Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 3 décembre 2013

Référence neutre : 2013 QCTAQ 1220

Dossier  : SAS-Q-191049-1304

Devant les juges administratifs :

HUGUETTE RIVARD

MICHÈLE RANDOIN

 

S… T…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]               Le requérant conteste une décision rendue par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec, le 23 février 2013, à la suite d’une évaluation sommaire dont le résultat n’était pas favorable.

[2]               Par sa décision, l’intimée fixe aussi les conditions pour que le requérant obtienne un nouveau permis de conduire soit : se soumette à un examen médical et à une évaluation complète auprès du centre reconnu par l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (l’Association ou l’ACRDQ).

 

[3]               Après étude du dossier, témoignage du requérant, étude de l’évaluation sommaire du requérant produite sous I-1 et arguments des parties, le Tribunal retient ce qui suit.

[4]               Le requérant a été arrêté le 26 juin 2008 à la suite de deux infractions commises soit : conduite avec facultés affaiblies et délit de fuite causant blessures. Une déclaration de culpabilité a été enregistrée le 15 février 2010 et son permis a été révoqué. De même, le droit d’obtenir un nouveau permis a été suspendu.

[5]               Le 2 mars 2010, l’intimée indique au requérant que pour obtenir un nouveau permis après le 15 février 2013, il doit se soumettre à une évaluation sommaire, suivre un programme d’éducation Alcofrein et subir un examen de ses compétences par la SAAQ.

[6]               Le requérant subit son évaluation sommaire devant madame Nicole Hamel-Jutras le 15 février 2013 et le résultat de cette évaluation est non favorable au requérant, d’où la décision rendue par l’intimée le 23 février 2013, référant le requérant à une évaluation complète.

[7]               Le rapport de madame Hamel-Jutras souligne l’âge du requérant, son état matrimonial, sa scolarité et son travail d’intervenant en toxicomanie depuis mars 2012. Elle fait également état des infractions commises le 26 juin 2008 avec un taux d’alcoolémie au-delà de la limite permise, sa condamnation en date du 15 février 2010 et ses antécédents d’alcool au volant en octobre 1986 et juin 1994. Lors de son arrestation, il avait pris 12 consommations standards d’alcool dans une salle de billard.

[8]               Elle rapporte qu’à son entrevue, la dernière consommation remontait au 17 octobre 2011 et qu’il était abstinent depuis 16 mois. Il consommait à son domicile sans déplacement et au bar. Elle souligne qu’il a occasionnellement pris de la drogue entre l’âge de 19 et 40 ans. Souvent, il avait une consommation mixte avec alcool. Il a fait trois démarches pour un problème de drogue et d’alcool dans des centres de réadaptation dont deux en 1999 et 2000 dans le même centre et dans un autre centre en 2011. Il a sporadiquement des rencontres depuis 2011. Il ne prend pas de médicaments depuis un an, mais il a déjà eu une prescription vers l’âge de 30 ans et 32 ans pour des antidépresseurs et de l’Imovane durant 10 jours.

[9]               Madame Hamel-Jutras, dans son rapport, indique que le résultat de cette évaluation s’appuie sur l’analyse des informations qui ont été recueillies lors de l’entrevue structurée, de la passation des questionnaires remplis par le requérant, de son document relatif au dossier de conduite ainsi que du certificat du technicien qualifié.

« Le sens de la recommandation formulée s’appuie sur un cumul d’éléments qui sont associés au risque de récidive en matière de conduite avec les facultés affaiblies. Dans le cas présent, le cumul de facteurs de risque retrouvés chez le requérant atteint le seuil à partir duquel un risque significatif caractérise la situation du conducteur. D’abord, un questionnaire rapporte que sa consommation d’alcool lui a causé des nombreuses conséquences négatives par le passé au niveau de son fonctionnement social, psychologique, physique ou professionnel. Il y a eu des indicateurs d’abus d’alcool dans sa vie passée. Il a demandé de l’aide pour régler un problème de consommation d’alcool/drogue en faisant trois thérapies. De plus, selon les questionnaires auto-administrés, le requérant démontre un risque de récidive relié à ses attitudes, intentions, comportements et cognitions, notamment à la probabilité qu’il conduise après avoir consommé de l’alcool ainsi qu’une échelle évaluant le risque de récidive chez les contrevenants a détecté qu’il présente un tel risque. Il en était à sa troisième arrestation pour alcool au volant avec un taux d’alcoolémie de plus de deux fois la limite légale. Finalement il consommait alcool et drogue à l’extérieur de son domicile dans des contextes où des déplacements étaient nécessaires et son expérience de conduite est inférieure à sept années. Tous les éléments précédemment décrits sont associés à un risque de récidive pour conduite avec les facultés affaiblies. »

[10]            Elle ajoute à la fin de son rapport que durant la rencontre, le requérant semblait franc et ouvert à communiquer l’information nécessaire à son évaluation. Il lui a paru qu’il a bien compris les questions posées et il y a répondu adéquatement.

