d’accréditation, la date de signature avec l’autre et la compagnie…ça change,…tout est changé. Donc vu que le propriétaire est changé,… la compagnie est changée ça devient nul, ça devient invalide alors il faut faire un autre contrat avec …pour le remplacer.

 

(…)

 

…si la loi dit que non il faut garder l’autre contrat,… pour moi, j’ai de la difficulté à l’accepter,… moi j’ai de la difficulté à l’accepter mais c’est la loi,… c’est la loi, j’ai de la difficulté à accepter que… un contrat signé avec un propriétaire qui est changé,…le nom est changé… » [sic].

 

[177]      Mais, il y a plus.  En effet, monsieur Karhani reconnaît que le choix de son notaire n’a pas été précédé de vérifications de sa part ne sachant même pas qu’elle avait déjà été radiée de la Chambre des notaires.  Il précise toutefois qu’à l’avenir, il effectuera les recherches nécessaires avant de retenir les services d’un professionnel.

 

[178]      La compétence d’une entreprise se mesure également par l’acceptation de contrats à la mesure de ses capacités organisationnelles et de ses habilités professionnelles.

 

[179]      À cet égard, monsieur Karhani n’a pas su s’entourer de personnes possédant les connaissances et les expériences pertinentes dans la gestion de projets de cette envergure.  De ce fait, il a manqué à son devoir de saine gestion et d’opérationnalisation efficace et efficiente d’une entreprise de construction.

 

[180]      Pour l’ensemble de ces motifs, la compétence de l’entreprise n’a donc pas été démontrée.

 

La probité

 

[181]      Dans l’affaire : Les entreprises Jonathan Tremblay inc. [11] , il est question de probité :

 

«Être probe c’est agir selon les exigences de la bonne foi [12] .

 

[182]      La bonne foi n’est pas définie par le législateur dans la Loi sur le bâtiment.

 

[183]      À titre supplétif, il y a lieu de référer au Code civil du Québec, loi générale qui contient les dispositions de base régissant la vie en société.  La bonne foi y est expressément prévue aux articles 6 et 1375 [13] qui se lisent comme suit :

 

6 .  Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi

 

1375 . La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l'obligation qu'à celui de son exécution ou de son extinction.

 

[184]      La jurisprudence [14] et la doctrine, permettent de mieux saisir l’intention du législateur.  Les auteurs Baudouin et Jobin s'expriment comme suit :

 

« 98 - Bonne foi - On doit d'abord rappeler le sens subjectif, traditionnel, de la bonne foi. En fait, ce premier concept de bonne foi a deux acceptions dans le vocabulaire juridique. La première est celle qui oppose bonne foi à mauvaise foi : est de bonne foi toute personne qui agit sans intention malicieuse. Notons à cet égard que l'article 2805 du Code civil édicte une présomption générale et réfragable de bonne foi. Le deuxième sens traditionnel de la bonne foi est l'ignorance ou la perception erronée de la réalité; une personne est de mauvaise foi lorsqu'elle agit en sachant qu'elle le fait de façon illégale ou illégitime.

Ces deux acceptions de la bonne foi renvoient à la disposition d'esprit dans laquelle se trouve une personne lorsqu'elle agit. Le Code civil en consacre une troisième, que l'on avait vu affirmée dans une trilogie de la Cour suprême. Cette bonne foi, dite objective, a un sens beaucoup plus large, soit celui de norme de comportement acceptable. Selon le contexte, de telles normes ont une dimension morale, sociale, ou encore elles renvoient simplement au «bon sens» ou au «raisonnable». La bonne foi est donc devenue l'éthique de comportement exigée en matière contractuelle (comme d'ailleurs dans bien d'autres matières). Elle suppose un comportement loyal et honnête. On parle alors d'agir selon les exigences de la bonne foi. Ainsi, une personne peut être de bonne foi (au sens subjectif), c'est-à-dire ne pas agir de façon malicieuse ou agir dans l'ignorance de certains faits, et agir tout de même à l'encontre des exigences de la bonne foi, soit en violant des normes de comportement objectives et généralement admises dans la société. [15] »

 

[185]      Cette condition doit être satisfaite en tout temps, depuis la demande de délivrance d’une licence et maintenue pendant toute la durée de sa validité.

