COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
AQ-1005-1945 |
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Cas : |
CQ-2012-4578 |
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Référence : |
2013 QCCRT 0562 |
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Québec, le |
2 décembre 2013 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Line Lanseigne, juge administratif |
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Francine Marceau Donald Mercier
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Plaignants |
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c. |
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Syndicat des tuteurs et des tutrices de la
Télé-Université
-
CSN
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Intimé |
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et |
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Télé-Université
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Mise en cause |
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DÉCISION |
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[1]
Le 19 septembre 2012, Francine Marceau et Donald Mercier déposent
conjointement une plainte fondée sur l’article
[2] Ils lui reprochent d’avoir manqué à son devoir de représentation en refusant de porter à l’arbitrage leur grief pour contester les mesures d’accommodement consenties par l’employeur à deux tuteurs.
[3] Le Syndicat conteste cette plainte et soutient qu’à la suite de son enquête, la réclamation des plaignants s’est avérée sans fondement et contraire à ses obligations quant au respect des droits fondamentaux.
[4] Télé-Université ( TÉLUQ ) dispense de la formation universitaire à distance et à cette fin, offre un service d’encadrement aux étudiants en vue de favoriser leur auto - apprentissage. Près de 170 tuteurs se partagent cette tâche pour les quelque 400 cours de 1 er et 2 e cycle qu’elle diffuse.
[5] L’assignation des élèves est en fonction de la disponibilité du tuteur. Si celui-ci est en situation de double emploi, c’est-à-dire qu’il travaille plus de 28 heures chez un autre employeur, il pourra se voir confier l’encadrement d’au plus 180 étudiants par année ou 60 étudiants par session. Ce maximum pourra atteindre 516 étudiants par année s’il est en situation de simple emploi.
[6] Seulement 25 des 170 tuteurs détiennent une tâche à temps plein. Les autres ont des conditions d’emploi instables qui dépendent de l’offre de cours, du nombre d’inscriptions et de leur pointage, lequel confère un rang de priorité dans l’embauche et dans l’assignation des étudiants. Ce pointage est cumulatif trimestre après trimestre.
[7] Pour chaque cours, TÉLUQ constitue une liste prioritaire et une liste additionnelle parmi les tuteurs ayant été retenus pour exercer les tâches d’encadrement. Les assignations sont ensuite accordées alternativement par tranche de quinze étudiants aux tuteurs inscrits sur la liste prioritaire qui se sont déclarés disponibles.
[8] Lorsque ces tuteurs ont atteint le quota d’étudiants auquel ils ont droit, les assignations excédentaires sont accordées alternativement aux tuteurs inscrits sur la liste additionnelle, selon leur rang. Ces tuteurs n’ont donc aucune assignation tant et aussi longtemps que les tuteurs disponibles sur la liste prioritaire n’ont pas obtenu leur maximum d’étudiants.
[9] Il peut arriver que la liste de priorité d’un cours ne contienne qu’un seul tuteur. Dans ce cas, la clause 8.15 de la convention collective prévoit la possibilité d’y ajouter un tuteur selon les règles suivantes :
(…) la Télé-Université peut procéder au transfert d’une personne salariée de la liste additionnelle à la liste prioritaire à la condition qu’il y ait eu dans ce cours et ce, durant chacun des trois derniers trimestres , un nombre d’assignations accordées à une personne de la liste additionnelle et que ce nombre ait été minimalement équivalent au nombre d’assignations accordées à la personne salariée de la liste prioritaire. Si cette condition et remplie, la Télé-Université peut procéder au transfert de la personne salariée à la liste prioritaire selon les dispositions prévues à la clause précédente.
(Nos soulignements)
[10] Donald Mercier et Francine Marceau travaillent respectivement pour TÉLUQ depuis 1985 et 1990. Il s’agit de leur seul emploi.
[11] Malgré ses nombreuses années de service, monsieur Mercier est inscrit sur la liste prioritaire d’un seul cours, DRT 1080. Il complète cette charge par son inscription sur la liste additionnelle de douze autres cours. Quant à madame Marceau, elle se retrouve sur la liste prioritaire de deux cours DRT 1080 et DRT 1060 et sur la liste additionnelle de trois autres cours.
[12] Le 22 décembre 2011, ils déposent chacun un grief à l’employeur, sans passer par l’intermédiaire du Syndicat, pour réclamer l’application de la clause 8.15 de la convention collective.
