Denton c. 4536631 Canada inc. (Gestion Réno-Dépôt inc.) |
2014 QCCS 216 |
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JM 1796
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-063296-118 |
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DATE : |
30 JANVIER 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DANIÈLE MAYRAND, J.C.S. |
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MICHAEL DENTON |
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Demandeur |
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c. |
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4536631 CANADA INC. |
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(Gestion Réno-Dépôt inc.) |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur, Michael Denton (« Denton ») prétend avoir été intercepté à sa sortie du magasin, propriété de la défenderesse (« Réno-Dépôt »), et brutalisé par ses préposés qui le soupçonnaient de vol à l’étalage. Il réclame des dommages de 107 200 $ pour blessures corporelles, atteinte à la réputation et dommages punitifs.
[2] Réno-Dépôt nie avoir intercepté ou brutalisé Denton, au contraire, elle prétend que Denton, dans un état de rage, a attaqué physiquement ses préposés.
[3] En demande, seul Denton a témoigné. En défense, plusieurs préposés de Réno-Dépôt ont témoigné : Dave Roy (« Roy ») le responsable de la sécurité, Jeannine Thifault (« Thifault ») l’agente de sécurité et trois témoins oculaires de l’incident, Serge Boyer (« Boyer »), Jean-Yves Dupont (« Dupont ») et Alberto Clavijo (« Clavijo »). Le D r Claude Godin et l’agente Sophie Couillard du SPVM ont aussi témoigné.
LE CONTEXTE
v La version de Denton
[4] À la demande de son patron, le 23 janvier 2008, Denton se présente au magasin pour acheter un petit article de plomberie. Après avoir payé à la caisse, il sort du magasin. Il se sent suivi par quelqu’un qui lui met la main dans le dos et qui l’invite à revenir au magasin parce qu’on soupçonne qu’il a dérobé un article.
[5] Il trébuche et est frappé par plusieurs personnes [1] . Il est rapidement immobilisé au sol par quatre employés du magasin. Il se débat et demande que les policiers soient appelés. Il mentionne qu’à un certain moment il était incapable de bouger, car des individus avaient mis leur pied sur son thorax. Il réussit à s’échapper, retourne au magasin et demande à voir le superviseur.
[6] Il réalise que celui-ci fait partie du groupe qui l’a agressé, il demande plutôt l’intervention des policiers. Il dit qu’il y a environ douze voitures de police qui se présentent sur les lieux. Il sera finalement arrêté pour voies de fait et pour bris de condition.
[7] Il est relâché en fin de soirée, il récupère sa voiture laissée dans le stationnement du magasin et se rend à l’hôpital. Il a des ecchymoses, mais aucune cassure, aucune radiographie n’est prise. Il prend des comprimés pour calmer la douleur. Il ressent des douleurs au cou et à l’épaule droite. Son médecin de famille fait ensuite le suivi et il recevra des traitements de physiothérapie pendant six mois.
[8] Il est en arrêt de travail pendant quelques mois à cause de souffrance et douleurs. Il reprend en septembre 2008 de façon irrégulière pour recommencer de manière définitive en septembre 2009.
[9] Sa condition se détériore en septembre 2010, à la suite d’un effort au travail pour soulever une chaudière remplie d’eau. Par la suite, ses douleurs à l’épaule et à la région cervicale régressent et deviennent très incommodantes. Il subit une chirurgie le 14 novembre 2011.
v La version de Réno-Dépôt
[10] Le magasin est muni de caméras de surveillance. Le 23 janvier 2008, c’est l’agente de sécurité, Thifaut, qui dirige les caméras placées sur un rail et qui tournent au plafond.
[11] Elle aperçoit Denton qui prend un coffret jaune De Walt dans la case à outils. Celui-ci regarde à gauche et à droite et elle soupçonne un comportement louche. Elle décide de diriger sa caméra pour le suivre. La vidéo de surveillance a été produite [2] . Denton déambule nonchalamment avec le coffret jaune dans sa main droite, il va dans plusieurs allées et fait même un « eye contact » avec la caméra. Quelques minutes plus tard, Denton fait un geste rapide et Thifault soupçonne qu’il a camouflé le coffret sous son bras. Lorsqu’il se retourne, il n’a plus le coffret dans sa main droite.
[12] Thifaut décide de quitter son poste pour le suivre et possiblement l’intercepter. Elle sait qu’en quittant son bureau elle va le perdre de vue, de sorte qu’elle appelle Boyer qui est près de la section où se dirige Denton. Celui-ci l’aperçoit, il est à ce moment en face de lui. Elle demande à Dupont et Clavijo de se diriger vers la porte de sortie des transporteurs et de se tenir à distance, sous la marquise du magasin, au cas où elle aurait besoin de témoins.
