TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

N o de dépôt : 2014-0372

n/d 2013-17

 

 

Date 

6 novembre 2013

 

DEVANT L’ARBITRE  :           Me Bernard Lefebvre

 

UES local 800 section locale 1585-1, FTQ

                                                                                   « le Syndicat»

 

Et

 

Beaulieu Canada Usine 3

 

« l’Employeur »

 

Grief :

BC 08-2013

18 mars 2013

                                   

Plaignant : Monsieur Patrick Gagnon

Convention collective :

UES local 800 section locale 1585-1, FTQ

et Beaulieu Canada Usine 3 - 2011 - 2016

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

Sommaire

 

[1]    Le 27 février 2013, l’employeur informe les salariés de l’implantation du projet de rallonge de la rame du four numéro 3 à réaliser et de l’importance de mener à terme ce projet pour la pérennité de l’entreprise. Pour ce faire, l’employeur requiert des salariés d’effectuer du travail en temps supplémentaire, du vendredi 8 mars au mardi 12 mars 2013. À cette fin, l’employeur affiche, le 28 février 2013, une feuille de disponibilité de salariés volontaires. La feuille est retirée le 4 mars 2013. Aucun salarié ne s’est porté volontaire.

 

[2]    Dans ce cas, la disposition 11.09 de la convention collective (cc) confère à l’employeur le pouvoir d’assigner les salariés en temps supplémentaire et de le distribuer en commençant par le moins ancien.

 

[3]    Le 4 mars 2013, l’employeur affiche l’horaire du temps supplémentaire pour la période du 8 au 12 mars 2013 et le nom des salariés assignés à ces horaires, dont messieurs Dumont, Lampron, Boisvert, Tessier, S. Fontaine, A. Fontaine et Patrick Gagnon, qui est le moins ancien.

 

[4]    Le 5 mars 2013, l’employeur signale aux salariés que le refus d’effectuer du temps supplémentaire constituera une forme très grave d’insubordination, justifiant l’application de mesures disciplinaires exemplaires, voire même, un congédiement.

 

[5]    Dans les circonstances décrites dans la preuve, messieurs Dumont, Boisvert et P. Gagnon n’effectuent pas de temps supplémentaire le 11 mars 2013.

 

[6]    Le 15 mars 2013, l’employeur met fin à l’emploi de M. Gagnon. Il impose une suspension de 10 jours à messieurs Dumont et Boisvert.

 

[7]    Le grief soumis à notre arbitrage conteste la fin d’emploi de M. Gagnon.

 

[8]    Au regard de la distribution du temps supplémentaire, la disposition 11.09 cc stipule:

 

« Il.09 Distribution du temps supplémentaire

 

Le temps supplémentaire doit être réparti également entre les salariés du poste, à défaut, il doit être offert aux salariés du département qui sont qualifiés pour faire le travail assigné au poste en cause selon la pratique établie. À défaut, il est offert aux salariés de l'usine qui sont qualifiés pour faire le travail assigné au poste en cause.

 

Le temps supplémentaire est volontaire pourvu qu'il y ait assez de salariés qualifiés prêts à
travailler.

 

Cependant, lorsqu'il n'y a pas assez de salariés volontaires, les salariés qualifiés de l'usine les
moins anciens doivent accomplir le temps supplémentaire lorsqu'il est requis de le faire, à moins qu'ils n'aient des raisons sérieuses et justifiables pour en être exemptés.

 

Toute procédure ainsi que le registre des heures doit être affiché.

 

Chaque département établie sa procédure de temps supplémentaire, cette procédure doit respecter les critères de base de la présente convention collective. Elle doit être soumise par la suite à l'Employeur et au Syndicat pour approbation et suivi. Ainsi, toute modification à la procédure déjà établie et en cours doit être soumise aux Parties pour fin d'autorisation.

 

Lorsqu'il y a du temps supplémentaire de requis, tous les salariés de l'usine doivent être
considérés par ordre d'ancienneté sans tenir compte de l'équipe de travail.»