[13] Plus précisément, monsieur Mercier demande d’être transféré de la liste additionnelle à la liste prioritaire du cours RIN 1015 puisque lors des trois derniers trimestres, il s’est vu accorder plus d’assignations que le seul tuteur de la liste prioritaire.
[14] Quant à madame Marceau, elle demande, pour les mêmes raisons, qu’une tutrice, madame Trottier, soit transférée sur la liste prioritaire du cours DRT 1090, pour qu’elle-même puisse devenir première sur la liste additionnelle.
[15] Dès que le Syndicat est informé des griefs des plaignants, il les achemine à sa conseillère syndicale, madame Pomerleau. En règle générale, il ne procède jamais à l’analyse juridique des demandes de griefs et s’en remet systématiquement à cette dernière qui est l’experte dans ce domaine.
[16] Madame Pomerleau possède en effet une vaste expérience en relations du travail et occupe sa fonction depuis 2001. Dès son retour du congé des fêtes, le 4 janvier 2012, elle procède à une analyse sommaire des griefs et demande immédiatement à l’employeur une prolongation de délai pour le dépôt en arbitrage afin de pouvoir compléter son enquête.
[17] Le 13 janvier suivant, elle aborde plus amplement la situation des plaignants lors d’une conférence téléphonique avec la directrice des ressources humaines de TÉLUQ. La présidente du Syndicat, madame Pelletier, ainsi qu’une conseillère en ressources humaines assistent à cet entretien.
[18] Il ressort des discussions que c’est par mesure d’accommodement que l’employeur refuse d’ajouter un tuteur sur la liste prioritaire des cours visés par les griefs. Selon lui, cet ajout ferait perdre leur rang prioritaire aux deux tuteurs déjà inscrits alors qu’ils vivent une situation d’invalidité prolongée.
[19] Dans le cas du cours RIN 1015, pour lequel monsieur Mercier réclame son passage sur la liste prioritaire, le seul tuteur qui y est inscrit est absent pour maladie ou en retour progressif depuis l’automne 2008. Sur recommandation de son médecin, sa charge de travail a été limitée à 60 étudiants au trimestre d’automne 2009. Cette situation est toujours en vigueur à la date du grief.
[20] En ce qui concerne le cours visé par le grief de madame Marceau, DRT 1910, le seul tuteur de la liste prioritaire est absent pour maladie ou en retour progressif depuis le trimestre d’été 2007. Durant cette période, il a effectué plusieurs tentatives de retour au travail à temps complet qui ont toutes échoué.
[21] Le 1 er février 2012, la conseillère Pomerleau rencontre les plaignants afin de recueillir leurs prétentions. Monsieur Bistodeau, vice-président du Syndicat, l’accompagne. La présidente, madame Pelletier, est volontairement absente en raison de l’existence d’un ancien différend avec madame Marceau. Selon les explications fournies à l’audience, le Syndicat était soucieux d’éviter toute apparence de conflit d’intérêts.
[22] Les plaignants dénoncent la protection d’emploi qu’accorde l’employeur à deux salariés éprouvant des problèmes de santé depuis de nombreuses années. Cette situation les prive d’une sécurité d’emploi accrue lors de l’attribution des étudiants à chaque trimestre.
[23] En effet, puisque monsieur Mercier doit combler sa prestation de travail en s’inscrivant sur la liste additionnelle de plusieurs cours différents, cela lui occasionne une charge d’encadrement des étudiants plus lourde. De plus, contrairement au tuteur inscrit sur la liste prioritaire, il ne peut limiter sa disponibilité sur ces cours.
[24] Quant à madame Marceau, elle soutient que le refus de l’employeur de transférer madame Trottier sur la liste prioritaire du cours DRT 1910 lui cause non seulement une surcharge de travail, mais une perte de salaire importante. À chaque trimestre, elle n’atteint jamais le maximum d’étudiants auquel elle a droit alors que ce ne serait pas le cas, si elle accédait au premier rang de la liste additionnelle de ce cours.
[25] Lors de la rencontre, les plaignants mettent également en doute les raisons médicales qui sous-tendent l’accommodement consenti aux tuteurs. Ils s’interrogent sur le fait que l’un d’eux soit de retour sur le poste à temps complet qu’il détient chez un autre employeur. Notons qu’il ne s’agit pas d’un emploi similaire à celui de TÉLUQ.
[26] La conseillère syndicale ne partage pas le point de vu des plaignants quant au préjudice qu’ils disent subir. Selon elle, ils ont plutôt tiré avantage de la situation en obtenant plus d’assignations d’étudiants durant toutes ces années. En effet, n’eut été de leur invalidité, les tuteurs auraient sans doute reçu la totalité des assignations qu’ils étaient en droit de recevoir dans leur cours respectif.
