Martin c. Re/Max 1 er Choix inc.

2014 QCCQ 219

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

N  :

200-22-063930-127

 

D ATE :

16 janvier 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

Daniel Bourgeois, J.C.Q. (Jb 4529)

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RONALD MARTIN

 

Demandeur

c.

RE/MAX 1 ER CHOIX INC.

et

 

BIBIANE FORTIN

 

Défenderesses

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JUGEMENT

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Le Litige

[1]            Le demandeur, monsieur Ronald Martin (ci-après appelé «  monsieur Martin  »), réclame à titre de dommages-intérêts des défenderesses Re/Max 1 er Choix inc. (ci-après appelée «  Re/Max  ») et de madame Bibiane Fortin (ci-après appelée «  madame Fortin  ») la somme de 28 525,14 $ à la suite de la faute professionnelle alléguée de madame Fortin, laquelle aurait omis de transmettre un avis à la personne détenant une clause de premier refus en vertu d'une promesse d'achat d'immeuble.

 

[2]            Pour leur part, les défenderesses nient avoir commis quelque faute que ce soit envers le demandeur et prétendent qu'elles n'ont jamais été informées de l'existence de la promesse d'achat en question, d'où l'impossibilité en fait pour madame Fortin d'en aviser le bénéficiaire du droit de premier refus.

Le contexte

[3]            Monsieur Martin, officier de marine à l'emploi de la Garde côtière canadienne, ayant décidé de mettre en vente son condo situé au […], rue A, à Québec, accepte le 18 septembre 2011, une promesse d'achat de la part de madame Monique Debroux (ci-après appelée «  madame Debroux  »), ladite promesse d'achat étant conditionnelle à la vente de la propriété de cette dernière (P-1).

[4]            Monsieur Martin est alors représenté par un courtier, en l'occurrence monsieur Joseph Dohogue, faisant affaire sous la bannière « Proprio Direct » .

[5]            La promesse d'achat P-1 prévoit que monsieur Martin peut continuer d'offrir son condo en vente et que dès qu'il reçoit une offre acceptable, il doit en aviser madame Debroux afin que cette dernière puisse se prévaloir, à l'intérieur d'un délai de 72 heures, de son droit de premier refus. Dès lors, madame Debroux doit choisir ou non d'enlever la condition de la vente de sa propriété pour acquérir celle du demandeur.

[6]            Il est en preuve qu'à cette époque, monsieur Martin voulait faire l'acquisition d'une maison située au […], rue B, à Portneuf.

[7]            Madame Fortin, qui représente la propriétaire de la résidence de la rue B à Portneuf (madame Breton), communique avec monsieur Martin au début de décembre 2011 afin d'inciter ce dernier à lui accorder le mandat de vendre son condo de la rue A puisqu'elle avait constaté sur le site MLS (Multiple Listing Service) que le mandat du courtier Dehogue se terminait le 30 novembre 2011.

[8]            Un mandat de courtage exclusif - vente d'immeuble (P-2) est donc accordé par monsieur Martin aux défenderesses le 2 décembre 2011. Par ailleurs, monsieur Martin signe, à la même date, une promesse d'achat (D-3) en faveur de madame Breton pour la propriété de la rue B, à Portneuf.

[9]            À l'audition, monsieur Martin affirme qu'il a informé madame Fortin de la promesse d'achat P-1 en faveur de madame Debroux et qu'il lui en a remis une copie.

[10]         Madame Marie Hétu-Rousseau (ci-après appelée «  madame Rousseau  »), conjointe du demandeur, et présente lors de cette rencontre, confirme que monsieur Martin a transmis à madame Fortin une copie de la promesse d'achat P-1, et qu'il a informé cette dernière de l'offre d'achat de madame Debroux.

[11]         Le 18 février 2012, madame Fortin présente une promesse d'achat pour le condo de monsieur Martin, laquelle est signée par madame Jocelyne Fleury-Baby (ci-après appelée «  madame Baby ») (P-3). Avant d'accepter l'offre finale de madame Baby, monsieur Martin affirme au Tribunal qu'il s'est fait confirmer par madame Fortin que l'avis de 72 heures prévu dans la promesse d'achat P-1 en faveur de madame Debroux avait été transmis à cette dernière par madame Fortin.