 

I. LA PREUVE

 

[9]         Le syndicat introduit en preuve la lettre de terminaison d’emploi de M. P. Gagnon signifiée le 15 mars 2013, ensuite le grief déposé le même jour et en dernier lieu, la réponse de l’employeur du 26 mars 2013, au grief:

 

Monsieur Patrick Gagnon;

15 mars 2013

 

Objet: Terminaison d'emploi / Congédiement

Monsieur ,

Le 27 février 2013 au cours de la rencontre hebdomadaire départementale, nous avons i nformé les salariés de la maintenance du projet de rallonge de la rame du four # 3 dans le département de l ' enduction et de l ' importance de mener à terme ce pro j et st r atégique pour l a pérenn i té de l'entreprise. Pour ce faire, j ' avais mentionné que du temps supplémentaire serait requis pour effectuer ce projet pour la période comprise entre les 8 et 12 mars inclusivement .

Au cours de l ' après-mid i de ce 27 février, un mémo interne destiné aux salariés de la maintenance a été affiché dans le département de l ' entretien pour vous faire part des besoins requis en temps supplémentaire et cela par poste de travail .

Le lendemain, 28 février, une feuille de disponib i lité de salariés volontaires pour effectuer l e temps supplémentaire requis a été affiché dans le département .

Cette feuille de disponib i lité a été retirée le lundi 4 mars au matin . Tous les salariés de la maintenance ont eu l'opportunité d'appliquer sur le temps supplémentaire offert et comme personne ne s'est porté volontaire, l'Employeur, afin de rencontrer les délais du projet , n ' avait d'autres choix que d'appliquer l'article11 . 09 de la convention - collective.

C'est ainsi que les noms des salariés ainsi que l'horaire de travail sur lequel i l s sont assignés ont été affichés au département de la maintenance ce 4 mars avant 15.00 heures.

Comme certains employés visés par ces assignations ont manifesté leur intention de ne pas se présenter, l ' Employeur vous a informé par l e bia i s d'un mémo affiché le 5 mars dans votre département que cela constituerait une forme très grave
d
' insubordination car faite de mauvaise foi, de façon préméditée et en signe clair et avoué de représailles face à certains é l éments liés à vos cond i tions de travail . Vous avez été avisé que cela serait inacceptable et que vous en subiriez les conséquences, de l'ordre de mesure disciplinaire exemplaire pouvant aller jusqu'au congédiement.

Comme votre nom figurait à l ' horaire de temps supplémentaire et que vous avez délibérément refusé d ' effectuer l e temps supplémentaire pour lequel vous étiez assigné le lundi 11 mars de 15.00 à 17 . 00 heures, nous n'avons d'autre alternative que de procéder à la terminaison de votre emploi effective immédiatement.

Hugo Noel

Directeur technique , transformation

cc. Monsieur Pierre Renaud, conseiller syndical  Syndicat U ES local 800 ;

Annie Gazaille , service de la paie
Ressources humaines

                  Grief du 18 mars 2013

                   Monsieur Patrick Gagnon

DESCRIPTION DU GRIEF

 

Violation de l'article 16 de la convention collective de travail ainsi que tout autre article s'y rattachant et des lois d'ordre public qui s'y rattachent. Je conteste la mesure disciplinaire datée du 15 mars et reçue le 18 mars avec congédiement.

              

                DESCRIPTION DE LA RÉCLAMATION

 

Je demande que l'employeur me réintègre au travail ainsi que le remboursement du salaire perdu et que tous mes droits et privilèges prévus à la convention collective soient maintenus.

 

                Réponse de l’employeur 26 mars 2013

 

DESCRIPTION DES FA I TS

Le 28 février 2013, une feuille de disponibilité pour effectuer du temps supplémentaire est affichée dans le département de la maintenance.

Le 4 mars suivant, cette dite feuille de disponibilité a été ret i rée et comme aucun salarié ne s'était porté vo l ontaire pour le temps supplémentaire requis, l'Employeur a appliqué l'article 1 1 . 09 de la convention collective et a assigné le salarié Gagnon pour combler les besoins de surtemps selon un horaire connu et affiché le 4 mars même.

Le salarié devait effectuer ce temps supplémentaire et a refusé d'en faire ainsi le 11 mars 2013 contrevenant ainsi à l ' obligation de se présenter au travail selon l'horaire prévu tel que spécifié sur le mémo interne qui a été affiché dans le département le 5 mars 2013 .