[27] De plus, elle comprend difficilement comment madame Marceau peut prétendre subir une perte salariale du fait que madame Trottier occupe le premier rang de la liste additionnelle du cours DRT 1910 plutôt que d’être inscrite sur la liste prioritaire. Comme les tuteurs inscrits sur la liste prioritaire doivent avoir atteint leur maximum d’étudiants avant d’avoir recours aux tuteurs de la liste additionnelle, madame Marceau risque, au contraire, d’avoir moins d’étudiants pour ce cours.
[28] Malgré tout, elle entreprend plusieurs vérifications pour évaluer le bien-fondé des griefs des plaignants. D’abord, elle vérifie l’exactitude des motifs fournis par l’employeur pour accommoder les tuteurs. Dans les deux cas, elle constate qu’il n’y a rien dans l’historique de leur maladie qui puisse laisser croire qu’ils bénéficient d’un traitement de faveur.
[29] En effet, chacune de leur absence, ou retour progressif, est appuyée par une ordonnance médicale. Par précaution toutefois, l’employeur a limité le nombre d’étudiants pouvant être assigné au tuteur du cours DRT 1910 bien qu’un billet médical confirme son aptitude à occuper sa tâche à temps plein. Ses nombreuses rechutes l’incitent à la prudence.
[30] L’enquête menée par la conseillère révèle également que la demande de griefs des plaignants ferait perdre aux deux tuteurs invalides leur rang de priorité et qu’ils se verront assigner moins d’étudiants lorsqu’ils seront rétablis. Cette situation pourrait, selon elle, constituer une distinction reliée à un motif prohibé (le handicap) par les Chartes. Or, la jurisprudence analysée confirme que l’invalidité d’une personne ne doit pas lui faire perdre les droits et avantages auxquels elle avait droit avant son absence.
[31] Par ailleurs, l’utilisation du terme « peut » à deux reprises dans le texte de la clause 8.15 de la convention collective confirme le pouvoir discrétionnaire de l’employeur de transférer un tuteur sur la liste prioritaire. En outre, la convention collective ne prévoit pas de limite au lien d’emploi d’un salarié lorsqu’il est invalide et elle est muette sur la notion de retour progressif, à plus forte raison sur la durée de ce retour.
[32] Le 13 mars 2013, madame Pomerleau convoque une réunion avec l’employeur afin de discuter du dossier des plaignants. Elle souhaite mieux comprendre les raisons pour lesquelles celui-ci refuse de faire droit aux griefs. Deux membres de l’exécutif syndical assistent aussi à cette rencontre.
[33] Aux termes des échanges et bien que sa décision ne soit pas définitive, le Syndicat partage la même vision de la situation que l’employeur. Il estime que celui-ci n’a pas agi de manière déraisonnable en voulant préserver la priorité d’emploi de tuteurs qui éprouvent des problèmes de santé. En outre, une telle mesure d’accommodement ne contrevient pas à la convention collective et n’est nullement excessive pour les plaignants qui, n’eut été de l’infortune de leur collègue, ne pourraient réclamer de transfert sur la liste prioritaire.
[34] Le 15 mars suivant, madame Marceau apprend que le Syndicat a rencontré l’employeur avant que son collège et elle-même ne soient informés de sa position relativement aux griefs. Mécontente, elle dénonce par écrit cette situation à la conseillère syndicale.
[35] Celle-ci lui répond que la position du Syndicat n’était pas prise lors de la rencontre avec l’employeur et qu’il poursuit sa réflexion.
[36] Le même jour, elle produit aux membres de l’exécutif une opinion dans laquelle elle recommande le retrait des griefs. Elle leur présente les dispositions applicables et dresse un résumé du droit en matière d’accommodement raisonnable.
[37] Elle conclut que ce dernier a satisfait au devoir qui lui incombe de collaborer à la mise en place de mesure d’accommodement. L’employeur a utilisé la réserve que lui confère l’article 8.15 et n’a aucunement agi de manière discriminatoire envers les plaignants. Non seulement les griefs vont à l’encontre des intérêts d’autres salariés de l’unité de négociation, mais ils ne sont pas fondés en droit.
[38] Suivant les recommandations de leur conseillère, le Syndicat retire les griefs. Le 22 mars, il en informe les plaignants par lettre dans laquelle sont exposées de façon détaillée les raisons de sa décision.
