Développement des éclusiers inc. c. Ciment Québec inc.

2013 QCCS 6307

J.C.1466

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

N° :

500-17-033396-063

 

DATE :

18 décembre 2013

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JEAN-JUDE CHABOT, J.C.S.

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DÉVELOPPEMENT DES ÉCLUSIERS INC.

Partie demanderesse

 

c.

 

CIMENT QUÉBEC INC.

Partie défenderesse

 

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Il s'agit d'une réclamation contre un sous-entrepreneur dans le cadre de la réalisation d'un projet de condominiums donnant sur le Canal Lachine.

I. LE CONTEXTE

[2]            À l'époque pertinente aux faits en litige, la demanderesse Développement des Éclusiers inc. (ci-après « DEVEC »), à titre de prometteur immobilier, donneur d'ouvrage et entrepreneur général, entreprend la réalisation d'un projet de construction de condominiums sur les bords du Canal Lachine à Montréal appelé « Lofts Quai des Éclusiers sur le Canal » situé au 4250 rue St-Ambroise à Montréal.  Le projet est divisé en quatre phases qui seront réalisées progressivement.  Le résultat final apparaît aux photographies P-26.  Comme on le constate c'est un beau projet.

[3]            Les Phases 1 et 2 seront exécutées en séquence.  La Phase 1 comprend 110 condominiums alors que la Phase 2 en comprend 98.  Il s'agit de deux immeubles de six étages reliés par leurs centres par une dalle de jardin (P-26C).  Les travaux
de coffrage de la Phase 1 sont exécutés par Astra Coffrages (9071-3686 Québec inc., ci-après « Astra »).  Le 1 er septembre 2003, la demanderesse confie de nouveau à Astra le contrat du coffrage, acier d'armature, mise en place du béton (mais non le finissage) et travaux accessoires pour la réalisation de la Phase 2 du projet à un prix forfaitaire de 1 019 000$ hors taxes (P-18).

[4]            L'orientation des édifices apparaît au plan clé sur le plan de structure P-5 (et
D-7).  La Phase 1 se situe dans la partie inférieure alors que la Phase 2 se situe dans la partie supérieure.  Les travaux de la Phase 2 apparaissent au plan D-6 tel qu'annoté par Claude Desroches, président du groupe Astra : la ligne rouge indique le point de jonction entre les Phases 1 et 2; le périmètre de la Phase 2 est en liséré vert et rose; la partie en jaune entre le liséré vert et rose correspond à la dalle des terrasses des condominiums du rez-de-chaussée.

[5]            Les travaux de coffrage de la Phase 2 commencent au début d'octobre 2003.  Le 20 octobre 2003, la défenderesse, faisant affaires sous le nom de Unibéton, livre 60m 3 de béton sur le chantier (P-1) pour couler une vingtaine de colonnes sous la terrasse et la dalle structurale du rez-de-chaussée dans la partie du projet délimitée par les axes
A-13 à A-11 et A à J.5 et pour couler environ 250 pieds linéaire de murs de fondation selon les axes indiqués au plan P-5.  Or, il s'avère au décoffrage le 21 octobre que le béton ne rencontre pas les normes de résistance nécessaires.  La demanderesse en informe alors la défenderesse (P-2).  Celle-ci envoie son aviseur technique vérifier la situation et le 22 octobre la défenderesse reconnaît que le béton n'est pas conforme et que les structures doivent être refaites (P-3).  Les colonnes et les parties de murs affectées sont illustrées en jaune au plan P-5.

[6]            La demanderesse entreprend le lendemain les travaux de démolition et de reconstruction des structures affectées.  Le 14 novembre la dalle du rez-de-chaussée est finalisée.  Les travaux de structure de la Phase 2 seront complétés le 17 février 2004.

[7]            Le 8 mars 2004, Astra transmet à la demanderesse une réclamation de 382 484,55$ pour coûts directs de réparation des éléments contaminés et pour coûts indirects résultant des retards consécutifs à ces travaux (P-10, p.55).

[8]            Le 23 mars 2004, la demanderesse transmet à la défenderesse sa réclamation pour dommages qu'elle prétend avoir subis en raison du béton défectueux livré au chantier laquelle inclut la réclamation d'Astra et totalise 1 227 673,62$ avant taxes, soit 1 412 131,57$ après taxes (P-24, p.18).

[9]            Le 19 octobre 2006, la demanderesse dépose une requête introductive d'instance contre la défenderesse dans laquelle elle réclame la somme mentionnée dans sa lettre datée du 23 mars 2004, avec intérêts au 20 octobre 2003.

[10]         La défenderesse produit sa défense le 8 février 2007 dans laquelle, entre autres considérations, elle se plaint de l'absence de pièces justificatives au soutien de la réclamation.  Néanmoins, celle-ci mandate un expert en construction pour évaluer la réclamation, monsieur Sylvain Bouchard, gestionnaire de projet pour le cabinet Leroux Chauhan Ouimet et Associés (ci-après « LCO »).  Comme l'expert ne peut obtenir toutes les précisions et tous les documents nécessaires à son évaluation lors d'une rencontre avec le représentant de la demanderesse François Chevrier, le procureur de la défenderesse transmet à celui de la demanderesse le 20 mai 2009 une liste de questions et documents demandés par l'expert et intitulé « Compléments d'information » (D-30).

[11]         Le 9 juillet 2009, l'avocat de la demanderesse transmet à l'avocat de la défenderesse les documents ainsi demandés (D-31).  Se fondant sur ces documents, l'expert Bouchard remet le 30 octobre 2009 son rapport dans lequel il évalue la réclamation totale, incluant coûts directs et coûts d'impact, à 63 851,23$ hors taxes
(D-35, 3 volumes).  À ce moment, Bouchard ne dispose toujours pas des rapports journaliers qui ne lui seront fournis qu'en février 2012.

[12]         Après l'attestation de dossier complet, la demanderesse présente une requête pour être autorisée à produire un rapport d'expertise de l'ingénieur Hérard Roy de Heuro Consult inc. (ci-après « HCI »), lequel évalue l'ensemble de la réclamation à 967 170,16$ (P-19), incluant celle d'Astra.  Le 21 octobre 2010, le juge De Wever accueille la requête mais ordonne aux parties de commettre leur expert respectif à une rencontre afin de concilier leurs opinions, déterminer les points qui les opposent et de produire un rapport écrit spécifiant les points toujours en litige avec un court résumé sur leur divergence d'opinion.

[13]         Le 24 septembre 2012, les deux experts remettent leur Rapport sur la conciliation des opinions d'experts (D-36).  L'évaluation de LCO se trouve majorée à 75 939,02$ alors que celle de HCI est minorée à 672 216,32$.

[14]         Le 8 novembre 2012, en cours d'instance, le Tribunal autorise la demanderesse à produire une requête introductive d'instance amendée datée du 7 novembre 2012 laquelle réduit la réclamation de la demanderesse à 879 404,77$ avant taxes, soit 1 011,534,99$ après taxes 2003 et demande désormais les intérêts et l'indemnité additionnelle à partir du 23 mars 2004 au lieu du 20 octobre 2003.

II. PRÉTENTIONS DES PARTIES

A. LA DEMANDERESSE

[15]         Celle-ci expose que le retard occasionné par la démolition et la reconstruction des structures inadéquates a eu un effet dévastateur sur l'avancement général du projet tant pour l'entrepreneur en coffrage Astra que pour la demanderesse.  Ce retard a entraîné un retard de l'ensemble des travaux d'Astra, retardant par la même occasion ceux de DEVEC.

[16]         Ces retards ont été aggravés par des conditions hivernales et le congé des fêtes de Noël et du Nouvel An qui ont augmenté non seulement le retard mais aussi les coûts de réalisation du projet tant pour Astra que pour Devec.

[17]         Astra prétend avoir subi un retard de cinq semaines qui ont entraîné des coûts additionnels de réalisation en raison des conditions d'hiver ainsi que des coûts additionnels de mobilisation de chantier qu'elle réclame à la demanderesse.  Elle a également perdu le boni de performance de 50 000$ prévu au contrat P-18 (Annexe, p.31) qu'elle réclame aussi à la demanderesse (P-10, qui sera modifiée au procès).

[18]         Les dommages incluant la réclamation d'Astra que la demanderesse réclame à la défenderesse se détaillent comme suit :

a) démolition des colonnes et du mur de fondation

     38 155,00$

(montant admis tout inclus)

 

b) coûts directs des travaux de reprise des ouvrages affectés

    

(montant admis)                                                              32 102,26$

 

-sauf à ajouter selon la demanderesse des frais d'administration et de profits (P-9A)

 

-Astra 15%                                                    2 877,94$

 

-DEVEC 12%                                                 4 197,74$

                                                                       7 075,68$

 

     39 178,94$

c) réclamation d'Astra (P-10)

 

-coûts                                                                     321 611,60$

-administration et profit 12%

 

                                                                                        38 593,39$

 

   360 204,98$

d) toilage non fourni par Astra (P-8)

 

-coûts                                                                       12 105,40$

-administration et profit                                              1 452,65$

 

 

     13 558,05$

e) coût de prolongation des conditions générales sur le chantier

   211 744,19$

f) chauffage et opération (P-7)

 

i)    propane et location de chaufferettes                    13 561,24$

ii)   opération, chauffage et main d'œuvre                  12 509,26$

                                                                                        26 070,50$

 

-administration et profit 12%                                      3 128,46$

 

 

     29 198,96$

g) frais généraux d'opération (P-12)

 

-coûts                                                                         9 143,92$

-administration et profit 12%                                       1 097,27$

 

 

 

     10 241,19$

h) frais de gestion du bureau des ventes (P-13)

     30 110,00$

i) taxes municipales pour la période de prolongation (P-14)

 

       5 574,21$

j) frais de financement (P-15)

     69 938,94$

k) compensation aux acheteurs (55 condos) 50$/jour (P-23)

     71 500,00$

Grand total (avant taxes)

   879 404,47$

Grand total (avec taxes 2003 : TPS 7%-TVQ 7,5%)

1 011 534,99$

 

[19]         Ayant transmis sa réclamation à la défenderesse le 23 mars 2004 (P-24) la demanderesse réclame les intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de cette date.