Lors de la rencontre du comité de grief du 22 mars dernier, le salarié a donné sa version des faits et des circonstances qui l'ont mené à ne pas se présenter au travail ce Il mars 2013.

DÉCISION

Comme le salarié Gagnon n'a pas démontré de raison sérieuse et justifiable au cours de cette rencontre, l'Employeur maintient le congédiement en date du 15 mars 2013.

Richard Gélineau   

26mars2013
Ressources humaines

c.c. Syndicat UES local 800

Pierre Renaud, conseiller syndicat

 

 

[10]        L’employeur produit M. P. Gagnon à titre de témoin dans sa preuve.

 

[11]        M. P. Gagnon termine sa période de probation chez l’employeur vers le 13 mars 2013. Il travaille sur l’horaire de 23h00 à 7h00 du dimanche au vendredi.

 

[12]        L’employeur dépose le formulaire de temps supplémentaire de la période du 8 au 12 mars 2013 affiché le 4 mars 2013.

 

Temps supplémentaire - Installation de la rame du four #3

Vendredi le 8 mars 15h à 17h:

Soudeur haute pression:                               Gilles Dumont.

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :    Patrick Gagnon

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :  Yves Lampron

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :    Guy Boisvert  

Samedi le9 mars 7h à 17h :

Soudeur haute pression :                               Gilles Dumont

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :    Alain Tessier

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :   Patrick Gagnon  

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :   Yves Lampron

Dimanche le 10 mars 7h à 17h :

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :     Patrick Gagnon

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :    Yves Lampron

Lundi le 11 mars 15h à 17h :

Soudeur haute pression :                                Gilles Dumont

Mécan i cien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :    Patrick Gagnon

Mécanicien A ou mécanicien A chef de

groupe ou mécanicien A chariot élévateur :    Yves Lampron

 

 

[13]        M. P. Gagnon convient que l’imposition du temps supplémentaire a crée de la bisbille, dont la cause n’est pas étrangère à la conclusion de la convention collective.

 

[14]        Il appert que M. Gagnon et M. Lampron rayent leur nom inscrit sur le formulaire affiché le 4 mars 2013. M. P. Gagnon indique qu’il voulait ainsi forcer l’employeur à s’enquérir auprès d’eux de la raison de ces rayures.

 

[15]        En fin de compte, M. P. Gagnon et M. Yves Lampron conversent avec M. Paul André Gagnon, contremaitre. Le plaignant atteste avoir dit à son contremaitre sa disponibilité pour faire du temps supplémentaire avant le début de son quart régulier de travail ou immédiatement après mais pas selon l’horaire affiché le 4 mars 2013. M. P. Gagnon atteste que le contremaître lui a répondu de ne pas se mêler de la distribution du temps supplémentaire.

 

[16]         M. P. Gagnon admet l’ancienneté de messieurs Lampron, 10 ans, M. Tessier, 10 ans, Dumont, 42 ans et Boisvert, 42 ans.

 

[17]        M. P. Gagnon a pris connaissance du mémo du 5 mars 2013 dans lequel l’employeur énonce les tenants et les aboutissants de l’implantation du temps supplémentaire du vendredi 8 mars au mardi 12 mars 2013 et les conséquences des absences.

Memo interne

 

Destinataire: Membres de la maintenance, UES lOCAL 800, sl 1585-1 FTQ

Objet: Temps supplémentaire

Date: 5 mars 2013

Expéditeurs: Sylvain Roy, Hugo Noel, Serge Marceau

 

Dans le cadre du projet sur le four 3 qui s'échelonnera du vendredi 8 mars au mardi 12 mars 2013, du temps supplémentaire est requis pour être en mesure de réaliser le projet. Tous les membres de la maintenance ont eu l'opportunité d'appliquer sur le temps supplémentaire offert. Comme personne ne s'est porté volontaire, l'article 11.09 trouve son application en assignant au travailles salariés les plus jeunes qualifiés sur chaque poste requis pour le projet. Les noms de ces personnes ainsi que l'horaire de travail sur lequel ils sont assignés sont affichés au département de la maintenance depuis hier, 4 mars 2013.