[11]            C’est à la suite de cette évaluation que l’intimée a rendu sa décision que le requérant conteste au Tribunal en date du 17 avril 2013. Il y inscrit :

« Je suis convaincu de bien fondé de l’évaluation sommaire par contre, le questionnaire ne donne pas un portrait global de ma situation on me dit que mon comportement envers la consommation demeure un risque pour la sécurité routière je ne consomme plus depuis 18 mois je travail en milieu thérapeutique et je suis des cours à l’université en toxicomanie j’aimerais donc savoir quelle sont les pré-requis pour être admissible pour le permis » (sic)

[12]            À l’audience, le requérant témoigne concernant son infraction commise le 26 juin 2008, sa déclaration de culpabilité le 15 février 2010 de même que ses infractions antérieures. Il a dû faire un an de prison ferme et à sa sortie, il a entrepris une thérapie en toxicomanie. C’était une cure fermée de six mois, mais il est sorti après quatre mois. Il est revenu six mois plus tard et depuis ce temps, il gravite autour de ce milieu. Il s’investit, a demandé des cours en toxicomanie et est devenu intervenant. Depuis le 17 octobre 2011, il est totalement sobre.

[13]            Pour l’évaluation sommaire subie le 15 février 2013, le rendez-vous avec madame Hamel-Jutras s’est bien passé. Cependant, il ne comprend pas pourquoi elle n’a pas changé l’évaluation. Il a répondu aux questions et elle a répondu aux siennes. Le seul problème c’est que ses questions font plus état de son passé que de son présent et qu’il a changé sa façon de faire.

[14]            Il est conscient qu’un permis de conduire est un privilège. Cependant, il a fait des études pour changer, voudrait être capable d’obtenir un emploi futur et pour cela, il a besoin de son permis de conduire, car c’est plus difficile de se trouver un emploi s’il n’en a pas. À l’époque où les événements se sont passés, il n’avait pas la maturité requise.

[15]            Il souligne qu’avec sa thérapie, il a acquis une maturité, une acceptation. Avant 40 ans, il lui était inacceptable de ne pas consommer. Depuis, il dissocie le plaisir et la consommation. Il a maintenant acquis une façon de s’affirmer et de débattre des choses alors qu’auparavant, il se révoltait et envoyait promener tout le monde. Ses frustrations sont moins présentes, il est moins émotif et il fait moins face à des situations qui l’amèneraient à consommer. Il a fait beaucoup de ménage dans son « moi ».

[16]            La procureure de l’intimée a produit, sous la cote I-1, les différents tests subis par le requérant dans le cadre de son évaluation sommaire. Une ordonnance de non divul-gation, non publication, non diffusion et non utilisation a été faite quant à la production des différents examens subis par le requérant dans le programme de l’évaluation sommaire.

[17]            Elle nous reporte à la grille de cotation où le cumul des données arrive à un pointage de 6 alors qu’à 3 et plus, l’évaluation devient défavorable. Elle plaide que le requérant n’a pas démontré que les tests n’avaient pas été effectués selon le protocole. Ce sont les réponses du requérant qui ont amené le résultat. Le processus est sévère, tout comme la loi, et même si le requérant s’est repris en mains, malgré tout, il doit subir une évaluation complète.

[18]            Le requérant, pour sa part, reprend le fait que c’est plutôt la façon de poser les questions qui fut problématique et que sa situation n’est plus la même aujourd’hui. Le problème c’est que s’il doit subir une évaluation complète, cela prend de six à huit mois et que par la suite, il doit posséder un éthylomètre durant un an, ce qui retarde son retour au travail alors qu’il a déjà 45 ans. Il respecte maintenant la loi, ce qui n’a pas toujours été le cas.

 

[19]            Le Tribunal doit déterminer si le requérant doit se soumettre à une évaluation complète.

[20]            Le Tribunal se réfère à l’article 76.1.2 du Code de la sécurité routière [1] qui prévoit ce qui suit :

«  76.1.2.  Lorsque l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool et que la personne n'est pas visée à l'article 76.1.4, elle doit, pour obtenir un nouveau permis, établir que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe de permis demandée.

La personne doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa:

1° au moyen d'une évaluation sommaire, si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle ne s'est vu imposer ni révocation ni suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool;

2° au moyen d'une évaluation complète, si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle s'est vu imposer au moins une révocation ou suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool.

La personne qui échoue l'évaluation sommaire doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa au moyen d'une évaluation complète .

[…] »

(Nous soulignons)

[21]            Ainsi donc, lorsque le permis de conduire d’une personne est révoqué à la suite d’une infraction reliée à l’alcool, celle-ci est soumise à des conditions particulières pour obtenir un nouveau permis.

[22]            L’évaluation sommaire sert à déterminer si les comportements passés et présents d’une personne relativement à l’alcool constituent un risque de récidive. Il appert de la preuve que l’évaluation sommaire s’est bien déroulée, même le requérant en a parlé. Aucune erreur dans l’application de l’entrevue structurée, des questionnaires ou de leur cotation n’a été faite. La seule question pour le requérant est de savoir pourquoi son état passé prime dans les résultats alors qu’il est abstinent depuis longtemps et qu’il a fait différentes démarches afin de se sortir de cette situation. Pour lui, il n’y a pas de doute qu’il ne récidivera pas.

[23]            Le rapport d’évaluation sommaire démontre que les résultats obtenus par le requérant ont plusieurs indicateurs de risque quant à la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. Le Tribunal estime que le requérant n’a pas démontré que l’évaluation sommaire aurait été mal administrée. Malgré les efforts déployés par le requérant et les différentes démarches qu’il a faites pour s’en sortir, qui sont tout à son honneur, le Tribunal estime qu’il doit subir une évaluation complète dans les circonstances.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE le recours.


 

HUGUETTE RIVARD, j.a.t.a.q.

 

 

MICHÈLE RANDOIN, j.a.t.a.q.


 

Me Karine Giroux

Procureure de la partie intimée


 



[1]           L.R.Q., c. C-24.2.