B. LA DÉFENDERESSE

[20]         La défenderesse expose que l'échéancier des travaux est un outil essentiel dans la réalisation des travaux.  Il sert à établir d'une part un cheminement critique dans la réalisation de certains travaux et d'autre part un cheminement non critique de certains autres travaux.  S'il survient un retard dans certains travaux, la demanderesse a le fardeau d'établir que ce retard a affecté le cheminement critique du projet et ne constitue pas un simple accident de parcours ayant peu d'effet sur l'ensemble du projet.

[21]         À cet égard, la défenderesse soumet que la demanderesse n'a pas fait cette preuve.  Au contraire, selon l'échéancier initial de la demanderesse (D-12 et D-12A) de même que selon celui d'Astra (P-10, p.12-13), le projet accusait déjà un retard de onze jours ouvrables au moment des travaux de correction.  Selon la défenderesse, le retard intervenu du fait du béton non conforme n'a été qu'un accident de parcours qui n'a pas aggravé le retard du projet et n'a aucunement affecté le cheminement critique de celui-ci puisque le projet n'aurait pas pu être réalisé selon les échéanciers prévus par la demanderesse et par Astra.

[22]         Elle conclut donc que la réclamation de la demanderesse pour des coûts de prolongation générale du chantier (frais d'opération, frais de gestion du bureau des ventes, taxes municipales, frais de financement et compensation aux acheteurs) est sans fondement.  En ce qui a trait au toilage, chauffage et opération, elle expose que la demanderesse n'a fourni aucune pièce justificative au soutien de sa prétention et que d'autre part, la preuve prépondérante démontre une absence de corrélation entre le nombre d'employés indiqués aux rapports journaliers et les listes préparées par la demanderesse.

[23]         Au même titre, elle expose que les frais généraux, frais d'opération et frais de gestion que la demanderesse attribue à un retard de huit semaines est sans fondement puisque le retard n'est pas attribuable à la livraison du béton non conforme.  Par ailleurs, tous les équipements et toutes les installations étaient communs aux quatre phases du projet et donc étaient requis pour l'ensemble des phases.

[24]         En ce qui a trait à la réclamation d'Astra incluse dans celle de la demanderesse, la défenderesse expose que cette réclamation est irrecevable.  Elle ajoute que la preuve révèle que la demanderesse n'a pas payé la réclamation d'Astra et qu'elle demande donc une condamnation de la défenderesse pour des montants qu'elle n'a pas payés à Astra.  Ce faisant, elle plaide pour autrui.  Elle demande donc le retrait de la réclamation de la demanderesse des sommes ayant trait à la réclamation d'Astra, tant pour les coûts de reconstruction que pour les coûts d'impact.  Elle conclut que la réclamation d'Astra est prescrite et que la demanderesse est mal fondée en faits et en droit de réclamer des sommes qu'elle n'a pas payées à son sous-traitant.

[25]         Au final, la défenderesse expose qu'en ce qui a trait aux coûts de démolition des ouvrages non conformes, la somme recevable est celle admise par les parties, savoir 38 155$ et en ce qui a trait aux coûts de reconstruction des ouvrages non conformes, la seule somme recevable se limite aux coûts de la demanderesse, soit 12 917$ (somme admise à 32 103,26$ - somme due à Astra de 19 186,26$).

[26]         Enfin, vu les circonstances particulières en l'espèce et l'exagération manifeste de la réclamation, la défenderesse réclame le paiement de ses frais d'expert et demande au Tribunal de refuser à la demanderesse l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[27]         Il n'est pas contesté que le béton livré le 20 octobre 2003 ne répondait pas aux normes nécessaires de telle sorte qu'il a fallu démolir les vingt colonnes et le 250 pieds linéaire de murs de fondation affectés.  Il s'agit donc de déterminer les coûts de démolition et de reconstruction des ouvrages et la recevabilité de certains coûts.

[28]         Dans un deuxième temps, le Tribunal déterminera l'impact du délai occasionné sur l'avancement des travaux et le cas échéant les coûts d'impact qui en découlent.

IV. ANALYSE

A. COÛTS DE DÉMOLITION ET COÛTS DE RECONSTRUCTION

1. Coûts de démolition

[29]         Les experts s'entendent sur un coût de 38 155$ tout inclus.  Il n'y a donc pas à y revenir.

2. Coûts de reconstruction et recevabilité de la réclamation d'Astra

a) Les coûts

[30]         Les experts s'entendent sur l'envergure des travaux de correction à 61,5m 3 de béton et sur les coûts de reconstruction à 32 103,26$.  Cependant, cette admission n'inclut pas de frais d'administration et de profit de 15% pour Astra (2 897,94$) ni de 12% pour Devec (4 197,74$) que la demanderesse réclame, portant ainsi les coûts de reconstruction selon elle à 39 178,94$ (P-9A).  La défenderesse conteste ces frais additionnels et conteste la recevabilité de la réclamation d'Astra, tant à cet égard qu'à l'égard de l'ensemble de sa réclamation.

b) Recevabilité de la réclamation d'Astra

[31]         La défenderesse conteste la recevabilité de la partie des coûts attribuables aux travaux d'Astra (colonnes, murs et empattement), soit 19 186,16$ (D-36, tableau LCO/HCI-1, p.22).

[32]         Astra transmet à la demanderesse sa réclamation le 8 mars 2004.  Celle-ci totalise 382 484,55$ (P-10).  François Chevrier, administrateur dirigeant de la demanderesse, témoigne que la demanderesse n'a pas payé cette réclamation mais qu'elle s'est entendue avec le président d'Astra à l'effet de suspendre les délais et la réclamation jusqu'à ce qu'un jugement ou un règlement intervienne, dans le but d'éviter une hypothèque légale.  De son côté, Astra n'a pas émis de facture afin d'éviter de devoir payer la TPS et TVQ sur des créances en recouvrement.

[33]         À cet égard, Devec et Astra signent donc une entente le 23 mars 2004 (P-27), dont il n'est pas inutile de reproduire ici le texte :

La présente confirme l'entente intervenue entre les parties, DÉVELOPPEMENT DES ÉCLUSIERS INC. (ci-après appelé « DEVEC ») et CONSTRUCTION ASTRA COFFRAGE INC. 9071-3686 Québec INC. (ci-après appelée « ASTRA ») suite à de récentes discussions.

Considérant l'existence d'une réclamation litigieuse d'ASTRA ayant trait aux travaux de coffrage exécutés en vertu d'un contrat avec DEVEC, les parties ont convenu du traitement de cette réclamation qui sera transmise à l'assureur, le tout de la manière ci-après exposée;

Considérant que DEVEC entend aussi soumettre sa réclamation à l'assureur en plus d'agir comme intermédiaire pour recevoir la réclamation d'ASTRA qu'il soumettra au maître de l'ouvrage;

Les parties s'entendent sur les points suivants :

1.    Lors de l'exécution des travaux, ASTRA a subi des préjudices monétaires pour des raisons qui ne lui sont pas imputables;

2.    ASTRA et DEVEC désirent former une équipe de travail aux fins de procéder à ces réclamations.

3.    DEVEC appuiera ASTRA dans sa réclamation, notamment en lui permettant, étant donné leur lien contractuel, d'adresser directement à DEVEC toute demande ayant trait à sa réclamation et que DEVEC transmettra ensuite au maître de l'ouvrage par dépôt d'une poursuite judiciaire.

4.    DEVEC et ASTRA partageront réciproquement toutes les informations qui sont en leur possession, fourniront tous les meilleurs efforts et coopéreront activement à la préparation de leur réclamation respective.

5.    En considération de l'exécution par DEVEC envers ASTRA de ses obligations prévues aux articles 4, 5, 6, 7 et 8, ASTRA renonce à exécuter ou à tenter d'exécuter directement contre DEVEC toute décision judiciaire ou arbitrale qui pourrait être rendue contre DEVEC à l'occasion de toute demande en réclamation ou procédure d' ASTRA contre DEVEC visant à obtenir, par son intermédiaire, contre l'assureur, un dédommagement pour tout préjudice monétaire subi par ASTRA à l'occasion de l'exécution des travaux susmentionnés.

6.    ASTRA s'engage à reconnaître toute décision d'une instance judiciaire ou d'un décideur dans le cadre d'un mode alternatif du règlement de conflit en regard du présent dossier.

7.    ASTRA s'engage à payer les honoraires extra judiciaires en proportion des montants reçus pour sa réclamation par rapport aux montants reçus pour la réclamation de DEVEC.

8.    ASTRA recevra la compensation qui lui sera accordée par le Juge ou dans l'éventualité d'un règlement hors Cour, le montant accordé par l'ajusteur d'assurance.

[34]         En conséquence, Astra n'a donc intenté aucune action contre la demanderesse ni n'est intervenue dans la présente instance.

[35]         Selon la défenderesse, même si la demanderesse et Astra se sont obligées contractuellement l'une envers l'autre en vertu de l'entente P-27, cette entente n'autorise pas la demanderesse à plaider pour autrui, c'est-à-dire pour Astra, selon l'article 59 C.p.c.  Selon elle, l'entente P-27 ne peut être interprétée comme une cession de créance puisqu'Astra n'est pas créancière de la défenderesse ni n'a aucun lien contractuel avec elle (art.1637 ss. C.c.Q.).  De plus, l'entente P-27 ne constitue pas non plus une renonciation à la prescription mais plutôt une renonciation à intenter des procédures.  Elle ajoute que la réclamation d'Astra est prescrite ( art.2925 C.c.Q.) et que la demanderesse ne peut réclamer pour Astra des sommes qu'elle ne lui a pas payées.