 

Or, certaines des personnes visées par ces assignations ont manifestés leur intention de ne pas se présenter. Ceci constitue une forme très grave d'insubordination car faite de mauvaise foi, de façon préméditée et en signe claire et avoué de représailles face à une perception négative de
certains éléments liés à vos conditions de travail. Sachez que ceci est inacceptable et ne sera pas toléré. Ainsi, les individus qui désireraient entraver les opérations en ne se pliant pas aux prérogatives prévus au contrat de travail négocié et accepté collectivement subiront les conséquences de leurs actes. En effet, sachez que des mesures disciplinaires EXEMPLAIRES allant de la suspension jusqu'au congédiement seront remises à ceux qui refuseront d'exécuter le travail selon les dispositions prévues à la convention collective. Ainsi , les salariés dont les noms figurent à l'horaire de temps supplémentaire ont l'obligation de se présenter au travail selon l'horaire prévu.

 

Sachez que nous trouvons déplorable de devoir faire ce rappel à l'ordre. Nous ne pouvons pas laisser les opérations-de l'entreprise devenir l'otage lorsqu'il y a de l'insatisfaction. Nous comptons sur votre collaboration.»

( soulignements de l’employeur )

 

[18]        M. P. Gagnon accomplit le temps supplémentaire indiqué sur le formulaire affiché le 4 mars 2013, au regard des 8, 9 et 10 mars 2013 mais il ne se présente pas à l’ouvrage le 11 mars 2013, à 15h00, pour accomplir l’assignation de temps supplémentaire de 15h00 à 17h00.

 

[19]        M. P. Gagnon témoigne de la raison de son absence le 11 mars 2013 de 15h00 â 17h00. Il retourne à son domicile vers 7h10, à la fin de son quart de travail régulier débutant à 23h00, dimanche 10 mars 2013 et finissant à 7h00, lundi 11 mars 2013. Dès lors, il vaque à ses occupations personnelles et il débute sa «nuit» de sommeil vers 14h30.

 

[20]        M. P. Gagnon admet qu’il aurait pu sommeiller de 7h15 à 14h00 au lieu de débuter sa «nuit» à compter de 14h30. De toute façon il continue de se reposer vers 15h00.

 

[21]        M. P. Gagnon sait que l’employeur a imposé 10 jours de suspension à messieurs Boisvert et Dumont et ceux-ci n’auraient pas contesté cette mesure.

 

[22]         Interrogé par le syndicat, M. P. Gagnon se souvient d’avoir laissé un message, dans la boite vocale de M. Paul-André Gagnon le 5 mars 2013, lui demandant une rencontre afin de lui dire la raison de son refus et celui de M. Lampron, d’accomplir du temps supplémentaire, mais il n’y eut pas de suite.

 

[23]         M. P. Gagnon était au courant du mouvement de protestation qui couvait chez l’employeur au début du mois de mars 2013. Par ailleurs, il n’y a pas de contremaitre en faction durant les quarts de soir, ce qui ne l’empêche pas d’effectuer consciencieusement le travail demandé sur les bons de commandes rédigés par son contremaitre.

 

[24]        À la connaissance du témoin, M. Hugo Noël, ingénieur de la maintenance, a téléphoné à M. Lampron, lundi 11 mars 2013 afin de lui rappeler de rentrer au travail en temps supplémentaire. Mais lui-même n’a pas reçu un tel appel, ou bien il n’a pas entendu le téléphone sonner durant son sommeil.

 

II. ARGUMENTS

 

A) Arguments de l’employeur

 

[25]        La preuve établit que M. P. Gagnon manifeste son intention, dès le 5 mars 2013, de ne pas accomplir du temps supplémentaire le 11 mars 2013 et il admet l’existence d’un climat de contestation chez les travailleurs au même moment.

 

[26]        Or, le mémo du 5 mars 2013 avertit les salariés de la gravité d’un refus éventuel d’accomplir du temps supplémentaire, soit l’insubordination préméditée. Ainsi, le refus de M. P. Gagnon de se présenter au travail le 11 mars 2013 découle de ce climat de contestation.