[39] À l’audience, les plaignants soutiennent que le Syndicat a retiré leur grief en toute insouciance et sans une analyse sérieuse. Ils lui reprochent d’avoir omis d’examiner les certificats médicaux des tuteurs concernés accordant plutôt une confiance aveugle dans les informations fournies par l’employeur. Selon eux, la prévisibilité d’un retour au travail dans un avenir rapproché s’avère essentielle pour accorder une mesure d’accommodement.
[40] De plus, le retour progressif d’un des tuteurs émane d’une décision de l’employeur et non d’un avis médical. Tous ces éléments démontrent que le Syndicat a complètement ignoré l’objectif d’une mesure d’accommodement qui est de permettre au salarié de réintégrer ses fonctions, préférant accorder une protection d’emploi illimitée aux salariés en absence maladie.
[41] Par ailleurs, c’est sans aucune vérification des faits que le Syndicat conclut d’une part que les deux salariés invalides subiraient une diminution de leur salaire si un tuteur sur la liste de priorité était ajouté conformément à la clause 8.15 de la convention collective, et d’autre part que les plaignants eux ne subissent aucun préjudice du refus de l’employeur d’appliquer cette clause.
[42] Ils ajoutent qu’à aucun moment les tâches actuelles et passées des salariés invalides n’ont été évaluées, pas plus que celles des plaignants. Pourtant, soutiennent ces derniers, le tuteur sur la liste prioritaire du cours RIN 1015 pourrait combler son maximum d’étudiants dans un autre cours où il est prioritaire. De plus, le Syndicat ne peut ignorer qu’antérieurement la liste prioritaire du cours RIN 1015 et celle du DRT 1910 comptaient chacun deux tuteurs.
[43] Enfin, les plaignants blâment le Syndicat de ne pas les avoir informés des résultats de son enquête et de sa position a l’égard des griefs avant de les retirer.
[44] Le Syndicat se défend bien d’avoir mené une enquête superficielle. Il affirme avoir consacré près de dix jours à l’étude du dossier des plaignants; ce qui représente une somme de travail considérable pour des griefs individuels.
[45]
L’article
Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.
[46] Les plaignants reprochent au Syndicat de ne pas déférer à l’arbitrage leur grief visant à obtenir, pour les cours RIN 1015 et DRT 1090, le transfert d’un tuteur de la liste additionnelle à la liste prioritaire conformément à la clause 8.15 de la convention collective.
[47] Rappelons que monsieur Mercier réclame son propre transfert sur la liste prioritaire, alors que madame Marceau demande qu’une tutrice soit transférée pour qu’elle puisse elle-même devenir première sur la liste additionnelle.
[48] La Commission doit déterminer si, compte tenu des circonstances, cette décision relève d’un examen sérieux et non basée sur l’arbitraire, la mauvaise foi, un acte de négligence grave ou bien encore sur une situation de discrimination à l’endroit des plaignants par le Syndicat.
[49]
Dans l’affaire
Barrouk
c
. L'Union des
employés d'hôtels, restaurants et commis de bars, local 31
,
[55] Au sujet des contraventions alléguées par les
plaignants, la Cour suprême explique les quatre comportements interdits par
l’article 47.2 dans
Noël
c.
Société d’énergie de la Baie James
[ 56] Dans le cas de l’arbitraire et de la négligence grave, même sans intention malicieuse, les actes de l’association ne doivent pas dépasser « les limites de la discrétion raisonnablement exercée » . Au sujet de l’arbitraire, une association ne peut pas traiter une plainte d’un salarié « de façon superficielle ou inattentive ». L’association doit faire une enquête. Elle doit « examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais aussi tenir compte des ressources de l’association, ainsi que des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation » . L’association jouit d’une discrétion importante au sujet de la forme et de l’intensité de ses démarches.
[57] La négligence grave comprend « une faute grossière dans le traitement d’un grief » . Cependant, l’article 47.2 n’impose pas une norme de perfection. L’analyse du comportement syndical peut tenir compte des facteurs suivants : les ressources disponibles; l’expérience et la formation des représentants syndicaux, le plus souvent des non-juristes; les priorités reliées au fonctionnement de l’unité de négociation; l’importance du grief pour le salarié; les chances de succès du grief; l’intérêt concurrent des autres salariés dans l’unité de négociation.
[50] Il appartient aux plaignants de démontrer le comportement fautif qu’ils reprochent au Syndicat.