[36]         De son côté, la demanderesse expose qu'elle ne plaide aucunement pour autrui mais qu'elle a plutôt un intérêt suffisant au sens de l'article 55 C.p.c. de réclamer la créance d'Astra contre elle.  Elle ajoute que l'entente P-27 a pour effet de rendre conditionnelle la créance d'Astra au jugement à intervenir et à la soumettre à un terme suspensif jusqu'à ce jugement à intervenir.  Par ailleurs, elle expose que la réclamation d'Astra n'est pas prescrite vu la reconnaissance par la demanderesse de la créance d'Astra depuis sa naissance et répétée jusqu'au procès même ( art.2898 C.c.Q.).

[37]         Comme on le constate à la lecture de P-27, l'entente porte indéniablement sur les problèmes causés par le béton non conforme lors de la réalisation de la Phase 2.  Elle reconnaît l'existence d'une réclamation litigieuse d'Astra ayant trait aux travaux de coffrage et reconnaît aussi l'existence d'une réclamation de Devec contre le responsable du béton non conforme.  L'entente précise que Devec servira d'intermédiaire pour Astra et présentera non seulement la réclamation de Devec mais celle d'Astra à l'assureur.  Pour se replacer dans le contexte à ce moment, on doit comprendre qu'il s'agit de l'assureur de la défenderesse.  L'entente reconnaît aussi qu'Astra a subi un préjudice monétaire du fait des travaux pour des raisons qui ne lui sont pas imputables.  Donc en considération du fait que Devec s'engage à servir d'intermédiaire à Astra pour la poursuite des deux réclamations et à lui remettre la partie des sommes qui pourront être accordées soit par jugement soit par règlement relativement à sa réclamation, Astra renonce essentiellement de son côté à poursuivre Devec pour sa réclamation et s'engage à reconnaître le jugement ou le règlement à intervenir relativement à la poursuite intentée par Devec.  Astra s'engage également à payer les honoraires extrajudiciaires encourus en proportion des montants reçus par elle pour sa réclamation par rapport au montant reçu par Devec pour sa réclamation.

[38]         Effectivement, il s'agit donc d'une entente qui suspend le paiement de la créance d'Astra jusqu'à un jugement à intervenir à la suite d'une poursuite judiciaire ou jusqu'à une transaction ou à un règlement hors cour à intervenir.  De plus, le paiement de sommes d'argent est rendu conditionnel à la décision judiciaire qui sera rendue ou au contenu du règlement à intervenir qui déterminera l'étendue du droit de créance d'Astra et les sommes qu'elle peut recevoir.

[39]         En soi, une telle entente n'est pas contraire à la loi, un créancier pouvant convenir de surseoir à poursuivre la réalisation de sa créance.  Toutefois, la demanderesse ne peut se reposer sur l'article 1506 C.c.Q. pour prétendre que l'entente a pour effet de suspendre la prescription jusqu'à la réalisation de la condition et l'avènement du terme.  Devec et Astra n'en sont plus au stade de la formation du contrat mais au stade des dommages à la suite de l'exécution du contrat : à ce moment, le contrat est exécuté, les travaux faits, les dommages encourus.  L'entente est plutôt assimilable à une transaction par laquelle les parties préviennent une contestation à naître au moyen de concessions réciproques ( art.2631 C.c.Q.).  En pratique, Astra renonce à exercer ses droits pour une période indéterminée à condition que la demanderesse poursuive sa réclamation et celle d'Astra et renonce implicitement à la prescription.  Or, selon l'article 2632 C.c.Q., les parties ne peuvent transiger sur des questions qui intéressent l'ordre public.  L'article 2884 C.c.Q. précise qu'on ne peut convenir d'un délai de prescription autre que celui prévu par la loi alors que l'article 2883 C.c.Q. stipule qu'on ne peut renoncer à l'avance à la prescription, ce qui est considéré comme une question d'ordre public.  Ainsi, dans la mesure où l'entente P-27 suspend les droits d'Astra d'exécuter sa réclamation dans les limites du temps de prescription, l'entente est valable.  Par contre, si elle a pour effet d'excéder le temps de prescription, elle est contraire à l'ordre public et inopposable à la défenderesse.

[40]         Par contre, si l'on ne peut pas renoncer d'avance à la prescription, on peut renoncer à la prescription acquise (sous réserve des droits d'un tiers intéressé, art.2887  C.c.Q.) et au bénéfice du temps écoulé pour celle commencée ( art.2883  C.c.Q.).  Cette renonciation peut être expresse ou tacite :

2885.   La renonciation à la prescription est soit expresse, soit tacite; elle est tacite lorsqu'elle résulte d'un fait qui suppose l'abandon du droit acquis.

Toutefois, la renonciation à la prescription acquise de droits réels immobiliers doit être publiée au bureau de la publicité des droits.

[41]         La renonciation au temps écoulé découle aussi de la reconnaissance du droit contre lequel on prescrit ce qui a pour effet d'interrompre la prescription :

2898.   La reconnaissance d'un droit, de même que la renonciation au bénéfice du temps écoulé, interrompt la prescription.

[42]         En l'espèce, Devec a reconnu l'existence de la créance d'Astra dans l'entente
P-27, dans sa requête introductive d'instance du 26 octobre 2006, dans la poursuite de sa réclamation, par la production de la réclamation d'Astra sous P-10, par la production du rapport de son expert HCI du 5 octobre 2010, par le rapport de conciliation des experts du 16 octobre 2012, par sa requête introductive d'instance amendée du 7 novembre 2012 et par le procès.  En aucun moment, le temps de prescription extinctif de la créance d'Astra n'a été accompli en raison des reconnaissances successives du droit d'Astra par la demanderesse, de telle sorte que le recours d'Astra n'est pas prescrit et la défenderesse ne peut donc se prévaloir de l'article 2887 C.c.Q. (à cet égard, voir Dawcolectric inc. et Construction Solimec inc. c. Hydro-Québec , CS Montréal 500-17-035584-070, 11 novembre 2011, 2011 QCCS 5999 , par.322 à 379).

[43]         Ceci étant, demeure la question de l'intérêt de la demanderesse de réclamer la créance d'Astra à l'intérieur de sa propre réclamation.  Dans l'affaire Jean-Yves Fortin Soudure inc. c. Procureure Générale du Québec , CS Québec 200-05-003317-943, 31 mars 2000, AZ-00021562 , la juge Hardy-Lemieux assimile une entente similaire à celle en litige entre l'entrepreneur général et son sous-traitant à une forme de transaction qui confère à l'entrepreneur général l'intérêt juridique nécessaire lui permettant de réclamer du donneur d'ouvrage les sommes que son sous-traitant prétend avoir droit à la suite du contrat entre le donneur d'ouvrage et l'entrepreneur :

[86]  En 1995, elles conviennent d'un partage différent entre elles : Structures assume dorénavant seule tous les coûts du litige. Soudure s'engage à verser à Structures toute somme qu'elle recevrait du ministère et elle n'assume plus aucun frais afférents au litige. Elle s'engage à poser tous les gestes requis pour la poursuite des procédures.

[87]  Peut-on inférer que cette entente met fin à l'intérêt juridique de Soudure dans le litige? À première vue, peut-être. Cependant, il faut tenir compte de l'intention réelle des parties : par cette entente, Soudure sera dégagée de son obligation de payer à Structures la somme qu'elle lui doit pour les travaux réalisés et ce, en lui remettant la somme qu'elle recevra du ministère. Structures accepte d'assumer dorénavant seule les frais du litige.

[88]  Malgré la signature de cette entente, Soudure possède-t-elle encore l'intérêt suffisant pour agir dans le présent litige? La Cour d'appel définit ainsi, sous la plume de monsieur le juge Bernier, la notion d'intérêt :

« L'intérêt c'est l'avantage que retirera la partie demanderesse du recours qu'elle exerce, le supposant bien fondé. À part les cas d'exception spécifiquement prévus à la loi, la règle en droit commun est que pour être suffisant l'intérêt doit, entre autres, être direct et personnel » [1] […]

[89]  L'intérêt de Soudure dans le présent litige ou l'avantage direct qu'elle est susceptible d'en retirer, c'est qu'elle n'ait pas à en payer les frais engagés depuis le mois de mai 1995, d'une part et que si le jugement lui est favorable, elle soit déchargée de son obligation de paiement envers Structures, d'autre part. C'est d'ailleurs en ce sens qu'il faut comprendre les réponses de monsieur Fortin, lors de l'audience, lorsqu'il mentionne ne plus avoir d'intérêt dans le litige. Il faut analyser son témoignage en tenant compte de toutes les réponses qu'il comporte et non seulement, de certaines.

[90]  Le Tribunal estime, contrairement à ce que soumet le ministère, que Soudure possède certainement un avantage indéniable à ainsi mettre fin au litige qui aurait pu survenir entre elle et Structures, sons sous-traitant et créancière, pour les sommes qu'elle lui doit encore.

[91]  Le Tribunal est d'avis que l'entente de 1995 constitue une transaction selon les dispositions de l'article 2631 C.c.Q. puisqu'elle prévient ainsi la naissance d'un conflit entre les signataires. Soudure est, à ce moment, toujours débitrice de Structures pour les travaux additionnels que celle-ci exécute et pour lesquels elle n'obtient pas, à ce jour, la rémunération qu'elle réclame. Les parties se font des concessions réciproques : Soudure renonce au profit de Structures au paiement du 10% des sommes que le Ministère peut être appelé à lui verser.  En contrepartie, Structures accepte de payer seule tous les coûts relatifs au litige et de retarder l'exigibilité du paiement à l'issue du litige.

