Blain c. Trudeau (Succession de) |
2013 QCCQ 15468 |
JD2786
COUR DU QUÉBEC
« Division des petites créances »
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE LONGUEUIL
LOCALITÉ DE LONGUEUIL
« Chambre civile »
N° : 505-32-029757-128
DATE : 16 octobre 2013
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.
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ANNE-MARIE BLAIN
Demanderesse
c.
SUCCESSION GISÈLE TRUDEAU
Défenderesse
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JUGEMENT
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[1] Anne-Marie Blain réclame à la Succession Gisèle Trudeau (" la Succession ") la somme de 5 978,70$ en raison de vices cachés affectant une maison achetée en 2011.
[2] Claude Beauchamp, mari de feue Gisèle Trudeau et liquidateur de sa succession, conteste au motif que les vices dont se plaint Anne-Marie Blain étaient apparents et qu'au surplus, il s'agit de problèmes reliés au vieillissement de la maison dont le prix de vente tenait compte.
Questions en litige
[3]
Il s'agit de déterminer si les désordres dont se plaint Anne-Marie Blain
constituent des vices cachés au sens de l'article
[4] Dans l'affirmative, il y aura lieu de déterminer à quelle indemnité elle a droit.
Le contexte
[5] Par contrat notarié daté du 2 juillet 2011, Anne-Marie Blain achète de Gisèle Trudeau une maison de deux étages située à Longueuil, construite en 1949. À une date indéterminée, une rallonge est ajoutée à l'arrière. Cette nouvelle pièce, qui n'est pas isolée, sert plutôt de lieu d'entreposage et de chambre froide.
[6] Au milieu des années 70, Claude Beauchamp l'isole pour en faire une partie intégrante de la maison. On y retrouve dorénavant la salle de bain, déplacée de la partie originaire de la maison, de même que le prolongement de la cuisine qui se trouve elle aussi dans la partie avant de la maison. Un escalier descend au sous-sol qui se trouve sous cette nouvelle partie.
[7] La maison ne connaît aucune modification ou changement par la suite, jusqu'à sa vente à Anne-Marie Blain en 2011.
[8] Avant d'acheter, elle demande à Maxime Lussier, de la firme Inspections en bâtiments Maxime Lussier inc., d'en faire l'inspection préachat. Il la visite le 24 mai 2011 et remet à Anne-Marie Blain un rapport écrit (pièce P-5).
[9] Dès la prise de possession de la maison, Anne-Marie Blain transforme le rez-de-chaussée de la partie originale : elle enlève tous les revêtements de plancher et des murs de même que les divisions, pour en faire une pièce à aire ouverte. C'est alors qu'elle constate qu'une partie du plancher de la cuisine est pourrie, il y a même un trou non rebouché là où se trouvait l'ancienne salle de bain.
[10] Le 20 juillet 2011, elle en avise Gisèle Trudeau par écrit (pièce P-6). Après discussion, celle-ci accepte de payer la somme de 2 591,79$ pour les travaux correctifs.
[11] En 2012, Anne-Marie Blain amorce certains travaux au sous-sol : en enlevant la laine minérale qui se trouve sous le plancher de la rallonge, elle constate que le plancher de la salle de bain et son ossature sont pourris, tout comme le bas des murs de la rallonge.
[12] Selon une estimation datée du 13 mai 2012 (pièce D-5), il en coûte 5 978,70$ pour refaire le bas des murs du rez-de-chaussée de la rallonge sur une hauteur de cinq pieds et refaire le plancher de la salle de bain, incluant son ossature.
[13] Le 16 mai, elle adresse une mise en demeure à Gisèle Trudeau (pièce P-1), dénonçant ces nouveaux désordres.
[14] Après des échanges de correspondance (pièces P-9 et P-10), il est convenu qu'un inspecteur dont Gisèle Trudeau a retenu les services se rende chez Anne-Marie Blain pour constater les problèmes dont elle se plaint. Le rendez-vous est fixé au 6 juillet. L'expert ne se présente pas. Gisèle Trudeau ne requiert aucune autre visite.
[15] En mai 2012, Anne-Marie Blain intente la présente action et réclame 5 978,70$ représentant le coût des travaux correctifs. En juin, Claude Beauchamp, agissant en vertu d'une procuration pour son épouse Gisèle Trudeau, dépose une contestation.
