Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 30 décembre 2013

Référence neutre : 2013 QCTAQ 12711

Dossier  : SAS-M-212066-1305

Devant les juges administratifs :

CAROLINE GONTHIER

HUGUETTE DEMERS

 

C… C…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]               Le requérant conteste la décision rendue en révision par l'intimée, la Société de l'assurance automobile du Québec (la Société), le 1 er mai 2013, laquelle maintient la décision initiale du 5 avril 2013 lui imposant, pour obtenir un nouveau permis de conduire,  de se soumettre à une évaluation complète auprès de l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (l’Association).

[2]               Cette décision découle du rapport d’évaluation sommaire dont les résultats démontrent que son comportement quant à sa consommation d’alcool représente un risque pour la sécurité routière.

[3]               Par son recours, le requérant demande de récupérer son permis de conduire sans avoir à se soumettre à l’évaluation complète.

 

[4]               La preuve documentaire confirme qu’à la suite d’une déclaration de culpabilité prononcée le 3 octobre 2012 pour une infraction à l’article 253 (1) A) du Code criminel [1] , commise le 8 avril 2011, le permis de conduire du requérant a été révoqué conformément à l’article 180 du Code de la sécurité routière [2] (CSR).

[5]               Par sa lettre du 16 octobre 2012 [3] , la Société l’informe que, pour être admissible à l’obtention d’un nouveau permis de conduire le 3 octobre 2013,  il devra, en premier lieu, se soumettre à une évaluation sommaire et si celle-ci est favorable, il devra suivre le programme d’éducation Alcofrein. En cas contraire, il devra poursuivre une autre démarche pour obtenir son permis.

[6]               De même, il est avisé que, si aucune autre sanction n’est en vigueur à son dossier, il pourra obtenir un permis restreint à compter du 3 janvier 2013 et pour y être admissible, il devra participer à un programme d’utilisation d’un antidémarreur éthylométrique.

[7]               Le 19 mars 2013, le requérant rencontre madame Jacinthe Roy, évaluatrice accréditée par l’Association, afin de procéder à l’évaluation sommaire qui sert à établir la compatibilité de son comportement relativement à la consommation d’alcool ou de drogues avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. [4]

[8]               Selon les résultats des tests qui lui ont été administrés, la conclusion du rapport de l’évaluation sommaire est non favorable. Conséquemment, l’évaluatrice recommande que le requérant se soumette à une évaluation complète afin de s’assurer que ses habitudes de consommations d’alcool sont compatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. [5]

[9]               À la suite de l’échec de l’évaluation sommaire, le 5 avril 2013, la Société informe le requérant qu’il doit se soumettre à une évaluation complète pour obtenir son nouveau permis de conduire [6] , d’où le présent recours auprès du Tribunal administratif du Québec [7] .

 

[10]            Témoignant à l’audience, le requérant décrit les circonstances entourant son refus de fournir un échantillon d’haleine, le 8 avril 2011.

[11]            Il ajoute qu’à ce moment, il vivait une séparation de sa conjointe et était quelque peu dépressif.

[12]            Il confirme qu’une déclaration de culpabilité a été prononcée contre lui, le 3 octobre 2012, pour une infraction de conduite avec les facultés affaiblies entraînant la suspension de son permis de conduire pour un an.

[13]            En raison de difficultés financières, son véhicule n’est muni d’un éthylomètre que depuis juin 2013.

[14]            Se reportant aux différents rapports sommaires liés au programme d’utilisation de cet appareil, le requérant indique l’absence d’échec, à ce jour.

[15]            Par ailleurs, il souligne qu’il est un bon conducteur et qu’il n’a aucun point d’inaptitude inscrit à son dossier de conduite.

[16]            Il présente effectivement un antécédent en matière de conduite avec les facultés affaiblies, lequel remonte à 1992, alors qu’il était âgé d’une vingtaine d’années. Il mentionne que depuis ce temps, il est maintenant père de cinq enfants.

[17]            Pour lui, les questions posées dans le cadre de l’évaluation sommaire ne sont basées que sur des hypothèses et n’avaient pour but que de le piéger.

[18]            Pourtant, il est abstinent depuis 2011.

[19]            À titre d’exemple, il se reporte aux questions visant les endroits où il consommait de l’alcool alors que le choix de réponse ne reflétait pas sa situation actuelle.

[20]            Il a mentionné ce fait à l’évaluatrice et malgré les explications de cette dernière, le choix de réponse ne lui convenait toujours pas.

[21]            Pour ces raisons, il considère que les tests utilisés ne sont pas ajustés à sa situation et lui font perdre inutilement son permis de conduire.

[22]            Contre-interrogé, le requérant mentionne que malgré tout l’évaluation s’est quand même bien passée.

[23]            Madame Jacinthe Roy, évaluatrice accréditée par l’Association depuis 2002, a également témoigné devant le Tribunal.