 

[186]      Cette préoccupation du législateur est réaffirmée en décembre 2011, par l’adoption de l’article 62.0.1 :

 

« 62.0.1 . La Régie peut refuser de délivrer une licence lorsque la délivrance est contraire à l'intérêt public, notamment parce que la personne ou, dans le cas d'une société ou d'une personne morale, elle-même ou l'un de ses dirigeants est incapable d'établir qu'il est de bonne moeurs et qu'il peut exercer avec compétence et probité ses activités d'entrepreneur compte tenu de comportements antérieurs.  »

 

[187]      Ne pas payer ses dettes ou les sommes dues à la suite d’un jugement, c’est aller à l’encontre d’un comportement loyal et honnête. «La bonne foi est donc devenue l’éthique de comportement exigée en matière contractuelle».

 

[188]      Le dictionnaire « Le petit Robert 2012 » définit la probité :

 

« Vertu qui consiste à observer scrupuleusement les règles de la morale sociale, les devoirs imposés par l’honnêteté et la justice.» 

 

[189]      Dans l’affaire précitée : « Couvreur J.M. » [16] , il est écrit :

 

«[80] Ne pas respecter la décision d’un tribunal constitue un comportement inadmissible. Lorsque de plus il s’agit d’une décision qui est rendue suite à une faute commise dans l’exercice même du métier, ce manquement ne peut être ignoré par la Régie. »

 

[190]      L’entreprise a été condamnée plusieurs fois à payer des sommes à des tiers et aujourd’hui, elle est encore en défaut.

 

[191]      Cette obligation de payer ses dettes est imposée par l’honnêteté et la justice.  Si l’entreprise est en défaut, elle ne respecte plus les garanties minimales de probité et de solvabilité auxquelles tout client est en droit de s’attendre.

 

[192]      Dans l’affaire Technique Acoustique L.R. inc, il est écrit [17] :

 

« Par définition, la probité est la vertu qui consiste à observer scrupuleusement les règles de la morale sociale, les devoirs imposés par l’honnêteté et la justice.»

 

[193]      La preuve n’a donc pas été faite que l’entreprise agissait avec probité.

 

[194]      Elle n’a donc pas démontré que ses comportements antérieurs s’étaient faits sous le signe de la compétence et de la probité.

 

[195]      Or, les dispositions de l’article 62.0.1 en exigeaient la démonstration.

 

[196]      Dans l’affaire Chagnon [18] , l’Honorable juge Marie-France Bich, J.C.A, rappelle qu’en adoptant la Loi sur le bâtiment:

«… le législateur a entendu ici adopter des mesures sévères, extrêmement sévères, sans exception, et ce, dans le but de combattre ce qu’il juge être un fléau, protégeant ainsi l’intérêt et l’ordre public.»

[197]      La Régie a pour mission d’assurer la protection du public.

 

« 110. La Régie a pour mission de surveiller l'administration de la présente loi, notamment en vue d'assurer la protection du public.»

 

[198]      Les moyens pour accomplir cette mission se retrouvent à l’article 111 de la Loi :

 

« 111. Pour la réalisation de sa mission, la Régie exerce notamment les fonctions suivantes:

 

1° vérifier et contrôler l'application de la présente loi et le respect des normes de construction et de sécurité;

 

2° contrôler la qualification des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires de façon à s'assurer de leur probité, leur compétence et leur solvabilité;

 

(…)»

 

[199]      Dans le respect de cette mission et en fonction de la preuve offerte, la licence de l’entreprise sera annulée.