[51] La preuve ne révèle pas que le Syndicat a agi de façon arbitraire, discriminatoire ou qu’il a fait preuve de négligence grave à l’endroit des plaignants. C’est après une analyse sérieuse et rigoureuse qu’il a conclu que les griefs sont voués à l’échec, et qu’il enfreindrait son obligation de collaborer à une mesure d’accommodement s’il les soumettait malgré tout en arbitrage.
[52] À cet égard, l’étude détaillée que la conseillère Pomerleau a soumise à l’exécutif convainc la Commission du sérieux et de la justesse de l’analyse effectuée par le Syndicat. Contrairement à ce qu’affirment les plaignants, cette analyse ne reflète nullement une adhésion aveugle à la position de l’employeur.
[53] Le Syndicat a soupesé les arguments des plaignants et ceux de l’employeur, vérifié les faits et apprécié ses obligations avant de décider qu’il était de son devoir de collaborer à la mise en place d’une mesure d’accommodement pour éviter que les droits de deux salariés éprouvant des problèmes de santé ne soient compromis.
[54] Le fait que cette position désavantage les plaignants ne constitue pas un manquement au devoir de représentation du Syndicat. Il est bien reconnu que celui-ci jouit d’un pouvoir discrétionnaire quant à l’opportunité de défendre les intérêts collectifs de ses membres au lieu de privilégier ceux qui sont particuliers à certains d’entre eux.
[55] En l’espèce, le Syndicat a favorisé le maintien des droits des salariés en situation d’invalidité plutôt que celui des plaignants qui cherchaient à profiter de la condition médicale de leurs collègues pour améliorer leur situation d’emploi. Sa décision n’a rien de déraisonnable. Elle s’harmonise avec les intérêts collectifs de ses membres et est conforme à ses obligations légales de collaboration lorsqu’un accommodement est recherché pour des salariés.
[56] Les tribunaux sont exigeants relativement aux efforts d’accommodement que doit déployer un syndicat. Il ne peut utiliser l’application de la convention collective comme un rempart empêchant une telle mesure. À plus forte raison lorsque, comme en l’espèce, une clause peut être appliquée de manière à permettre l’accommodement.
[57] Dans le présent dossier, la convention collective ne prévoit pas de limite au lien d’emploi dans le cas d’invalidité et elle est muette quant à l’existence et à la durée d’un retour progressif. Quant à la clause 8.15 de la convention collective dont les plaignants revendiquent l’application, elle concède un pouvoir discrétionnaire à l’employeur d’ajouter un tuteur sur la liste prioritaire.
[58] Il devenait donc difficile, comme l’affirme le Syndicat, de prétendre que l’accommodement consenti par l’employeur pour permettre à deux tuteurs invalides de conserver leur rang de priorité constituait une contrainte excessive pour l’ensemble des salariés de son unité de négociation. D’autant plus, qu’aucun élément ne révèle que ceux-ci bénéficiaient d’un traitement de faveur en obtenant cet accommodement.
[59] Le Syndicat n’avait pas à se montrer plus sévère que l’employeur quant à l’évaluation de la contrainte que peut occasionner la non-application de la clause 8.15 de la convention collective, particulièrement si ce zèle fait en plus perdre des droits à des salariés invalides pour lesquels il a aussi un devoir de juste représentation.
[60]
Il lui incombe de décider du remède qui apparaît le plus juste pour
l’ensemble des membres qu’il représente. Malheureusement, il peut arriver que
pour atteindre cet objectif, sa décision désavantage certains salariés.
Toutefois, comme le souligne la Commission dans l’affaire
Gaudreau
c.
Association des juristes de
l’État
,
[61] En l’espèce, la décision du Syndicat de ne pas déférer les griefs des plaignants en arbitrage se justifie par l’intérêt de l’ensemble de ses membres et n’est nullement empreint de mauvaise foi envers les plaignants. La présence d’une coexistence difficile entre les intérêts individuels et collectifs ne constitue pas un manquement aux dispositions du Code du travail .
[62] Enfin, bien qu’il soit regrettable que le Syndicat n’ait pas divulgué aux plaignants l’opinion écrite de leur conseillère avant de retirer leur grief, sa conduite ne présente pas le caractère arbitraire ou négligent requis pour conclure qu’il a failli à son devoir de représentation. Il a pleinement motivé sa décision dans la lettre qu’il leur a transmise et il a pris en compte leur point de vue tout au long de son analyse.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE les plaintes.
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__________________________________ Line Lanseigne |
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M e Karim Lebnan |
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LAROCHE MARTIN, AVOCAT-E-S |
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Représentant de l’intimé |
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Date de la mise en délibéré : |
6 septembre 2013 |
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/nm