[24]            Elle dépose, en preuve, à l’audience, les tests administrés au requérant lors de son évaluation. [8] À la demande du procureur de la partie intimée, le Tribunal a émis verbalement une ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion de tout renseignement contenu à ces documents.

[25]            L’évaluatrice précise que le but de l’évaluation sommaire est d’évaluer la compatibilité du comportement du conducteur relativement à la consommation d’alcool avec la sécurité routière.

[26]            Le protocole consiste à évaluer 10 facteurs de risque. Si la personne évaluée cote à 3 facteurs ou plus, il s’ensuit une recommandation non favorable.

[27]            Elle souligne également que son opinion personnelle n’a aucune incidence en regard de ce processus d’évaluation.

[28]            Chez le requérant, elle indique que celui-ci cote à quatre facteurs de risque, d’où la recommandation non favorable.

[29]            Elle précise que ces facteurs de risque sont des problèmes liés à l’alcool, à son dossier de conduite, aux risques liés à ses attitudes et intentions et, enfin, à l’alcoolémie lors de l’arrestation.

[30]            L’évaluatrice explique le pointage qui a mené à la cotation de chacun de ces facteurs et insiste sur le caractère significatif de certains résultats.

[31]            De même, elle mentionne que le facteur se rapportant à l’alcoolémie du requérant est évalué en tenant compte du taux inscrit au moment de son arrestation et non à celui retenu lors de la déclaration de culpabilité. Dans le cadre de l’évaluation de ce facteur, son refus de fournir un échantillon d’haleine a été considéré.

[32]            L’évaluatrice indique que ces informations ont été aussi validées auprès du requérant, de celles inscrites à son dossier de conduite ainsi que des notes consignées par le policier au relevé d’utilisation de l’appareil de détection d’alcool dont le résultat affichait la mention « fail », c’est-à-dire l’échec à cette épreuve. [9]

[33]            Par ailleurs, quant aux différents questionnaires administrés, elle précise qu’il peut arriver qu’à certaines questions le choix de réponse pour une personne ne soit pas disponible. Dans ce cas, il est possible de répondre par un chiffre, cependant elle ne peut expliquer ce qu’il en résultera au pointage total. 

[34]            Enfin, selon les informations qui lui ont été transmises par le requérant, la période de sobriété de ce dernier a été considérée dans le cadre de l’évaluation.

[35]            En terminant, l’évaluatrice déclare qu’aucun incident particulier n’est survenu lors de l’évaluation du requérant et que tout s’est bien déroulé.

 

[36]            Le Tribunal est appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision rendue en révision par la Société, laquelle maintient le refus de délivrer le permis de conduire au requérant au motif qu’il ne répond pas aux exigences énoncées au troisième paragraphe de l’article 81 du CSR.

[37]            Cette disposition se lit comme suit :

«  81.   La Société peut refuser de délivrer un permis, d'en changer la classe ou de lui en ajouter une autre, si la personne qui en fait la demande :

[ ]

3 ° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2 , 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteinte d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui, d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément ou d'une personne autorisée par un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée ;

[ ]  »

(L’accentuation est du Tribunal)

[38]            En l’espèce, la Société appuie sa décision sur l’avis émis par madame Roy, évaluatrice accréditée par l’Association qui, le 19 mars 2013, a procédé à l’évaluation sommaire du requérant qui s’est soldée par un échec.

[39]            Ainsi, selon les étapes déterminées par l’article 76.1.2 du CSR, si le requérant désire obtenir son nouveau permis de conduire, il doit se soumettre à une évaluation complète auprès de l’Association.

[40]            L’article 76.1.2 du CSR prévoit ce qui suit :

«  76.1.2.   Lorsque l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool et que la personne n'est pas visée à l'article 76.1.4, elle doit, pour obtenir un nouveau permis, établir que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe de permis demandée .

La personne doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa:

1°  au moyen d'une évaluation sommaire , si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle ne s'est vu imposer ni révocation ni suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool;

[ ]

La personne qui échoue l'évaluation sommaire doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa au moyen d'une évaluation complète.  »

[41]            Or, le requérant prétend que la méthode utilisée par l’évaluatrice ne tient pas compte de sa réalité. En somme, il est d’avis que les questions posées sont associées à des situations hypothétiques et ne visent qu’à tenter de le prendre en défaut.

[42]            Il soutient que sa situation est telle qu’il peut récupérer son permis de conduire sans autre condition.

[43]            Tout d’abord, tel qu’énoncé à l’article 76.1.9 du CSR, précisons que l’élaboration du protocole ne relève pas de la compétence du Tribunal.

[44]            À cet égard, il y a lieu de reproduire les propos du Tribunal, qui, dans l’affaire M.F. c. Société de l’assurance automobile du Québec [10] , s’est prononcé récemment sur cette question.

[45]            La présente formation fait siens les propos suivants :

« [29] D’emblée, le Tribunal reconnaît que l’élaboration du protocole n’est pas de sa compétence directe.