[12]         Au début mai 2012, monsieur Dehogue, ancien courtier de monsieur Martin, communique avec ce dernier pour lui dire que madame Debroux avait rempli toutes les conditions de la promesse d'achat P-1 et qu'elle désirait maintenant procéder à l'acquisition de son condo.

[13]         Monsieur Martin témoigne qu'il a était surpris de cet appel de monsieur Dehogue puisqu'il croyait que madame Fortin avait transmis l'avis à madame Debroux, ce à quoi monsieur Dehogue lui répond que madame Debroux n'a jamais reçu ledit avis en question.

[14]         Constatant avec stupeur que sa propriété est alors convoitée par deux personnes, soit madame Debroux et madame Baby, monsieur Martin mandate ses procureurs, lesquels mettent en demeure, le 10 mai 2012, les défenderesses et les tiennent responsables de tous les dommages que monsieur Martin pourrait subir en raison de l'omission de madame Fortin de ne pas avoir agi avec professionnalisme dans ce dossier.

[15]         Le 11 mai 2012, madame Debroux met en demeure monsieur Martin de respecter son engagement; de la même manière, madame Baby le met également en demeure le 16 mai 2012 de signer sans délai l'acte de vente pour donner suite à sa promesse d'achat dûment acceptée.

[16]         Le 28 mai 2012, Me Isabelle Sirois, avocate de madame Debroux, signifie une autre mise en demeure à monsieur Martin dans laquelle elle exige que ce dernier prenne les dispositions nécessaires pour que la vente intervienne, à défaut de quoi monsieur Martin fera l'objet d'une poursuite en dommages-intérêts « dès que sa cliente aura liquidé ses dommages » .

[17]         Après plusieurs discussions et négociations, une entente (règlement, transaction et quittance) intervient entre madame Debroux, madame Baby et monsieur Martin par laquelle madame Baby renonce à ses droits pour la somme de 20 000 $ que doit payer monsieur Martin.

[18]         Les versions sont contradictoires quant à savoir si le demandeur a divulgué aux défenderesses l'existence de la promesse d'achat P-1 en faveur de madame Debroux.

 

[19]         Sur ce point, madame Rousseau, maintenant retraitée, mais qui a fait carrière à titre d'agent(e) d'assurance, confirme au Tribunal, puisqu'elle était présente à l'occasion des rencontres, que non seulement madame Fortin aurait confirmé à monsieur Martin que l'avis de 72 heures avait été transmis, mais qu'elle détenait la preuve de transmission dans l'ordinateur de son adjointe administrative.

[20]         Essentiellement, madame Fortin témoigne que monsieur Martin ne l'a pas avisée de la promesse d'achat P-1 au bénéfice de madame Debroux.

[21]         Elle réfère à son mandat P-2 et soumet au Tribunal que l'article 8.2 (6 e ), qui apparaît sous la rubrique « Déclarations du vendeur » , n'a pas été rempli par monsieur Martin. Selon madame Fortin, monsieur Martin aurait dû identifier à cette rubrique l'existence de la promesse d'achat P-1 qui existait alors pour son condo.

[22]         Contre-interrogée à ce sujet, madame Fortin déclare que monsieur Martin lui a effectivement transmis une promesse d'achat, mais qu'il s'agissait de la promesse d'achat D-3 concernant la propriété qu'il voulait acquérir sur la rue B, à Portneuf.

ANALYSE

[23]         À l'occasion de ses représentations, l'avocate des défenderesses prétend que monsieur Martin n'a jamais avisé madame Fortin de l'existence de la promesse d'achat P-1. Elle prétend également que ce dernier n'a pas lu attentivement les clauses du mandat P-2 et de la promesse d'achat P-3 qui comportaient des clauses à cet effet.