[92]  Le Tribunal est d'opinion que Soudure possède l'intérêt juridique pour agir dans le présent litige.

[44]         Au soutien de son argumentation au contraire, la défenderesse propose l'affaire Société d'Énergie Foster Wheeler Ltée c. Ville de Montréal , CS Montréal 500-05-020674-964, 7 octobre 2008, 2008 QCCS 4670 ainsi que l'affaire Groupe Plexon inc. c. Mazziv inc ., CS Montréal 500-05-003435-896, 12 juin 2002, 2002 CAN LII 2928 (QCCS).

[45]         Dans l'affaire Wheeler , SEFW réclame de Montréal des dépenses effectuées par une autre société du groupe Wheeler sans qu'il n'y ait eu de réclamation de cette société ni d'entente ni d'entrées aux livres de SEFW.  En première instance, le juge Normand opine que SEFW n'a aucun intérêt personnel aux sommes réclamées et plaide pour autrui (par.772 à 777), jugement confirmé à cet égard par la Cour d'appel ( Montréal (Ville de) c. Société d'Énergie Foster Wheeler Ltée , CAM 500-09-019145-085, 3 octobre 2011, 2011 QCCA (par.178)).  Manifestement, les faits sont totalement différents de ceux en l'instance et l'affaire n'a donc aucune pertinence.

[46]         Dans l'affaire Plexon , Plexon agit sans contrat écrit en vertu d'un mandat général de gérance de projet ou d'entrepreneur général pour la construction d'un édifice industriel appartenant à Mazziv.  Ce faisant il emploie quelques sous-traitants.  Lorsque Plexon reçoit les factures des sous-traitants, il les transmet à Mazziv qui effectue le paiement aux sous-traitants, ce qui lui permet de contrôler et de vérifier les coûts du projet.  À la suite d'une dispute, le représentant principal de Plexon quitte le chantier.  Vers la fin des travaux, Plexon réclame de Mazziv des sommes qu'elle prétend lui être dues en vertu du contrat, dont une partie correspond à des factures impayées de trois sous-traitants.  La juge Mayrand rejette la partie de la réclamation relative aux sous-traitants au motif que Plexon plaide au nom d'autrui ajoutant que « Plexon ne peut réclamer pour des tiers qui ne sont pas intervenus aux présentes procédures et qui n'ont pas intenté de procédures pour réclamer tout solde qui pourrait leur être dû et dont le recours est maintenant prescrit » (par.55).

[47]         Rien dans ce jugement n'indique que les sous-traitants en question aient signé des ententes quelconques avec Plexon ou avec Mazziv, ni qu'ils aient poursuivi Plexon pour leurs réclamations.  Il ne s'agit donc pas d'un cas pertinent à la situation en l'espèce.

[48]         Au final, le Tribunal est donc d'avis que la demanderesse a en l'espèce l'intérêt juridique nécessaire pour poursuivre la réclamation d'Astra de concert avec la sienne.  Le moyen d'irrecevabilité est rejeté.  La partie des frais de reconstruction visant Astra (19 186,26$, P-9A) doit donc être ajoutée aux coûts de reconstruction.

[49]         Enfin, la défenderesse conteste aussi l'ajout de frais d'administration et de profit pour Devec de 12% et pour Astra de 15% aux coûts de reconstruction.  L'expert de la défenderesse reconnaît la validité de la majoration pour le sous-traitant (D-35, p.31, 7.7.1).  En ce qui a trait à Devec, il reconnaît la validité d'une majoration de 10% mais sur le montant des travaux de son sous-traitant et de ses fournisseurs mais pas sur ses propres travaux puisqu'il s'agirait d'une double majoration à titre d'exécutant des travaux et à titre de maître d'œuvre.

[50]         À ce stade, le Tribunal accorde la majoration à Devec, quitte à la soustraire du total plus tard s'il s'avère que Devec a droit à des coûts d'impact.  L'expert justifie le pourcentage de 10% comme un pourcentage raisonnable de la gestion nécessaire de l'entrepreneur.  Pour lui, 12%, « ça n'a pas d'allure ».  Le Tribunal ne partage pas ici son avis.  Les frais administratifs existent et il est reconnu qu'il est difficile de les attribuer à un projet en particulier.  C'est la raison pour laquelle on attribue un pourcentage qui peut varier d'une entreprise à l'autre.  Ici, Devec impute 12% à ses contrats comme frais administratifs.  Il n'y a pas lieu de les refuser.

[51]         Ainsi, le Tribunal accepte les coûts de reconstruction à 39 178,94$ avant taxes.

B. IMPACT DES TRAVAUX DE CORRECTION SUR L'AVANCEMENT DU PROJET

1. Remarques préliminaires

[52]         Le juge est un profane institutionnel en matière de construction, comme dans toutes matières (même pour les tribunaux spécialisés).  Le fondement de sa décision s'élabore sur les faits mis en preuve devant lui et sur l'interprétation que peut leur apporter au plan technique les experts à l'occasion.  Pour aider le juge à comprendre et à apprécier les faits et les témoignages, le Code civil prévoit des règles de preuve.  Deux des règles cardinales en la matière sont exprimées aux articles 2803 et 2804 C.c.Q. :

2803.   Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804.   La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[53]         Le fardeau de la preuve et la prépondérance de la preuve sont donc les deux colonnes essentielles du temple sur lesquelles doit reposer le recours d'un demandeur.  L'avancement d'un projet de construction ne s'évalue pas dans l'abstrait et dépend de plusieurs facteurs plus ou moins prévisibles.  Un projet de construction, particulièrement un de l'envergure du projet en litige, repose nécessaire sur des plans et devis et sur des échéanciers d'avancement des travaux.  Comme le souligne avec justesse les deux parties, il y a un cheminement critique dans le déroulement des travaux si l'on veut respecter les délais de réalisation retenus et les coûts anticipés en fonction de ces délais de réalisation.

[54]         Un retard dans une partie du chantier n'implique pas nécessairement un retard sur l'ensemble du projet.  Prenons un exemple simpliste : un fabriquant de fenêtres doit livrer ses fenêtres sur le chantier pour le 1 er décembre, date prévue pour l'installation des fenêtres afin de fermer le bâtiment pour l'hiver.  Les fenêtres sont livrées le 15 décembre.  Catastrophe? Oui si l'immeuble est prêt à recevoir les fenêtres, non si la structure n'est pas terminée.  Retard?  Oui.  Impact?  Non.

[55]         Lorsqu'on parle d'un retard dans la construction d'un élément structural, la question devient plus complexe, beaucoup plus complexe puisque c'est sur la structure que repose l'édifice.  Question complexe qui nécessite une réponse complexe.  C'est pourquoi l'impact d'un retard structural doit s'apprécier en fonction des particularités du projet et de son avancement au moment où le retard intervient.  Plus précisément, quelles sont les conséquences réelles du retard sur l'avancement critique du projet?  Le demandeur a le fardeau d'établir le lien de causalité entre une modification ou un retard et le préjudice subi :

   Pour avoir gain de cause dans son action, il importe que l'entrepreneur établisse l'existence d'un lien de causalité entre une modification donnée et le préjudice subi.  En fait, il doit pouvoir démontrer de façon prépondérante que les pertes qu'il a subies résultent d'une modification au contrat dont le propriétaire est légalement ou contractuellement responsable.

   […]

   L'entrepreneur prudent aura donc soin de maintenir des documents détaillés concernant l'utilisation de la main-d'œuvre, de l'équipement et des matériaux sur le chantier ainsi que des relevés établissant le détail des travaux effectués à chaque jour et le taux de production.  Il doit être en mesure de démontrer quels sont les coûts attribuables à chacune des modifications puisque le fardeau de prouver les dommages lui incombe.  La difficulté que peut éprouver l'entrepreneur à établir avec précision la valeur de ces coûts additionnels n'est toutefois pas un motif suffisant pour refuser de l'indemniser.  Le tribunal peut procéder à cet égard au moyen d'une estimation des coûts, ce qui ne libère pas par ailleurs l'entrepreneur de faire en tout temps la preuve du lien de causalité entre les dommages réclamés et le défaut reproché au propriétaire.

   Le recours à l'estimation des coûts ne doit pas vouloir dire toutefois que l'entrepreneur a le droit d'être remboursé de tous les frais et de toutes dépenses qui excèdent le prix convenu des travaux, à moins qu'il ne s'agisse d'un contrat à prix majoré d'un pourcentage de profits ( cost plus ).

   L'entrepreneur est par ailleurs soumis à une obligation de minimiser les dommages, ce qui emporte qu'il doit prendre toutes les mesures raisonnables suivant les circonstances afin de réduire au minimum ses coûts additionnels.

   Les coûts que peut encourir l'entrepreneur en raison de modifications apportées au contrat peuvent être regroupés en quatre catégories : les coûts directs, les coûts indirects de chantier, les frais généraux et la perte de profits ainsi que les coûts d'impact.

(Ogilvy Renault, La construction au Québec : perspectives juridiques , Wilson & Lafleur, 1999, pp.401-402).

[56]         Comme on le constate de cet extrait de doctrine, la manière adéquate d'établir un lien de causalité repose sur les documents concernant l'utilisation de la main d'œuvre, de l'équipement, des matériaux et des rapports journaliers.  La raison en est évidente : il s'agit de ce qui se passe réellement sur le chantier, durant les travaux contrairement à ce qu'un entrepreneur peut affirmer.  À titre d'exemple simpliste encore, un entrepreneur peut prétendre avoir consacré dix hommes à huit heures par jour pour cinq jours dans tels travaux.  Si les relevés de main d'œuvre, les listes de paye ou les rapports journaliers ne soutiennent pas ses prétentions, celles-ci sont rejetées à moins d'établir que ces documents sont inexacts et surtout pourquoi ils le seraient puisque souvent ils sont contemporains aux travaux.