 

[27]        M. P. Gagnon oppose à l’employeur la nécessité de se reposer le 11 mars 2013 après avoir accompli son quart de travail régulier. Cette défense ne tient pas car il aurait pu se reposer entre 7h15 et 14h30, le 11 mars 2013, et ainsi retourner au travail frais et dispos pour accomplir le travail à temps supplémentaire à compter de 15h00.

 

[28]        En l’espèce, l’employeur a exercé normalement son pouvoir d’imposer le temps supplémentaire à défaut de volontaires.

 

[29]        Dans l’exercice de son pouvoir de sanction l’employeur a tenu compte de l’ancienneté des salariés.

 

[30]        Vu que le syndicat n’a pas contesté la suspension de 10 jours imposée à messieurs Dumont et Boisvert, il suit nécessairement la reconnaissance que le refus de se présenter au travail le 11 mars 2013 constitue une faute commise par les salariés dans l’exercice de leurs fonctions.

 

[31]        La fin d’emploi imposée à M. P. Gagnon s’explique par un comportement différend de l’intéressé par rapport aux salariés Dumont et Boisvert. En effet, un salarié qui vient de terminer sa période de probation doit obéir aux directives de l’employeur par tous les moyens possibles.

 

[32]        En raison de sa participation à un mouvement concerté de ne pas se présenter au travail, M. P. Gagnon a fait preuve d’insubordination grave et cette dérogation entraine la fin de son emploi. [1]

 

[33]        En ce faisant, M. P. Gagnon a désorganisé la bonne marche de l’usine et dans ce cas, il n’y a pas de motif suffisant pour laisser place à l’arbitre de modifier la sanction imposée au plaignant. [2]

 

[34]        L’employeur a démontré que le temps supplémentaire était justifié pour fins de production.

 

[35]        Selon le droit jurisprudentiel, le refus de travailler en temps supplémentaire constitue un arrêt de travail illégal et justifie l’application de mesures disciplinaires, voire, le congédiement. [3]

 

B) Arguments du syndicat

 

[36]        L’employeur conclut à tort que M. P. Gagnon refuse d’accomplir du temps supplémentaire alors que la preuve établit qu’il a travaillé en temps supplémentaire les 8, 9 et 10 mars 2013.

 

[37]        Il n’accomplit pas de temps supplémentaire le 11 mars 2013 parce qu’il ne peut respecter l’horaire de l’employeur. Son absence n’atteste pas d’un mouvement concerté d’arrêt de travail, au sens de l’article 6 cc, puisqu’il désire expliquer à son contremaitre, dès le 5 mars 2013, ses difficultés d’accomplir le temps supplémentaire requis en vertu de l’affichage du 4 mars 2013.

 

[38]        La preuve de l’employeur ne démontre aucun lien entre les avertissements donnés dans l’avis du 5 mars 2013 et la pérennité de l’entreprise.

 

[39]        Si le tribunal conclut que l’absence de M. P. Gagnon au travail le 11 mars 2013 de 15h00 à 17h00 constitue une faute, il y a lieu de sanctionner cette faute en fonction du concept de la discipline progressive dans un but dissuasif et d’appliquer la juste proportion des sanctions avec la faute avant d’administrer la mesure extrême que représente la perte d’emploi. [4]

 

III. ANALYSE ET DÉCISION

 

[40]        La disposition 11.09 cc constitue la trame du litige.

 

[41]        Le pouvoir de l’employeur d’imposer le temps supplémentaire provient  du troisième alinéa de cette disposition :

 

« … Cependant, lorsqu’il n’y a pas assez de salariés volontaires, les salariés  qualifiés de l’usine les moins anciens doivent accomplir le temps supplémentaire lorsqu’il est requis de le faire, … » (11.09 cc 3 e al.)

 

[42]        Bien entendu, le pouvoir d’imposer le temps supplémentaire, lorsqu’il n’y a pas assez de salariés volontaires, inclut celui d’imposer du temps supplémentaire lorsqu’il n’y a aucun salarié volontaire à cette fin.

 

[43]        L’arbitre doit présumer que la disposition 11.09 cc reflète exactement l’intention des parties. Le corollaire du droit de l’employeur d’imposer le temps supplémentaire, lorsqu’il n’y a pas assez de salariés volontaires, est l’obligation ders salariés d’accomplir ce temps. L’inexécution de cette obligation constitue une dérogation à la disposition 11.09 cc.