[24]         Sur cet aspect, monsieur Martin a effectivement confirmé lors de l'audition qu'il n'avait pas lu toutes les pages du mandat P-2 et que son attention s'était portée surtout sur la première page concernant la rémunération de son courtier, madame Fortin.

[25]         Il précise de plus que c'est madame Fortin qui lui lisait les sections importantes des documents en question.

[26]         Sur cet  aspect du  témoignage de monsieur Martin, madame Fortin ne nie pas que monsieur Martin n'a pas lu toutes les clauses, car elle admet, en contre-interrogatoire, que c'est elle qui l'informait des clauses importantes du mandat P-2 et qu'elle faisait un trait en marge des paragraphes qu'elle avait lus pour monsieur Martin.

[27]         À la lecture du mandat P-2, sous la rubrique « Déclarations du vendeur » , il est effectivement possible de constater que la plupart des paragraphes de l'article 8.2 ont été cochés par madame Fortin, à l'exception cependant du paragraphe 6 où le vendeur devait divulguer que son condo avait fait l'objet d'une promesse d'achat.

 

[28]         Le mandat P-2 (art. 8.2 (6 e )) tend donc à confirmer le témoignage de monsieur Martin à l'effet que c'est madame Fortin qui remplissait ce formulaire et qui faisait la lecture des clauses importantes. Ainsi, selon ce qui précède, cette clause particulière n'aurait pas été lue à monsieur Martin par madame Fortin.

[29]         Par ailleurs, autant monsieur Martin que sa conjointe, madame Rousseau, ont témoigné de manière crédible et sans ambiguïté et ont affirmé sans hésitation qu'ils ont avisé madame Fortin, non seulement de l'existence de la promesse d'achat P-1, mais qu'ils se sont informés à plus d'une reprise, une fois la promesse d'achat de madame Baby P-3 signée, si madame Fortin avait transmis l'avis de 72 heures à madame Debroux.

[30]         De son côté, le témoignage de madame Fortin à cet effet était plutôt difficile et souvent vague et imprécis. Madame Fortin prétend que lors de la signature de son mandat P-2 et à la suite de sa demande, monsieur Martin lui aurait remis non pas la promesse d'achat P-1, mais bien la promesse d'achat D-3 concernant l'autre propriété de Portneuf.

[31]         Si effectivement c'était le cas, madame Fortin aurait dû réagir immédiatement, car elle devait ou aurait dû savoir que la promesse d'achat dont il était question à l'article 8.2 (6 e ) du mandat P-2 devait obligatoirement référer au condo de monsieur Martin et non à la maison de la rue B, à Portneuf, et dont elle était le courtier inscrit.

[32]         De tout ce qui précède, le Tribunal ne peut conclure à la version des défenderesses, selon laquelle l'absence « présumée » de divulgation de la promesse d'achat détenue par madame Debroux résulte soit d'un oubli de monsieur Martin ou de la volonté de ce dernier de vendre rapidement sa résidence.

[33]         En effet, il serait très surprenant, pour le moins, que monsieur Martin ait oublié une chose d'une telle importance, compte tenu des conséquences potentielles pouvant résulter d'une telle omission.

[34]         L'article 2804 du Code civil du Québec (C.c.Q.) prévoit :

2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[35]         Compte tenu de la preuve testimoniale entendue lors de l'audition, le Tribunal arrive à la conclusion que madame Fortin a commis une erreur dans l'exécution de son mandat en omettant de transmettre l'avis de 72 heures à madame Debroux.

[36]         Par ailleurs, l'article 1458 C.c.Q. prévoit ce qui suit :

1458. Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.

Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.

[37]         Il est en preuve qu'à la suite du constat par monsieur Martin qu'aucun avis de 72 heures n'avait été transmis à madame Debroux, un imbroglio juridique important s'en est suivi, lequel s'est conclu, après de longues négociations entre les parties, par un règlement, transaction et quittance (P-8) au terme duquel monsieur Martin a dû verser 20 000 $ à madame Baby.