[57]         Comment déterminer les conséquences d'un retard sinon à partir de l'avancement réel du projet au moment où se produit le retard par rapport à l'avancement projeté au début des travaux et les travaux projetés par la suite.

2. Échéancier des travaux D-12A

[58]         La thèse de la demanderesse est à l'effet qu'elle prévoyait terminer l'ensemble des travaux de bétonnage pour le 12 décembre 2003.  La dalle du rez-de-chaussée aurait dû être coulée le 20 octobre mais ne l'a été que le 14 novembre, retardant ainsi l'avancement des travaux de trois semaines, ce qui a eu pour effet de retarder l'ensemble du projet de cinq semaines additionnelles puisque Devec et Astra ont dû travailler dans des conditions d'hiver avec tous les coûts qui en découlent.

[59]         La thèse de la défense est à l'effet que le projet accusait déjà un retard de onze jours sur le calendrier des travaux au moment de la livraison du béton non conforme et que le retard qui en a découlé n'a pas aggravé l'achèvement complet de la dalle du rez-de-chaussée le 14 novembre 2003.  Cette thèse repose sur le calendrier initial des travaux (D-12, D-12A, D-35, Annexe 1.10).

[60]         Le cheminement critique d'un projet détermine les travaux essentiels ayant un impact sur les délais de réalisation du projet.  Comme les parties et leurs experts le reconnaissent, la construction des dalles structurales et particulièrement celle du rez-de-chaussée fait partie du cheminement critique du projet.  La dalle repose sur une infrastructure, savoir les murs de fondation et les colonnes de soutien sous dalle.

[61]         Le Tribunal est d'accord avec l'expert de la défenderesse Sylvain Bouchard sur la méthode d'analyse proposée par celui-ci dans son rapport D-35 :

Pour effectuer la construction d'une dalle structurale, il faut avoir préalablement avoir complété la construction de l'ensemble des murs et colonnes sous la dalle.  Individuellement, les murs et colonnes ne sont pas sur le cheminement critique, c'est plutôt l'ensemble qui constitue le cheminement critique.  Par conséquent, la construction d'un mur ou d'une colonne peut supporter un certain délai avant de générer un retard dans le Projet.

Les activités critiques identifiées au Calendrier des Travaux et concernées par la réalisation des Travaux de Correction sont spécifiquement (i) le début des travaux (ii) la réalisation de l'ensemble des murs et colonnes (fondation sous la dalle structurale du rez-de-chaussée) et (iii) le bétonnage de la dalle structurale du rez-de-chaussée.

(D-35, p.16)

[62]         Chevrier et l'expert de la demanderesse Roy contestent l'approche retenue par Bouchard.  Pour Chevrier, le calendrier initial des travaux n'a qu'une valeur relative puisqu'il a été élaboré pour des fins de financement bancaire et n'a pas été utilisé pour la réalisation des travaux.  Selon son explication, Devec procédait par des demi-dalles faites en quinconce pour avancer plus rapidement.  L'existence de « joints froids » (« cold joints ») entre les deux dalles ne posait pas problème puisque ces joints servaient de joints de dilatation.  Ainsi, dès le lendemain de la coulée d'une partie de la dalle, Devec procédait à l'échafaudage des deuxième et troisième étages suivants pendant qu'on procédait à la réalisation de l'autre demi-dalle de telle sorte que si la première demi-dalle de rez-de-chaussée avait été coulée le 20 octobre, les travaux de bétonnage jusqu'au toit du 6 e étage auraient pu être terminés à la date critique du 12 décembre et les murs auraient ainsi pu être fermés jusqu'au troisième étage.

[63]         Le témoignage de Chevrier laisse perplexe.  Le financement hypothécaire d'un projet de cette envergure n'est pas une trivialité.  Le projet proposé au financement est analysé par le banquier qui tient compte du calendrier des travaux qu'il apprécie en fonction du risque que la banque encourt.  Le calendrier des travaux remis au prêteur hypothécaire n'est pas un vœu pieux mais véritablement un scénario de réalisation du projet avec des échéances précises et des attentes précises.  Le Tribunal concède que certains aspects du scénario peuvent changer en cours de route mais pas le scénario au complet.  La date du 12 décembre 2003 sur laquelle reposent les prétentions de la demanderesse pour la complétion de l'ensemble des travaux de bétonnage n'apparaît nulle part mais correspond à deux jours près à la date effectivement prévue au calendrier des travaux D-12A.  De même, la réclamation d'Astra (P-10) réfère spécifiquement à un échéancier des travaux du coffreur (joint à P-10 aux pages 12 et 13) lequel est très similaire à D-12 et sur lequel Astra se fonde pour prétendre avoir « perdu trois semaines sur l'échéancier initial » (P-10, p.3).  À la différence du calendrier des travaux D-12A, l'échéancier des travaux d'Astra prévoyait la fin des travaux de bétonnage le 18 décembre 2003.  Quoi qu'il en soit, le contrat de sous-traitance d'Astra prévoit à la clause 4 (P-18, p.5) telle que modifiée aux conditions supplémentaires (P-18, p.33) que le sous-traitant doit exécuter l'ouvrage conformément au calendrier des travaux affiché au bureau de chantier et selon les instructions de l'entrepreneur.  Dans les faits, comme en témoigne Denis Guérette, surintendant du chantier pour la demanderesse, il s'agit du calendrier des travaux D-12A lequel était affiché dans la roulotte de chantier et qui servait d'outil de travail.  André Pelletier, contremaître du coffrage pour Astra, confirme que « l'échéancier D-12A ressemblait à ça », c'est-à-dire au calendrier des travaux avec lequel Astra travaillait.  Curieusement, Claude Desroches, président d'Astra, ne se souvient pas d'avoir reçu le calendrier
D-12A!  En fait, Astra affirme même ne pas avoir fourni d'échéancier pour le projet
(D-31-C), ce qui est quand même surprenant si l'on considère qu'il y réfère dans sa réclamation P-10!  Pour lui, il s'entend avec l'entrepreneur sur le nombre de semaines pour faire les travaux et on planifie au fur et à mesure les travaux de chaque semaine lors des réunions de chantier pour y arriver.

[64]         De l'ensemble de ce qui précède, le Tribunal est d'avis qu'il est pour le moins présomptueux de prétendre que le calendrier des travaux D-12A n'a pas été utilisé pour les travaux.  Il n'a peut-être pas été respecté dans son intégralité mais il existait et donnait le cadre de ce que l'entrepreneur et le sous-traitant, dans leur sagesse et leur expérience, envisageaient au départ sur l'avancement des travaux avec sa date de réalisation ultime de la mi-décembre 2003.  Il ne suffit pas de prétendre que tout allait bien et que l'échéance de mi-décembre serait atteinte sans faire référence à l'avancement réel des travaux en regard du cheminement critique du projet.  On peut dire n'importe quoi, cela ne signifie pas que c'est une preuve.  Il faut établir ce sur quoi se base l'affirmation.

[65]         En ce qui a trait à la méthode d'analyse proposée par l'expert Bouchard, l'expert de la demande Roy semble faire peu, sinon pas, de cas de l'échéancier.  Se réclamant d'une approche mathématique, il propose trois questions : au 20 octobre où étions-nous? où aurions-nous pu aller?  où sommes-nous allés en fait?  Selon lui, il existe plusieurs méthodes d'analyse sur l'impact de retards fondées soit sur l'échéancier soit sur le « réel ».  Pour lui, ce qui s'est passé avant le 20 octobre ne le « concerne pas » : il part du 20 octobre et voit ce qui s'est passé par la suite.  Il ajoute que deux des techniques les plus fiables reconnues par les experts pour évaluer l'impact des retards sont la technique « par instantanés » et la technique de « l'échéancier comprimé ».  La technique « par instantanés », la plus fiable selon lui, repose sur des échéanciers révisés qui reflètent exactement les travaux faits sur le chantier.  De son propre aveu, il n'y a pas eu en l'espèce d'échéancier révisé.  Il retient donc la technique de « l'échéancier comprimé » ou dans le langage imagé des américains, la technique du « but-for » (« n'eût été »).  On part de l'échéancier final et on retranche les délais pour voir où on en serait arrivé, soit mathématiquement (des dates) soit visuellement (des graphiques), sans le retard.

[66]         De l'avis du Tribunal, cette méthode d'analyse présente des faiblesses évidentes et même certaines incohérences dans les circonstances.  À la première question « où étions-nous le 20 octobre? », il ne s'interroge pas où il aurait dû être le 20 octobre alors qu'il prétend chercher l'impact du retard intervenu à partir de cette date.  Comment peut-on prétendre évaluer où en est le cheminement critique du projet si l'on ne sait même pas l'état de ce cheminement critique au moment où se produit le délai ou si l'on n'en tient pas compte?  En fait, il semble prendre pour acquis que le projet se déroulait normalement et que les travaux réalisés à cette date correspondaient au cheminement prévu pour atteindre l'objectif de la mi-décembre.  Or, c'est faire ainsi abstraction de la question du lien de causalité entre le retard du béton et le retard final.  D'autre part, la technique de l'échéancier comprimé implique que l'on tienne compte d'un « certain échéancier » et non seulement de « certaines parties d'un échéancier ».  De quel échéancier parle-t-il?  En réalité, il parle de D-12A mais sans le dire.  Par ailleurs, en partant de l'échéancier final tel que construit et en retranchant les délais, on analyse la situation ex post facto à partir d'un a priori où le projet se déroulait selon l'échéancier prévu sans véritablement tenir compte de toutes les raisons pour lesquelles le projet a pris les retards constatés.  Le raisonnement semble paralogique au Tribunal : si l'on ne sait pas où était parvenu le cheminement critique du projet au moment du retard, il est difficile de prétendre dire où il aurait été rendu n'eût été du délai, si?