[30] L’article 76.1.9 du CSR est tout à fait clair à ce sujet; la responsabilité d’en établir les termes est confiée par la loi elle-même à l’ACRDQ, suivant les règles établies par entente avec la Société.

[31] Le protocole relève ainsi du pouvoir discrétionnaire de la Société qui a pour mandat premier d’assurer la sécurité des gens en matière de conduite automobile, selon l’article 1 du CSR.  »

[46]            Dans ces conditions, le Tribunal n’est pas autorisé à discuter de la pertinence des moyens utilisés par l’Association dans le cadre de l’évaluation sommaire. Conséquemment, le Tribunal ne peut disposer des arguments du requérant sur cet aspect.

[47]            Maintenant, soulignons que sur le rôle que peut jouer le Tribunal en l’instance, la présente formation se rallie également aux principes dégagés par le Tribunal dans cette même décision [11] .

[48]            En effet, à la suite d’une nouvelle lecture des dispositions législatives pertinentes, le rôle du Tribunal ne se limite pas seulement à s’assurer que l’évaluation a été faite par une personne dûment accréditée, que toutes les étapes de l’évaluation ont été franchies selon les normes, que les données factuelles ont été bien rapportées et que le pointage a été correctement calculé et interprété, mais le Tribunal est aussi appelé à considérer l’ensemble de la preuve qui lui a été présenté et à déterminer si la Société a rencontré son fardeau de preuve.

[49]            À ce propos, il y a lieu également de reproduire les extraits pertinents de cette décision qui traitent spécifiquement de ce sujet :

« [37] Une fois que la partie requérante a rempli son obligation de se soumettre à l’évaluation sommaire, la Société doit démontrer en quoi son refus d’émettre un nouveau permis est justifié dans les circonstances.

[38] Le Tribunal pourra alors déterminer, selon la preuve offerte par la partie requérante, si la preuve de la Société rencontre le fardeau de la balance des probabilités, tout en retenant en tête qu’il y va de la sécurité routière, tant pour le public en général que pour la partie requérante ». [12]

[50]            Ainsi, de l’ensemble des documents relatifs à l’évaluation sommaire et par le témoignage de l’évaluatrice, le Tribunal est d’avis que la Société rencontre le fardeau de preuve qui lui incombait.

[51]            En effet, par ses explications quant à la présence des facteurs de risque chez le requérant et de la démonstration de leur caractère significatif, lesquels ont été aussi analysés en tenant compte des informations obtenues par le requérant dans le cadre d’une entrevue structurée, des inscriptions à son dossier de conduite ainsi que des notes consignées par le policier au relevé d’utilisation de l’appareil de détection d’alcool, le Tribunal considère que l’avis de l’évaluatrice est motivé d’une façon suffisante.

[52]            Dans une telle mesure, le Tribunal estime que l’opinion de l’évaluatrice est prépondérante sur celle du requérant quant au risque de récidive qu’il représente en ce qui a trait à la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[53]            En somme, ni la période d’abstinence du requérant qui remonte à 2011 ou 2012, ni ses autres explications dont, entre autres, la banalisation d’une première condamnation pour conduite avec facultés affaiblies parce qu’il était, à cette époque, âgé dans la vingtaine, ne permettent de rassurer le Tribunal quant à l’absence de risque de récidive qu’il pourrait représenter.

[54]            Cela étant, le Tribunal conclut au bien-fondé de la décision rendue en révision par la  Société, laquelle maintient le refus de délivrer le permis de conduire au requérant. Dans ces circonstances, pour obtenir son permis de conduire, il n’aura d’autre choix que de se soumettre à une évaluation complète et y démontrer que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier.


POUR TOUS CES MOTIFS, le Tribunal :

-         REJETTE le recours;

-         CONFIRME la décision rendue en révision par la Société, le 1 er mai 2013, qui refuse de délivrer un permis au requérant conformément au paragraphe 3 de l'article 81 du CSR;

-         INTERDIT de divulguer, publier ou diffuser les renseignements contenus aux documents déposés comme pièce I-1 en liasse.


 

CAROLINE GONTHIER, j.a.t.a.q.

 

 

HUGUETTE DEMERS, j.a.t.a.q.


 

Me Stéphane Poulin

Procureur de la partie requérante

 

Dussault, Mayrand

Me François Desroches Lapointe

Procureur de la partie intimée


 



[1] L.R.C. (1985), c. C-46, mod. par L.R.C. (1985), c. 2 (1 er supp.).

[2] RLRQ, chapitre C-24.2.   

[3] Page 11.

[4] Pages 13 et 14.

[5] Page 14.

[6] Page 15.

[7] Page 20.

[8] Pièce I-1 en liasse.

[9] Page 22 de la pièce I-1 en liasse.

[10] 2013 QCTAQ 10692 .

[11] Précitée, note 10.

[12] Id.