Rhéaume c. Payette |
2013 QCCQ 15323 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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LOCALITÉ DE |
QUÉBEC |
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« Chambre civile » |
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N° : |
200-22-063251-128 |
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DATE : |
12 décembre 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SUZANNE VILLENEUVE, J.C.Q. |
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NATHALIE RHÉAUME , domiciliée et résidant au […] , Saint-Romuald (Québec) […] |
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Demanderesse |
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c. |
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SYLVAIN PAYETTE , domicilié et résidant au […] , Sainte-Anne-des-Plaines (Québec) […] |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal est saisi d’une requête introductive d’instance en enrichissement injustifié dans laquelle Nathalie Rhéaume réclame 24 000 $ à Sylvain Payette.
[2] Celui-ci conteste le bien-fondé de la demande : il soutient que Nathalie Rhéaume a contracté un emprunt de 24 000 $ dans le cadre d’un investissement qu’elle a choisi de faire pour ses seuls et uniques besoins alors que, pour sa part, il ne s’est aucunement enrichi.
[3] Pour avoir gain de cause dans son recours en enrichissement injustifié, Nathalie Rhéaume a le fardeau d’établir par preuve prépondérante l’existence des conditions suivantes :
- un enrichissement du patrimoine de son conjoint;
- un appauvrissement de son propre patrimoine;
- une corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement;
- l’absence de justification;
- l’absence de fraude à la loi;
- l’absence d’autres recours. [1]
[4] Si les conditions d’application de l’enrichissement injustifié sont réunies, il y aura lieu d’établir le quantum selon la moindre des deux valeurs retenues quant à l’enrichissement ou l’appauvrissement appréciés au moment où l’action a été intentée, soit le 30 mai 2012.
LES FAITS PERTINENTS
[5] Sylvain Payette habitait à Sainte-Anne-des-Plaines dans le district de Terrebonne et Nathalie Rhéaume, dans le district de Québec, lorsqu’ils ont commencé à se fréquenter en décembre 2008.
[6] À cette époque, Nathalie Rhéaume habitait dans un logement avec son fils, Charles-Antoine, âgé de treize ans alors que Sylvain Payette habitait seul dans une maison qui lui appartenait à Sainte-Anne-des-Plaines.
[7] Nathalie Rhéaume occupait un emploi permanent à titre de préposée aux bénéficiaires au CHUL depuis 1998 alors que Sylvain Payette tirait des revenus à la fois comme enseignant pour des postes de remplacement sur appel dans une commission scolaire, travailleur autonome dans la réparation résidentielle et bénéficiaire d’assurance emploi.
[8] Les parties se sont fréquentées pendant un an à raison de toutes les fins de semaine ou une fin de semaine sur deux dans la région de Québec avant d’élaborer un projet de vie commune en vertu duquel elles devaient s’installer ensemble dans la région de Québec.
[9] Désireuse d’ouvrir une garderie en milieu familial depuis déjà quelque temps, Nathalie Rhéaume a obtenu une autorisation pour un prêt hypothécaire de 130 000 $ en vue d’acquérir une maison mobile dans la région de Québec. Les parties ont alors visité quatre maisons qui ne répondaient pas à leurs attentes pour leur projet de vie commune incluant le projet de garderie en milieu familial.
[10] En avril 2010, elles se sont entendues pour s’installer ensemble dans la résidence de Sylvain Payette à Sainte-Anne-des-Plaines moyennant des travaux d’agrandissement de l’aire habitable au sous-sol de la résidence pour la garderie et la construction d’un garage pour les outils et les instruments de musique de Sylvain Payette.
[11] Pour la réalisation des travaux, Nathalie Rhéaume devait assumer le coût des matériaux alors que Sylvain Payette devait s’occuper de la main-d’oeuvre.
[12] À cette fin, le 10 mai 2010, Nathalie Rhéaume a contracté un emprunt de 24 000 $ pour le paiement des matériaux et outils nécessaires au projet alors que Sylvain Payette avait déjà commencé la démolition du mur de séparation entre la partie finie du sous-sol et la partie non finie.
[13] Le 23 juin 2010, Nathalie Rhéaume a quitté son logement et déménagé tous ses biens et effets personnels dans la résidence de Sylvain Payette où Charles-Antoine est venu s’installer avec le couple à la fin du mois d’août après avoir passé tout l’été avec son père aux Iles-de-la-Madeleine.
[14] Au mois de septembre 2010, le local pour la garderie n’était pas prêt et, dès le mois d’octobre 2010, la relation du couple s’est détériorée : madame et monsieur ont commencé à faire chambre à part, ne mangeaient plus ensemble et s’organisaient pour ne pas utiliser, au même moment, les aires habitables de la maison. De plus, Charles-Antoine n’était pas autorisé à rester seul dans la maison.
[15] Nathalie Rhéaume a quitté la résidence de Sylvain Payette le 8 février 2011 et mis fin à son congé sans solde au CHUL où elle a repris son travail de préposée aux bénéficiaires. Elle avait négocié ce congé au printemps 2010 pour mettre sur pied sa garderie en milieu familial.