[13] Denton passe à la caisse et paie pour le petit article de plomberie. Thifaut ne peut voir s’il a le coffret, elle décide de le suivre à l’extérieur, nonchalamment, de côté. Lorsqu’elle arrive à sa hauteur, Denton se met à l’invectiver, en anglais qu’elle ne comprend pas, et elle décide de ne pas faire l’interception. Denton est costaud et mesure 6’2". Il est subitement en colère, fait virevolter son sac qui contient le petit achat et frappe Thifaut sous la poitrine. Elle dit qu’elle lève de terre, le souffle coupé. Selon les trois témoins oculaires, ils ont vu qu’il la bouscule, mais ne peuvent confirmer qu’elle est frappée.
[14] Dupont fait quelques pas en avant et crie à Denton de ne pas agir ainsi. Denton tournoie sur lui-même, en colère, lance son sac et enlève son jacquet . Force est de constater qu’il n’a pas le coffret De Walt et se dirige à grandes enjambées vers Dupont qu’il frappe à la poitrine, ensuite assène un coup de pied aux organes génitaux de Boyer et alors qu’il s’apprête à faire de même avec Clavijo, celui-ci réussit à s’esquiver. Un caissier, qui a vu la scène, appelle le 911. Alors que Denton rentre dans le magasin, deux ou trois voitures de police arrivent sur les lieux.
[15] Selon l’agente Couillard, deux ou trois voitures de police se présentent sur les lieux. Après avoir entendu les versions de différents intervenants, Denton est arrêté pour accusations de voies de fait et pour bris de condition.
[16] Boyer est amené d’urgence à l’hôpital, il a subi une fracture d’un testicule avec des séquelles permanentes.
[17] Denton sera acquitté des accusations pour voies de fait et Réno-Dépôt n’a pas porté plainte pour vol ou tentative de vol à l’étalage.
ANALYSE ET DISCUSSION
[18] Les versions des parties sont diamétralement opposées, de sorte que la décision repose sur l’appréciation de la crédibilité des témoignages.
[19]
Il s’agit d’une action fondée sur l’article
[20] Dans le contexte d’une interception ou de la surveillance d’un suspect pour vol ou tentative de vol à l’étalage, on peut définir la faute comme étant le manque ou la violation d’une norme de conduite. L’erreur de conduite est analysée en fonction de l’appréciation raisonnable d’un comportement humain similaire, à savoir, une personne raisonnable placée dans les mêmes conditions aurait-elle agi de cette façon.
[21] Le visionnement de la vidéo démontre qu’il était légitime que Thifault continue sa surveillance afin de vérifier si le suspect avait pris le coffret et qu’elle assure discrètement la présence de témoins si elle doit intervenir.
[22] Le vidéo de surveillance, conjuguée aux versions de tous les témoins y compris celle de Denton [3] , démontre que les préposés de Réno-Dépôt ont respecté ces normes de conduites et que Denton n’est pas crédible.
[23] D’une part, il dit être pressé pour sa course au magasin Réno-Dépôt d’aller chercher le petit article de plomberie et vouloir retourner manger son lunch qu’il a laissé dans son véhicule avant le retour au travail.
[24] Denton admet être familier avec les rayons du magasin et sait que les articles de plomberie ne sont pas dans les mêmes allées que celle de l’outillage.
[25] Pourtant, la vidéo montre que Denton se rend en premier dans la section des accessoires d’outils, aucunement pressé, prend le coffret pour ensuite se promener à travers les allées.
[26] Denton tient le coffre à outils de sa main droite et explique qu’il a remis le coffret sur une tablette parce qu’il n’avait pas suffisamment d’argent en poche pour le payer. Après avoir payé son lunch au restaurant, il ne lui reste qu’une dizaine de dollars. Pourtant, tout cela il le sait avant de rentrer dans le magasin. Il déambule, prend son temps, alors qu’il est censé être pressé de retourner à son véhicule.
[27] Quant à Thifault, elle voit Denton qui prend le coffret et qui change de rangée. Il s’arrête devant un présentoir et regarde à gauche et à droite et en haut, il fait un eye contact avec la caméra. Il sait, il le dit, que les caméras sont « all over the place ». Thifaut conclut qu’il ne s’agit pas d’une personne qui « a l’air de magasiner ».
[28] Pour elle, c’est le début d’une intervention. Elle le suit avec sa caméra, Denton change de rangée à plusieurs reprises et se rend finalement dans le rayon de la plomberie où il prend la petite cire pour la plomberie. Il continue, change encore de rangée, tourne, regarde à gauche et à droite et elle le voit faire un geste rapide avec sa main droite et dissimuler le coffret.