[67]         Quoi qu'il en soit, le Tribunal doit évaluer la situation telle qu'elle était le 20 octobre par rapport à l'avancement global du projet et au cheminement critique de celui-ci en fonction de l'objectif retenu par l'entrepreneur et le coffreur, savoir la fin des travaux de bétonnage pour la mi-décembre 2003.

3. État d'avancement des travaux au 20 octobre 2003

[68]         Selon le calendrier des travaux D-12A, les activités de bétonnage de la Phase 2 devaient débuter le 23 septembre.  Tous les travaux de fondation et le coffrage des empattements et des murs devaient être complétés au 6 octobre (D-12A, colonne de gauche, item #3).  Comme on le constate à la pièce D-12A, le coffrage des colonnes de soutien de la dalle structurale n'apparaît pas au calendrier des travaux, ce qui démontre que les éléments structuraux essentiels au cheminement critique du projet ne sont pas les colonnes mais les empattements et les murs.  Le calendrier des travaux prévoit par ailleurs qu'entre le 6 octobre et le 29 octobre, toute la dalle du rez-de-chaussée devait être complétée (item #5).  Donc, entre le 23 septembre et le 29 octobre, il y a un délai de réalisation de vingt-six jours ouvrables.

[69]         Or, selon les données fournies par la demanderesse et Astra à l'expert Bouchard (D-35, annexe 1.3 et P-22, pp.2 et 8), les travaux de coffrage des empattements et des murs n'ont débuté que le 6 octobre, soit avec un retard de dix jours ouvrables.  Au procès, Chevrier, Desroches et Roy ont cherché à démontrer que la date du 6 octobre était inexacte et que les travaux sur la Phase 2 ont commencé bien avant en septembre.  Ils font état de la terrasse de la piscine.  Comme Astra se trouvait sur le chantier en septembre, c'est donc qu'il devait travailler sur la Phase 2 même si les coûts ont été imputés à la Phase 1.

[70]         C'est quand même curieux de leur part.  Les informations fournies à l'expert Bouchard proviennent de Chevrier et Desroches eux-mêmes (P-22, 2 e page (2005),
D-31, C (2009)).  Chevrier n'a fourni les rapports journaliers (D-32) qu'en février 2012 où il ressort que la Phase 2 commence en octobre, sauf quelques entrées en septembre 2003 dans la partie de jonction entre les Phases 1 et 2 mais qui devaient appartenir plus au calendrier de la Phase 1 puisqu'ils ont été imputés à la Phase 1.

[71]         Quoi qu'il en soit, on constate aux photographies P-16 (3) du 8 octobre en haut et en bas à gauche, les travaux d'empattement dans l'axe 14/Axe A n'en sont qu'à leur début alors que rien n'est fait dans l'axe 14/Axe S.5 (photographies P-16 (4) en haut à droite).  De même, au 20 octobre la demanderesse était encore à réaliser les travaux de fondation (empattement, mur et colonnes) ainsi que le démontre les photographies P-16 (13, 14 et 18) (voir également D-35, Annexe 1.6 et 1.7).  Donc, objectivement, le projet accusait un retard dans le cheminement critique proposé par le calendrier des travaux D-12A.

[72]         Dans son rapport et au cours de son témoignage, l'expert Bouchard établit à partir du registre de la main d'œuvre dépensée par Astra et des renseignements supplémentaires dans P-22 (fournie dans les deux cas par Astra) le pourcentage d'avancement des travaux de coffrage au 20 octobre par rapport à l'ensemble des travaux de coffrage du projet à 6,6% alors qu'il aurait dû être à ce moment de 19,2%
(D-35, p.19 et Annexe 5.11).  À ce moment, le délai encouru par rapport à D-12A est de onze jours ouvrables.

4. Avancement des travaux après le 20 octobre

[73]         L'ensemble de la dalle structurale sera terminée le 14 novembre (P-22, p.5 et
P-18, p.2, entrées du 14 novembre dans chaque cas).  À ce moment, le retard dans le cheminement critique est rendu à douze jours ouvrables.  Bouchard constate que les retards du projet ont peu évolué du 20 octobre au 14 novembre (un jour ouvrable) et que par conséquent, les retards dus aux travaux correctifs n'ont pas affecté le délai de réalisation du projet (d-35, p.20 et Annexe 5.11).

[74]         Il poursuit son analyse de l'évolution des travaux à partir du 14 novembre jusqu'à l'érection de la dalle structurale du 4 e étage prévue pour le 28 novembre (D-12A, entrée #8) mais réalisé en fait le 16 décembre 2003 (P-22, p.5, P-17, p.3 et D-35, Annexe 1.23, entrées du 16 décembre dans chaque cas).  Il constate que le délai demeure à douze jours.  Il conclut donc que les mesures de mitigation mises de l'avant par Devec et Astra n'ont servi qu'à garder les travaux dans les délais prévus au calendrier des travaux et non pas à réduire les délais existants dans la réalisation du projet.

[75]         Il explique que lorsque survient un retard dans l'avancement des travaux, le maître d'œuvre doit évaluer l'impact du retard sur le cheminement critique du projet et décider s'il y a lieu de prendre des mesures de mitigation et lesquelles le cas échéant.  Il évalue si les coûts de mitigation se justifient par rapport aux coûts de prolongement du projet.  Or, dans les faits, ni Devec ni Astra n'ont révisé le calendrier des travaux et ont limité les mesures de mitigation essentiellement aux travaux correctifs.  Ils n'ont pas réévalué le chemin critique du projet après les travaux correctifs et ont poursuivi à l'intérieur du délai préexistant.

[76]         Par ailleurs, l'expert Bouchard note, en comparant l'avancement des travaux selon les heures dépensées, les livraisons du béton et la facturation d'Astra que l'envergure des travaux restants à réaliser au 27 décembre s'élevait alors à 35,4% de l'ensemble des travaux (D-35, Annexe 5.10).  En comparant l'envergure des travaux correctifs avec l'envergure générale des travaux de bétonnage (60m 3  / 5081m 3 = 1,2%.  En fait, 61,5m 3  / 5081m 3 = 1,2%) et ce dans un contexte où il n'y a pas eu de démobilisation de personnel par Astra (D-35, Annexe 2.3), il opine que les travaux correctifs ne sont pas à l'origine du retard dans l'avancement des travaux au 19 décembre 2003.

[77]         La construction de la dalle du toit a eu lieu le 17 février 2004 (D-35, Annexe 1.23) alors que l'ensemble des travaux d'Astra aurait dû être complété pour le 19 décembre (D-12A, entrée #11), soit un retard de trente-deux jours ouvrables.  L'allongement du délai découle du fait que le chantier ferme le 20 décembre jusqu'au 3 janvier 2004 et par la suite que le nombre d'employés mobilisés par Astra baisse également (D-35, Annexe 5.3).  Par ailleurs, la comparaison des rendements en janvier-février 2004 dans des conditions hivernales, 2,59 heures / m 3 par rapport à ceux obtenus du 11 octobre au 20 décembre, 2,58 heures / m 3 , indiquent que les conditions hivernales n'ont eu aucun impact sur la productivité des employés d'Astra (D-35, Annexe 5.12).  C'est donc dire que l'augmentation du retard provient pour bonne partie de la réduction des effectifs d'Astra (D-35, Annexe 1.3 et 5.3).

[78]         Selon l'expert Bouchard, l'avancement réel des travaux comparativement à l'avancement planifié démontre que l'évolution des retards provient de l'insuffisance des moyens consacrés par la demanderesse et Astra pour réaliser les travaux dans les délais planifiés (D-35, Annexe 5.11).

[79]         Bouchard note par ailleurs en se basant sur le volume total de béton utilisé entre le 21 octobre et le 14 novembre pour la construction des empattements, des murs et des colonnes, que seuls 61,5m 3 de béton sur les 678m 3 livrés a servi aux travaux correctifs alors que le reste a servi à compléter les travaux aux empattements, murs et colonnes nécessaires à la construction de la dalle du rez-de-chaussée (D-35, Annexe 5.15), ce qui explique pourquoi la dalle du rez-de-chaussée n'a pu être complétée avant le 14 novembre, retardant ainsi le cheminement critique du projet et le délai de réalisation.

[80]         Dans son rapport du 30 octobre 2009, Bouchard n'avait pas obtenu les rapports journaliers (D-32) qu'il n'a pu obtenir que lors de la conciliation de février 2012.  En rajoutant les rapports journaliers à son analyse, il conclut que les travaux parallèles ont dicté les travaux de réalisation de la dalle de rez-de-chaussée de telle sorte que les travaux correctifs n'ont eu aucun impact réel sur le délai de réalisation de la dalle du rez-de-chaussée.  Ainsi, au 27 octobre, les colonnes sont coulées alors que la terrasse du secteur 1 est coulée le 30 octobre (D-32 et P-17).  Il reste donc la première demi-dalle du rez-de-chaussée à couler ce qui aurait dû être fait le 31 octobre selon les explications du processus par Desroches alors qu'en fait, la demi-dalle a été coulée le 5 novembre.  La raison vient selon Bouchard de l'excavation du radier de l'escalier 3
(D-32 et D-38).  Contrairement à ce qu'affirme Guérette (« l'excavatrice jaune (P-16, p.5) place de la pierre de démolition dans le camion rouge ») et Pelletier (« l'excavatrice était en train de « backfiller » le trou d'ascenseur »), Bouchard explique que l'excavatrice jaune faisait effectivement de l'excavation au radier de l'escalier 3 (ce que confirme d'ailleurs Desroches, même s'il précise que ce n'était pas grave), ce qui n'est pas normal à ce stade des travaux.  Par ailleurs, le forage du radier de l'escalier 4 s'est échelonné du 21 au 23 octobre et le coffrage du radier du 28 au 30 octobre.  Bouchard ajoute que pour finir aux fêtes ou selon l'objectif visé, il aurait fallu que la dalle du rez-de-chaussée soit complétée à cette date, ce qui n'est pas le cas.