 

[44]        Il faut préciser la nature de cette dérogation.

 

[45]        E n l’espèce, le 5 mars 2013, l’employeur a qualifié cette dérogation de forme grave d’insubordination.

 

  « … car faite de mauvaise foi, de façon préméditée et en signe claire (sic) et avoué de représailles face à une perception négative de certains éléments liés à vos conditions de travail. … »

 

[46]        L’employeur s’est abstenu de qualifier cette dérogation comme étant un arrêt de travail total ou partiel, ou une grève au sens de la disposition 6.01 cc.

 

« Article 6 Grève et contre-grève

 

6.01 Au cours de la présente convention, il n’y aura ni grève, ni arrêt de total ou partiel de travail, ni ralentissement de travail au sens du Code du travail de la part des salariés ou du Syndicat … »

 

[47]        Par ailleurs, le fait que M. P. Gagnon se soit absenté le 11 mars 2013 de 15h00 à 17h00 ne relève pas l’employeur de son fardeau de prouver de façon convaincante, premièrement, que cette absence constitue une insubordination très grave car faite de mauvaise foi, de façon préméditée et en signe clair et avoué de représailles face à certains éléments liés à ses conditions de travail et, ensuite, de persuader le tribunal que cette absence justifie l’imposition de la peine capitale, pour utiliser une expression classique utilisée dans le domaine du droit disciplinaire des relations collectives de travail.

 

[48]        Il s’ensuit la nécessité de qualifier la dérogation de M. P. Gagnon en fonction de l’ensemble de la preuve.

 

Qualification de la dérogation de M. P. Gagnon, le 11 mars 2013

 

[49]        C’est l’analyse du faisceau des faits entourant l’absence du 11 mars 2013 qui nous guidera soit vers la conclusion de l’employeur ou soit vers celle recherchée par le syndicat.

 

[50]        On sait que l’employeur invoque le comportement de M. P. Gagnon survenu le 5 mars 2013 pour prouver que l’absence du 11 suivant était préméditée et avait été préméditée dès le 5 mars 2013.

 

[51]        Analysons donc le comportement de M. P. Gagnon le 5 mars 2013.

 

[52]        La preuve indique qu’il a cherché à converser avec son contremaitre et il a laissé un message verbal dans la boite vocale de M. Hugo Noël vraisemblablement pour donner à ceux-ci les raisons de son désaccord contre l’horaire de temps supplémentaire affiché le 4 mars 2013.

 

[53]        Résultats?

 

[54]        Bref, M. P. Gagnon n’a pas obtenu les échanges lui permettant de réaliser la fin à laquelle ses messages étaient destinés, c’est-à-dire, fournir les raisons de son désaccord à effectuer le temps supplémentaire tel que demandé dans l’affichage du 4 mars 2013.

 

[55]        Il est vrai que la conversation de M. P. Gagnon avec le contremaitre et, le message qu’il a laissé à M. Noël prennent l’allure d’une contestation du mémo du 5 mars 2013.

 

[56]        Dans les circonstances entourant l’imposition du temps supplémentaire, l’employeur était justifié de demander aux salariés d’obéir sans discuter.

 

[57]        En conséquence, l’absence de M. P. Gagnon en temps supplémentaire, le 11 mars 2013 de 15h00 à 17h00, est une suite de sa contestation manifestée le 5 mars 2013, jusqu’à preuve du contraire.

 

[58]        Le syndicat fait valoir par ailleurs, que M. P. Gagnon, malgré son désaccord sur le contenu du mémo du 5 mars 2013, malgré qu’il n’ait pas eu la conversation souhaitée avec son supérieur et malgré le silence de l’ingénieur Noël à son message, il a toutefois effectué le temps supplémentaire requis les 8, 9 et 10 mars 2013, à la satisfaction qualitative et quantitative de son employeur, sinon, celui-ci n’aurait pas manqué de prouver le contraire.

 

[59]        Il n’en demeure pas moins que M. P. Gagnon ne s’est pas présenté à l’ouvrage le 11 mars 2013 à 15h00 parce qu’il a préféré se reposer. La défense de M. P. Gagnon est faible.