[16] Quant à Sylvain Payette, sa situation d’emploi et ses différents statuts de bénéficiaire de prestations d’assurance emploi, enseignant sur appel dans une commission scolaire et travailleur autonome en réparation résidentielle n’ont pas changé entre le début et la fin de sa relation avec Nathalie Rhéaume.
[17] Pendant la vie commune des parties, Nathalie Rhéaume a assumé tous les coûts reliés aux services de Vidéotron et d’Hydro-Québec ainsi que les coûts d’épicerie. Elle assumait également les remboursements mensuels de 410,12 $ sur le prêt de 24 000 $ contracté le 10 mai 2010.
[18] De son côté, Sylvain Payette assumait l’hypothèque sur son immeuble et la preuve ne fait état d’aucune autre dépense que celles reliées à ses besoins personnels qui ne sont pas identifiées ni quantifiées.
[19] La preuve ne renferme aucune précision sur la valeur des actifs et des passifs de Sylvain Payette ni sur la valeur de ses revenus avant, pendant et après sa liaison avec Nathalie Rhéaume.
[20] Quant aux actifs et passifs de Nathalie Rhéaume, la preuve révèle que la valeur des biens meubles en sa possession est demeurée inchangée à l’exception de son compte de banque qui est passé de 36 255 $, après le dépôt de l’emprunt personnel de 24 000 $ le 10 mai 2010, à 139,53 $ le 8 février 2011, date où elle a quitté la résidence de Sylvain Payette.
[21] À cette date, le solde en capital sur l’emprunt de 24 000 $ était de 22 623,92 $ et la preuve documentaire produite au dossier permet d’établir à 29 528,64 $ le solde à payer en capital et intérêts entre le 30 mai 2012 et l’échéance du prêt le 10 mai 2018.
L’ANALYSE
L’enrichissement
[22] La preuve ne permet pas d’établir la valeur du patrimoine de Sylvain Payette avant, pendant et après sa relation avec Nathalie Rhéaume.
[23] Cependant, elle permet d’établir de façon prépondérante que son patrimoine n’a connu aucune modification significative pendant toute cette période à l’exception des travaux réalisés sur son immeuble de façon à agrandir et modifier la partie habitable du sous-sol et à ajouter un garage extérieur vraisemblablement à deux étages et mesurant 18 pieds x 21 pieds.
[24] Dans son témoignage à l’audience et dans sa procédure écrite, Sylvain Payette admet qu’il n’avait pas les moyens financiers de payer les matériaux nécessaires aux travaux et qu’il existait une entente avec madame voulant qu’elle assume le coût des matériaux alors que lui s’occuperait de la main-d’œuvre.
[25] L’analyse des nombreuses factures produites au dossier complétée par les relevés bancaires de Nathalie Rhéaume et les témoignages entendus à l’audience établissent de façon prépondérante que des matériaux achetés au coût de 20 148,37 $ ont été incorporés à l’immeuble de Sylvain Payette dans le cadre des travaux concernant le sous-sol et le garage extérieur.
[26] À l’audience, Sylvain Payette a évalué sa contribution en main-d’œuvre à une valeur au moins égale à celle des matériaux utilisés. Il reconnaît donc que les travaux réalisés en date du 8 février 2011 représentaient une valeur de 40 296,74 $.
[27] Les photos produites en preuve et les témoignages entendus à l’audience établissent de façon prépondérante que les travaux ont été réalisés selon les règles de l’art et, contrairement aux prétentions de Sylvain Payette, le Tribunal considère que ces travaux ont apporté une plus-value de 20 000 $ à l’immeuble, soit près de la moitié de la valeur réelle des travaux reconnus par Sylvain Payette à 40 296,74 $.
[28] Cette plus-value de 20 000 $ constitue un enrichissement pour Sylvain Payette dont le patrimoine n’a connu aucune autre modification pendant toute la durée de sa relation avec Nathalie Rhéaume jusqu’à l’introduction du recours en enrichissement injustifié.
L’appauvrissement
[29] La preuve documentaire ainsi que la preuve testimoniale établissent de façon prépondérante que Nathalie Rhéaume n’avait aucune dette lorsqu’elle a rencontré Sylvain Payette et qu’elle avait en banque un peu plus de 14 000 $ au début du mois de mai 2010.
[30] Elle bénéficiait de revenus composés de son salaire à titre de préposée aux bénéficiaires au CHUL, de prestations fiscales pour enfant, de la pension alimentaire pour celui-ci ainsi que de l’aide financière apportée par son père et sa mère.
[31] Pendant la durée de la vie commune, ses relevés bancaires établissent des dépôts constants dans son compte variant entre 2 077 $ et 4 051 $ par mois, pour une moyenne mensuelle de 3 037 $.
[32] Ses relevés bancaires et son témoignage non contredit confirment sa participation aux dépenses concernant Hydro-Québec, Vidéotron et l’épicerie pendant la période où elle a habité avec monsieur Payette.