[38]         Malgré les prétentions contraires de l'avocate des défenderesses, le Tribunal est convaincu que l'omission, délibérée ou non, de madame Fortin de transmettre à madame Debroux l'avis de 72 heures est à l'origine et fut la cause directe du préjudice de monsieur Martin.

DOMMAGES

[39]         Les défenderesses prétendent que les dommages réclamés sont exagérés. La procureure des défenderesses prétend que la somme de 20 000 $ est exagérée puisque selon la jurisprudence [1] , le montant n'aurait pu excéder la différence entre le prix de la vente et celui offert par l'acheteur frustré, représentant une somme de 13 000 $ dans le présent cas.

[40]         Or, les faits de la présente instance diffèrent complètement de la jurisprudence citée par la procureure des défenderesses puisque dans ces décisions, la Cour devait évaluer la « perte de profits escomptés » sur la propriété que les demandeurs n'avaient pu acquérir.

[41]         Le Tribunal est d'avis que la somme de 20 000 $ n'est pas exagérée, s'agissant du montant réel que monsieur Martin a été obligé de payer pour mettre fin à l'imbroglio juridique résultant de l'omission de madame Fortin.

[42]         Pour les mêmes raisons, le Tribunal est également d'avis que monsieur Martin a été obligé d'acquitter les honoraires de 5 146,67 $ et que ces derniers ne constituent aucunement des honoraires extrajudiciaires reliés au présent litige, mais sont bel et bien des dommages directs en lien avec la faute de madame Fortin et font partie, à ce titre, du préjudice subi par monsieur Martin.

[43]         Le demandeur réclame également la somme de 2 500$ à titre de dommages pour troubles, ennuis, inconvénients et stress occasionnés par la faute des défenderesses.

[44]         Sur cet aspect de la réclamation, le procureur du demandeur a omis de ventiler chacun des postes de dommages ainsi réclamés. Cependant, monsieur Martin a témoigné que toute cette période l'a bouleversé et lui a occasionné du stress. D'ailleurs, le Tribunal a pu constater que ce stress était toujours visible lors de son témoignage.

[45]         Dans les circonstances, le Tribunal accorde une somme de 1 000 $, en l'absence de preuve plus élaborée à cet égard.

[46]         Enfin, en ce qui concerne les intérêts réclamés sur l'emprunt au montant de 878,47 $, le Tribunal est d'avis, à l'instar de la procureure des défenderesses, qu'en l'absence de preuve de faute lourde de la part des défenderesses, le demandeur ne peut les réclamer [2] .

[47]         Pour ce qui est de la responsabilité de Re/Max, l'article 18 de la Loi sur le courtage immobilier [3] prévoit ce qui suit :

18. Une agence est responsable du préjudice causé à toute personne ou société pour une faute commise par un courtier qui la représente dans l'exécution de ses fonctions.

Elle conserve néanmoins ses recours contre lui.

[48]         En conséquence de ce qui précède, le Tribunal conclut qu'une somme de 26 146,67 $ doit être accordée à titre de dommages au demandeur.

PaR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie la requête du demandeur;

CONDAMNE solidairement les défenderesses, Re/Max 1 er Choix inc. et madame Bibiane Fortin, à payer au demandeur, monsieur Ronald Martin, la somme de 26 146,67 $ avec intérêts calculés au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec , à compter de l'assignation;

LE TOUT avec dépens.

 

 

 

 

 

 

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Daniel Bourgeois , J.C.Q.

 

 

 

 

 

QUESSY HENRY ST-HILAIRE - casier #68

(Me Patrick Quessy)

Procureurs du demandeur

 

Langlois Kronström Desjardins - casier #115

(M e Nathalie Dubé)

Procureurs des défenderesses solidaires

 

 

Date d’audience :

4 décembre 2013

 



[1]     Pelletier c. Blouin, [2009] QCCS 1 ; Côté c. Tsoudis, [2008] QCCQ 7585 .

[2]     Tremblay c. Gingras, C.A.Q. 200-09-003166-003 , 8 mai 2002.

[3]     RLRQ, c. C-73.2.