[81]         La demanderesse prétend qu'elle n'était pas en retard le 6 octobre ou le 22 octobre et que le projet se déroulait normalement jusqu'au problème du béton.  Les travaux suivaient la séquence.  Quelle séquence?  Le témoignage de Chevrier n'est d'aucune utilité à cet égard.  Il affirme n'avoir jamais vu l'échéancier d'Astra sauf avant la réclamation (P-10, pp.12 et 13).  Par ailleurs, il dit que le calendrier des travaux
D-12A ne servait qu'aux fins de financement bancaire et n'était pas affiché dans la roulotte du chantier, contrairement à ce que témoigne Guérette.  Pour lui, il n'y avait qu'une échéance : la dalle du toit aurait dû être terminée le 12 décembre.  C'était l'objectif, confirmé par le boni de performance prévu au contrat P-18 (p.31).  Incidemment, la clause de boni mentionne « que si les travaux sont terminés le 12 décembre, un bonus de 50 000$ sera octroyé pour le respect de l'échéancier ».  On note que le bonus est conditionnel à la fin des travaux au 12 décembre selon l'échéancier.  Cette date du 12 décembre ne se retrouve ni dans l'échéancier d'Astra (18 décembre) ni dans D-12A (19 décembre).

[82]         Quoi qu'il en soit, selon Chevrier, la dalle du rez-de-chaussée aurait dû être coulée le 22 octobre mais à cause des travaux correctifs la séquence d'exécution du chantier a été retardée.  Il s'agit d'une affirmation qu'il faut pondérer compte tenu du fait qu'il n'était même pas sur le chantier.  Il ne sait pas quels travaux Astra a pu effectuer entre le 26 août et le 6 octobre.  Quand on lui demande s'il y avait un retard au 27 octobre, il répond que c'est impossible à dire parce que les travaux n'étaient pas terminés.  Il se sait pas s'il y a eu des rapports journaliers pour la période du 24 septembre au 1 er  octobre mais ajoute que même s'il n'y a pas de rapports journaliers pour cette période, cela ne signifie pas qu'Astra n'a pas travaillé sur la Phase 2.  Curieuse réponse à vrai dire.  À quoi servent les rapports journaliers sinon à conserver une preuve de ce qui se passe sur le chantier?  D'autre part, les renseignements qu'il a lui-même fournis à l'expert Bouchard indiquent qu'Astra a commencé sur la Phase 2 le 1 er octobre 2003 (D-31, Annexe D, #4).  Il ne sait pas si tous les empattements étaient coulés au 6 octobre parce qu'il n'était pas sur le chantier.  Il ne sait pas s'il y a eu des changements au plan des escaliers 3 et 4 mais ne le pense pas.  Or, dans les faits, les escaliers 3 et 4 qui devaient être obligatoirement terminés avant de couler la dalle du rez-de-chaussée n'étaient pas terminés au 14 octobre.  Au contraire, de nouveaux plans ont été émis à cette date (D-38 en liasse).  En fait, des travaux de forage sur ces escaliers ont commencé le 14 octobre (D-31, D, #4) et si l'on se fie à la foreuse apparaissant à la photo P-16 (5) les travaux de forage de l'escalier 4 se poursuivaient toujours au 22 octobre.  Bref sans savoir quelle séquence il suit, sur quoi il fonde l'objectif du 12 décembre et par rapport à quelle échéance, il prétend avoir subi un retard de trois semaines à cette date.  Le Tribunal est d'avis que si l'objectif était bien de finir la dalle du toit pour la mi-décembre, le témoignage de Chevrier n'est d'aucune utilité pour expliquer les raisons pour lesquelles l'objectif n'a pas été atteint.

[83]         Le témoignage du surintendant de chantier Denis Guérette est lui aussi imprécis.  Lui aussi affirme avoir perdu trois semaines sur l'avancement des travaux en raison des travaux correctifs.  Pourtant il reconnaît le calendrier des travaux D-12A mais le décrit comme un guide de base qui dépend des conditions d'exécution et des conditions atmosphériques.  Comme il dit : « s'il y a un échéancier à respecter, on va l'atteindre ».  Pourtant, quand on lui demande si les travaux étaient en retard au 6 octobre, il répond que pour lui les travaux des empattements des murs et des colonnes étaient terminés sauf la partie d'empattement de la section du mur non construit que l'on peut apercevoir sur la photo P-16 (5) et le coffrage dudit mur.  Son témoignage est contredit par les photographies P-16 (3 et 4) du 8 octobre qui montrent plutôt que les coffreurs travaillent sur certains empattements situés dans la section qui sera affectée par le mauvais béton alors que rien n'est fait dans la section faisant face au canal Lachine (P-16 (4) en haut à droite).  Comme c'est lui qui rédigeait les rapports journaliers D-32, il était en mesure de savoir où il était en fait rendu.  À sa décharge, le témoin affirme qu'il n'a revu ces documents que quelques jours avant son témoignage.  Cela indique qu'il témoigne de mémoire neuf ans après les faits, ce qui explique pourquoi son témoignage est imprécis à plusieurs égards.  Ainsi, il ne sait pas ce qui s'est passé entre le 24 septembre et le 1 er octobre, sa vision de l'avancement des travaux au 6 octobre est floue et ne correspond pas aux photographies produites.  D'autre part, dans le rapport journalier du 24 octobre, on constate qu'il y a encore de l'excavation et du remblaiement d'empattement mais que le coffrage du rez-de-chaussée et des colonnes du sous-sol est terminé.  Pourtant, les colonnes ne sont coulées que le 27 octobre et la première partie de la dalle du rez-de-chaussée le 5 novembre.  Quand on lui demande pourquoi, il répond qu'il restait le radier et les contreventements de l'escalier 4 à terminer auparavant.  Il ajoute que ces travaux n'ont pas de rapport avec la mauvaise qualité du béton.  En fait, les travaux sur les escaliers 3 et 4 rendus nécessaires par la modification des plans le 14 octobre (D-38) s'échelonneront du 15 octobre au 30 octobre (D-32).  En fait aussi, le 20 octobre, date de la coulée des colonnes de la première partie du rez-de-chaussée et des murs, l'entrepreneur en forage travaille encore à l'escalier 3 (D-32).  Pourtant, Guérette témoigne qu'ils « étaient à jour le 20 octobre ».  À jour par rapport à quoi?  On ne le sait pas.  Des retards?  Il répond que le retard se fait dans le temps.  Quand on lui demande d'expliquer la raison des retards additionnels en conditions hivernales, il les justifie par une baisse de productivité de 20%.  Or, comme on l'a vu précédemment, il n'y a pas eu de baisse de productivité durant la période d'hiver.

[84]         Bref, la demanderesse suggère qu'elle aurait atteint l'objectif à la mi-décembre n'eût été des travaux correctifs parce qu'elle a réussi à réaliser la Phase 1 et la Phase 3 dans des délais qu'elle s'était fixée et que les retards vécus dans la Phase 2 ne peuvent provenir que des travaux correctifs.  Ainsi, la Phase 1, pourtant plus importante, a été coulée en quarante-trois jours ouvrables, la Phase 3 en soixante-et-un jours ouvrables alors que la Phase 2 a été coulée en quatre-vingt-cinq jours ouvrables (P-18, pp.2-3).

[85]         L'argument, quoique séduisant à prime abord, a peu de valeur.  Comme le soulignait lui-même Guérette, la réalisation d'un projet dépend des conditions d'exécution et des conditions atmosphériques.  Chaque projet a sa propre dynamique et à moins de connaître tous les paramètres de réalisation des travaux, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, on peut difficilement en tirer un argument probant ni même pertinent quant à un autre projet, fut-il similaire.

[86]         Incidemment, à ce propos, l'expert Bouchard a établi à partir des bulletins de livraison de béton pour la Phase 1 que les travaux de coffrage de la Phase 1 se sont échelonnés de la mi-avril au 28 mai pour la finition de la dalle de rez-de-chaussée, soit un délai de six à sept semaines alors que les travaux de coffrage de la Phase 2 se sont échelonnés du début octobre jusqu'au 14 novembre pour la complétion de la dalle de rez-de-chaussée, soit un même délai de six semaines.  Comme l'explique Bouchard, quelque chose peut être commencé mais on travaille avec les achèvements.

[87]         Pour la Phase 3, ce n'était pas la même équipe (Desroches).

[88]         Dans le même ordre d'idées, la théorie de la réalisation des travaux par demi-dalles en alternance comme mesure d'optimisation des délais de réalisation des travaux a certainement un fondement théorique et même pratique sous certains aspects, mais il demeure que son efficacité est tributaire du fait que les travaux respectent les échéanciers du cheminement critique.  Ce n'est pas une panacée.  Une demi-dalle ne permet d'ériger que des demi-structures alors que le projet vise une structure complète.  Avant de bâtir les dalles des étages supérieures, la dalle du rez-de-chaussée doit être complètement terminée, d'où le point critique que représente l'achèvement de la dalle de rez-de-chaussée.  S'il faut attendre que l'autre demi-dalle soit complétée, le gain de productivité que l'on a pu attendre dans la première demi-dalle est perdu.