 

[60]        On convient dès le départ que le degré d’intensité de la preuve de la qualification de l’absence du 11 mars 2013 selon les critères de l’employeur est celui de la prépondérance de la preuve et non pas une preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[61]        En tout et partout, M. P. Gagnon a refusé de se présenter à l’ouvrage sans motif valable et ce refus équivaut à une faute commise dans l’exercice de ses fonctions de salarié assujetti à la disposition 11.09 cc.

 

[62]        Cette faute justifie l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur.

 

[63]        La question est de savoir si le refus de M. P. Gagnon de se présenter au travail le 11 mars 2013 doit être sanctionné par la fin de son emploi.

 

Sanction du refus de se présenter au travail le 11 mars 2013

 

[64]         On constate que les raisons de mettre fin à l’emploi de M. P. Gagnon, mentionnées dans la lettre du 15 mars 2013, sont en lien avec la qualification des absences au travail en temps supplémentaire, formulée dans le mémo du 5 mars 2013, selon les assignations affichées le 4 mars 2013. En résumé, l’absence au travail le 11 mars 2013 constitue une forme très grave d’insubordination.

 

[65]        En effet, lisons à nouveau le passage pertinent du mémo du 5 mars 2013:

 

« … l’intention de ne pas se présenter au travail … constitue une forme très grave d’insubordination car faite de mauvaise foi, de façon préméditée et en signe clair et avoué de représailles face à une perception négative de certains éléments liés à vos conditions de travail … »

( l’arbitre souligne )

 

[66]        La lettre de fin d’emploi du 15 mars 2013 reproduit presque mots pour mots les termes du mémo du 5 mars 2013, au regard de la qualification d’une absence en temps supplémentaire selon l’horaire du 4 mars 2013 et les conséquences d’une ou de plusieurs absences:

 

Lettre de fin d’emploi du 15 mars 2013

 

« Comme certains employés visés par ces assignations ont manifesté leur intention de ne pas se présenter, l ' Employeur vous a informé par l e bia i s d'un mémo affiché le 5 mars dans votre département que cela constituerait une forme très grave
d
' insubordination car faite de mauvaise foi, de façon préméditée et en signe clair et avoué de représailles face à certains é l éments liés à vos cond i tions de travail . Vous avez été avisé que cela serait inacceptable et que vous en subiriez les conséquences, de l'ordre de mesure disciplinaire exemplaire pouvant aller jusqu'au congédiement.

 

[67]        Une première remarque s’impose à la lecture de l’extrait précité de la lettre du 15 mars 2013.

 

[68]        Les absences de messieurs Dumont, Boisvert et P. Gagnon le 11 mars 2013, sont de la nature d’une forme très grave d’insubordination.

 

[69]        En droit disciplinaire des relations collectives de travail, la forme très grave d’insubordination constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail liant le salarié et l’employeur, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

 

[70]        D'autre part, l’employeur ne risque-t-il pas d’établir l’inexactitude de la sanction la plus forte, s’il sanctionne différemment les salariés ayant participé aux mêmes activités qu’il juge « une forme d’insubordination très grave »?

 

[71]        Dans cette perspective, l’absence en temps supplémentaire est une faute pré qualifiée mais la mesure disciplinaire n’est pas prédéterminée puisque l’employeur se réserve le pouvoir de moduler la sanction. En définitive, on s’attend à ce qu’une même insubordination très grave entraine une même sanction, à moins de circonstances particulières.

 

[72]        E n l’espèce, l’employeur impose deux sanctions différentes pour un même agissement, dont il justifie la distinction sur l’ancienneté différente des fautifs. Bref, le moins ancien, M. P. Gagnon est congédié, les plus anciens sont suspendus.

 

[73]        Admettons au départ que le pouvoir disciplinaire de l’employeur comporte la liberté de choisir des sanctions différentes pour des salariés ayant participé aux mêmes agissements tout en convenant que l’employeur n’est pas tenu d’aligner toutes les sanctions sur la plus élevée annoncée.

 

[74]        Mais cette liberté a-t-elle des limites?