[16] Le 21 mars 2013, il avise le greffe du décès de son épouse; la Succession de Gisèle Trudeau reprend l'instance.
Droit applicable
[17]
L'article
" Art. 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. "
[18] En vertu de cet article, le vendeur est légalement tenu de garantir que le bien vendu est exempt de vices cachés.
[19] Pour conclure à la mise en œuvre de cette garantie, le Tribunal analyse généralement quatre critères :
1. Le vice doit être grave , c'est-à-dire qu'il doit causer des inconvénients sérieux à l'usage du bien; l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou donné si haut prix, s'il avait connu ce vice;
2. Le vice doit être inconnu de l'acheteur au moment de la vente. La bonne foi se présumant, il appartient au vendeur de faire la preuve de la connaissance du vice par l'acheteur;
3. Le vice doit être caché ce qui suppose qu'il ne soit pas apparent, c'est-à-dire qu'il n'a pu être constaté par un acheteur prudent et diligent sans devoir recourir à un expert et qu'il n'ait pas été dénoncé ou révélé par le vendeur; l'expertise de l'acheteur sert à évaluer si le vice est caché ou apparent; plus l'acheteur connaît le bien qu'il acquiert, plus le vice est susceptible d'être considéré comme apparent;
4. Le vice doit être antérieur à la vente .
[20] Quant au caractère non apparent du vice, cet élément s'apprécie en examinant le degré d'inspection du bien effectuée par l'acheteur, suivant les critères d'un acheteur prudent et diligent [1] , sans la nécessité d'avoir recours à un expert.
[21] L'acheteur a une obligation de prudence et de diligence et doit procéder à un examen responsable et apporter une attention particulière à tout indice pouvant laisser présager un problème quelconque [2] . Dans ces circonstances, si l'acheteur n'a pas les connaissances nécessaires pour juger de l'état du bien qu'il se propose d'acheter, il doit s'assurer d'avoir l'aide d'une personne adéquate pour le renseigner [3] . C'est le cas de l'acheteur qui possède peu ou pas de connaissance en matière de construction et qui percevrait un indice de problème (par exemple : cernes suggérant des infiltrations d'eau, fissures dans les fondations). En l'absence d'indice révélateur on n'exige pas d'un acheteur qu'il défasse les murs ou qu'il creuse autour des fondations pour en vérifier l'état [4] .
[22] Par conséquent, un vice ne sera pas considéré comme étant " caché " pour la seule raison que l'acheteur ne l'aurait pas aperçu ou n'a pas apprécié la gravité : si le vice avait pu être constaté par un acheteur consciencieux, selon les critères décrits plus haut, il sera considéré comme apparent.
[23] Par ailleurs, même si l'acheteur retient les services d'un expert pour effectuer une inspection préachat, le vice sera quand même considéré comme apparent s'il n'est pas constaté par cet expert mais aurait pu être découvert en raison d'indices existants [5] . Les indices doivent quand même être importants en rapport au problème rencontré, pour être opposable à l'acheteur [6] .
[24]
L'acheteur dont le bien est affecté de vices cachés peut demander la
réduction du prix payé, aux termes de l'article
[25] À ce chapitre, certaines règles doivent être prises en considération.
[26] Ainsi, d ans leur traité sur La Responsabilité Civile [7] , les auteurs Baudouin et Deslauriers traitent de la question de l'indemnisation en ces termes (à la page 313) :
" La jurisprudence tente de réaliser un équilibre entre deux impératifs. Le premier est de voir à ce que l'indemnisation ne soit pas une source d'enrichissement pour la victime. Le second est, au contraire, d'éviter de la laisser dans une situation ne reflétant pas une réparation intégrale. "
[27] Ils précisent (à la page 315):
" Lorsque l'objet avait déjà subi les assauts du temps et n'était donc pas neuf au moment où le dommage a été subi, accorder la pleine valeur de remplacement est, dans un sens, enrichir la victime qui se retrouve avec un objet complètement neuf et non dévalué. C'est pourquoi, en général, les tribunaux compensent ce fait en tenant compte de la dépréciation selon les circonstances." (et, à la page 317) "Les réparations confèrent parfois (en matières immobilières par exemple) une plus-value au bien et augmentent sa valeur économique. Les tribunaux déduisent alors du coût des réparations une certaine somme pour tenir compte de celle-ci. "
[28] Par exemple, les tribunaux tiennent compte du fait que les réparations réalisées pour corriger un vice caché vont prolonger la durée de vie utile d'un bien ou en accroître l'utilité [8] .