 

DEMANDE DE MODIFICATION DE LICENCE

 

[200]      Le 14 mai 2013, l’entreprise dépose à la Régie un formulaire de «Demande d’une licence d’entrepreneur de construction» dans l’espoir de retrouver les deux sous-catégories retirées préalablement.  Est joint à la demande, un certificat d’accréditation d’Abritat établissant que l’accréditation de l’entreprise prendra effet à compter du 4 juillet 2013.  Cette demande donc est réputée avoir été reçue le 8 juillet 2013 (pièce P-7).

 

[201]      Compte tenu des conclusions ci-devant atteintes, cette demande sera refusée pour les mêmes motifs.

 

PAR CES MOTIFS, LE RÉGISSEUR :

 

Premier motif :  l’interruption des travaux

 

[202]      ANNULE la licence d’entrepreneur de construction de l’entreprise «9187-0725 QUÉBEC INC.  PHOENICIA CONSTRUCTION»;

 

Deuxième motif :  la confiance du public

 

[203]      ANNULE la licence d’entrepreneur de construction de l’entreprise «9187-0725 QUÉBEC INC.  PHOENICIA CONSTRUCTION»;

 

Troisième motif :  la compétence et la probité

 

[204]      ANNULE la licence d’entrepreneur de construction de l’entreprise «9187-0725 QUÉBEC INC.  PHOENICIA CONSTRUCTION »;

 

La demande de modification de licence

 

[205]      REFUSE la demande de modification de la licence présentée par l’entreprise «9187-0725 QUÉBEC INC.  PHOENICIA CONSTRUCTION».

 

 

 

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Me Gilles Mignault

Régisseur

 

Me Sylvie Dionne

Me Virginie Ouellette

GAUDREAU, DIONNE

Pour la Régie du bâtiment

 

Me Esther St-Amour

CROCHETIÈRE, PÉTRIN

Pour 9187-0725 Québec inc. «Phoenicia Construction»

 

Dates de l’audience :  2, 3, 4, 10, 11, 23, 30 et 31 octobre 2013 ainsi que les 1 er , 5, 8, 12 et 14 novembre 2013.

 



[1] Voir au même effet pièce P-21

[2] Clarence Caissie, 8000-7966, RBQ, 17 juillet 2007

[3] 2013, CanLII, 66584 (QC RBQ), 15 octobre 2013

[4] Le Petit Robert,. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 2012

[5] Régie du bâtiment c. Marcel Boucher (Couvreur J.M.) 8253-7333, 21 janvier 2013

[6]   ibid

[7] Guide du répondant d’une entreprise de construction, dépôt légal-2011, Bibliothèque et Archives nationales du Québec..  ISPN 978-2-550-61911-6, page 4.

[8] Ibid, page 7.

[9] Ibid, page 9.

[10] Régie du bâtiment, 5636-6552, 6 juillet 2012.

[11] 5646-0918, 18 février 2013

[12] Brigitte Lefebvre, « La bonne foi : notion protéiforme », (1996) 26 R.D.U.S., p.325

[13] Code civil du Québec, L.R.Q., c. C-1991

[14] Banque Nationale du Canada c. Soucisse, 1981 CanLII 31 (CSC) , [1981] 2 R.C.S. 339 ; Banque Nationale du Canada c. Houle, 1990 CanLII 58 (CSC) , [1990] 3 R.C.S. 122 ; Banque de Montréal c. Bail Ltée, 1992 CanLII 71 (CSC) , [1992] 2 R.C.S. 554

[15] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, avec la collaboration de N. Vézina, Les obligations, 6e édition, Les Éditions Yvon Blais, 2005, no 98.

[16]   Note 5

[17]    2012, CanLII 33846 (QC RBQ)

[18] Procureur général du Québec c. Chagnon (1975 Ltée et al.), 500-09-022373-120 et al., Cour d’appel du Québec, 16 février 2012.