 

[75]        La question est d'importance, lorsque la différenciation des
mesures disciplinaires est observée à la suite d'une même forme d’insubordination commise par trois salariés
.

 

[76]        La règle de la juste proportion de la sanction avec la faute implique que l’employeur doit justifier au mieux la différenciation des sanctions par des considérations strictement professionnelles.

 

[77]         Et plus l'écart sera grand, entre les sanctions, plus la justification devra être persuasive. C’est dans ce domaine que l’arbitre peut exercer sa discrétion et rendre toute autre décision qui peut être juste et équitable dans les circonstances ( cf. 5.13 cc ):

 

« 5.13 En matière disciplinaire, incluant les cas de suspension et de congédiement, l’arbitre peut rendre une décision de la façon suivante :

 

1. Maintenir la décision de l’employeur ;

 

2. Accorder plein droit au grief du Syndicat ;

 

3. Rendre toute autre décision qui peut être juste et équitable dans les circonstances »

 

[78]        La qualification des absences en temps supplémentaire de forme très grave d’insubordination est liée à l’entrave des opérations du projet de rallonge de la rame du four numéro 3. En d’autres termes, une entrave au bon fonctionnement de l’entreprise, dont la preuve incombe à l’employeur.

 

[79]        Or, l’employeur n’a pas cru bon déposer cet élément en preuve.

 

[80]        Il suit que les absences du 11 mars 2013 n’ont pas entravé les opérations du projet de rallonge de la rame du four numéro 3, ou à tout le moins, n’ont pas mis en péril la réalisation de ce projet.

 

[81]        Alors, la seule justification à la différenciation des sanctions repose sur l’ancienneté des absents. La différence d’ancienneté est-elle une justification qui puisse valider le congédiement du salarié le moins ancien, soit M. P. Gagnon?

 

[82]        En droit des relations collectives du travail l’ancienneté est un concept qui est utilisé d’abord pour des fins professionnelles et pour disculper ou pour accabler le salarié sanctionné.

 

[83]        En matière disciplinaire, l’ancienneté peut être utilisée comme facteur aggravant tout comme un facteur atténuant de la faute commise par le salarié dans l’exercice de ses fonctions et toujours pour établir la juste proportion de la sanction avec la dérogation commise par un salarié.

 

[84]         Mais l’utilisation de l’ancienneté dans le but d’imposer des sanctions distinctes pour sanctionner une même dérogation commise par plusieurs salariés contourne la norme de la juste proportion des sanctions avec la dérogation lorsque le salarié le moins ancien n’a pas mis en jeu l’intérêt de l’entreprise.

 

[85]        La sévérité plus grande dont l’employeur a fait preuve à l’égard de M. P. Gagnon devait s’expliquer par un comportement différent du plaignant par rapport aux autres salariés.

 

[86]        Ce n’est pas la preuve.

 

[87]         Les circonstances de l’absence de M. P. Gagnon m’autorisent à rendre toute autre décision qui peut être juste et équitable dans les circonstances, que le congédiement.

 

[88]        En toute logique, une suspension de dix jours aurait due est imposée à M. P. Gagnon.

 

III. DISPOSITIF

 

[89]        Pour tous ces motifs, le tribunal décide d’accueillir en partie le grief de M. P. Gagnon dont l’effet est d’annuler le congédiement et d’imposer une suspension de 10 jours.

 

[90]        Le tribunal conserve juridiction pour trancher toute difficulté d’application et d’exécution de ce dispositif.

 

[91]         Ainsi décidé le 6 novembre 2013.

 

 

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Me Bernard Lefebvre

 

 

Pour le syndicat :

M. Pierre Renaud

 

 

Pour l’employeur :

Me Jean Allard

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Douglas Aircraft Compagy of Canada c. Mc Connell [1980] 1 R.C.S. 245

[2] Emballages ECO Ltée et Syndicat québécois de l’industrie et des communications, section locale 145, SA 90-03581.

[3] Meunier c. Industries Di Marcantonio Inc., AZ-83141336 ;

Baxters Canada Inc. et Syndicat des salariés de Soup Experts Inc. (CSN), SA 08-01031.

[4] Guy Doré c. 6175007 Canada Inc. Cellulaire solutions 11, 2006 QCCRT 0341 .