[29] Lorsque la caméra qui fait un détour revient, il n’y a aucun objet jaune dans sa main ni au sol. Denton se dirige vers le département saisonnier où il n’y a pas de caméra. Thifaut appelle donc Boyer et lui dit que la personne suspecte serait en face de lui. De fait, il aperçoit la seule personne qui est dans la rangée, Denton. Elle lui demande ainsi qu’à deux autres collègues d’être présents comme témoins et elle accourt, quitte son poste en vitesse, sait qu’elle le perd de vue, mais n’a pas le choix si elle veut continuer sa filature pour vérifier s’il y a effectivement tentative de vol à l’étalage.
[30] Le témoignage de Denton, comparé à son interrogatoire hors cour, est truffé de contradictions. Ainsi, à la Cour, il dira que deux employés lui ont fait une clé de bras et l’autre a mis sa botte dans son cou et ensuite sur sa poitrine. Il y avait même un bon samaritain qui aurait ramassé son sac. Dans son interrogatoire hors cour, il parle de cinq personnes qui l’assaillent, il dit qu’il y a deux autos de police, alors qu’à l’audition il a dit qu’il y en avait environ une douzaine.
[31] Par ailleurs, il affirme qu’à sa sortie du magasin, il s’est levé les bras en l’air pour se rendre devant les policiers. L’agente Couillard dit qu’il n’a pas fait tel geste. Tout cela est révélateur de son état d’esprit.
[32] En fait, pour accréditer sa thèse, il faudrait que tout le monde mente et qu’il s’agisse d’un complot initié contre lui. Pourtant, aucun des préposés ne le connaissait, ne l’avait jamais vu antérieurement. Les témoins oculaires Dupont, Boyer et Clavijo ont livré un témoignage identique. Dupont n’est plus à l’emploi de Réno-Dépôt depuis plusieurs années et a donné une version crédible des événements et de l’agression faite par Denton sur lui-même et Boyer. Sa version est corroborée par Boyer et Clavijo.
[33] Le comportement de Thifault, que ce soit pour la surveillance ou l’interception, n’est pas sans motif légitime et a été fait correctement. Au contraire, le processus suivi était discret et ne visait pas à causer des ennuis.
[34] En réalité, le Tribunal retient plutôt que Thifault, discrète, a tout fait pour tenter de voir, jusqu’à ce qu’elle arrive côte à côte avec Denton, s’il avait ou non un objet qu’elle pouvait apercevoir. C’est lui qui s’est subitement mis en colère et s’il y a eu faute, il en est la principale cause et s’est emporté sans aucune justification et sa conduite anormale a créé une situation qui a dégénéré et donné prise à ce qui s’est produit.
[35] Les quelques contradictions au sujet des témoignages des préposés de Réno-Dépôt sont en réalité banales, à savoir est-ce que Thifault a parlé à Denton en premier ou est-ce lui qui a initié la conversation. A-t-elle reçu un coup de poing ou a-t-elle été bousculée, les trois témoins confirment qu’elle a été bousculée par une poussée de Denton.
[36] De tout cela découle un constat inéluctable : aucune personne n’a bousculé Denton, c’est l’inverse qui s’est produit.
[37] Comme l’a dit un des témoins, Denton a disjoncté et perdu la tête.
[38] S’il demeure un doute, on ne peut non plus ignorer les antécédents de Denton : il a été trouvé coupable pour vol avec recel en 1996 ; il plaide coupable en 1999 d’un vol à l’étalage chez Zellers, avec une interdiction de se rendre dans quelque magasin Zellers pendant une période donnée.
LES DOMMAGES
[39] Quoi qu’il en soit, Denton n’a pas prouvé les dommages qu’il réclame.
[40] À cette fin, le Tribunal retient la seule expertise et le témoignage du D r Claude Godin voulant que les contusions, qu’il a pu ressentir lors de l’incident du mois de janvier 2008, aient entraîné une incapacité totale, temporaire de quatre à six semaines et qu’il n’y ait aucune incapacité partielle permanente en lien avec cet événement. La chirurgie et l’aggravation de la blessure proviennent d’un effort fait au travail en septembre 2010. Il n’y a pas de relation entre l’événement du mois de janvier 2008 et celui-ci.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL
[41] REJETTE la Requête introductive d’instance amendée ;
[42] AVEC DÉPENS , y compris les frais d’expertise.
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__________________________________ Danièle Mayrand, j.c.s. |
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Me Normand D. Pepin |
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Procureur du demandeur |
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Me François Barré |
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bélanger sauvé |
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Procureur de la défenderesse |
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Date d’audience : |
16, 17, 18 et 19 décembre 2013 |
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