5. Conclusion

[89]         Le Tribunal est d'accord avec l'expert Bouchard et accepte son analyse de la situation.  Le Tribunal ne retient pas l'analyse de l'expert Roy.  Outre les lacunes déjà notées dans la méthodologie retenue par Roy, le Tribunal a aussi de sérieuses réserves quant au degré d'objectivité et de rigueur scientifique de l'expert Roy dans son analyse.  Roy témoigne qu'un échéancier critique est important, mais s'il existe.  Or, selon lui, il n'y en avait pas en l'espèce.  Comment peut-on sérieusement laisser entendre qu'il n'y a pas un échéancier critique dans un projet d'une telle envergure alors même qu'on réclame des dommages pour retards?  Il ajoute que D-12A n'est d'aucune utilité parce que le projet n'a pas été construit selon la même méthode, c'est-à-dire qu'il a été construit par demi-dalles en quinconce.  De l'avis du Tribunal, c'est un raisonnement spécieux.  En quoi la méthode en quinconce a-t-elle une influence sur le cheminement critique?  Cette méthode est un moyen de réaliser la dalle structurale mais c'est l'ensemble de la dalle qui fait partie du cheminement critique.

[90]         Il y a aussi certaines affirmations intempestives et critiques désinvoltes dans son rapport du 5 octobre 2010 (P-19) à l'égard de l'analyse de l'expert Bouchard dans son rapport du 30 octobre 2009 (D-35) qui affectent la valeur probante de son témoignage.  Ainsi critique-t-il la méthodologie de Bouchard sur l'évaluation de l'étendue des
travaux de démolition, des quantités de béton retenues et des coûts de démolition
(P-19, pp.7-14) :

Ainsi, selon nous, aucune des contestations de LCO relativement aux coûts effectivement encourus et réclamés par la SDE n'est fondée.

(P-19, p.14)

(soulignement ajouté)

[91]         Or, l'expert Bouchard arrivait à 60m 3 pour les colonnes et le mur alors que Roy arrivait à 71,3m 3 .  Après conciliation, la quantité de béton retenue a été admise à 61,5m 3 .  Les coûts de démolition étaient évalués par Bouchard à 31 223,26$ alors que Roy retenait un montant de 50 496,50$ (avec la majoration).  Les parties ont admis les coûts de démolition à 38 155$ tout inclus.

[92]         De même en ce qui a trait aux coûts de reconstruction, Roy concluait :

Avec ces erreurs et avec l'omission de toute l'ampleur des travaux qui résulte la difficulté accrue de les refaire en présence du coffrage de la dalle, avec les erreurs de hauteur des murs et colonnes, et en omettant la réalisation d'une portion de semelle, le calcul de la valeur des travaux de réfection du coffrage de LCO ne peut pas être retenue à titre de comparable aux coûts réels encourus par Astra.

(P-19, p.18)

[93]         Il critiquait aussi la méthode d'estimation du coût des travaux de reprise à partir du coût réel de rendement comme étant non représentative des travaux réclamés, des coûts prévus, des coûts envisagés ou des coûts estimés.  Bouchard a estimé les coûts de reconstruction à 32 103,26$ alors que Roy les estimait à 46 200,30$.  Or, les parties ont admis que les coûts de reconstruction s'élèvent à 32 103,26$, soit le montant auquel est arrivé Bouchard.

[94]         Roy critique également le fait que Bouchard ne tienne pas compte des travaux de coffrage effectués par Astra ou ses sous-traitants à partir du 17 septembre sur la Phase 2 et que par conséquent toute étude de la progression réelle des travaux doit être rejetée (D-36, p.12, 2 e paragraphe).  C'est un peu court et même contradictoire avec son témoignage selon lequel il n'est pas concerné avec ce qui s'est passé avant le 20 octobre.  À ce propos, Bouchard reconnaît qu'il y a eu des travaux avant le 1 er  octobre mais, comme dit précédemment, il travaille avec les achèvements : qu'avait-on achevé au 20 octobre et que restait-il à achever pour respecter le cheminement critique et atteindre l'objectif?

[95]         L'analyse de Bouchard n'est peut-être pas parfaite mais c'est elle qui colle le mieux à la réalité exprimée par la documentation de réalisation des travaux fournie par Devec et Astra.  Outre le problème des radiers d'ascenseur selon Bouchard, on n'a pas avancé les bons travaux au mauvais moment ce qui a aggravé sérieusement la situation.  Comme il appert de la photographie P-16 (28D), c'est le fait que le mur ne soit pas construit à ce moment qui a empêché la construction de la dalle.  Malgré l'évidence, Roy affirme que même si le mur avait été fait, cela n'aurait pas empêché d'être rendu là parce que le radier #4 était terminé le 30 octobre : sans sinistre, le mur n'était pas un facteur.  En fait, d'une certaine manière, le Tribunal opine dans le même sens en ce que ce n'est pas le retard découlant du mauvais béton qui est à l'origine des délais additionnels de réalisation de la dalle structurale mais le retard qui existait avant le problème de béton et que Astra ou Devec n'ont pas cherché à rattraper pour atteindre l'objectif visé.  La fin des travaux aux radiers a obligatoirement retardé l'avancement des travaux au 30 octobre et le retard à finaliser le mur a repoussé encore plus le délai de réalisation.

[96]         La demanderesse avait le fardeau de prouver de manière prépondérante que le retard causé par le mauvais béton a été la cause du retard du parachèvement des travaux selon l'objectif visé pour pouvoir justifier les coûts d'impacts dans le retard de réalisation des travaux.  Elle ne s'est pas déchargée de son fardeau.  Au contraire, selon la preuve que retient le Tribunal, le béton défectueux n'a eu aucun impact sur le cheminement critique des travaux puisque le projet accusait déjà un retard et que les mesures de mitigation mises en place par la demanderesse et Astra n'ont visé qu'à garder le projet dans le même état où il était rendu, savoir le garder dans un état d'avancement dans lequel il se trouvait avant les travaux correctifs.  Le retard dans le parachèvement des travaux résulte directement du retard dans l'avancement des travaux au 20 octobre et qui se sont maintenus en s'aggravant lors des conditions hivernales.  Toutefois, les coûts supplémentaires encourus pour le parachèvement du projet en conditions hivernales ne peuvent être imputés à la défenderesse en l'absence de relation causale entre le préjudice et la faute.

[97]         La demanderesse a droit aux coûts directs résultant du béton défectueux, c'est-à-dire les coûts de démolition, coûts de reconstruction et mesures de mitigation retenues par l'expert Bouchard.  La réclamation sera rejetée pour le reste.

C. INDEMNITÉ ADDITIONNELLE ET FRAIS D'EXPERTISE

[98]         Il est de jurisprudence constante que l'octroi de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. est la règle et que son refus doit être justifié par des motifs spécifiques.  En général ces motifs relèvent du manque de diligence de la partie victorieuse ou de l'exagération de sa réclamation ( Ville de Montréal c. Cordia , 2 septembre 2003, 2003 CAN LII 43968 (QCCA).

[99]         En l'espèce, la partie de réclamation des coûts directs résultant du béton défectueux n'était pas exagérée.  Il n'y a pas de preuve que l'avancement du dossier ait été retardé indument par la demanderesse.  Par ailleurs, même si le reste de la réclamation de la demanderesse n'est pas fondé, il n'y a pas lieu de refuser l'indemnité additionnelle pour la partie fondée de sa réclamation.

[100]      En ce qui a trait aux frais d'expertise, le Tribunal estime qu'il serait inapproprié d'accorder la totalité des frais d'expertise de Roy, celle-ci ayant été de peu d'utilité et considérant également le rejet de la réclamation pour coûts d'impact.  Les frais d'expertise de Roy seront limités à 5 000$.

[101]      En ce qui a trait aux frais d'expertise de LCO, le Tribunal estime qu'il serait inapproprié de ne pas en accorder une partie considérant que son travail a été colossal dans les circonstances et que le Tribunal a retenu ses conclusions.  Contrairement à ce que prétend la demanderesse, l'analyse de LCO repose sur l'avancement réel des travaux tel qu'il apparaît de la documentation et des pièces justificatives fournies par Devec et Astra et n'était pas purement théorique et hypothétique.  Le Tribunal estime que la défenderesse peut recouvrer une partie des frais d'expertise de LCO que le Tribunal fixe à 15 000$.

RÉCAPITULATION

[102]      Donc, en résumé, la demanderesse a droit aux coûts directs résultant du béton défectueux, savoir :

- coûts de démolition                                              38 155,00$

- coûts de reconstruction                                        39 178,94$

- mesures de mitigation                                         12 612,50$

                                                                                  89 946,44$

 

- taxes 2003 :   TPS 7%                                            6 296,25$

                          TVQ 7,5%                                        7 218,20$

                          TOTAL                                         103 460,89$

 

[103]      PAR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[104]      ACCUEILLE en partie la requête introductive d'instance amendée de la demanderesse;

[105]      CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 103 460,89$ avec intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. depuis le 23 mars 2004;

[106]      AVEC DÉPENS , sauf les frais d'expert de la demanderesse qui seront limités à 5 000$ et sauf la somme de 15 000$ que le Tribunal accorde à la défenderesse à titre de remboursement partiel des frais d'expertise de LCO.

 

 

__________________________________

Honorable Jean-Jude Chabot, j.c.s.

 

Me François Marchand

De Grandpré Chait

Procureur de la demanderesse, Développements des Éclusiers inc.

 

Me Louis Brien

Lapointe Rosenstein Marchand Melançon

Procureur de la défenderesse, Ciment Québec inc.

 

Dates d’audience :

5, 6, 7, 8 et 9 novembre 2012

 



[1]     Jeunes canadiens pour une civilisation chrétienne c. La Fondation du théâtre du Nouveau-Monde [1979] C.A. 491 , 493.