[33] Ses relevés bancaires font état du dépôt de 24 000 $ emprunté le 10 mai 2010 et démontrent que des retraits, des virements et des paiements ont été débités de son compte pour des montants totalisant 19 390 $ entre le 10 et le 31 mai 2010, 4 880 $ au mois de juin, 8 439 $ au mois de juillet et 2 815 $ au mois d’août 2010.
[34] Le témoignage de Nathalie Rhéaume est confirmé par la preuve documentaire qu’elle a produite établissant de façon prépondérante une contribution financière exceptionnelle dans le projet de vie commune des parties, le tout dépassant largement le montant de 24 000 $ emprunté le 10 mai 2010.
[35] Alors qu’elle n’avait aucune dette avant de rencontrer Sylvain Payette et avant d’élaborer avec celui-ci un projet de vie commune, elle s’est retrouvée, à la fin de sa relation avec lui, avec une dette en capital établie à 22 623,92 $ au moment de la rupture.
[36] De plus, le montant de 12 255 $ présent dans le compte de banque de Nathalie Rhéaume, avant le dépôt du prêt de 24 000 $, est tombé à 0 $ le 11 novembre 2010 et à 139,53 $ le 3 février 2011, établissant ainsi un appauvrissement en capital d’environ 12 000 $.
[37] Le Tribunal conclut que la réclamation de 24 000 $ à titre d’appauvrissement est justifiée par la preuve testimoniale et la preuve documentaire produite à l’enquête et audition.
La corrélation entre l’enrichissement et l’appauvrissement
[38] Tel qu’admis par Sylvain Payette à l’audience et dans ses procédures, il n’avait pas les moyens de payer l’ensemble des matériaux pour la réalisation des travaux dans le sous-sol et pour la construction du garage extérieur sur sa propriété.
[39] C’est donc dire que sans la contribution financière de Nathalie Rhéaume qui a payé 20 148,37 $ pour des matériaux et s’est appauvrie d’autant, Sylvain Payette n’aurait jamais pu réaliser les travaux ayant donné une plus-value de 20 000 $ à son immeuble.
[40] Force est de conclure qu’il existe bien une corrélation entre l’enrichissement de Sylvain Payette et l’appauvrissement de Nathalie Rhéaume.
L’absence de justification
[41] L’enrichissement doit être sans justification légale ou conventionnelle [2] et cette absence de justification s’apprécie par rapport à la personne enrichie.
[42] Dans le présent dossier, Nathalie Rhéaume a apporté une contribution financière significative qui ne peut pas se justifier à titre purement gratuit. Les parties avaient des ententes concernant les dépenses courantes mais le coût des travaux ne peut pas être considéré comme une dépense courante.
[43] La contribution financière de Nathalie Rhéaume a permis à Sylvain Payette de se trouver en position financière meilleure que celle qui aurait été la sienne n’eût été de la vie commune et la preuve révèle que la contribution financière de Nathalie Rhéaume pour les travaux ne représente pas une libéralité pouvant justifier en droit l’enrichissement de Sylvain Payette et son appauvrissement corrélatif. [3]
[44] Nathalie Rhéaume n’a jamais profité des travaux et le Tribunal la croit lorsqu’elle dit qu’elle avait compris qu’un document notarié serait signé pour reconnaître sa contribution.
[45] Les circonstances du présent dossier démontrent bien que c’est sans justification que Sylvain Payette s’est enrichie aux dépens de Nathalie Rhéaume.
L’absence de fraude à la loi
[46] La preuve présentée par les deux parties ne fait état d’aucune fraude à la loi.
L’absence d’autres recours
[47] L’absence de contrat signé entre les parties rendait fort hasardeuse un recours sur la base d’une entente non respectée et justifiait Nathalie Rhéaume d’entreprendre un recours en enrichissement injustifié.
Le fardeau de preuve
[48] Nathalie Rhéaume a rencontré son fardeau de preuve d’établir de façon prépondérante l’existence des conditions requises pour avoir gain de cause dans son recours en enrichissement injustifié.
Le quantum de l’enrichissement injustifié
[49] La preuve établit que Nathalie Rhéaume a subi un appauvrissement de 24 000 $ tel que réclamé dans son recours en enrichissement injustifié.
[50] Cependant, la preuve établit l’enrichissement de Sylvain Payette à la somme de 20 000 $ et c’est ce plus bas montant qui doit être retenu comme enrichissement injustifié.
[51] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement la demande;
CONDAMNE
Sylvain
Payette à payer à Nathalie Rhéaume la somme de 20 000 $ avec intérêt au taux
légal depuis la mise en demeure du 29 mars 2011 ainsi que l’indemnité
additionnelle prévue à l’article
LE TOUT , avec dépens.
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__________________________________ SUZANNE VILLENEUVE, J.C.Q. |
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Me Didier Samson (22) |
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Proc. de la demanderesse |
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Monsieur Sylvain Payette |
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Personnellement |
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Date d’audience : |
5 décembre 2013 |
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[1]
Voir les articles
[2]
Amyot
c.
Paquette
, (C.A., 2008-06-10)
[3]
Doak
c.
Stocker
, (C.S., 2006-12-21)