[29] Lorsque le Tribunal est appelé à se prononcer sur le montant accordé à titre de réduction du prix de vente, il tient compte souvent du prix des travaux correctifs.
Analyse et décision
[30] Il n'est pas contesté que le vice allégué par Anne-Marie Blain est grave : le plancher de la salle de bain et son ossature, tout comme le bas des murs de la rallonge, sont pourris. Les photos produites (pièce P-13) sont éloquentes, il est nécessaire de les remplacer, faute de quoi cette partie de la maison menace ruine.
[31] De plus, il s'agit d'un vice caché. Maxime Lussier, qui effectue des inspections préachat depuis 16 ans et qui a inspecté la maison avant la vente, est formel. Le revêtement de plancher et des murs l'empêchait de constater leur état.
[32] Lors de sa visite du sous-sol, il déclare qu'il n'a pas déplacé la laine minérale qui se trouvait sous le plancher de la rallonge et qui était visible. La preuve non contredite est à l'effet qu'il n'entre pas dans les obligations de l'inspecteur de le faire. De façon générale, aucun indice ne lui permettait de soupçonner la pourriture qui se trouvait derrière.
[33] En défense, la succession Gisèle Trudeau ne fait pas témoigner d'expert. Cependant, Claude Beauchamp et son fils Jean-Claude affirment qu'il s'agirait du vieillissement normal de la maison. La maison a été construite en 1949, la rallonge a été construite après, à une date indéterminée. Ils affirment qu'ils y ont fait des travaux au milieu des années 70 : la rallonge sert dorénavant de prolongement à la cuisine, on y déplace la salle de bain, antérieurement située dans la partie avant de la maison.
[34] Dans son rapport, Maxime Lussier note que la fondation est constituée de blocs de ciment, dont les joints de mortier peuvent se fissurer et laisser l'eau pénétrer. Il ajoute que l'état du bas des murs et du plancher de la rallonge n'a pas été causé par une infiltration qui aurait pu se produire au niveau de la fondation, puisque ces éléments se trouvent au-dessus. À son avis, de l'eau s'est infiltrée à la jonction de la rallonge et de la maison originale, causant avec le temps l'état de pourriture constaté par Anne-Marie Blain.
[35] Vu ce qui précède, il s'agit de vice caché dont la Succession de feue Gisèle Trudeau, qui a vendu l'immeuble à Anne-Marie Blain, est responsable.
[36] Selon l'estimation de l'entrepreneur Jean Dumouchel (pièce P-2), il en coûterait 5 978,70$ pour ouvrir cinq pieds du bas des murs de la rallonge sur deux côtés, enlever l'ossature pourrie et refaire à neuf, fournir et installer une base de ciment pour appuyer la nouvelle ossature et fournir et installer une porte isolée pour l'accès sous le plancher. Cela comprendrait également la réparation du plancher de la salle de bain, incluant l'enlèvement des appareils sanitaires.
[37] Il y a lieu pour le Tribunal de tenir compte des principes énoncés plus haut à l'effet que l'indemnisation ne doit pas être une source d'enrichissement pour l'acheteur d'une maison affectée de vices cachés. Il faut tenir compte d'une certaine dépréciation, puisque les travaux correctifs améliorent la rallonge, dont la construction remonte à plus de 40 ans.
[38] En l'absence de preuve à ce sujet, et usant de sa discrétion, le Tribunal accorde à Anne-Marie Blain la somme de 4 000,00$ pour tenir compte de ces éléments.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[39] ACCUEILLE en partie l'action de la demanderesse;
[40]
CONDAMNE
la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de
4 000,00$ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue
à l'article
[41] CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse les frais judiciaires de 163,00$.
__________________________________
MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.
[1]
ABB inc. c. Domtar inc.,
[2]
Placement Jacpar inc. c. Benzakour,
JE-89-1399 (C.A.);
Vachon c.
Routhier,
[3]
618-5603 Québec inc.
c.
135794 Canada inc.,
[4] Lussier c. Locas , déjà cité note 3.
[5]
Doré c. Sergerie,
[6]
Tremblay c. Galipeau,
[7] Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2003, 6 ième édition, 1953 pages.
[8]
Voir à titre d'exemple
Vachon c. Baril,